Pour impression, document PDF: Table des matières La santé et l’éducation La pauvreté au Sénégal durant les années 1990
Il n’est pas toujours évident de montrer les relations directes qui existent entre le niveau d’endettement extérieur d’un pays et celui de la pauvreté des ménages. Cependant, l’on sait que l’ajustement a été proposé pour réduire les déficits internes et externes tout en restaurant à l’économie sa capacité de remboursement. Parmi les mécanismes générateurs de la pauvreté, les Programmes d’ajustement structurel (PAS) jouent un rôle de premier plan en raison des contraintes fortes qu’ils font peser sur l’économie. Le service de la dette, en 1989-90, représente 48 % des recettes courantes et 74 % des dépenses ordinaires alors qu’elles ont été fortement comprimées pour accroître l’épargne budgétaire et dégager des capacités de remboursement [Duruflé, 1994 : 81]. L’accroissement de l’épargne budgétaire et le dégagement de capacités de remboursement sont le fruit de coupes sévères dans les dépenses ordinaires et d’équipement. Tandis que les recettes fiscales sont restées, durant la période 1985-90, 10 à 17 fois inférieures à leur niveau de 1980. Les PAS tendent à transférer le débat sur le rôle de l’état dans la redistribution des richesses. En effet, depuis le début des années 1980, la discussion sur une meilleure répartition des richesses n’est plus d’actualité, supplantée qu’elle est par les PAS. Avec leur pertinence parfois douteuse, les PAS dictent des coupes franches dans les budgets sociaux. La stratégie de la Banque mondiale et du FMI est de favoriser les secteurs productifs au détriment des conditions de vie des populations. Les déflations, les fermetures d’entreprises, leurs restructurations, leurs privatisations et autres aménagements ont rendu la situation socio-économique davantage explosive. L’arbitrage entre le social et le productif favorable au dernier n’a fait que conforter l’état de dénuement des ménages. Par ailleurs, le programme des réformes de la fonction publique, adopté par le gouvernement du Sénégal en janvier 1990, comprenait entre autres objectifs la réduction du nombre de ministères de 23 à 15 (paradoxalement, le nombre de ministères est passé de 28 à plus de 38 entre 1988 et 1995), la suppression d’environ 2.850 postes et la mise à la retraite anticipée de 1.450 fonctionnaires âgés de 48 ans et plus. En août 1991, sur les 4.140 demandes de départ formulées, 3.745 c’est-à-dire 90 % ont quitté la fonction publique, ce qui a coûté à l’état 15,7 milliards de FCFA (le coût moyen par fonctionnaire est estimé à environ 4,2 millions de FCFA). La plupart des départs volontaires a eu lieu aux échelons inférieurs, les deux premiers échelons représentant environ 46 % du total [1]. Le taux de croissance du PIB se chiffre en moyenne à 2,4 % entre 1970 et 1994. Depuis la dévaluation de 50 % du Franc CFA en 1994, les indicateurs économiques du Sénégal annoncent une certaine reprise : le taux de croissance réel passe à 4,5 % en 1995 (contre 1,5 % en 1994 et -0,8 % en 1993). L’inflation est maintenue à 5,5 % (contre 38 % en 1994). La croissance tirée par les exportations des produits primaires, préconisée par les Institutions Financières Internationales (IFI), est toujours susceptible de basculer car les cours des matières premières restent une donnée exogène des petites économies ouvertes. Il semble difficile de bâtir une croissance durable et soutenue sur cette seule base. La question se pose également de savoir si une telle croissance peut être enrichissante et équitable. Pendant que le PIB accuse une croissance moyenne de 2,5 %, le PNB par habitant évolue négativement (-0,7 % en moyenne par an) entre 1985 et 1994, pour se situer à 600 $ US en 1994. Depuis 1994, le taux de croissance de l'économie sénégalaise se situe en moyenne à 5 %. La reprise économique annoncée pose avec force le problème de la redistribution équitable des fruits de la croissance. En effet, si la dévaluation du Franc CFA semble donner un coup de fouet aux secteurs de production et d’exportation – principalement les produits arachidiers, les phosphates, la pêche, la conserverie et le textile – les retombées au niveau des revenus des ménages restent mitigées. En marge du problème de l’effet “ Trickle down ”, se pose celui de la durabilité de la croissance. La forte pression démographique (3 % par an) contribue à rendre cette croissance économique peu bénéfique aux populations. En effet, la croissance des agrégats économiques profite peu aux classes sociales moyennes et pauvres : durant la période d’avant dévaluation (1981-93), le rapport des 20 % les plus riches et des 20 % les plus pauvres est de 16,7. De plus, le quintile le plus riche accapare environ 60 % des revenus monétaires du pays alors que dans le même temps, le quintile le plus pauvre ne bénéficie que de 3,5 % de ceux-ci. En ce qui concerne la distribution des revenus monétaires entre zones urbaine et rurale, il existe d’importantes inégalités : 71 % en zone urbaine contre 29 % en zone rurale [2]. · La santé et l’éducation Dans ce contexte, la satisfaction insuffisante des besoins de base fragilise l’évolution positive des grandeurs physiques de l’activité économique. La couverture sanitaire se dégrade durant la décennie 1980. Ceci est à combiner avec l’amenuisement des revenus des ménages et la privatisation du secteur de la santé (seulement 40 % de la population totale a accès aux soins de santé). Le secteur de l’eau potable n’est guère plus reluisant : entre 1975 et 1980, 36 % de la population sénégalaise a accès à l’eau potable. Entre 1990 et 95, ce chiffre passe à 52 % avec respectivement 28 % en milieu rural et 85 % en milieu urbain. Si l’accès aux points d’eau potable s’est donc amélioré, la consommation quotidienne d’eau par habitant s’est nettement détériorée au cours des 15 dernières années, avec un recul plus net encore lors de l’ajustement. De 63 litres par personne et par jour en 1980 en milieu urbain, elle est descendue, en 1994, à 54 litres. Ce recul est plus marqué pour la ville de Dakar (passage de 88 litres/personne/jour à 69 litres/personne/jour).
Source : AFRISTAT, mars 2000 Au Sénégal, la situation sanitaire est préoccupante. En effet, l’état consacre 6 % de son budget à la santé publique ce qui reste largement inférieur aux recommandations de l’OMS de 9 % auxquelles le Sénégal a souscrit. Les dépenses publiques de santé ont diminué de 653 FCFA par personne et par an en 1978/79 à 427 FCFA en 1988/89. Ce qui se manifeste par un déficit au niveau de la couverture sanitaire. Alors que les normes définies par l’OMS sont de un médecin pour 10.000 habitants, une sage femme pour 5.000 femmes en âge de procréer et un infirmier pour 5.000 habitants, le Sénégal accuse un déficit remarquable au niveau du personnel de santé avec un médecin pour 20.000 habitants, une sage femme pour 14.000 femmes, un infirmier pour 3.000 habitants ; au niveau des infrastructures on compte, un centre de santé pour 156.000 habitants, une case de santé pour 4.500 habitants. Il s’ensuit un taux de mortalité infantile de 91 pour mille (dont 69 pour mille en milieu urbain et 102 pour mille en zone rurale). L’initiative de Bamako qui encourage, entre autres objectifs, l’utilisation des médicaments génériques dans les postes de santé publique, n’a pas ouvert l’accès des soins et des médicaments aux populations les plus démunies. Enfin, la manifestation la plus commune de la pauvreté est la malnutrition des enfants, qui est une conséquence de la malnutrition de la mère pendant la grossesse (une alimentation peu équilibrée et déficitaire). Les résultats de l’ESP montrent une forte prévalence de retard de croissance (29 %) et d’insuffisance pondérale (22 %). La privatisation des soins de santé par l’introduction des tickets modérateurs préconisée par les PAS a davantage creusé la fracture sociale et exclu une part plus importante de la population. Au niveau de l’éducation, pour l’ensemble du Sénégal, le taux d’analphabétisme des adultes s’élève à 67 % en 1995, un des plus élevés au monde, dont 77 % chez les femmes et 57 % chez les hommes. Cette faiblesse du taux d’alphabétisation des adultes et de scolarisation des jeunes (26,2 % pour les garçons et 19,2 % pour les filles) est à rapprocher aux inefficacités du secteur de l’éducation car, selon la Revue des dépenses du secteur de l’Education, avec 4,2 % du PIB, les dépenses d’éducation du Sénégal sont 50 % plus élevés que ses voisins de l’Afrique de l’Ouest alors qu’ils bénéficient de taux brut de scolarisation plus performants. Malgré une nette amélioration de la part du budget allouée à l’éducation depuis l’indépendance de 1960, le Sénégal reste un des pays les plus faiblement scolarisés d’Afrique de l’Ouest avec 58 % des enfants en âge d’aller à l’école. Les plus faibles taux sont enregistrés à Diourbel, Tamba et Louga, avec une scolarisation inférieure à 35 %. L’autre extrémité que constituent Dakar et Ziguinchor est loin devant avec des taux avoisinants 90 %. Il existe des disparités entre les garçons et les filles qui sont plus ou moins marquées selon la région considérée. Le taux de scolarisation des filles est faible, il ne représente que 40 % du total. Par ailleurs, 47 % de la population scolarisante âgée de 0 à 15 ans est laissée pour compte. L’effectif de l’enseignement élémentaire est passé de 611.000 élèves en 1986/87 à 738.500 en 1992/93 (taux d’accroissement de 5 %), mais dans le même temps, le taux de réussite à l’examen d’entrée en sixième stagne aux alentours de 20 %. Selon l’ESP, le taux d’analphabétisme est à 68 %, chiffre qui corrobore les résultats de l’Enquête Démographique et de Santé au Sénégal de 1992/93 (68 %) et du Recensement Général de la Population et de l’Habitat de 1988 (69 %). Si les personnes âgées et les femmes sont davantage touchées par l’analphabétisme que les hommes (82 % chez les femmes contre 63 % chez les hommes), les personnes âgées (entre 50 ans et plus) sont analphabètes à plus de 80 %. Il existe également un autre clivage entre localité urbaine ou non. En effet, les zones urbaines sont dotées d’infrastructures favorisant l’avancée de l’alphabétisation. L’analyse du budget de l’éducation fait ressortir que les dépenses pour les salaires et les transferts sociaux avoisinent les 96 %, si bien que seuls 4 % sont consacrés aux dépenses d’investissement et de fonctionnement. Il en résulte, comme on s’en doute, un déficit important en infrastructures et en équipements scolaires. Outre la faiblesse des moyens mis à la disposition du système éducatif, un autre facteur milite en faveur du faible niveau de scolarisation : l’arbitrage favorable au travail des enfants. En effet, le ménage raisonne à court terme et essaie de maximiser ses revenus. Au lieu de financer les études des enfants, on leur demande de travailler et d’apporter des revenus susceptibles d’arrondir les fins de mois. Les secteurs de la santé et de l’éducation, les plus sensibles à l’évolution de la population, ont été les plus sévèrement touchés. En effet, les dépenses budgétaires de santé sont inférieures à 1,8 % entre 1980/81 et 1990/91 et pour l’éducation, seulement 2 % des dépenses sont consacrées à l’achat de matériel didactique et pédagogique. Depuis 1985, les dépenses de fonctionnement sont, en francs constants, de 25 à 35 % inférieures à leur niveau de 1980 [3]. En 1998, le service de la dette sur PIB est de 7 % alors que la part du budget allouée aux dépenses d’éducation est de 3,7 % et de 2,6 % pour la santé. La dette absorbe donc plus que les services sociaux qui constituent la base d’une accumulation du capital humain et le socle de l’équité ou en tout d’une réduction des inégalités. · La modification des habitudes et des rations alimentaires Cet aspect est repérable dans le fait que les restes des repas qui étaient très visibles le long de certaines rues et qui étaient utilisés dans l’alimentation du bétail ont pratiquement disparu. Ce fait n’a rien d’étonnant, il renseigne sur les capacités d’adaptation des populations à leurs conditions de vie. Les hausses de prix enregistrées durant le premier semestre de 1995 sur plusieurs des produits de base, principalement le riz, montrent la nécessité de mener des études pour mieux suivre les variations dans les indicateurs de niveau de vie des populations. Une étude de l'impact de la dévaluation sur les revenus devient, dans ce contexte, d'une importance vitale pour les décideurs. C’est pourquoi l’atelier organisé par l’ISRA, le PASE, en collaboration avec l’UPA sur l’impact de la dévaluation du FCFA sur les revenus et la sécurité alimentaire au Sénégal, en février 1996 constitue un effort à soutenir et à encourager. Tous les produits présentés par la DPS comme étant ceux consommés fortement par les pauvres ont subi des hausses importantes. Les données présentées lors de la tenue de l’atelier ISRA/PASE indiquent qu’entre 1993 et 1994, les produits qui ont le plus pesé sur l’évolution des prix sont les poissons, les céréales et le sous-groupe oeufs-lait-corps gras. Selon ces sources, pour le poisson, la hausse pour cette période a été de 53,4 %. Nous ne disposons pas de données plus précises, au niveau national, sur les stratégies adoptées par les ménages pour faire face à ces hausses de prix. Cependant, certaines indications issues d’enquêtes ponctuelles sont disponibles. Les résultats des travaux menés dans le cadre d’ISRA/PASE en milieu rural montrent au niveau des ménages enquêtés, des modifications des habitudes alimentaires se traduisant notamment par une substitution du mil au riz, une réduction de la ration de céréales, une consommation humaine du tourteau d’arachide, en principe destiné à l’alimentation du bétail, l’usage de plus en plus important de l’huile artisanale. Mais, certaines sources indiquent également comme mécanisme d’adaptation, le fait pour certaines familles de réduire le nombre des repas, de diminuer la ration. Selon les résultats de l’étude menée par Enda [4] à la suite de la dévaluation dans des quartiers défavorisés, les tendances suivantes ont été observées : — suppression de la consommation de lait — suppression du petit déjeuner dans presque toutes les familles et rationnement du pain dans d’autres — préparation d’un seul repas par jour dont les restes sont consommés le soir. Pour ce repas unique, selon les observations d’Enda, la quantité de riz et de condiments utilisés a baissé. Parfois une bouillie de mil est servie pour compenser la baisse de la ration de riz. Les résultats d’une étude menée par le Ministère de la Ville dans certains quartiers de l’agglomération dakaroise [5] indiquent une diminution de la consommation de la viande et du lait et des dépenses en matière de santé, d’éducation et d’habillement.
[1] Pour une analyse exhaustive des réformes, Cf. Banque mondiale [1993] et Fall (sous la dir. de), 1997, Éditions CODESRIA, Dakar. [2]Les données économiques ici présentées sont tirées de Ben Abdallah et al. [1997], La Découverte [1997], Banque mondiale [1996], PNUD [1996] et d’un document de travail non publié de la Direction de la planification du MEFP [1996]. Même si nous considérons que les données présentées peuvent poser des problèmes de fiabilité, elles permettent d’indiquer des tendances pour un cadrage macro-économique. [3] Des analyses de la situation macro économique du Sénégal sont proposées notamment par Boye [1992], Duruflé [1994], Kassé [1990] et Ndiaye [2000]. [4] Enda-tm, Rapport d’activités du programme Siggi. Résultats et perspectives d’un programme d’appui post-dévaluation aux populations démunies dakaroises, Dakar, juillet 1994. [5] Ministère de la Ville, La pauvreté dans les villes : le cas de l’agglomération dakaroise, Dakar, sd, 82 p. [6] Les travaux d’Antoine et Bâ [1995] confirment cette pratique chez les ménages à Pikine. |
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