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CONSEIL SCIENTIFIQUE - DOCUMENTS D'INTERVENTION

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La finance contre les retraites

Conseil scientifique

3 avril 1999

 

I. LES TROIS PILIERS DE L’OFFENSIVE

 

Le système de retraites par répartition fait l’objet en France d’une nouvelle offensive qui s’inscrit dans un projet global codifié avec précision dans un rapport de la Banque mondiale (Averting the Old Age : Policies to Protect the Old and Promote Growth, 1994). Elle y recommande l’institution d’un système à trois piliers. Premier pilier, obligatoire : un système public d'assistance, financé par l'impôt, et chargé de verser un minimum vieillesse fixé à un bas niveau, puisque le rapport avance le chiffre de 20 % du salaire moyen. Second pilier, également obligatoire : le coeur du système repose sur des comptes d'épargne individuels financés par des cotisations obligatoires et gérées par des institutions au choix du salarié. Troisième pilier, facultatif : l'épargne individuelle permet à chacun de compléter, comme il l'entend, les piliers obligatoires.

Ces trois piliers représentent en réalité un compromis boiteux qui fait la part belle à la retraite par capitalisation (le second pilier, obligatoire) par rapport au système public d’assistance. Quant à la retraite par répartition entre salariés actifs et salariés retraités, elle disparaît du programme. L’idéal, d’après ce rapport de la Banque mondiale, serait donc d’ouvrir la voie au rôle dominant de la finance dans les régimes de retraites.

Même si le système français demeure éloigné d'un tel " idéal ", la politique actuelle vise à l’en rapprocher. Elle repose sur trois éléments. Une première offensive est menée dans le cadre de la commission Charpin, dite de concertation sur les retraites, où est produit un discours unilatéral tendant à établir que le poids des retraites va s'alourdir démesurément en raison des évolutions démographiques. Le contrat entre générations, sur lequel repose la répartition, serait rompu, à cause d’une progression insupportable des cotisations vieillesse. La nécessité de réformer le système en y introduisant une " dose " de capitalisation est fortement suggérée, à travers la proposition d’un fonds de réserve. Ensuite, c'est un projet de loi, vraisemblablement inspiré des propositions du député Jérôme Cahuzac, qui devrait prendre le relais à la session parlementaire d'automne.

Le second axe de l'offensive consiste à présenter l'âge de la retraite comme la principale variable d'ajustement du système par répartition, et à s’en servir pour réduire les pensions versées. La retraite à taux plein serait acquise, indépendamment de l'âge, au bout d'un certain nombre d'années de vie active, que le patronat fixe à 45 années et le commissariat au Plan à 42 années et demie, alors qu'il est actuellement de 40 ans dans le privé et de 37ans et demi dans le public.

Le troisième axe de l’offensive gouvernementale consiste à diviser les salariés en mettant l'accent sur les multiples disparités entre le régime général et les divers régimes spéciaux, et en faisant jouer une sorte de " dumping social " qui viserait à aligner les retraites sur la situation des plus mal lotis. Mais si le poids des retraites des fonctionnaires est appelé à progresser plus rapidement que celui du privé, c’est pour une raison toute simple : le nombre de fonctionnaires a augmenté plus vite que l'emploi total. Le nombre de retraités issus de la fonction publique est donc appelé à augmenter plus vite que la moyenne, et le budget va devoir leur consacrer une partie plus importante de ses dépenses, car cet engagement est inscrit dans le statut de la fonction publique et dans le code des pensions.

Ce projet d'ensemble articule de manière assez cohérente des intérêts divers. Les sociétés d'assurance sont évidemment intéressées par l'ouverture d'un nouveau marché. Le patronat cherche de manière systématique à réduire le coût salarial à travers le blocage des cotisations ; il a également intérêt à développer une forme nouvelle d'association capital-travail qui fournirait, de surcroît, une source de financement captif. Quant au gouvernement, il reprend à son compte l'objectif d'un blocage, voire d'un recul des prélèvements obligatoires, qui s'inscrit clairement dans la logique d'austérité du pacte de stabilité budgétaire signé à Amsterdam en juin 1997. La " réforme " des retraites est, pour l’essentiel, un alignement sur les exigences de la finance.

 

II. LE PRETEXTE DE LA DEMOGRAPHIE

 

Les projections du Plan font apparaître une progression du nombre de retraités plus rapide que celui des actifs. Elles oublient, pour commencer, que s’il y a plus de personnes âgées, il y a moins de jeunes : la part des actifs dans la population totale baisse donc beaucoup moins vite, et la charge globale des inactifs ne s’accroît pas autant que le suggère la présentation unilatérale du Plan.

Mais l'erreur principale de la commission Charpin n’est pas de l’ordre du calcul. Elle découle d’une vision technocratique et sans imagination, où l'avenir est le simple décalque de la réalité actuelle. C'est ce qui permet de comprendre la bourde du taux de chômage dit  d' " équilibre " de 9 %, censé prévaloir pour les 40 prochaines années. En projetant comme une évidence la situation actuelle, en renonçant par avance à un retour au plein emploi, les " experts " ont révélé le souhait inconscient d’un maintien du taux de chômage à son niveau actuel. S’il baissait trop, l’inflation ne pourrait à leurs yeux être contenue, et menacerait alors les rendements financiers réels.

Pour faire de la prospective, il aurait fallu une autre ampleur de vue, que l’on était pourtant en droit d’attendre du Plan. Il aurait fallu, en premier lieu, récuser l’idée d’un " vieillissement " de la population, qui suggère un recul de la natalité. Or, l’augmentation prévisible de la proportion de personnes âgées découle principalement d’un allongement de la durée de vie, qui devrait plutôt être une bonne nouvelle. Cette mutation importante va forcément déclencher des processus d'adaptation qu'il est difficile d'anticiper complètement, alors que la plasticité sociale est totalement sous-estimée par le rapport Charpin, et ce sur plusieurs aspects.

Ainsi la réduction du temps de travail peut contribuer à la résorption du taux de chômage et à la mise en place d'une nouvelle forme de plein-emploi. Les femmes ne sont pas condamnées au temps partiel. Dans une société passant peu à peu aux 30 heures, la transformation du temps partiel en temps plein (sauf quand il est effectivement choisi), ou encore l'arrivée sur le marché du travail des 60 % de femmes au foyer qui se disent prêtes à occuper un emploi, pourraient conduire à un surcroît d'activité de 20 % par rapport aux projections du Plan. Mais il faudrait rompre dès aujourd’hui avec les exonérations de charges attachées aux emplois à temps partiel. Enfin, le recours à l'immigration pourrait directement infléchir la proportion de jeunes actifs, au lieu d’utiliser les fonds de pension pour aller exploiter les pays émergents.

Les objections éventuelles à ces propositions reposent sur l'idée d' " employabilité ". Il ne serait pas possible de mettre au travail davantage de gens, de femmes ou d’immigrés, parce qu'ils n'auraient pas le profil requis. C’est une chose de rappeler que les ajustements évoqués ne sont pas immédiats, c'en est une autre de postuler que cette " inemployabilité " va perdurer sur un demi-siècle. Il s’agit là d’une vision conservatrice et exagérément pessimiste, d'autant plus que, dans la consommation induite par les dépenses des retraités, la part de services de proximité est importante.

Tout repose, en fin de compte, sur une pétition de principe, selon laquelle les actifs feraient un jour ou l'autre la grève de la cotisation. Certes, les experts de la commission Charpin s'emploient à susciter une telle révolte en dramatisant à l'excès la situation. Leurs propres chiffres montrent qu'avec 2 % de croissance, il est possible d'assurer à tous les salariés et à tous les retraités, une progression de 1,5 % de croissance. Peut-on vraiment parler de situation catastrophique pour une société dont l’âge moyen est effectivement appelé à augmenter ?

Faut-il alors allonger la durée de la vie active ou bien la réduire ? Si les réponses à cette question sont aussi contradictoires, c’est parce que l’âge de la retraite est censé servir à des objectifs différents et en partie opposés. Sur le marché du travail, les départs anticipés réduisent la population active et représentent donc un outil de la politique de l’emploi, illustré par exemple par un dispositif comme l’ARPE. Du point de vue des retraites, un recul de l’âge de départ permet, sur le papier, de prolonger la période d’activité et de raccourcir la période de retraite. Mais vouloir reculer l’âge de départ à la retraite dans le contexte actuel est une impasse. Aujourd’hui, un tiers seulement des personnes qui font valoir leurs droits à la retraite sont encore en emploi. Dans ces conditions, le recul de l’âge de la retraite développerait la précarité ou pèserait sur l’emploi des jeunes. C’est pourquoi nous faisons nôtre le principe énoncé par l’Office français des conjonctures économiques (OFCE) : tant que perdure le chômage de masse, il ne peut être question de reculer l’âge de la retraite.

 

III. LA RECLAME POUR LES FONDS DE PENSION

 

Le discours officiel fonctionne à la manière d’une fable de La Fontaine qui opposerait la cigale dépensière de la répartition à l’épargne prudente de la fourmi. Comme si le fait d'acheter des titres financiers revenait à mettre de côté aujourd'hui les biens et les services que les retraités consommeront demain. Or, cela ne fonctionne pas ainsi : il faudra de toute façon produire en 2040 ce que les retraités consommeront en 2040, quelle que soit la manière dont seront alors financées leurs retraites.

Les avocats de la capitalisation font valoir que celle-ci permet de bénéficier des meilleurs rendements financiers (mettons 5 %), tandis que la répartition s'alignerait sur la croissance du PIB (2 %). Ce raisonnement ne peut être généralisé : si certains revenus augmentent plus vite que le PIB, il faut bien que d'autres croissent moins vite. Toute progression du nombre de rentiers ne peut se solder que par une baisse du rendement ou par une austérité croissante pour les salaires, ce qui rend difficile de parler de solidarité inter-générationnelle.

Un supplément d'épargne ?

Pour leurs partisans, le recours aux fonds de pension permettrait d'accroître l'épargne, donc l'investissement, donc la croissance. Il y a là une véritable obsession de l’épargne qui ne correspond en aucune manière à l’expérience de la dernière décennie. Chaque fois que le taux d'épargne a augmenté, la croissance a ralenti. De manière générale, ce qui est bon pour la rente – et notamment des rendements financiers élevés – ne l’est ni pour la croissance, ni pour l’emploi, ni même pour le budget alourdi par la croissance de la dette publique.

Quant à l'investissement des entreprises, il n'est pas limité par un défaut d’épargne, puisque l’autofinancement avoisine les 120 %, ce qui veut dire que les entreprises pourraient augmenter de 20 % leur investissement sur leurs ressources internes. Contrairement à ce qui est dit, l’économie française dispose d’une véritable " industrie " des fonds de placement, et les grandes manoeuvres récentes, par exemple le rachat de Nissan par Renault, devraient suffire à dissiper le mythe d’un " capitalisme sans capitaux ".

A la française ?

Enfin, l'économie française (ou européenne) dégage un considérable excédent commercial, ce qui équivaut à une sortie d’épargne qui va notamment financer le déficit commercial américain. Aller plus loin sur cette voie – si tant est que les fonds de pension accroissent l'épargne nette – n'est donc pas une bonne idée économique.

Un autre argument souvent avancé est que les fonds de pension permettraient de consolider la capitalisation des entreprises française, trop dépendante des fonds de placement et des fonds de pension étrangers. Si tel est le cas, il ne fallait pas privatiser, ni déréglementer les mouvements de capitaux. Il y a là un bel aveu d'incohérence, et un symbole de la difficulté à mettre en place une politique industrielle franco-européenne. Mais l'instauration de fonds de pension ne changerait rien à cette situation, dans la mesure où ils n'auraient aucune logique ni obligation à se " placer français ". C'est d'autant plus vrai que d'autres partisans des fonds de pension font valoir qu'ils permettraient d'aller chercher de fortes rentabilités sur les marchés émergents. Encore une fois, les excellents résultats des grands groupes industriels et bancaires, ainsi que les grandes manoeuvres de fusion dans lesquelles ils sont engagés, montrent qu’ils ne sont pas limités par leur disponibilité en capitaux.

La variante provisionnée

Entre répartition et capitalisation, d'aucuns proposent des solutions intermédiaires, comme la répartition provisionnée. C'est de la capitalisation qui ne dit pas son nom, mais qui a le mérite de montrer l'absurdité d'une formule consistant à augmenter aujourd'hui les cotisations sous prétexte qu'on aura à moins le faire dans 20 ans. Ce faisant, on bride la consommation d'aujourd'hui et on contribue à une récession dont ne sortira évidemment aucune garantie de ressources pour les retraités de la prochaine génération. La proposition consistant à alimenter ces fonds à partir des privatisations est une piètre justification pour ces dernières. Ces fonds devraient alors être placés, et pourquoi pas dans les actions des entreprises privatisées ? Il s'agirait alors d'une épargne forcée qui aurait peu de chose à voir avec un système de retraites. Ces questions sont d’autant plus légitimes que le rapport Charpin propose un fonds de réserve de ce type, mais ne dit strictement rien sur son financement.

 

IV. Trois raisons pour s’opposer

 

Le passage à un système intégral de capitalisation est impossible. Il faudrait en quelque sorte cotiser deux fois, et pour des sommes considérables, avant que la capitalisation soit capable de verser des retraites significatives. Faut-il alors en accepter une "dose" ? Cela heurte d'abord la logique : si le " problème " porte sur des centaines de milliards, on ne voit pas l'intérêt d'une solution qui porte sur quelques dizaines de milliards. Les experts du commissariat au Plan sont très forts pour fabriquer des scénarios quantifiés établissant le destin catastrophique de la répartition, mais sont bien incapables d'en exhiber un qui illustrerait les vertus d'un passage à la capitalisation.

Contre la retraite-casino

La première raison de refuser les fonds de pension est qu’ils sont dangereux. Ils introduisent un élément fondamental de risque. Rien, en effet, ne garantit le maintien, sur chacune des 40 années à venir, de la rentabilité actuelle des placements financiers. La retraite va donc devenir une loterie, selon qu’on la prendra une bonne année ou une mauvaise. Si des revenus sont distribués en excédent de l'offre de biens et services, l'ajustement se fera par les prix. Mais le plus probable est que le cycle de vie des épargnants pour la retraite provoque une chute des cours boursiers : les actifs qui se constituent une retraite capitalisée doivent vendre leur portefeuille au moment de cette retraite, et si toute une classe d’âge le fait en même temps, les cours ne peuvent que baisser.

Contrairement au discours dominant, la capitalisation est en réalité bien plus mal placée que la répartition pour faire face à l'évolution démographique. Même l’OCDE est obligée de souligner ce danger (Maintaining Prosperity in an Ageing Society, 1998) : " A mesure que les membres des générations du baby boom partiront à la retraite dans 10 à 20 ans, ils auront probablement un comportement de vendeurs nets au moins pour une partie des titres accumulés durant leur vie de travail. La génération suivante est de moindre taille, et il existe donc une possibilité de baisse du prix des titres. De plus, et en raison également de la taille réduite de cette génération, le stock de capital augmentera plus vite que la force de travail, et ceci tendra également à faire baisser les rendements sur les actifs réels ; il existe donc une possibilité qu’au moment de la retraite, la génération du baby boom découvre que le revenu tiré des fonds de pension est inférieur à ce qui avait été prévu par simple extrapolation des tendances actuelles ".

Contre la retraite à deux vitesses

La seconde raison de refuser les fonds de pension est qu’ils introduisent un régime de retraites profondément inégalitaire. Le régime public de base est plus ou moins gelé, défavorisé en raison des incitations et exonérations dont bénéficient les fonds de pension, et seuls les hauts salaires utilisent pleinement les possibilités de capitalisation. L’épargne financière est très inégalement répartie selon les catégories sociales et les revenus. Ainsi, elle est de loin la plus faible chez les employés et les ouvriers qui constituent plus de 57 % de la population active, et dont les taux de chômage sont de beaucoup les plus élevés. Les salariés qui ont des carrières chaotiques ou à mi-temps, notamment les femmes, ne peuvent plus espérer accéder à une retraite à taux plein.

Le caractère facultatif de ces régimes aggraverait leurs effets discriminatoires, sous couvert de libre choix. Du coup, les tensions actifs-inactifs, que serait censée créer l'augmentation de la cotisation, se retrouvent sous une forme beaucoup plus nette, comme un conflit entre les actionnaires-retraités et les salariés. Il y a donc un risque majeur de différenciation sociale accrue, y compris chez les retraités. Sous prétexte d'anticiper des difficultés, on fabriquerait au contraire, avec les fonds de pension, de véritables bombes sociales à retardement

Contre la finance

La troisième raison de refuser les fonds de pension est qu’ils représenteraient une soumission accrue à la finance. Toute l’expérience récente devrait conduire, au contraire, à limiter la finance et à l’encadrer. Une telle dépendance aurait des effets économiquement détestables, sous forme d'une croissance poussive et chaotique, d’une instabilité financière internationale accrue, et enfin d'une pression permanente aux réductions d'effectifs : les fonds de pension jouent bien souvent le rôle de cheval de Troie d’une " corporate governance " alignée sur des exigences de rentabilité élevée. Sur le plan social, la capitalisation servirait à consolider une alliance sociale entre patrons, rentiers et franges supérieures du salariat, qui agirait dans le sens d'un creusement des inégalités sociales et de l'exclusion.

Voilà pourquoi le débat sur les retraites doit être l’occasion de combattre l’idéologie individualiste financière du chacun pour soi, parce que c’est un leurre et une régression. Un leurre, parce que la généralisation d’un tel système n’est pas soutenable ; une régression parce qu’il produit (au nom de la contributivité) un retour en arrière dans le sens du chacun pour soi. L’éventuelle supériorité d’un tel système réside exclusivement dans sa capacité à étendre le dualisme social.

 

V. UN PROJET DE SOCIETE

 

La part des pensions dans le PIB devrait passer de 11,6 % aujourd’hui à 16,6 % en 2040. Comment pourrait-on se dispenser d’une telle progression si, dans le même temps, la part des plus de 60 ans dans la population augmente de 20,6 % à 33,2 % ? Aucun calcul actuariel sur les intérêts composés ne le permet. Il n’y a, au fond, que deux possibilités. Ou bien le pouvoir d’achat des pensions augmente parallèlement à la richesse produite, et dans ce cas, leur part dans le PIB doit augmenter avec la proportion de personnes âgées. Ou bien on impose une moindre progression du pouvoir d’achat moyen des retraites pour compenser l’augmentation du nombre de retraités, ce qui peut aussi se faire sous la forme d’un recul immédiat de l’âge de la retraite. Il n’existe pas d’autres possibilités, et on vérifie par conséquent que la capitalisation ne peut changer les termes du débat.

Cinq principes pour consolider la répartition

Premier principe : il faut distinguer les grands choix que doit faire toute société sur l’arbitrage consommation/investissement, sur la répartition des revenus, et sur l’articulation public/privé. Le capitalisme s’oppose à la maîtrise collective de ces choix et préfère s’en remettre aux mécanismes de marché. La capitalisation les brouille encore plus, puisqu’elle mélange la répartition des revenus (la retraite) avec des choix portant sur l'affectation de l'épargne. Or, la retraite est une composante du salaire et ne devrait donc pas être assimilée à un revenu financier. Et c’est le surplus dégagé après paiement de toute la masse salariale (donc y compris les retraites) qui doit financer l’investissement des entreprises.

Second principe : un modèle de croissance régulière implique une part des salaires compatible avec le plein-emploi et constante à moyen terme. Il faut donc, pour commencer, augmenter la part des salaires à un niveau satisfaisant. Si celle-ci n’avait pas baissé de 69 à 60 % de la valeur ajoutée des entreprises, la masse salariale (et donc les retraites) serait aujourd’hui supérieure de 15 % à ce qu’elle est, et l’on aurait pu se dispenser d’une partie des hausses de cotisation qui ont eu lieu. Par ailleurs, la préconisation européenne en faveur d’une progression du salaire inférieure d’un point à celle de la productivité ne fonde pas un scénario soutenable, puisqu’elle conduirait à une part salariale de seulement 40 % de la valeur ajoutée en 2040 !

Le schéma souhaitable est donc le suivant : dans une première phase, la part des salaires serait portée aux alentours de 70 %. Ensuite serait instaurée une règle simple consistant à stabiliser cette part salariale. Autrement dit, les gains de productivité du travail reviendraient intégralement aux salariés : en partie sous forme de réduction du temps de travail, en partie sous forme d’une progression du salaire qui devrait être différenciée de manière à réduire les inégalités.

Troisième principe : priorité à la réduction du temps de travail. La phase de mise à niveau de la part salariale servirait à " financer " une réduction massive du temps de travail permettant, grâce à des embauches proportionnelles, d’attaquer significativement un taux de chômage qui ne saurait être considéré comme définissant un " équilibre ". La société devrait se fixer comme priorité le passage à un plein emploi d’un type nouveau, obtenu par redistribution des gains de productivité sous forme de temps libre.

Quatrième principe : indexation des salaires nets et des retraites. Cette règle établit l’égalité intergénérationnelle, à l’inverse de l’indexation sur les prix instituée par la réforme Balladur, qui revient à exclure les retraités du partage des gains de productivité.

Cinquième principe : les modalités pratiques d’application de ces orientations portent, notamment, sur les péréquations entre régimes et sur de possibles modifications de l’assiette des cotisations qui pourrait être étendue aux revenus financiers. Elles doivent faire l’objet de négociations régulières – tous les cinq ans par exemple qui introduiraient des éléments de planification sociale dans la répartition des revenus. Les choix de la société pourraient alors s’effectuer dans une transparence plus grande, y compris dans leur dimension conflictuelle.

Si ces principes étaient respectés, l’augmentation du ratio retraités/actifs se traduirait par une élévation progressive du taux de cotisation, compatible avec une progression d’ensemble du pouvoir d’achat. Le régime de retraites par répartition pourrait alors, mieux que tout autre, accompagner les transformations de la société, sans la faire basculer un peu plus dans l’anarchie financière.