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L’objectif de ces journées était d’aborder la question de la régulation du système international à partir de la critique du rôle du Fond Monétaire International. Ce séminaire s’est appuyé, dans sa préparation et dans son déroulement, sur les travaux de nombreux collectifs engagés dans la contestation du système économique mondial. Citons notamment Bretton Woods Project en Grande-Bretagne, 50 Years is Enough aux Etat-Unis, le CADTM en Belgique, Focus on Global South en Asie, Jubilee South en Afrique, le mouvement ATTAC au niveau international. Il s’inscrit dans la campagne pour la réforme des institutions financières internationales engagée depuis plusieurs années en France par de nombreuses associations de solidarité internationale, à l’initiative de l’AITEC, d’AGIR ICI et du CRID. Il a été soutenu et accueilli à l’Assemblée Nationale par les députés Jean Claude Lefort et Yves Tavernier. De nombreuses analyses et propositions qui ont été examinées au cours de ces travaux sont aujourd’hui partagées par différents mouvements du Sud et du Nord. Ces convergences montrent l’importance de la prise de conscience du caractère insupportable de l’ordre économique mondial dominant. J’espère que ce séminaire va nous permettre d'aller de l'avant avec l'ensemble du mouvement citoyen mondial qui se préoccupe de la régulation du système international. Cette conclusion, qui reprend les principales leçons que l’on peut tirer de ces deux jours de débats, s'articule en six points. C’est une façon de mettre en commun les idées qui ont été émises par les un(e)s et les autres. 1. A quelle méthode nous référons-nous ? Nous voulions au départ réfléchir pour et avec le mouvement social, avec le mouvement citoyen qui se préoccupe de l’évolution et de la nature de la mondialisation. C'est ce que nous avons tenté de faire au cours de ce séminaire, sans oublier que nous siégions dans les locaux de l’Assemblée Nationale, un lieu prestigieux certes, mais un peu distancié et que notre composition sociologique introduisait un biais certain. Nous avons continuellement tenu compte des propositions qui émergent du mouvement, de ses formes de lutte, de ses revendications. Nous avons utilisé le mouvement social comme un analyseur, nous permettant de comprendre la nature des institutions et du système international et d’en explorer les coins aveugles, ceux qui concernent les exclus et les parias du système. Nous avons également considéré qu’une partie des propositions ou des idées que nous avancions se vérifiait par rapport au mouvement social, et pas seulement par rapport à la théorie ou au débat politique. De ce point de vue, nous avons bien considéré que nous ne parlions pas des institutions financières internationales en tant que telles, mais du système international. Et que dans ce système international, il y a les institutions financières internationales et les forces dominantes, mais il y a aussi le mouvement citoyen et ses réactions qui modifient le système. Cette méthode permet de mieux apprécier la question de la récupération. Très souvent, au sein du mouvement, la question se pose de savoir si nos idées sont récupérées ou non ; les seules bonnes idées étant celles qui ne seraient pas récupérables. Dans nos discussions nous avons plutôt cherché à apprécier la validité d'une question par rapport à sa pertinence et aux objectifs que l’on se donne pour le mouvement. La nature des propositions ne peut pas être séparée de l’analyse de la situation dans l’appréciation des dangers des tentatives de récupération. Du point de vue de la méthode, nous avons ainsi mis l’accent sur le diagnostic et l’état des lieux à partir desquels ont pu être définis des orientations et des objectifs. Comme le propose Angela Wood (Bretton Woods Project), il vaut mieux discuter sur les objectifs que sur les techniques. Le mouvement doit mettre en avant des objectifs et des orientations : c’est là-dessus que peut se construire la mobilisation. Le problème des techniques et des moyens est un problème second. Ce qui ne veut pas dire un problème secondaire, mais qui signifie que nous ne devons pas en faire une priorité Il est certain que nous devons prendre en compte les dimensions techniques –c’est d’ailleurs une des manières de répondre aux objections qui nous sont faites dans les débats et qui ont pour objectif de nous faire apparaître comme des idéalistes et des irréalistes. Mais, c’est d'abord à titre de démonstration et pour contester la légitimité de la parole technique que tentent de monopoliser les institutions financières internationales et les technocrates. C’est une des dimensions de la bataille politique, particulièrement dans le débat international et par rapport aux médias. C'est un moyen et non un objectif. Nous avons beaucoup insisté, dans la discussion, sur les questions posées au niveau du mouvement : la question des échelles de la régulation (locale, nationale, mondiale) ; la question du choix entre la rupture et la réforme, l'abolition ou la réforme radicale ; la question de la bataille idéologique et de la bataille politique ; la question de la légitimité et de la crise de légitimité. 2. Qu’est ce que nous attendons d’une régulation du système international ? Des propositions peuvent s'envisager et se dessiner si l'on part des interrogations suivantes : Que devraient être, pour nous, les institutions financières internationales ? Qu’est ce que nous attendons d’une régulation du système international ? Pour reprendre les propos de Pierre Galland (Forum Nord-Sud, Belgique), quelle anticipation avons-nous, quelle prospective pouvons-nous mettre en œuvre, quelle parole voulons nous porter dans la situation difficile d’aujourd’hui, pour reprendre de la hauteur et gagner de la liberté ? Une orientation s’est imposée : opposer à la libéralisation économique, commerciale et financière le respect des droits humains, civils et politiques, autant que des droits économiques, sociaux et culturels . Cette anticipation ouvre un axe fondamental et un horizon de lutte ; elle nous permet une réelle perspective historique. Nous voulons inventer, et nous inventons, un nouveau monde dans lequel le respect des droits humains sera dominant. C’est dans cette perspective que nous pensons qu’il faut une régulation du système international. Dans cette perspective, la régulation par le marché mondial existant est loin d’être la meilleure solution. Nous considérons donc qu'il faut des institutions financières internationales pour agir dans la durée, mais nous ne saurions faire confiance aux orientations et au fonctionnement des institutions actuelles. Ce que nous attendons de ces institutions, c’est très spécifiquement la stabilité du système monétaire, la prévention des crises financières ET un système financier qui favorise un développement respectueux des droits humains que nous appellerons, pour simplifier, le développement durable. De plus, nous attendons de ces institutions qu'elles fonctionnent démocratiquement. Ces trois objectifs, concrets et condensés, seront pertinents pour nos mouvements dans le débat politique international. 3. Le système international doit permettre d’assurer la stabilité monétaire et d’éviter les crises financières Pour que le système monétaire soit stable et permette d'éviter les crises financières et monétaires, un certain nombre d’orientations peuvent être retenues : · Il faut reconquérir les souverainetés nationales en matière monétaire et de développement y compris en matière de politiques fiscales, salariales, financières et sociales. Cett_ souveraineté nationale est un préalable, comme l’a souligné Pierre Salama (GREITD, France). Elle doit pouvoir s’appuyer sur le système monétaire international pour éviter les dérapages hyperinflationnistes, ce qui n’implique pas que les politiques économiques, sociales et monétaires soient surdéterminées par la lutte contre toute inflation. · La régionalisation offre des perspectives intéressantes en matière de développement, de politiques économiques, et même en matière monétaire, à condition qu’elle corresponde à une vision politique large qui inclue la réalité de construction d’espaces de production, de marchés d’échanges régionaux et d’accords démocratiques. Et qu'à chacune de ces régionalisations correspondent des négociations politiques dans lesquelles les mouvements sociaux prennent leur part. Les trois régionalisations évoquées lors de ces travaux – la régionalisation latino-américaine explicitée par Alberto Acosta (Foro Ecuador Alternativo, Equateur) et Ceci Juera Vieira (PACS, Brésil), la régionalisation asiatique dont Chan Keun Lee (Université of Inchon, Corée) nous a exposé les bases d’une possible négociation politique, et la régionalisation européenne analysée par Suzanne de Brunhoff (ATTAC, France) – montrent que la régionalisation n’est pas une fin en soi, mais peut-être l'un des lieux du débat politique et du débat sur les propositions. · Le système des taux de change, s’il veut être crédible, doit être fondé sur les échanges commerciaux et ne doit pas être déterminé par les mouvements de capitaux a insisté Ghazi Hidouci (AITEC, France). · Ce contrôle s'articule avec la nécessité de lutter contre les paradis fiscaux, le blanchiment et la criminalisation financière, comme l’a explicité Dominique Plihon (ATTAC, France). · Les taxes, comme la taxe Tobin ou d’autres taxes, peuvent aider à la régulation du système monétaire. · La proposition, défendue par Keynes lors des premières négociations de Bretton Woods, d’une monnaie universelle, reste, au-delà de son caractère utopiste, une perspective à explorer. Voici les propositions qui préfigurent l’architecture d’un système monétaire international et des institutions qui auraient la responsabilité d’assurer la stabilité du système monétaire. 4. Le système international doit favoriser un développement durable respectueux des droits humains Il faut reconnaître à chaque peuple le droit de définir son modèle de développement, comme l’a souligné René de Schutter (GRESEA, Belgique). Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de responsabilité interne des régimes et des Etats nationaux ; nous considérons au contraire que leur responsabilité est engagée, face à leurs peuples, sur les choix des modèles et sur les orientations du développement, particulièrement en ce qui concerne le respect des droits humains. Par rapport au développement et à son financement, plusieurs points méritent d'être mis en avant : · La priorité reste l’annulation de la dette, comme l’a souligné Eric Toussaint (CADTM, Belgique). · Il ne faut pas négliger les évolutions internes des institutions, les jeux d’influence et les contradictions, d’autant que, comme le précise Christian Chavagneux (Alternatives Economiques, France), les conditionnalités deviennent toutes structurelles et tirent le contenu des interventions vers le politique. · Le financement du développement implique l'accès à des crédits bonifiés et à des crédits spécifiques, sans autres conditions que la possibilité de remboursement. · Un système de justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels aux niveaux national et international doit à terme être établi et des instances de recours mises en place. Ce qui implique notamment la reconnaissance de la coresponsabilité des créanciers et des débiteurs dans la formation de la dette et dans les décisions. · La discussion doit être ouverte sur la nécessité et les moyens de rééquilibrer les termes de l’échange, notamment aux niveaux des prix des matières premières et des échanges commerciaux. · La priorité doit être donnée à la construction des marchés intérieurs et à l’égalité d’accès aux services de base. C’est l’égalité d’accès aux services de base qui permet de garantir le respect des droits. Elle permet de fonder la lutte contre la pauvreté sur le refus des inégalités croissantes et des discriminations. · Le principe d’une redistribution mondiale est inéluctable si on veut assurer l’accès de tous les pays au financement du développement. Plusieurs modalités sont envisageables en matière de redistribution, comme le recours à un système de taxes ou le rééquilibrage des termes de l’échange. 5. Quel pourrait être le fonctionnement des institutions qui doivent mettre en œuvre la régulation internationale ? Il s’agit, dans l’immédiat, d'insister sur la démocratie et la transparence comme base nécessaire du fonctionnement de toutes les institutions internationales. Il s'agit aussi de limiter les compétences de ces institutions à leur mission et de leur refuser le rôle de tutelle des pays pauvres qui leur a été attribué par les pays riches, par le bloc des actionnaires de l’économie mondiale qui dirigent aujourd’hui ces institutions. Ces institutions, comme l’a indiqué Nyoki Njoroge Njehu (50 Years is Enough, Etats-Unis) doivent être intégrées au système des Nations Unies qui présente le double avantage, au niveau de ses principes, de ne pas reposer sur des suffrages censitaires (ce n’est pas un dollar = une voix mais un Etat = une voix) et d'avoir comme charte fondatrice la déclaration universelle des droits de l’Homme. Il s'agit enfin de mettre en place des instances d’évaluation et de recours, déjà évoquées, et de confier l’évaluation de ces institutions et de leurs politiques à une des instances des Nations Unies. 6. Comment articuler les résistances et les propositions ? Quelles sont aujourd’hui les perspectives de ce mouvement ? Comment articuler les résistances avec les propositions qui pourraient être portées par un mouvement citoyen qui se préoccupe de la nature et de l’évolution de la mondialisation ? En premier lieu, il nous faut affirmer quels sont les objectifs de la période actuelle pour un mouvement citoyen mobilisé sur le système international. C'est ce qui nous permettra ensuite de définir les constituants de ce mouvement. Les deux objectifs du mouvement sont : Toutes celles et tous ceux qui considèrent qu’il y a actuellement une situation grave en matière d’emploi, de pauvreté et de partage des revenus entre capital et travail, ainsi qu’un déséquilibre dramatique en matière de rapports Nord/Sud, y compris sur les questions militaires et les conflits, doivent être appelés à la construction de ce mouvement. Ces deux éléments déterminent la qualité de l'ordre international : pour qu'il soit moins injuste, il faut que les rapports entre capital et travail et entre Nord et Sud le soient également. Il existe évidemment d’autres questions au niveau du système international, mais ce sont ces deux là qui sont mises en avant. Chan Keun Lee a insisté sur le problème de la bataille idéologique contre l’évidence libérale. Pierre Salama a pour sa part réaffirmé la nécessité de lutter contre l’idée libérale qui voudrait que tous les Etats soient forcément corrompus, bureaucratiques, inefficaces. Ce qui ne rend que plus pressante la lutte que nous devons mener contre les déviations bureaucratiques, technocratiques et autoritaires des Etats. Le FMI comme la Banque Mondiale organisent leur légitimation comme l’analyse Elsa Assidon (Université Paris IX, France). Le consensus proposé est d’associer libéralisation commerciale et financière. La période est au raidissement idéologique et institutionnel. Face à cette logique, avançons le pouvoir des salariés par rapport à celui des actionnaires, la démocratie dans l’entreprise, le boycott des banques qui pratiquent l’économie de casino. Sur le plan des mots d’ordre, il y a aujourd'hui une discussion entre ceux qui considèrent que nous sommes dans une période où il faut en demander la disparition, la mise entre parenthèses pour construire d’autres institutions, et ceux qui pensent la crise actuelle en leur sein offre des opportunités de les faire évoluer en leur imposant des réformes de structures. Ce n’est pas une question dogmatique ou théologique. Il s'agit là d'une analyse de la situation et des opportunités politiques. La discussion reste ouverte, chacun des mouvements doit apprécier comment progresser par rapport aux objectifs communs. Il existe aujourd'hui quatre campagnes actives engagées au niveau international mais qui s’appuient toutes sur des mobilisations nationales et sur l’engagement citoyen, sans lesquels elles n’auraient pas de sens : Deux autres campagnes devraient être renforcées, voire initiées : Voici, pour le mouvement citoyen mondial, les six campagnes que nous devons développer au Sud et au Nord, dans chacun de nos pays et au niveau international. |
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