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Education, Santé et culture dans la ligne de mire

Philippe Frémeaux
Rédacteur en chef. Alternatives Economiques

Journée d’étude sur l'AGCS organisée par Attac le 12 mai 2001

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1.    Des secteurs où l’intervention publique est historiquement forte.

Certains secteurs des services –  publicité, tourisme – sont depuis longtemps ouverts à la concurrence, ou assurés, dans le cadre de réglementation nationale, par le secteur privé – services juridiques, comptables et financiers -.

L’éducation et la santé, en revanche, sont des secteurs où l’intervention publique – ou l’action de structures non marchandes issues de la société civile - a été historiquement très forte. De même, la culture est, aussi, du fait des enjeux qu’elle recouvre,  un domaine où l’intervention publique, mais aussi l’initiative sociétale, ont toujours été très importantes.

Pourquoi ce poids des pouvoirs publics ou de l’initiative associative ? Parce que le marché ne peut fournir une réponse adéquate aux besoins sociaux dans ces domaines. Dans une société démocratique, l’accès libre et gratuit aux soins,  à l’éducation ou à la culture, doivent être des droits garantis à tous, ils sont la condition de la dignité de chacun, dignité de citoyen, dignité d’être humain.

A ces préoccupations « sociales/sociétales » s’ajoutent d’autres considérations d’intérêt public. Comme l’expliquent les économistes, l’éducation, comme la santé, sont des domaines où les externalités sont fortes. C’est pourquoi chacun considère qu’il relève des priorités de l’action publique d’assurer une formation de base à tous, y compris à ceux qui n’en ont ni les moyens, ni le désir. Parce que former chacun bénéficie à tous. Parce que soigner les malades évite la propagation des épidémies.

S’ajoutent enfin des enjeux nationaux spécifiques : formation d’une culture commune, défense et affirmation d’un patrimoine culturel.

L’importance de l’investissement public dans l’éducation a donc à la fois répondu à une nécessité économique (faire prendre en charge par la collectivité une formation professionnelle que les entreprises se refusaient à financer, sinon selon une logique purement adaptative), un projet politique d’intégration sociale (former des citoyens libérés des vieilles croyances et uni par un socle culturel commun), une réponse à la demande sociale (demande des familles).

Dans le domaine de la santé, le développement de l’intervention publique (ou de systèmes d’assurances sociales), a accompagné le développement général de la protection sociale, où, là encore, la collectivité a assuré l’intégration du salariat, en diminuant l’insécurité sociale. La protection face à la maladie (et d’abord face à la privation de revenu qui en découle) va de pair avec l’essor du système de retraites.

Dans le domaine culturel enfin, les enjeux sont très divers. Le champ de la « culture » est extrêmement vaste. Une large partie de la culture populaire est dans le marché, et souvent fortement taxée (TVA élevées sur les disques), d’autres domaines, au nom de la culture avec un grand C, sont lourdement subventionnés (lyrique). Dans le domaine audiovisuel, l’intervention publique – associé parfois à un monopole – a répondu pour partie à une volonté de contrôle de l’information, parallèlement à un souci d’éducation populaire (modèles BBC contre modèle  Peyrefitte dans les années soixante…). Mais l’intervention publique peut aussi être justifiée par des motivations d’affirmation d’une culture nationale : d’où l’exception culturelle défendue par la France.

2.    La volonté de l’OMC : appliquer sa logique à tout secteur où existe une activité marchande.

Comme l’ensemble des services, l’éducation, la santé et la culture ont été mis à l’ordre du jour des négociations dans le cadre du GATS[1].

Ce qui est vrai pour l’ensemble des services s’applique également à ces trois domaines. Le poids des services est de plus en plus important dans le PIB. Ils font l’objet, parallèlement à l’intervention publique ou non marchande, d’activités de marché de plus en plus importantes (de l’éducation payante à la pharmacie OTC[2]), qu’elles résultent d’une privatisation de dispositifs publics ou du développement ancien ou plus récent d’activités privées, en marge du dispositif public. Ces activités privées sont souvent soumises à un cadre régulateur national, comprenant un certain nombre de règles spécifiques.

Cela n’empêche pas, dans les faits, ces domaines, d’être l’objet d’une internationalisation croissante, soit sous la forme de transactions commerciales internationales, en tant que marchandises ou que services, soit sous la forme d’IDE, des producteurs étrangers venant offrir leurs services dans les différents pays. Selon sa logique, qui est de chercher à réglementer tout ce qui tombe dans le domaine du commerce international et cela pour autant que les pays membres en font la demande, l’OMC s’intéresse donc à ces secteurs. Ces « bonnes raisons » renvoient à la volonté stratégique des « grands acteurs » du domaine, qu’ils soient originaires des Etats-Unis, mais aussi de l’UE, d’organiser une libéralisation et une ouverture des marchés aptes à assurer leur domination mondiale.

C’est particulièrement vrai des firmes américaines en accord avec leur gouvernement. Les Etats-Unis ont un commerce extérieur de marchandises fortement déficitaire, mais disposent d’une forte position dans un certain nombre de secteurs des services et de marchandises qui leur sont liées  : éducation, industrie pharmaceutique, audiovisuel. Dans tous ces domaines, leurs firmes (ou certaines structures à caractère non lucratif mais bénéficiant de budgets colossaux comme les grandes universités, ou certains HMO), dominent l’offre mondiale, au-delà de la propriété du capital. Ils jouent donc un rôle moteur à la fois dans la défense d’une ouverture des marchés, mais aussi dans la défense des droits de propriété intellectuels (comme l’illustre les textes de la Coalition of services industry).

L’UE, en règle générale, défend des positions voisines, compte tenu de ses intérêts et du poids d’un certain nombre de firmes européennes (même si elle va jouer un rôle plus moteur dans d’autres services, comme les services locaux, Vivendi and co oblige). Elle peut cependant avoir des intérêts spécifiques (exception culturelle pour la France). Elle est également plus ouverte aux intérêts des PVD dans le domaine des droits de propriété en matière de médicaments. Il est vrai qu’elle n’a pas été en première ligne dans les affaires récentes.

Le champ d’application du GATS concerne ainsi quatre modes de délivrance de services : fournitures transfrontières (ex : achat d’un logiciel éducatif sur le net), consommation sur le sol étranger (études réalisées à l’étranger), présence commerciale à l’étranger (sociétés de production et de diffusions étrangères), présence de personnes physiques (libre exercice de la médecine ou de l’enseignement pour des ressortissants étrangers). Le GATS conduit à définir un droit international de l’investissement (ce qui le rapproche dans ses effets, du projet d’AMI).

En effet, les services, parce qu’ils sont aujourd’hui produits pour l’essentiel localement, là où ils sont dispensés, relèvent moins d’une logique d’exportations que d’investissement sur place. Ce qui est en cause ici est donc moins la suppression des droits de douane à l’entrée que l’application d’un principe de « traitement national » généralisé : dès lors qu’un gouvernement permet à un acteur privé d’opérer dans un domaine sur son territoire, il ne peut refuser, selon ce principe, d’appliquer un traitement équivalent à tout acteur étranger qui satisfait aux mêmes obligations. Cette logique du traitement national ne s’applique plus, dans ces conditions, au produit ou au service en tant que tel, mais à l’ensemble de sa chaîne de production : statut du fournisseur, production, distribution, etc…

Dans cet esprit, les Etats-Unis cherchent à intégrer dans le contenu concret des accords la logique qu’ils imposent dans les accords bilatéraux sur l’investissement : la notion de traitement national s’applique non seulement aux entreprises déjà implantées, mais aussi à toutes celles qui sont susceptibles de vouloir s’implanter. Il ne s’agit donc pas seulement d’assurer des règles du jeu égales pour les acteurs existants sur un marché, mais d’établir une porte ouverte à tout nouvel acteur (traitement national étendu au préétablissement). Les propositions européennes respectent en revanche le droit des Etats à autoriser l’IDE.

2.1.  Education : quels enjeux ?

Les enjeux liés à l’éducation sont aujourd’hui plus importants que jamais. On nous parle de « civilisation de l"intelligence » de « formation tout au long de la vie », d’accélération du changement technique. Les nouvelles conditions d’emploi, et notamment la flexibilité croissante de la relation salariale – largement subie mais aussi en partie souhaitée – suppose que chacun entretienne en permanence son « capital humain », sa qualification (d’où les enjeux liés à la reconnaissance des acquis). L’importance de l’éducation est d’autant plus forte qu’une grande majorité des emplois requièrent désormais la maîtrise de compétences formelles, qui passent par une formation spécifique.

C’est pourquoi, on observe une montée continue des dépenses globales d’éducation de la part des pouvoirs publics, mais aussi, des entreprises et des personnes. Paradoxalement, l’importance croissante de l’éducation se traduit par une place grandissante du secteur privé. Du côté de la demande, le caractère toujours plus stratégique de l’éducation fait que les entreprises et les individus les plus aisés sont prêts à payer pour « acheter » de l’éducation ou de la formation. Du côté de l’offre, le secteur privé voit s’ouvrir un marché potentiellement colossal, quand on sait que le nombre d’étudiants est passé, au niveau mondial, de 6,5 millions en 1950 à 51 millions en 1980 et sans doute plus de 90 millions aujourd’hui. Comme l’explique Glenn Jones, fondateur d’un empire multimédia de l’éducation (Knowledge TV, Jones international university, Global alliance for transnational education…) : « L’éducation est le plus vaste marché de la planète, celui qui croît le plus vite et celui où les acteurs actuels ne répondent pas à la demande ». A cela s’ajoute, les effets de la mondialisation économique qui provoque, dans les formations technologiques et de management, une internationalisation croissante des offres d’emploi destinées aux cadres et ingérieurs. « Le recrutement s’est globalisé. Aujourd’hui, les multinationales recherchent des salariés ayant intégré différentes cultures. Les étudiants s’adaptent et recherchent les formations les plus internationales possibles » expliquait ainsi récemment Bernard Ramanantsoa, directeur général d’HEC[3]. D’où une mobilité croissante de la population étudiante : les Etats-Unis accueillent aujourd’hui 500 000 étudiants étrangers, L’Allemagne 180 000, le Royaume-Uni et la France environ 130 000 chacun. Selon le document de cadrage disponible sur le site de l’OMC établit en 1998, le commerce mondial des services d’éducation supérieure représentait déjà l’équivalent de 190 milliards de francs en 1995. Et l’apport de ce domaines aux recettes de services des Etats-Unis aurait été de 50 milliards de francs en 1996, ce qui en fait le cinquième secteur d’exportations du pays.

Il est vrai que les grandes universités américaines disposent de ressources sans commune mesure avec le reste du monde. Et de nombreuses sociétés américaines sont également en train de développer une offre éducative, via les possibilité offertes par l’internet. Là encore, ce qui est testé et amorti sur le marché intérieur des Etats-Unis peut servir de base pour attaquer les autres marchés.

L’OMC accompagne le mouvement autant qu’elle le provoque. Elle souhaite éliminer les obstacles à la libre prestation de services : non-reconnaissance de diplômes,  entraves à la libre circulation des étudiants et enseignants, restriction à l’arrivée d’investisseurs étrangers dans les systèmes d’enseignement nationaux. D’un certain point de vue, elle pousse à l’adoption de règles que les pays européens sont en train d’établir aujourd’hui entre eux dans le cadre du marché unique.

La menace demeure aujourd’hui essentiellement cantonnée à certains secteurs de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle continue, domaines où les formations sont d’ores et déjà souvent payantes, et où le secteur privé (ou consulaire, via les chambres de commerce) joue un rôle relativement important. Ces secteurs sont déjà en voie d’internationalisation, soit par voie de filialisation, soit par voie d’accords de partenariat entre universités et/ou écoles de commerce ou structures de formation.

En revanche, en ce qui concerne l’enseignement primaire et secondaire, la menace paraît moindre. Les Etats ne semblent pas prêts à abandonner leurs prérogatives dans ce domaine. En outre, ces activités sont loin d’être rentables, sauf pour un marché de niche, à destination des familles les plus aisées. Là, où la part du privé s’accroît, c’est en vertu de choix politiques qui privilégient le recours à une gestion déléguée du service public, sur la base de financements qui demeurent publics, (enseignement privé confessionnel sous contrat et hors contrat en France).

Cela dit l’expérience des chartered schools aux Etats-Unis ouvre la voie à l’émergence de « multinationales  privées du service public d’éducation » à l’image de ce qui existe dans l’eau ou d’autres domaines. Les chartered schools (écoles publiques sous charte) sont des établissements secondaires de quartier confiées à des entreprises privées qui sont financées par l’Etat et accessibles à tous. On considère que près de 10 % des écoles publiques pourraient être gérées de cette façon dans dix ans, soit un marché de 30 milliards de dollars (sur fonds publics). Mais ces activités demeurent pour l’instant peu rentables. Des expériences analogues ont été ou vont être lancées au Canada, en Suède, en Hollande et au Danemark notamment.

Cela dit, la diversité des cultures nationales demeure une barrière protectionniste extrêmement forte et l’apparition de « multinationales » dans ces domaines ne semblent pas pour demain.

En revanche, le développement d’une offre, via internet, de formations complètes, ou de services d’aides à la formation (aide aux devoirs, etc…) s’est opérée en visant d’emblée un marché mondial, comme l’a illustre le Salon mondial de l’éducation qui s’est tenu à Vancouver, en mai 2000.  Ce marché concerne essentiellement les formations au management et aux technologies, qui peuvent être dispensées en langue anglaise et où les contenus sont d’ores et déjà largement mondiales et/ou alignées sur les normes américaines. On peut ainsi accéder à des milliers de formation en ligne. Les universités européennes demeurent dans ce domaine très en retard, même si elles sont désormais également dans la course.

Les enjeux sont ici multiples : l’apparition d’une offre mondiale de formation conduit à marginaliser les systèmes publics d’éducation nationaux et de faire pression en faveur d’une définition internationale des diplômes (comme c’est le cas pour le MBA, ou comme l’illustre la récente réforme de Sciences-po Paris).

Cela étant, si internet est le vecteur d’une offre mondialisée d’éducation, l’enjeu est moins les formations virtuelles contre l’université en dur que les modes d’articulation des deux. Internet permet des cours à distance, des modules interactifs entre étudiants et tuteurs, abolissant la distance. Cela dit, une formation de qualité suppose des échanges directs, car toute démarche pédagogique n’est pas seulement transmission du savoir, mais aussi apprentissage de la socialisation. D’où des logiques d’accords probables entre établissements, par le biais de filialisation, d’adaptations nationales etc… alliant virtuel et réel. Des accords qui risquent de profiter évidemment aux acteurs les plus puissants.

Enfin, internet, contrairement à ce qui est affirmé par les firmes éducatives américaines et les grands groupes des TIC, risque d’être plutôt un facteur aggravant en termes d’inégalités Nord-Sud. En effet, les effets positifs de l’internet – abolition de la distance, coûts réduits de transmission de l’information – ne peuvent bénéficier à des pays qui ne disposent pas des infrastructures de base et où une grande partie de la population  n’accède pas à la formation de base nécessaire pour se saisir de l’outil informatique. Signalons ici que le Comité commerce et développement de l’OMC a récemment affirmé la nécessité de développer les infrastructures du Sud, mais il n’a rien dit sur comment les financer… Le développement de la formation via le net risque donc plutôt de renforcer la marginalisation des pays les moins développés.

D’où l’importance de limiter le poids des logiques de marché et de commencer par réaffirmer le caractère de bien public de l’éducation, et, en conséquence, de la nécessité d’une offre publique qui puisse répondre à la demande sociale. Cela n’ira pas de soi compte tenu du poids déjà atteint par le secteur marchand. L’enjeu n’est d’ailleurs pas d’en « interdire » le développement que de défendre un niveau de financement du système public suffisant pour qu’il assure à l’ensemble de la population un service gratuit de qualité.  

2.2. Santé

Dans le domaine de la santé, l’intervention publique s’opère à deux niveaux : dans les mécanismes de financement (assuranciel ou pris en charge par l’impôt), qui permet d’offrir un service gratuit ou de « solvabiliser » la demande (remboursement total ou partiel des soins) ; dans l’offre de soins elle-même (hôpitaux publics). En Europe, les mécanismes de financement sont partout publics (ou gérés par les partenaires sociaux), tandis que l’offre de soins fait largement appel au secteur privé (soins de ville assurés par des praticiens libéraux, cliniques privées ou gérées par des associations).

Aux Etats-Unis, les plus pauvres et les personnes âgées bénéficient d’une prise en charge publique (qui représente 45 % des dépenses totales de santé),  tandis que les salariés intégrés sont pris en charge par des assureurs privés (qui négocient une prise en charge globale avec des organismes dispensateurs de soins). 43 % de la population est privée de couverture-maladie ou mal couvertes et notamment tous les travailleurs pauvres, qui ne peuvent accéder à une assurance-maladie via leurs emplois.  Les firmes privées, à côté de nombreuses non profit organizations, jouent un rôle essentiel, à la fois comme assureurs (et brokers-acheteurs de soins dans le cadre des HMO[4]), mais aussi comme dispensateurs de soins. Un grand nombre de médecins sont salariés ou fortement encadrés dans leur pratique par les réseaux de soins. 

Une part considérable des dépenses de santé est enfin liée aux médicaments partout dans les pays du Nord. Un secteur où le privé est seul présent, même s’il profite largement des découvertes faîtes par la recherche publique. L’industrie pharmaceutique est un des secteurs d’activité qui connaît à la fois une vive croissance et une rentabilité fabuleuse. Le résultat net des firmes s’élève à 18,3 % du chiffre d’affaires. Cette industrie est en effet libre de fixer ses prix sur son principal marché (les Etats-Unis), elle est peu sensible à la concurrence (du fait des lois sur la protection des brevets) et ses clients, pour la plupart, ne supportent qu’indirectement les prix payés, alors que l’enjeu pour eux, leur propre santé, les met en situation de dépendance totale. La santé est donc à la fois une activité de service, mais aussi une activité commerciale, activité commerciale pour laquelle la question des droits de propriété industrielle constitue une question majeure. 

Si les marchés solvables sont essentiellement cantonnés au Nord (cinq pays – USA, France, Italie, Allemagne et Royaume-Uni représentent 90 % de marché mondial des trithérapies alors que 90 % des malades du sida vivent dans les PVD), les grands labos défendent néanmoins becs et ongles leurs droits de propriété intellectuels au niveau mondial. Ils peuvent ainsi défendre des prix élevés et un modèle économique à la fois très coûteux pour la collectivité dans les pays riches et particulièrement scandaleux dans la mesure où il ferme l’accès au traitement dans les pays pauvres (et crée les conditions de contrefaçons parfois très dangereuses). En effet, l’amortissement des dépenses de R&D est un bien mauvais prétexte. Le prix des médicaments finance en fait, outre des profits colossaux, des dépenses de marketing exorbitantes – trois fois la R&D pour les grands labos US. Autant dire que le prix des médicaments n’a pas grand chose à voir avec leurs coûts réels, même en incluant l’amortissement des dépenses de recherche !

Dans tous les pays de l’OCDE, les différents gouvernements s’interrogent sur la meilleur manière de contrôler les dépenses de santé. La tentation d’accroître la part des dépenses prises en charge par le consommateur final, qui a été très forte dans les dernières décennies, a moins le vent en poupe pour des raisons à la fois sociales, de santé publique, et d’intérêts bien compris des lobbies médicaux et pharmaceutiques. La santé est considérée comme un bien public qui suppose que chacun soit pris en charge.

En pratique, la recherche d’une diminution des coûts hésite entre un renforcement du contrôle administratif sur l’activité médicale (PMSI à l’hôpital, contrôle de l’activité en médecine de ville) et l’instauration de mécanismes de concurrence entre assureurs et entre dispensateurs de soins. Ce second scénario, poussé par les grands assureurs, continue de peser dans un sens plus libéral qui risque de renforcer les inégalités dans l’accès aux soins selon le modèle observé aux Etats-Unis, même si elle s’y est soldée par un échec majeur.

L’existence, d’ores et déjà, d’acteurs privés à la plupart des niveaux de la filière – mutuelles et assurances complémentaires en France, cliniques privées, labos privés, etc… - créent les conditions pour que d’autres acteurs pénètrent le marché. C’est déjà le cas en France dans le domaine de la complémentaire maladie ou de structures d’hospitalisation privées possédées par des capitaux étrangers (comme le prévoit les directives européennes adoptées par la France). Le risque est qu’une telle évolution alimente les discours en faveur d’une division des risques (déjà en cours pour les complémentaires maladie et qui a entraîné de difficiles négociations avec Bruxelles pour la directive mutuelle). De quoi ouvrir la voie à une médecine plus inégalitaire.

A cela s’ajoutent les enjeux liés au développement du commerce électronique. Internet est un puissant facteur d’amélioration du fonctionnement du système de santé (télédiagnostic, échanges de données entre spécialistes,…). C’est aussi la porte ouverte à la vente de médicament en ligne, et l’apparition de sites médicaux en ligne susceptibles payants (ou financés par les labos via la publicité).

On retrouve là les mêmes enjeux Nord-Sud qu’en matière éducative. Mais, concernant le Sud, l’enjeu central est aujourd’hui autour des droits de propriété industriels (droit des pays pauvres à produire des génériques) comme l’a illustré le récent procès contre l’Afrique du Sud. Dans ce cadre, les accords TRIPS-ADPIC de Marrakech de 1994 prévoient une obligation pour tous les pays signataires d’adopter une législation protégeant la propriété intellectuelle (les brevets en l’occurrence) d’ici à 2006  au plus tard. Tout dépend de l’interprétation faîte du texte de l’accord qui prévoit qu’ « en cas de situation nationale critique ou autres circonstances d’extrême urgence » les gouvernements pourront autoriser des entreprises locales à produire certains traitements en dépit des brevets qui les protègent. Ce sont ces dispositions que le gouvernement sud-africain a voulu traduire dans son droit national. L’enjeu du procès était, pour les grands labos pharmaceutiques, de limiter au maximum les possibilités d’entorse au droit de propriété intellectuelle[5].

2.3. Culture.

La culture est devenue un champ économique important, avec le développement des loisirs, et la diffusion massive des outils électroniques permettant la diffusion du son et de l’image sont différents formes. Le microsillon vinyl et la télévision des années soixante ont laissé la place à un éventail de modes de diffusion et de réception, de supports et de contenus très vastes, unifié désormais par la numérisation.

Mais l’important dans cet affaire est d’abord le temps qu’on y consacre : la télévision est le premier loisir et de très loin. On peut le regretter et penser qu’il y a d’autres façons d’occuper son temps, mais les faits sont là et, comme cette même télévision est le principal support de la publicité, les enjeux liés à l’industrie des programmes audiovisuels qu’ils s’agissent de fictions ou d’émissions de divertissement. Les enjeux liés au cinéma, à la musique ou aux jeux vidéos sont également essentiels.

C’est aussi dans ce domaine que les conflits sont aujourd’hui les plus forts. Du fait de la domination américaine à la fois sur le marché mondial des programmes audiovisuels, et de la résistance de certains pays, à commencer par la France, devant cette domination. Dans le cadre du GATS, le cinéma et la télévision sont soumis aux règles de libéralisation valables pour les échanges internationaux, mais avec des aménagements. Les Etats conservent le droit de mener une politique audiovisuelle. Ils peuvent renoncer d’inscrire les services audiovisuels dans la liste des obligations du GATS (d’où la nuance entre exclusion – qui signifierait que l’audiovisuel est hors champ de la négociation - et exception culturelles – qui permet à un pays de ne pas faire de propositions et donc de ne pas entrer dans le champ de la négociation). Ce qui permet de ne pas appliquer le principe du traitement national et d’exclure certaines mesures de politique audiovisuelle du principe de la nation la plus favorisée. Ces dernières réserves sont cependant temporaires et doivent être revues en 2005. Les Etats européens et le Canada ont profité de cet ajournement de l’application des principes de l’OMC.

Les enjeux ici sont énormes, en termes de défense de la diversité culturelle mondiale. Mais cette notion de diversité n’a de portée concrète que si chaque pays peut soutenir son offre nationale dans le domaine de la production de films,  de programmes TV par des mesures de protection ou de subventions. Et défendre l’existence d’un service public en matière audiovisuel.

C’est sans doute dans ces domaines que les enjeux liés aux NTIC et à l’internet, sont les plus importants (MP3, télévisions par satellites ou sur le net, diffusion directe de films sous forme numériques par satellites dans les multiplexes, télévision sur internet), services non couverts par la directive Télévision sans frontières. Or, en l’état d’absence de régulation du commerce électronique et des autres modes de transmissions de données numérisées, il existe un risque majeur de contournement des objectifs défendus par l’exception culturelle.

Les objectifs affirmés aujourd’hui par la France sont de préserver les acquis du Gats de 1993 (possibilité de s’exclure du champ des accords en faisant une absence d’offre ce qui permet de ne pas respecter le principe du « traitement national » et donc de subventionner les producteurs français). Il lui faut cependant éviter de voir ses objectifs mis en cause par les négociations qui s’engagent dans d’autres secteurs des services :

-        la France défend ainsi une régulation plus libérale pour le secteur de la grande distribution, compte tenu de la puissance des acteurs nationaux dans ce domaine. Or, les Usa considèrent que le champ de la distribution inclus également la distribution de programmes audiovisuels. Or, comme on le sait, c’est un domaine où le contrôle de la distribution joue un rôle stratégique majeur et l’acceptation de l’ouverture de la distribution, risquerait de mettre en péril la production nationale.

-        La France, et l’UE défendent le principe de neutralité technologique. Le mode de transmission d’un service ne modifie en rien la nature de ce dernier. Négocier sur le commerce électronique n’a pour objet de faire rentrer les programmes audiovisuels diffusés par le net dans le champ de la négociation. Récuser la classification en bien virtuel défendue par les Usa pour ces biens, qui visent à les faire rentrer dans le champ de l’accord Gatt, plus contraignant.

-        Il faut également exclure l’audiovisuel des négos sur les subventions (limitation à 5 % pour les services à l’instar de ce qui est appliqué pour les marchandises) et des négociations sur l’investissement.

Un des principaux enjeux aujourd’hui dans ce domaine est sans doute de tenter de sortir la France de son isolement relatif dans la défense de l’exception culturelle, liée à une attitude parfois perçue comme plus protectionniste de ses intérêts économiques ou de sa puissance culturelle propre, que réellement soucieuse de défendre la diversité. La puissance du mouvement citoyen, sur une base à la fois nationale et internationale, peut jouer un rôle essentiel, d’autant que surtout l’émergence d’acteurs « français » de taille mondiale, peut être susceptible de modifier la détermination des décideurs publics et peut également contribuer à fonder des alliances au niveau international…

Encadré : le commerce électronique hors régulation

Le commerce électronique en tant que tel ne fait aujourd’hui l’objet n’aucune régulation dans le cadre de l’OMC, les questions qui lui sont liées relevant soit de prestations de services d’accès à internet, (réglementées par les accords concernant les télécoms) soit de fourniture électronique de services (réglementées par le GATS ou les accords TRIPS-ADPIC), soit de l’utilisation d’internet comme canal de distribution pour d’autres marchandises (réglementés par le GATT).

Si la vente de marchandises demeure théoriquement soumise, via le processus de livraisons physique, aux règles nationales en matière de douanes et de normes sanitaires (encore que l’exemple des sites en ligne de ventes de produits pharmaceutiques ou dopants montre que le contrôle aux frontières est une vraie passoire), ce n’est pas le cas des services immatériels livrés par la voie électronique. Or, nous trouvons ici une grande partie des biens culturels, aujourd’hui liés à des supports physiques (livres, journaux, CD, cassettes, etc…) peuvent être désormais diffusés via internet, de matière totalement dématérialisée, ce qui permet de contourner les règles fixées au nom de l’exception culturelle. 

Sources :

Education :

www.attac.org/fra/list/doc/monteux.htm 
Excellente synthèse sur les enjeux en matière éducative présentée devant le conseil scientifique d’Attac le 17 octobre 2000.

www.ei-ie.org/pub/french/fpb_ei-psi_wto.html
L’OMC et le cycle du millénaire : les enjeux pour l’éducation publique. Position officielle de l’internationale de l’éducation (syndicats enseignants)

Santé

www.thelancet.com/journal/journal.isa
Sur le site de l’hebdomadaire médical The lancet, on peut accéder gratuitement à l’article « rewriting the regulations : how the WTO could accelerate privatisation in health-care system » by Allyson M Pollock et David Price  paru dans le numéro 356 (9/12/2000) (l’accès suppose une inscription préalable, qui prend trois minutes). L’article a semblé suffisamment important pour l’OMC pour qu’elle demande à un des experts du secrétariat – Rudolf Adlung – de répondre. Une réponse accessible sur le site de l’OMC.

Culture

www.unesco.int/culture/industries/trade/
Une source très intéressante de données et d’analyses et un portail vers d’autres sites très informés sur la question.

www.culture.fr/culture/actualites/politique/diversite/
Pour retrouver les positions officielles du gouvernement français sur l’exception culturelle.

Le site de l’Union européenne

http://europa.eu.int/comm/avpolicy/extern/gats2000/ncon-fr.htm

Généralités

Le site de l’OMC permet de prendre connaissance des propositions des différents gouvernements (notamment les propositions américaines)
www.wto.org

On y trouve les notes sectorielles sur l’éducation, la santé et les services audiovisuels qui offrent une très bonne synthèse des enjeux économiques dans chaque secteur, (évidemment du point de vue de l’OMC).

Le site de l’UE

http://gats-info.eu.int



[1] Sigle anglais de l'AGCS.

[2] OTC Over the counter, désigne les médicaments directement vendus à la clientèle, par auto-médication, sans prescription médicale. Ils représentent une part croissante du marché des médicaments notamment aux Etats-Unis où un grand nombre de spécialités de base sont vendues en supermarché.

[3] Dans « L’éducation, nouveau marché mondial » dossier d’Alternatives Economiques, n°187, décembre 2000.

[4] Health maintenance organization : réseaux de soins coordonnés. Structures qui offrent une prise en charge globale des besoins en soins de santé (médecine de ville et hospitalisation) et qui négocient un forfait global avec ses clients (les entreprises), pour la prise en charge de leurs salariés, ce qui supprime ou restreint le champ du paiement à l’acte. Pour en savoir plus sur le système de santé américain et son bilan catastrophique, Alternatives Economiques a publié un article approfondi dans son numéro 185 d’octobre 2000.

[5] Voir « des médicaments sans brevets ? » Alternatives Economiques n°193 juin 2001 (à paraître). Le coût estimé de la prise en charge de tous les habitants de l’Afrique atteint du sida , 7,5 milliards de dollars, équivaut exactement aux profits réalisés par Merck, premier labo mondial, en 2000…

 

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