Résumé Les criminalités économiques, financières et organisées font aujourd’hui l’objet de préoccupations nationales et internationales, de nature politique, juridique, judiciaire, mais aussi managériale et scientifique. Ces préoccupations sont souvent dominées par les notions de sécurité / insécurité et de risques encourus. Les buts de notre contribution sont de nous interroger essentiellement:
1. Introduction A l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre la pauvreté (17 octobre 2000), le PNUD a rappelé que le revenu cumulé des 200 personnes les plus riches de la planète dépasse les 1'0milliards de dollars, alors que celui des 582 millions d’habitants des 43 pays les plus pauvres du monde atteint tout juste 146 milliards de dollars. Question impertinente: n’est-ce pas une forme caractérisée de criminalité transnationale et planétaire? Question subsidiaire, encore moins diplomatique: quelle est la part de responsabilité des sociétés et entreprises transnationales (SETN) dans cette inégalité fondamentale et dans son accroissement constant? Dans une perspective criminologique, les criminalités économiques, financières et organisées font aujourd’hui l’objet de préoccupations nationales et internationales, de nature politique (ONU, G7, Comité des Ministres de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe, etc.), sécuritaire et militaire (OTAN, OSCE par exemple), juridique (conventions et lois ou projets), policière et judiciaire (modèles d’analyse et d’action), mais aussi économique et managériale (Banque mondiale, FMI, OCDE, ‘risk or security management’ dans les entreprises) et enfin de nature scientifique (cf. notamment les références bibliographiques). Le problème est que chaque instance propose ses propres définitions et surtout celles qui lui sont les plus familières, voire les plus utiles ou les plus favorables. 2. Concept de criminalités transnationales (CTN): quelques réflexions En 1998, le Gouvernement suisse a rappelé 1 que « la justice pénale, suisse comme étrangère, se voit confrontée de façon croissante à … diverses formes hautement complexes de criminalité économique», dont les traits principaux sont notamment « leur caractère nettement transfrontalier et parfois même global», l’opacité de leurs structures et dispositifs, « un entrelacement, difficile à démêler de l’extérieur, de sociétés et de filiales dans lesquelles sont commises des infractions et … l’enchevêtrement d’activités commerciales légales et illégales »(pp. 1255-1256). L’une des difficultés de la politique criminelle, soulignait alors le Gouvernement fédéral, consiste dans le fait que « le terme de ‘criminalité économique’ est une expression criminologique inconnue du droit pénal matériel »(p. 1268). Les concepts de criminalités économique, financière et organisée ne sont pas faciles à définir et les définitions proposées ne font pas l’unanimité. Nous en avons proposé des définitions opératoires et analysé les liens et différences entre la criminalité économique et la criminalité organisée (Queloz 1997, 1999). Les éléments communs et zones de convergence entre elles nous incitent à esquisser une définition des criminalités transnationales à leurs points d’intersection (cf. Tableau page suivante). Nous verrons ci-dessous (3.2.3) que l’ONU propose depuis peu une définition universelle de la criminalité transnationale organisée. Ces notions de ‘criminalités transnationales’, de ‘macrocriminalité’ et de ‘serious crimes’ sont sujettes à critiques (cf. notamment Nelken, 1997), surtout lorsqu’elles sont utilisées ‘à toutes fins utiles’, pour remplacer de vieux démons quasi disparus (bloc communiste) ou pour mettre à l’agenda (ou à l’index) politique ces ‘nouveaux fléaux’ qui en occultent d’autres, souvent plus pertinents ou plus urgents (inégalités économiques, pauvreté, chômage, mal développement, atteintes à l’environnement, etc.). Les dénominateurs communs des criminalités transnationales (économiques, financières et organisées) nous permettent cependant de réfléchir à la responsabilité jouée par les sociétés et entreprises dans leur réalisation et développement. Message du Conseil fédéral 28 janvier 1998 proposant au Parlement des mesures tendant à l’amélioration de l’efficacité et de la légalité dans la poursuite pénale, Feuille fédérale 1998, pp. 1253 ss. Criminalité économique Criminalité organisée - Foyer: entreprises actives dans la vie - Foyer: clans, associations, ‘gangs’, économique formelle et informelle cartels criminels - Mobile : gains, profits; domination, emprise; - Mobile : prioritairement dirigés vers le voire survie à tout prix; crime: exploitation des lacunes, zones par des moyens légaux et illégaux grises, ‘no man’s land’ de la société; domination, emprise; gains, profits (par des moyens illégaux et légaux) - Méthodes: astuces, fraudes, contrefaçons; - Méthodes: violence, élimination; trafics abus de confiance, de pouvoir, de position organisés; extorsion; corruption, ma-privilégiée; corruption; blanchiment nipulations; vols; escroqueries, frau-des; blanchiment - Valeurs atteintes: confiance, bonne foi, sé- - Valeurs atteintes: vie, liberté, intégrité curité, crédibilité économiques et financières; physique et psychique; patrimoine; intérêts pécuniaires; concurrence loyale; santé publique; sécurité publique; intérêt général démocratie Criminalités transnationales Dénominateurs communs - Caractérisées par un professionnalisme poussé, un important ‘know how’ économique, commercial et financier, l’utilisation des technologies avancées d’information et de communication; mots-clés: métier, entreprise, organisation, industrie du crime - Atouts financiers et de pouvoir considérables (capitaux économiques, politiques et sociaux) - Dimensions internationale (collaborations en filières et réseaux de plusieurs pays), transnationale (au-delà des frontières étatiques) et supranationale (au-dessus des lois et souverainetés nationales et internationales) - Phénomènes sans limites (‘borderless’) et hors de portée de tout contrôle global: la mondialisation et la globalisation des criminalités transnationales sont déjà bien avancées. A la perte de contrôle par l’Etat et la Justice (faible visibilité, faibles réactions, faibles sanctions), s’ajoutent les complicités, accointances et compromissions d’une partie (plus ou moins importante selon les régions et les pays) de l’appareil étatique (gouvernement; parlement; administration; police, justice; armée) - Les dommages et préjudices qu’elles causent (humains, matériels, collectifs) sont énormes, mais les victimes sont assez difficilement identifiables ou peu mobilisables - En résumé, le concept de macrocriminalité, désignant les activités criminelles qui représentent les risques les plus sérieux (‘serious crimes’) et les plus globaux pour les sociétés et leur sécurité, peut être ici pertinent. 3. Responsabilités des sociétés et entreprises transnationales (SETN) en matière de criminalités transnationales « Est-ce que, selon les secteurs économiques (la) délinquance financière a atteint 5%, 10%, 30%, 50%, voire 70% ou même 100% des entreprises dans certains cas extrêmes ? Nous n’avons aucun moyen de le savoir, puisque nous ne le cherchons pas…» Eva Joly (2000, p. 173). 3.1. Paradoxe fondamental: alors que les sociétés, entreprises et bon nombre d’autres entités collectives considèrent qu’il est essentiel qu’elles puissent bénéficier de la personnalité juridique afin de jouir et d’exercer tous les droits indispensables à leurs activités civiles, industrielles, commerciales ou financières (droits et responsabilité civils des ‘personnes mo-rales’), elles continuent en revanche de s’accrocher avec toute la vigueur du désespoir à ce vieux principe du droit pénal qui prévaut encore dans un grand nombre de pays (notamment en Suisse), selon lequel une société ou entreprise ne peut pas commettre de délits (‘societas delinquere non potest’) et n’a donc pas à assumer de responsabilité pénale. En résumé: 1) la majorité des sociétés et entreprises veulent ardemment exercer et jouir des droits civils, 2) elles se sont, par la force des choses, soumises à une responsabilité civile (de nature assurantielle), mais 3) elles ne veulent pas assumer de responsabilité pénale (de nature sanctionnatrice)! Or, il est indéniable que des sociétés et entreprises, comme organisations et entités collectives (et non pas seulement leurs dirigeants, cadres ou employés individuellement) prennent une part active dans la réalisation de différents actes relevant des criminalités transnationales (comme par exemple des atteintes à l’environnement et à la santé des populations, des manipulations de cours ou de bilans comptables, des fraudes en matière douanière, fiscale, de subventions ou de marchés publics, des actes de concurrence déloyale ou d’abus de position dominante, des accords de corruption ou des opérations de blanchiment, etc.). Il serait donc normal et logique, en ce 3 e millénaire, qu’elles doivent répondre des infractions commises en leur sein, pour leur compte ou sous leur égide et doivent assumer une responsabilité pénale sui generis, indépendamment de toute responsabilité individuelle qui pourrait être également établie. 3.2. Les choses commencent à bouger: Depuis le milieu des années 1990, des lois nationales (en Norvège ou au Danemark, aux Pays-Bas, en France ou en Belgique par exemple) et des conventions internationales tentent d’instaurer la reconnaissance généralisée du principe de la responsabilité des personnes morales pour des actes de criminalité. Parmi ces conventions, mentionnons: 3.2.1 La Convention de l’OCDE contre la corruption: elle a pour but essentiel d’incriminer la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales. Son atout est d’avoir été élaborée par une organisation économique, l’OCDE, qui regroupe les plus importants pays exportateurs du monde. Adoptée à Paris en décembre 1997, elle est entrée en vigueur en février 1999. A son article 2, elle préconise d’établir la responsabilité des personnes morales en cas de corruption d’un agent public étranger, mais selon une modalité douce, c’est-à-dire d’une façon qui soit conforme aux principes juridiques de chaque Etat partie à la Convention. Cette norme est si peu contraignante que les Etats peuvent d’ailleurs y apporter une réserve lors de la ratification de la Convention (ce qu’a fait par exemple la Suisse). D’autre part, au chapitre des sanctions des actes de corruption, l’art. n’impose pas de sanctions pénales à l’égard des personnes morales, mais invite les Etats parties à prévoir des sanctions civiles ou administratives ‘efficaces, proportionnées et dissuasives, y compris pécuniaires’ (art. 3 alinéa 2). 3.2.2 Les Conventions du Conseil de l’Europe contre la corruption: le Conseil de l’Europe a élaboré (depuis 1994) un ambitieux Programme d’action contre la corruption qui comporte notamment l’adoption d’une convention de droit civil et une autre de droit pénal relatives à la corruption. La Convention pénale du Conseil de l’Europe sur la corruption (ouverte à signature depuis janvier 1999) est aujourd’hui l’instrument international qui va le plus loin en matière de lutte contre la corruption puisqu’elle prévoit notamment pour les Etats qui y adhèrent les obligations: a) de prendre les mesures visant à incriminer: - la corruption active et passive d’agents publics nationaux et de membres d’assemblées publiques (législatives et administratives) nationales (art. 2 à 4); - la corruption active et passive d’agents publics étrangers, de membres d’assemblées publiques étrangères, de fonctionnaires internationaux, de membres d’assemblées parlementaires internationales, ainsi que de juges et d’agents de cours internationales (art. 5-6 et 9 à 11); - le trafic d’influence actif et passif, à savoir le fait d’offrir ou de donner (actif), de solliciter ou d’accepter (passif), un avantage indu, à ou par quiconque affirme être capable d’exercer une influence sur la prise de décision de tout agent public mentionné ci-dessus (art. 12); - la corruption active et passive dans le secteur privé (art. 7 et 8); - le blanchiment des produits de la corruption (art. 13); - les infractions comptables que sont les faux en écritures comptables et l’omission de comptabiliser un versement (art. 14); b) et d’établir dans tous ces cas la responsabilité pénale des personnes morales, complémentairement à celle des personnes physiques (art. 18), assortie de sanctions (pénales ou non pénales) efficaces, proportionnées et dissuasives (art. 19 alinéa 2). 3.2.3 La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée: adoptée par l’Assemblée générale le 15 novembre 2000, elle a été ouverte à signature par la conférence de Palerme (12-15 décembre 2000). - Elle définit la criminalité transnationale organisée (art. 3) comme étant constituée des actes de blanchiment de produits du crime, de corruption et d’entrave au bon fonctionnement de la justice ainsi que les infractions graves (actes passibles d’une peine privative de liberté dont le maximum est de 4 ans au moins) qui ont des ramifications dans plus d’un Etat et dans lesquels est impliqué un groupe criminel organisé. - Par groupe criminel organisé, la Convention entend (art. 2) tout groupe structuré de trois personnes au moins, qui existe depuis un certain temps et agit de concert pour commettre l’une des infractions indiquées ci-dessus, afin d’en tirer un avantage financier ou matériel (direct ou indirect). Il faut donc noter qu’une société ou entreprise transnationale (SETN) qui s’adonne à l’une ou l’autre des activités illégales mentionnées peut tout à fait correspondre à cette définition d’un groupe criminel organisé. - C’est aussi de façon souple (comme celle de l’OCDE) que la Convention des Nations Unies invite les Etats parties à établir la responsabilité des personnes morales qui participent à la réalisation de la criminalité transnationale organisée, que cette responsabilité soit de nature pénale, civile ou administrative (art. 10). On retrouve ici l’application de ce principe moins contraignant dit de ‘l’équivalence fonctionnelle’, qui ne vise pas à une uniformisation internationale (rigide et illusoire) du droit pénal, mais à proposer des standards que chaque Etat partie adapte à son système juridique, les instances de suivi de la Convention ayant ensuite pour tâche d’examiner si ces modèles nationalement intégrés ont une portée ‘fonctionnellement équivalente’. - Enfin, il faut relever que cette Convention des Nations Unies prévoit des mesures de prévention de la criminalité transnationale organisée (art. 31), parmi lesquelles figure l’établissement de registres publics fournissant des informations relatives aux personnes morales (notamment quant aux acteurs qui les créent, qui les financent et qui les gèrent) dans le but d’éviter l’utilisation impropre (infiltration et exploitation) des sociétés et entreprises par des groupes criminels organisés. 3.3. Auto-régulation et codes de conduite: bon nombre d’auteurs réclament une prise de conscience de leurs responsabilités par les sociétés et entreprises (cf. notamment Bernasconi, 1995) face aux criminalités transnationales et la mise en place de mécanismes sérieux d’auto-régulation ainsi que l’adoption de codes de conduite, chartes éthiques ou systèmes d’intégrité (cf. notamment Pieth/Eigen, 1999). Lascoumes (1999) se montre critique au sujet des pratiques d’auto-régulation (qui ont essentiellement une fonction de relations publiques) et insiste sur l’illusion qu’il y aurait à croire qu’elles puissent se substituer aux régulations et surveillances publiques. Parmi les principes contenus dans la Charte des responsabilités communes dans l’activité économique édictée à l’initiative de l’Institut interdisciplinaire d’éthique et des droits de l’homme de l’Université de Fribourg (1998), nous relèverons ces trois paragraphes importants: - Valeur et fonction des entreprises: 8.2. »Les entreprises représentent pour la société un facteur de valorisation des ressources disponibles et de ce fait un capital d’initiative, de richesses, de créativité et de communication.» - Responsabilités envers les collectivités publiques et la société civile: 15.1. » Les respon-sabilités de l’agent économique à l’égard de la société (populations locales, nationales, continentales ou planétaires) sont complexes et souvent indirectes; elles consistent non seulement à contribuer au respect des droits de l’homme et des institutions démocratiques, mais aussi à les promouvoir…» - Responsabilités propres notamment aux entreprises transnationales: 19.1. » La nature transnationale d’une entreprise … lui impose des responsabilités plus étendues, du fait des interdépendances qu’elle crée en particulier pour les pays les moins développés et de l’influence de ces interdépendances sur les équilibres »économiques et sociaux, écologiques et culturels. Nous ajouterons qu’en matière de criminalités, les sociétés et entreprises transnationales (SETN) jouent un rôle très particulier parce qu’elles font courir aux populations le risque d’éluder le droit (elles se faufilent entre les droits nationaux ou régionaux), d’être insaisissables et injusticiables. 4. Stratégie intégrée de prévention et de riposte face aux criminalités transnationales Face aux criminalités transnationales (CTN), il importe de mettre en œuvre une stratégie globale, intégrant prioritairement des actions de prévention et, complémentairement, des dispositifs de contrôle et de sanction. Sur la base des données de notre recherche, nous avons par exemple proposé une telle stratégie globale en matière de corruption et, en ce qui concerne les entreprises, nos recommandations touchent aussi bien à leur cadre légal, à leur organisation, qu’à leurs pratiques professionnelles (cf. Queloz, 2000). Nous esquissons ci-dessous les grands axes d’une stratégie de prévention et de riposte face aux criminalités transnationales, en relevant également ce qui peut concerner tout particulièrement les sociétés et entreprises transnationales (SETN). 4.1. Actions de prévention: parmi les actions de prévention des criminalités trans-nationales, nous distinguerons trois niveaux successifs. 4.1.1 Prévention structurelle: les efforts doivent porter sur les structures globales de la société (politiques, économiques et socio-culturelles). A ce niveau macro-social, les actions doivent avoir notamment pour buts: - la lutte contre la pauvreté, les inégalités économiques et sociales et contre leur accroissement, notamment en interdisant l’exploitation des ressources humaines et naturelles des pays pauvres par les SETN; - le soutien déterminé aux efforts de pacification et de démocratisation; - le respect du primat des droits de l’homme et la garantie des principes de non discrimination et d’égalité de traitement des citoyens et des groupes sociaux; - la garantie et l’effectivité de l’indépendance des pouvoirs et fonctions législatives, exécutives et judiciaires. Ce sont bien ces principes fondamentaux des Etats de droit qu’il faut promouvoir et sur lesquels il faut s’appuyer, afin qu’ils s’imposent concrètement et quotidiennement. 4.1.2 Prévention contextuelle: les diverses cibles d’action concernées sont ici surtout les contextes, milieux ou secteurs d’activités publiques et privées (niveau d’action méso-social). Les efforts de prévention, en particulier de nature législative et organisationnelle, doivent viser par exemple: - la promotion d’une culture éthique dans les institutions, les administrations, les entreprises et associations professionnelles, en tenant compte que des équilibres doivent être trouvés entre les normes de droit (nationales et internationales), les règles (locales et globales) du jeu économique et financier et les codes de bonne conduite (internes aux entreprises). Nous pensons en particulier au respect d’une attitude de conduite irréprochable des affaires, par exemple dans le secteur financier, qui est particulièrement exposé aux pratiques de blanchiment d’argent ou d’une attitude de concurrence saine et loyale, par exemple dans le secteur des transactions commerciales internationales ou des marchés publics, qui sont particulièrement vulnérables aux ententes de corruption; - la transparence des sources de financement des partis politiques alliée au plafonnement des dépenses électorales autorisées, vu le rôle d’intermédiaire que jouent régulièrement les partis, entre les acteurs économiques et les collectivités publiques; - la transparence des fonctions et mandats officiels de gouvernants, parlementaires, magistrats, policiers, responsables administratifs et autres employés publics afin de prévenir les cumuls de mandats (y compris au sein de conseils d’administration de sociétés et entreprises) et les conflits d’intérêts et d’assurer leur indépendance et impartialité. 4.1.3 Prévention situationelle: à ce niveau, les actions doivent avoir pour but de réduire les occasions et situations de criminalité et d’accroître les contrôles et les coûts des pratiques criminelles. Les efforts sont ici surtout d’ordre organisationnel et technique (de niveaux méso-et micro-sociaux) et consistent en mesures de sécurité qui visent à évaluer, anticiper et restreindre les risques de criminalité économique, financière et organisée, comme p. ex.: - l’adoption et l’observation effective des règles limitant les liens excessifs entre les sphères politique, administrative et économique; - les contrôles et supervisions plus intenses et sérieux des procédures et des acteurs de prise de décisions, des actions de réalisation de projets, des modes de facturation et de versements financiers: une bonne illustration en est le contrôle de la transparence et de l’application effective des règles des marchés publics; - la rotation régulière, dans l’administration publique aussi bien que dans les entreprises, des personnes occupant les postes les plus exposés à la criminalité économique et financière. 4.2. Actions de riposte: les actions de riposte (à savoir de détection, d’enquête, de sanc-tion, voire de réparation) face aux criminalités transnationales concernent aussi bien le niveau législatif que celui des instances de contrôle et de la justice. Nous proposons en particulier: - d’instaurer une véritable responsabilité pénale des personnes morales, sociétés et entreprises (cf. point 3. ci-dessus); - d’étendre la qualité pour agir en justice à des associations de défense d’intérêts publics, de citoyens ou d’usagers et de ne plus la limiter aux seuls lésés directs; - d’accorder l’attention adéquate aux dénonciateurs d’actes de criminalité économique, financière et organisée: il faut véritablement donner la parole et des voies de droit aux victimes ainsi qu’aux dénonciateurs et soutenir l’action des ONG qui oeuvrent dans ces domaines; à cet égard, il faut souligner que la Convention pénale du Conseil de l’Europe sur la corruption réclame une protection effective et appropriée de toutes les personnes collaborant avec la justice (art. 22) et que la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée préconise une assistance (matérielle, juridique) et une protection physique (domicile, identité) des témoins (art. 24) et des victimes (art. 25); - d’améliorer la collaboration et coordination multi-disciplinaires des actions de contrôle, de dépistage et de sanction des cas entre les diverses instances (administratives, financières et judiciaires) concernées et d’inciter à des actes d’entraide internationale efficaces et sans entraves; - d’accorder un soutien politique et un appui financier déterminés en vue de renforcer les ressources humaines et matérielles de la justice ainsi que la formation spécialisée de ses divers professionnels (policiers, magistrats instructeurs, juges) en matière de corruption, criminalités économique, financière et organisée; - de prononcer des sanctions et mesures adéquates, en particulier comme les actions de confiscation des profits tirés de la criminalité ou la suspension des activités, voire l’interdiction définitive des sociétés et entreprises qui ont participé à des actes de criminalité économique, financière et organisée; en outre, il sera opportun d’établir un registre international des sociétés et entreprises impliquées et sanctionnées pour des actes de criminalité transnationale. 5. Conclusion: des défis à relever « La mondialisation n’est pas, comme on le croit spontanément, l’avènement d’un marché mondial des marchandises … mais plutôt la création d’un système financier global, au-dessus des lois nationales (qui) échappe au contrôle des Etats nations» Eva Joly (2000, p. 199). 5.1. Défi no 1: criminalités transnationales et sécurité (nationale et internationale) Comme nous l’avons mentionné dans notre introduction, avec la fin de la guerre froide, la corruption, la criminalité économique et la criminalité organisée sont devenues des thèmes importants de réflexion quant à la sécurité et à la stabilité des nouveaux équilibres géo-politiques et économiques mondiaux (discutés par les plus hautes instances planétaires). Aujourd’hui, la stratégie de sécurité porte essentiellement sur la triangulation suivante: criminalités transnationales ßà nouvelles menaces terroristes ßà immigration clandestine. C’est certainement sous cet angle sécuritaire que le rôle des sociétés et entreprises, nationales et transnationales, pourrait être examiné et que des règles du jeu pourraient leur être imposées. 5.2. Défi no 2: Comment ‘domestiquer politiquement le pit bull économique’? Ce que tout le monde appelle aujourd’hui la ‘globalisation’ (sans toutefois la définir vraiment) est en fait un vaste processus de changements politiques, économiques et sociaux au cours desquels l’influence des frontières géographiques et des racines locales sur la régulation des questions culturelles et sociales tend à diminuer considérablement, au profit de nouveaux modèles de régulations ‘transfrontières’, ‘mondialisées’ ou ‘globalisées’ qui sont, pour l’heure essentiellement de nature économique et financière. Les criminalités transnationales ont sans aucun doute pris une belle avance en matière d’internationalisation et de globalisation; mais il ne faut toutefois pas perdre de vue qu’elles évoluent en interdépendance avec l’économie formelle ou légale et que, de ce fait, plus cette dernière se ‘globalise’, plus les formes de criminalité moderne le deviennent également. Comme le relève justement Cartier-Bresson, « la recherche du profit, qui est le fond culturel des entrepreneurs, n’implique pas forcément un système de valeurs acceptable…»: il appartient alors au pouvoir politique de déterminer « s’il y a nécessité d’intervention législative et pénale pour canaliser (réglementer) cet ‘esprit animal’ vers des activités plus innovantes, plus ‘morales’, ou se rapprochant d’un état de bien être social »(1997, 74-75). Autrement dit, ce sont bien des règles du jeu précises qui doivent être établies et à un niveau international! 5.3. Défi no 3: est-il vraiment possible d’obtenir la coopération des sociétés et entreprises (nationales et transnationales)? Une difficulté essentielle consiste à trouver des ponts ou des ouvertures par dessus le cloisonnement rigide actuel entre les services internes de régulation, de contrôle et de sanction et les interventions externes aux entreprises, en particulier de la part de l’Etat (surveillances administratives) et de la justice (enquêtes judiciaires). Or, les sociétés et entreprises, dans leur grande majorité, ne veulent pas collaborer avec la justice et elles vouent souvent une véritable hostilité aux magistrats ou à ce que des dirigeants d’entreprises appellent de façon très symbolique ‘l’internationale des juges’… L’hermétisme des entreprises, leur allergie et leurs peurs de toute intrusion externe se rencontrent également sur le plan de la recherche: les sociétés et entreprises demeurent très fermées face à toute curiosité et demande scientifiques venant de l’extérieur (universités et centre de recherche); elles privilégient alors, dans leur culture paranoïaque du secret, la stratégie de recherche et évaluation internes, avec leurs propres départements d’études ou en recourant à des mandats privés avec des bureaux de consultants offrant à leurs yeux toutes les garanties de discrétion (par exemple: en Suisse, les seuls sondages réalisés dans les entreprises sur le thème de la criminalité économique ont pu l’être par de grands cabinets privés, tels que Revisuisse Price Waterhouse ou Arthur Andersen). Problème: une collaboration, voire une coopération des SETN pour réduire les actes de criminalité nationale et transnationale sont-elles vraiment possibles? Ne se heurte-t-on pas de façon incontournable à des logiques parfois différentes, divergentes, voire carrément opposées, parfois à des intérêts convergents, à des accointances, voire à des complicités scandaleuses entre gouvernants politiques et dirigeants économiques? « C’est un travail de longue haleine. Il faudra sûrement une génération entière pour qu’on se rende compte de l’importance de la criminalité organisée et de la corruption, puis pour qu’on se dote des moyens nécessaires à une lutte efficace. Cette situation est comparable à celle de l’écologie... »(Bertossa in Robert, 1996, p. 123).
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