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La taxe Tobin que nous proposons est un pourcentage prélevé lors de la conversion de devises nationales en devises étrangères. Cette taxe serait prélevée sur toutes les opérations de change et devrait être considérée par les opérateurs comme un coût ajouté à chaque transaction. Le coût de la taxe équivaudrait aux frais de traitement de l’opération, frais par ailleurs très peu élevés, qui sont actuellement payés sur chaque transaction de change. Dans les débats actuels, la taxe est considérée comme une solution partielle aux problèmes de gestion des crises financières internationales, pouvant modérer le comportement capricieux du taux de change ou augmenter les fonds destinés aux projets publics internationaux. Ce sont là des objectifs distincts, et la capacité de la taxe Tobin à les réaliser devrait être abordée dans leurs cadres respectifs. Cependant, la question qui se pose actuellement est de savoir si la taxe Tobin est applicable, et cette question concerne l’ensemble de ces objectifs. D’une part, si la taxe Tobin ne peut être mise en œuvre que de façon partielle ou si elle peut facilement être évitée, il est peu probable qu’elle réalise aucun de ses objectifs. Elle peut alors faire plus de mal que de bien. La plupart des évaluations de la taxe Tobin partent de l’hypothèse qu’elle n’est pas applicable. D’autre part, si on peut présenter la taxe Tobin comme étant applicable, il reste à démontrer qu’elle peut réaliser ses objectifs. L’argument selon lequel la taxe Tobin n’est pas applicable peut être résumé comme suit. Le marché des changes est décentralisé, non réglementé, extrêmement changeant et innovateur. Si un pays tente d’imposer la taxe, le commerce de ses devises se déplacera simplement à l’étranger. Il faut donc que la taxe soit coordonnée à l’échelle planétaire. Or arriver au consensus politique nécessaire à cette fin est difficilement réalisable, en particulier parce que la tentation sera forte pour certains pays de ne pas jouer le jeu et d’offrir au contraire un paradis fiscal. Même si une taxe était appliquée avec succès au niveau mondial, il serait difficile de la percevoir sur les nombreux avoirs financiers et de change qui peuvent être utilisés pour relayer une transaction de change. A chaque nouvelle version de la taxe vont correspondre de nouveaux instruments financiers servant à la contourner. Le marché des changes est supporté par une infrastructure mondiale permettant d’effectuer des paiements pour régler ces échanges. Contrairement aux transactions boursières, l’infrastructure des transactions interbanques ou paiements de devises en gros est très organisée, centralisée et régulée et ce, grâce aux innovations technologiques et aux efforts conjoints des banques centrales et des grandes institutions visant à faire face au volume important d’échanges journaliers de devises et à protéger l’intégrité et la stabilité du système financier international. Nous soutenons que la taxe Tobin est applicable si elle est imposée sur les paiements de devises en gros utilisés pour les transactions en devises. Spécifiquement, un pays peut prélever la taxe de manière unilatérale sur la conversion de sa propre devise en devises étrangères, quel que soit l’endroit du monde où le marché a lieu et quels que soient les instruments financiers utilisés pour relayer l’échange. Ainsi, la taxe Tobin peut répondre aux exigences d’efficacité puisqu’elle serait appliquée uniformément et complètement sur tous les marchés et sur tous les avoirs de change. La taxe serait également transparente et peu coûteuse à mettre en œuvre puisqu’elle exploiterait la technologie actuelle de traitement des paiements. Le système international de paiements en gros est composé de trois éléments : un système national de paiement de montant élevé pour chaque devise; des systèmes de compensation nationaux ou étrangers; et, dans la mesure où les avoir financiers sont utilisés pour effectuer des paiements, des chambres de compensation pour les échanges de titres. Il faut signaler que chaque échange financier ou de devises donne lieu à moins deux paiements de contrepartie effectués pour effectuer la transaction. C’est pour cette raison que chacune de des trois institutions comprises dans le système de paiements en gros traite les paiements financiers et de change comme suit : d’abord, les instructions de paiement des opérateurs sont traitées individuellement quand elles arrivent au niveau du système (“ Règlement Brut en Temps Réel ” (RBTR)), et deuxièmement, les deux (ou plus) instructions de paiement de contrepartie sont adaptées l’une à l’autre et aux opérateurs d’origine avant d’être traitées, simultanément (“ payment-versus-payment settlement ”). Tout ceci est effectué automatiquement et électroniquement. Ce processus de paiement a été mis en œuvre relativement récemment afin d’éliminer les risques liés à la liquidation, c’est-à-dire la possibilité qu’une partie participant à l’échange effectue un paiement irrévocable pour se décharger de son obligation lors de l’échange et ne reçoive pas le paiement obligatoire de son homologue dans l’échange. Puisque les paiements de contrepartie sont mis en regard avant d’être effectués où que ce soit dans le système de paiements en gros, il est possible d’identifier le marché d’origine et de distinguer les transactions de devises et les transactions financières nationales (dans le premier cas, les paiements de contrepartie sont libellés dans différentes devises). Les institutions de paiement peuvent alors prélever la taxe Tobin en faveur de la banque centrale qui émet la devise taxée comme il convient. Ces procédures de paiement sont régulées et appliquées par la banque centrale qui émet la devise, que l’institution concernée soit située dans le pays même ou à l’étranger. Il en est ainsi parce que les systèmes et chambres de compensation situés à travers le monde et chargés des avoirs libellés dans la devise nationale sont fortement intégrés dans le système de paiement de montant élevé pour cette devise. Ce système de paiement de montant élevé est situé dans le pays même et opéré ou régulé par la banque centrale. Il faut qu’il en soit ainsi, puisque le fonctionnement du système de paiement en gros pour la devise nationale dépend fondamentalement des services de la banque centrale, y compris sa supervision, les facilités légales, de crédit et de “ prêteur de dernier recours ”, et ne dépend des liquidités en monnaie nationale que sur le marché de cette monnaie. Pour les mêmes raisons, les participants individuels aux systèmes et chambres de compensation étrangers sont également membres du système de paiement de montant élevé national et soumis aux réglementations des banques. Ces mécanismes d’imposition peuvent également être utilisés pour mettre en œuvre unilatéralement la taxe Tobin dans le monde entier. Coordonner la taxe Tobin par le biais des systèmes nationaux de paiements de valeur élevée, des systèmes de compensation, des chambres de compensation de titres et des participants individuels à ces systèmes afin d’éviter les pertes est simple et ce, pour deux raisons. D’abord, dans presque tous les cas, la technologie et les services de traitement des paiements pour les trois institutions de paiement sont fournis, soit individuellement soit collectivement, par un seul tiers dominant, la “ Society for World-wide Interbank Financial Telecommunications (SWIFT) ”. La SWIFT fournit également le système et les services de communication standardisés et intégrés entre les banques commerciales individuelles et entre ces banques et les institutions de paiement. Donc, la SWIFT est déjà, du point de vue fonctionnel, un système mondial de paiement de devises centralisé et virtuel. Deuxièmement, dans un futur proche, nous allons voir se développer un système de paiements de devises en gros effectif et planétaire, comprenant les systèmes de montant élevé et de compensation, conçu pour traiter de nombreuses devises dans un seul système et utilisant la technologie et les services de la SWIFT. Il sera dénommé “Continuous Linked Settlement Bank”. Il serait également difficile d’éviter l’application d’une taxe Tobin à des paiements de devises par une utilisation créative des instruments de change. Presque tous ces instruments, y compris les instruments dérivés exotiques, nécessitent des paiements pour un règlement. Dans la plupart des cas, il s’agit du simple paiement des principales sommes échangées, comme avec des instruments de change ordinaires. L’option de change, qui peut ne jamais être exécutée, constitue une exception. Cependant, les options sont achetées à un prix qui reflète leur valeur, et le paiement effectué pour acheter l’option serait taxé. En outre, le prix de l’option est fonction de la taxe et ce, de deux façons. D’abord, le prix dépend du potentiel nécessaire pour exécuter l’option et la décision d’exécution dépend de la taxe. Deuxièmement, le prix dépend du coût des voies alternatives, “synthétiques” pour atteindre la même position de change en achetant et en vendant les avoirs sous-jacents libellés dans les devises nationales et étrangères. L’application de la taxe Tobin sur les paiements de devises aurait pour effet immédiat une augmentation des marges tant à la vente qu’à l’achat sur le marché des changes. Ces marges proviennent à la fois des coûts des transactions telles que la taxe Tobin, et des risques liés au taux du change, au crédit, et autres risques pris par les opérateurs en devises. Donc, l’importance de l’augmentation de la marge dépend des changements nets des coûts et des risques résultant de la taxe. En temps normal, l’augmentation des coûts des transactions serait dominante. Dans des cas exceptionnels, lorsque les risques liés aux devises étrangères, aux liquidités et au crédit liés à une crise potentielle deviennent beaucoup plus importants, l’effet de la taxe sur ces risques serait également reflété par cette marge. En fait, il existe deux marge de change, un pour le marché de détail et un pour le marché de gros où les opérateurs sont actifs. Il est probable que la taxe Tobin s’exprime surtout dans la marge au détail, dans la mesure où la spéculation à court terme provient du marché de détail. En effet, une grande partie du commerce des devises sur le marché de gros consiste en une activité réalisée en vue de couvrir les risques pris sur le marché de détail. Les opérateurs répondant à la spéculation de détail feraient passer sur le marché de détail la taxe payée sur leur propre activité de couverture des risques. Dans la mesure où les opérateurs lancent eux-mêmes les transactions spéculatives, la taxe Tobin provoquerait également une augmentation de la marge. |
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