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La “ Double Bulle ” :Implications des surévaluations du marché boursier et du dollar

Dean Baker
co-directeur du Centre de recherche économique et politique à Washington, D.C.

CEPR - Center for Economic and Policy Research
cepr@cepr.net
www.cepr.net 
Phone: (202) 293-5380, Fax: (202) 822-1119

Marc Vodovar, Patrick, Raphael Cailloux & Gérard Robin, Damien Dupriez. Frédéric Champion, coorditrad@attac.org

 

Résumé

Le marché boursier est surévalué d’environ 50% si l’on en croit la plupart des économistes qui ont analysé le prix des actions et la tendance des profits des entreprises. Le dollar est surévalué de 30% ou peut-être même plus, comme en témoigne l’important et grandissant déficit de la balance courante des Etats-Unis.  Ces surévaluations entraînent des décalages très importants entre la valeur actuelle des principaux marchés et leur valeur à long terme Ces décalages, et les ajustements qu’ils ne manqueront pas d’entraîner, auront des conséquences graves pour l’économie des Etats-Unis.

Cet article examine les éléments qui étayent la thèse de la surévaluation du marché boursier et du dollar américain. Il analyse ensuite les conséquences des processus d’ajustement des deux à des niveaux plus viables. Il examine aussi quelques unes des interactions possibles entre ces deux ajustements, s’ils se produisent simultanément, ce qui est assez probable dans la mesure où les investisseurs quitteront probablement les deux marchés en même temps. Enfin l’article évoquera quelques mesures qu’il faudrait prendre pour faire face à la situation courante.

Les arguments en faveur de la surévaluation sont assez simples. La valeur du rapport entre le prix des actions et les bénéfices des entreprises est proche du double de sa  valeur moyenne historique. Ce niveau extraordinaire du ratio cours/bénéfices (PER) apparaît à un moment où la part des bénéfices dans le PIB est déjà à son plus haut niveau d’après-guerre, ce qui implique qu’ils auront tendance à croître moins vite que le PIB dans les années à venir. Les projections du Bureau du Budget du Congrès (CBO) montrent une baisse de 4%, sur les dix prochaines années, des bénéfices ajustés de l’inflation. Avec le PER actuel, les actions ne seront même plus en mesure de procurer une rentabilité totale équivalente à celle des obligations d’Etat. Pour ce faire, il faudrait que le PER continue à augmenter, ce qui est une perspective irréaliste.

La seule manière pour les actions de procurer à nouveau une rentabilité incluant une prime de risque significative par rapport aux obligations gouvernementales est que leur valeur chute d’abord de près de 50%. Avec un PER plus bas, les actions auront un meilleur rendement. Aujourd’hui, le rendement des actions (y compris le rachat de capitaux propres) est proche de 2%. Si le cours des actions chutait de 50%, leur rendement atteindrait 4%, ce qui est proche de leur niveau historique moyen. Cela permettrait le rendement total des actions (dividendes plus gains en capital) d’être plus conforme à son niveau historique moyen.

Il est important de noter qu’il n’y a pas de perspective de croissance vraisemblable pour les bénéfices qui soit compatible avec la valeur actuelle des actions. Même si les profits croissaient beaucoup plus rapidement que les projections actuelles du CBO, le rendement des actions demeurerait très inférieur à  son niveau historique moyen et à un niveau à peine supérieur au rendement des obligations gouvernementales.

La surévaluation du dollar se déduit de l’important déficit de la balance courante des Etats-Unis. Si le déficit commercial restait au niveau atteint pendant le premier trimestre 2000, le déficit de la balance courante pour l’année dépasserait 460 milliards de dollars, soit 4.8% du PIB. Un tel niveau de déficit commercial n’est pas supportable. En effet, s’il se maintenait au niveau actuel, en pourcentage du PIB, jusqu’en 2010, la dette extérieure des Etats-Unis atteindrait alors presque 70% du PIB, et le déficit annuel de la balance courante dépasserait 6% du PIB.

L’article montre aussi que les différences vraisemblables de croissance entre les Etats-Unis et leurs principaux partenaires commerciaux ne corrigeront probablement pas dans un proche avenir les déséquilibres des balances commerciale et courante. Au contraire, il faudra une forte chute de la valeur du dollar pour élever les exportations des Etats-Unis jusqu’à un niveau proche de celui des importations. Les estimations classiques d’élasticité suggèrent que la réduction de la valeur du dollar par rapport aux monnaies de leurs principaux partenaires commerciaux devrait se situer entre 20 et 30%.  

La chute des valeurs boursières aura un impact dramatique tant sur l’offre que sur la demande. Pour cette dernière, la chute envisagée de la valeur des actions signifierait une perte de richesse d’environ 9.000 milliards de dollars, plus de 30.000 dollars par habitant. Les relations habituelles entre variation de la richesse et variation de la consommation indiquent que l’on aurait une diminution annuelle de la consommation comprise entre 270 et 360 milliards de dollars. S’ajouterait l’impact négatif probable de cette chute des actions sur l’investissement des entreprises de haute technologie qui comptaient sur le marché pour se financer. Dans ces conditions, il serait difficile d’éviter une sévère récession.

L’effondrement de la Bourse aura aussi un effet direct sur le budget fédéral Les projections du CBO incluent plus de 900 milliards de dollars d’impôts sur les plus-values mobilières pour les dix prochaines années. Ce chiffre pourrait être proche de zéro dans le cas que nous envisageons, et la disparition de ces revenus d’impôts, combinée à une récession économique pourrait entraîner de larges déficits budgétaires. Dans ces conditions, si le Congrès insiste pour maintenir l’équilibre budgétaire en augmentant les impôts ou en réduisant les dépenses, l’effondrement de la dépense sera encore plus prononcé.

Du côté de l’offre, les options d’achat d’actions (stock-options) ont été de plus en plus souvent employées comme partie intégrante de la rémunération, en particulier dans les entreprises de haute technologie. Si ces options sont considérées sans valeur par leurs détenteurs, ceux-ci peuvent demander des augmentations de salaire à la place, ce qui pourrait entraîner des ruptures importantes sur le marché du travail. Dans la mesure où les firmes seraient obligées d’en passer par là, leurs profits seraient réduits d’autant, ce qui pourrait à nouveau déprimer la Bourse.

La baisse du dollar aurait un impact significatif sur l’inflation. Les estimations classiques indiquent que cette baisse ferait augmenter le rythme de l’inflation de 1.4 à 2.1%. Cela voudrait dire que l’on passerait du niveau actuel de 3% à un niveau compris entre 4.4 et 5.1% simplement à cause de la baisse du dollar.

La simultanéité de l’explosion des deux bulles ne fera pas forcément empirer la situation. Tout dépend en fait de la politique monétaire de la Réserve Fédérale. Si la FED est prête à accepter l’inflation qui en résulterait, la chute du dollar constituera un stimulus important pour les exportations dont la croissance pourrait en partie compenser la chute de la demande intérieure. Si, en revanche, la Réserve Fédérale tient à combattre toute augmentation de l’inflation en augmentant les taux d’intérêts en période de récession, le niveau du dollar se maintiendra pendant un certain temps mais ce ne sera que reculer pour mieux sauter.

La conclusion la plus importante de cette analyse demeure qu’il a été irresponsable de laisser ces bulles enfler jusqu’au point où elles en sont aujourd’hui. Certes, il y a des avantages à court-terme à la surévaluation des actions et du dollar : la première crée une illusion de richesse qui induit une accélération de la consommation et des investissements . Cette accélération crée, dans une certaine mesure, une prospérité réelle. De même la surévaluation du dollar permet aux citoyens américains d’acheter à bas prix des biens et des services à travers le monde, ce qui augmente réellement le pouvoir d’achat des salaires.

Mais de telles “ bulles ” ne sont pas durables, comme le démontre cet article. Les coûts à long terme des inévitables corrections effacent probablement les avantages à court terme créés. La Réserve Fédérale et l’Administration Clinton auraient dû agir depuis longtemps pour tenter de dégonfler ces “ bulles ” jumelles. La nation toute entière paiera probablement cher cette erreur de politique économique. 

Quant à ces deux “ bulles ”, mieux vaudrait s’en débarrasser rapidement. En fait le plus tôt serait le mieux, pour arrêter l’aggravation des dommages.

Introduction

Les débats récents sur l’économie ont été dominés par les louanges à la gloire de la “ nouvelle économie ”. Ces commentaires sont justifiés dans une certaine mesure, si l’on considère la croissance extraordinaire des quatre dernières années et le fait que le taux de chômage est passé au-dessous de 4% pour la première fois en 30 ans. Cependant, l’avenir est plus important que le passé, et le futur à court terme de l’économie des Etats-Unis est lié dans une large mesure à sa capacité à résorber les deux grosses “ bulles ” sur laquelle elle est assise : celle de la bourse et celle du dollar

Le dégonflement de ces deux “ bulles ” aura des conséquences importantes à court et à moyen terme. Si nous n’y sommes pas préparés, il est à craindre que le processus ne dégénère et ne tue la croissance pour longtemps, comme ce fut le cas au Japon dans les années quatre-vingt-dix. En revanche, les conséquences négatives de ce dégonflement peuvent être minimisées si nous admettons qu’il y a un problème et développons des stratégies pour le résoudre.

Cet article explique, à partir d’un raisonnement simple, pourquoi les valeurs boursières et le dollar sont surévalués. Les arguments que nous présenterons sont fondées sur des calculs simples, des identités comptables et les hypothèses courantes de croissance économique utilisées par le Bureau du Budget du Congrès (CBO) et les autres acteurs de la scène économique nationale. L’originalité de notre analyse est l’effort fait pour faire des projections cohérentes à travers les différents secteurs de l’économie.

La première partie de l’article explique la surévaluation du marché boursier. La deuxième, celle du dollar. La troisième discute les effets possibles de la correction,  inévitable, sur ces deux marchés. La quatrième inclut quelques recommandations de politique économique générale et une brève conclusion.

La surévaluation de la Bourse : Arithmétique à Wall Street

L’idée d’une large surévaluation du marché des actions est acceptée depuis quelque temps déjà par la plupart des économistes qui étudient ce marché (voir Baker 1997, 1999; Diamond 1999, et Shiller 2000). Le raisonnement est simple. Dans le passé, les investisseurs ont évalué la valeur d’une action à environ 15 fois son rendement annuel. Autrement dit, ils étaient prêts à acheter 15$ les actions d’une société faisant 1$ de bénéfice. Après l’explosion du marché ces cinq dernières années, il faut payer 30$ d’actions pour 1$ de bénéfice. Ce raisonnement simple suggère que le prix des actions est surévalué de 100% ou plus. 

On peut opposer deux types d’arguments à ce raisonnement. Le premier, utilisé par les adeptes les plus fanatiques de la “ nouvelle économie ” consiste à dire que désormais il n’y a plus de lien direct entre les bénéfices et la valeur des actions. Si l’on en croit ce point de vue, dans la “ nouvelle économie ”, le prix des actions a sa propre dynamique, et n’est pas influencé par les profits. Il est possible que certains y croient, mais cela impliquerait que le marché est totalement irrationnel. En effet, si le prix d’une action n’est pas déterminé par les bénéfices, présents ou à venir, il peut être à n’importe quel niveau, n’importe quand. Les actions de Microsoft pourraient valoir 1,50$ aussi bien que 500$. Rares sont les gens sérieux qui soutiendraient une telle proposition, et parmi eux, encore plus rares ceux qui achèteraient des actions !  

Le second type d’argument est que dans la “ nouvelle économie ”, les bénéfices croîtraient beaucoup plus rapidement que par le passé. Le prix des actions peut sembler insensé en regard des profits présents, ils ne le sont pas en regard des bénéfices à venir. La question qui se pose alors est celle de la croissance prévisible des bénéfices dans les années à venir.

Quelles que soient les hypothèses de croissance des profits faites par les adeptes de la “ nouvelle économie ”, elles sont très éloignées de celles du Bureau du Budget du Congrès (CBO). Celui-ci prévoit en effet qu’en 2010 les profits des entreprises seront en termes réels (corrigés de l’inflation) de 4% inférieurs à ceux de 1999. Si le prix des actions croissait sur cette période au même rythme que les bénéfices, il décroîtrait d’environ 0,4% par an en termes réels. Une telle évolution conserverait le ratio cours/bénéfices (PER) à son niveau actuel d’environ 30 en 2010.

Ce déclin graduel du prix des actions n’est pas très plausible. Aujourd’hui les actions rapportent en moyenne (en incluant les rachats de capitaux propres) 2% par an. En y ajoutant les 0.4% de déclin annuel du prix des actions, on obtient un rendement réel d’environ 1.6%. Aujourd’hui les obligations d’Etat indexées sur l’inflation rapportent environ 4%. Comme de telles obligations sont parmi les investissements les plus sûrs de la planète, il serait étonnant que beaucoup de gens leur préfèrent des actions présentant, par définition, plus de risques et rapportant 2.4% de moins (différence entre 4% de rapport pour les obligations et 1.6% pour les actions). Les investisseurs n’ont donc pas la même vision de l’évolution des bénéfices que le CBO, autrement ils auraient déjà vendu leurs actions pour acheter des obligations d’Etat.    

Dans le passé , la prime de risque des actions par rapport aux obligations d ‘Etat était en moyenne de 4%. Si les projections de bénéfices du CBO sont correctes, pour que les actions puissent procurer à nouveau ce genre de rendement (total) dans le futur, il faudrait que leur prix augmente beaucoup plus vite que les bénéfices. Ainsi les gains en capital pourraient compenser les faibles dividendes. C’est peu probable.

En effet, si le prix des actions croissait plus vite que les bénéfices, cela conduirait à un ratio Cours/Bénéfice (PER) encore supérieur à ce qu’il est actuellement, et ce jusqu’à un niveau ridicule. On peut faire un calcul simple : les emprunts d ‘Etat rapportent en ce moment environ 4% net d’inflation. Pour que les actions rapportent 4% de plus, il faudrait qu’elles rapportent 8% net d’inflation. Si les dividendes ne contribuent que pour 2%, les gains en capital (donc le prix des actions) doivent contribuer pour 6% par an, net d’inflation. L’hypothèse étant que les bénéfices baissent légèrement d’ici 2010, le prix des actions devrait quasiment doubler et le PER augmenter au-delà de 50.

Le tableau 1 montrent le cheminement du ratio Cours/Bénéfice (PER) dans les deux scénarios. Tous les deux font l’hypothèse que les actions rapportent 7% net par an, c'est-à-dire 3% de plus que les obligations indexées. Le premier scénario, à gauche du tableau, est basé sur les hypothèses du Bureau du Budget du Congrès (CBO).  

Tableau 1: Tendances du ratio Cours/Bénéfice (PER)

 

Avec les projections de bénéfice du CBO

Hypothèse de 3% /an de croissance des bénéfices

 

Ratio Cours/ Bénéfice

Rendement des actions*

Ratio Cours/ Bénéfice

Rendement des actions*

 

 

 

 

 

1999

27.6

2.2%

27.6

2.2%

2000

30.0

2.0%

28.3

2.1%

2001

32.2

1.9%

29.1

2.1%

2002

34.8

1.7%

29.8

2.0%

2003

37.1

1.6%

30.6

2.0%

2004

39.1

1.5%

31.5

1.9%

2005

41.1

1.5%

32.4

1.9%

2006

42.8

1.4%

33.3

1.8%

2007

44.6

1.3%

34.3

1.7%

2008

46.5

1.3%

35.3

1.7%

2009

48.6

1.2%

36.4

1.6%

2010

51.1

1.2%

37.5

1.6%

* Y compris le rachat de capitaux propres.

Source: CBO 2000, Fédéral Reserve Board, Revenu National et Comptes des Produits et calculs de l’auteur.

Le ratio Cours/Bénéfice (PER) de ce premier scénario semble, à tout le moins, hautement improbable. En 2010, le rendement fourni par les dividendes serait tombé à un niveau proche de 1%. Cela implique que pour que l’investissement en actions demeure compétitif avec celui en emprunt d’Etat, le PER devrait augmenter encore plus vite après 2010. Aucun économiste n’est prêt à accepter cette vision.

Il est possible que les bénéfices augmentent plus rapidement que ne le prévoit le CBO, mais ceci nous conduit hors du domaine du débat actuel à Washington sur la politique économique. On ne peut pas considérer les projections du CBO comme parole d’Evangile dans le débat sur l’utilisation de l’excédent budgétaire et les disqualifier lorsque l’on débat du marché boursier. Si elles servent de base de travail dans un cas, elles doivent servir aussi dans l’autre Toute autre approche est malhonnête et ne peut pas être prise au sérieux. Cela dit, même en ignorant les projections du CBO, il est pratiquement impossible de produire des prévisions économiques acceptables qui justifient le niveau actuel des cours de la Bourse.

La partie droite du Tableau 1 montre l’évolution du ratio Cours/Bénéfice (PER) et du rendement des actions dans l’hypothèse où l’économie et les profits croîtraient tous deux au rythme de 3% par an. Même dans ce cas, le PER augmenterait encore et se trouverait à un niveau improbable à la fin de la période de 10 ans considérée.

Le niveau record des cours boursiers atteint ces dernières années a fait chuter le rendement des dividendes aux alentours de 2,0%. Dans le passé, ce rendement s’est situé en moyenne entre 3,5 et 4,0%, soit 1,5 à 2,0% de plus que le niveau actuel. Ceci signifie que pour retrouver le niveau historique de rendement des actions, les cours devraient augmenter de 1,5 à 2,0% plus vite que dans le passé. Comme le taux de la croissance économique a été en moyenne proche de 3,5%, cela impliquerait une croissance annuelle de 5,0 à 5,5%. Peu d’économistes, ou peut-être même aucun, sont prêts à croire que ce rythme de croissance peut être soutenu sur une telle période.

En résumé, on peut dire qu’il n’y a pas de scénario économique vraisemblable dans lequel le marché boursier pourrait procurer un rendement proche de celui du passé en partant du rapport Cours/Bénéfice actuel. Il n’y a qu’une seule possibilité pour que le rendement des actions revienne à un niveau comparable à celui des autres placements financiers : les cours doivent plonger ! 

Si les cours chutaient de 50%, le rendement des dividendes doublerait pour atteindre environ 4,0%. Ce serait dans la moyenne historique. Si l’économie croissait à son rythme moyen des dernières années, 3,5% environ, alors, les cours pourraient augmenter de 3,5% par an, ce qui serait aussi comparable aux performances passées. Cependant, si l’économie croissait de beaucoup moins que 3,5% par an, comme le prévoit le CBO, il faudrait probablement que les cours baissent encore plus pour que le rendement des dividendes compense la croissance ralentie des cours.

Pour résumer, la conclusion selon laquelle les cours de la Bourse devraient baisser de près de 50% repose seulement sur deux hypothèses. La première est que les investisseurs continueront à demander une compensation pour les risques plus importants liés à la détention d’actions qu’à celle d’obligations d’Etat. La seconde est que le ratio Cours/Bénéfices ne peut pas augmenter indéfiniment. Avec ces deux hypothèses, et les hypothèses du CBO sur la croissance économique, il est possible de conclure que les cours de la Bourse doivent chuter de près de 50% . Ce n’est qu’à cette condition que les actions pourront fournir à nouveau des rendements comparables à ceux du passé. 

La surévaluation du dollar : planer n'est pas la réponse

La volonté des économistes et des analystes politiques d'ignorer la surévaluation du dollar est presque aussi frappante que leur manque d'attention à la bulle du marché financier. Ici aussi, le dollar élevé a souvent été traité comme s'il était une fin en soi, un symbole de la force de l'économie américaine comparée au reste du monde. Les déficits commerciaux et courants qui en résultent n'ont reçu que peu d'attention, ni d'ailleurs le fait évident que ces déficits ne sont pas viables sur le long ou même le moyen terme.

Comme pour le marché financier, l'arithmétique du dollar est simple. Les Etats-Unis ont géré des déficits commerciaux pour un certain temps. Cela veut dire que, en tant que nation, nous avons acheté plus de biens et services que nous n'en avons vendus. Plus importants encore, les Etats-Unis ont aussi eu des déficits de leur compte courant. Cette mesure, en plus du commerce, inclus des flux de revenus internationaux d'investissements passés, tous les deux issus d'étrangers investissant aux Etats-Unis, et de sociétés et de citoyens américains investissant à l'étranger. Quand le compte courant est déficitaire, cela signifie que les Etats-Unis empruntent effectivement de l'étranger.

Il n'y a pas de problèmes si les Etats-Unis ont un déficit modeste du compte courant. Par exemple, les Etats-Unis pourraient avoir un déficit du compte courant qui est égal à 1.5% du PIB (actuellement 140 milliards de dollars), pour toujours. Ceci mènerait à une lente accumulation de la dette au dessus de son niveau actuel, mais finalement la dette se stabiliserait comme part du PIB (approximativement 30%), du fait que la dette extérieure et l'économie croîtraient au même taux. Dans ce sens le déficit du compte courant peut être vu comme étant similaire au déficit budgétaire. Des déficits modestes peuvent être maintenus indéfiniment. Si la dette ne croît pas plus rapidement que l'économie alors le pays peut gérer des déficits soit budgétaire soit dans le compte courant, et ce indéfiniment.

Le problème survient quand les Etats-Unis ont un grand déficit du compte courant, comme ils le font en ce moment. Le déficit du compte courant de 1999 était de 338.9 milliards de dollars, ou 3.7% du PIB. Mais il a grandi rapidement au cours de l'année et a continué à grandir durant l'année en cours. Au quatrième trimestre de 1999 le déficit du compte courant était maintenu à un niveau annuel juste inférieur à 400 milliards de dollars. Les données du commerce pour le premier trimestre 2000 montrent que le déficit commercial était a un taux annuel de 335 milliards de dollars, ou 3.5% du PIB. Les données du compte courant pour le premier trimestre ne sont pas encore disponibles, mais en extrapolant les nombres du quatrième trimestre, le déficit commercial du premier trimestre implique que le déficit du compte courant à un niveau annuel de 440 milliards de dollars pour le trimestre, ou 4.5% du PIB.

Il est facile de voir que ce taux d'accumulation de dettes étrangères ne peut être soutenu longtemps (tout comme un déficit budgétaire de cette ampleur ne pourrait être soutenu). A la fin de 1999, la valeur totale des avoirs étrangers aux Etats-Unis était approximativement supérieure de 1900 milliards de dollars à la valeur des avoirs étrangers détenus par les citoyens et les entreprises  américains. En d'autres termes, l'endettement net des Etats-Unis était approximativement de 20% du PIB. Si les Etats-Unis continuaient à avoir un déficit commercial à son taux actuel (3.6% du PIB), le niveau d'endettement augmenterait à un rythme croissant. La dette s'accumule plus rapidement chaque année, parce que à mesure que la dette augmente, le montant des intérêts payés chaque année augmente également. Avec le déficit commercial restant à son niveau actuel par rapport au PIB, l'endettement net des Etats-Unis devrait augmenter à presque 70% du PIB à la fin de 2010, ou plus de 10.000 milliards de dollars. La dimension du déficit annuel du compte courant augmenterait à plus de 6% du PIB, ou près de 800 milliards de dollars par an. Il y a peu si ce n'est aucun économiste qui trouverait ce taux d'endettement étranger plausible.

Tableau 2 : Prévisions pour l'endettement étranger des USA

 

Dette étrangère nette

Déficit commercial

Déficit du compte courant

Déficit du compte courant comme part du PIB

Dette étrangère nette comme part du PIB

Milliards de dollars 2000

1999

$1'846.4

$267.5

$338.9

3.7%

19.9%

2000

2'307.9

348.9

461.5

4.8%

23.8%

2001

2'781.6

359.8

473.6

4.7%

27.8%

2002

3'285.0

370.0

503.5

4.9%

32.0%

2003

3'818.0

379.6

533.0

5.1%

36.2%

2004

4'381.9

389.3

563.9

5.2%

40.5%

2005

4'978.7

399.7

596.8

5.4%

44.8%

2006

5'610.0

410.4

631.3

5.5%

49.2%

2007

6'277.5

421.5

667.5

5.7%

53.6%

2008

6'982.9

432.9

705.4

5.9%

58.1%

2009

7'728.5

445.1

745.7

6.0%

62.5%

2010

8'516.6

457.9

788.0

6.2%

67.0%

Source: CBO 2000, revenu national et comptes des produits, et calculs de l'auteur.

Si les Etats-Unis veulent éviter cette évolution, leur déficit commercial doit diminuer par rapport à son niveau actuel. Mais il n'y a pas moyen que le déficit commercial diminue à un niveau plus soutenable sans un déclin significatif de la valeur du dollar. Un dollar plus bas rendrait les importations plus chères obligeant les habitants des Etats-Unis à acheter moins de biens et services des autres pays. Cela diminuerait aussi le prix des produits américains pour les étrangers, leur permettant d'acheter plus de nos exportations. Dans ce sens un déclin de la valeur du dollar peut ramener le déficit commercial des Etats-Unis près de l'équilibre et laisser le déficit du compte courant à un niveau raisonnable.

Il est important de reconnaître que le déclin du dollar est l'unique façon vraisemblable pour la nation de rendre le déficit courant plus acceptable. Il est souvent dit que le déficit commercial grandissant est attribuable à la croissance rapide de ces dernières années aux Etats-Unis, et que lorsque la croissance étrangère se relévera, le déficit commercial diminuera. Un simple calcul montre que des différences plausibles de taux de croissance auront relativement peu d'effet sur le déficit commercial. Supposons par exemple que nos partenaires commerciaux aient une croissance  en moyenne plus rapide de un pour cent que les 2.8% prévu par le CBO pour les Etats-Unis durant les cinq prochaines années. Ceci voudrait dire que les économies étrangères croîtraient de 20.5% pendant les cinq prochaines années alors que l'économie américaine s'accroîtrait de 14.8%. Si les importations dans toutes les nations s'accroissent deux fois plus que le PIB ( une augmentation de 1% du PIB entraîne un augmentation des importations de 2%), ceci signifierait que les exportations américaines augmenteraient de 41.0% durant les cinq prochaines années (20.5 multiplié par 2) alors que les importations américaines augmenteraient de 29.6% (14.8 multiplié par 2). Quoi qu'il en soit, les Etats-Unis importent beaucoup plus qu'ils n'exportent. Une augmentation de 29.6% dans les importations, ce serait une augmentation de près de 400 milliards de dollars d'aujourd'hui. En revanche une augmentation de 41% dans les exportations américaines équivaudrait à approximativement 425 milliards de dollars. L'effet net serait que le déficit commercial diminuerait d'environ 25 milliards de dollars comme conséquence de cette différence de taux de croissance. Ceci laisserait un déficit commercial qui s'élèverait à presque 300 milliards de dollars par an ou près de 3.0% du PIB.

Tableau 3 : Prévision pour l'endettement américain à l'étranger, en supposant une croissance étrangère rapide

 

Dette étrangère nette

Déficit commercial

Déficit du compte courant

Déficit du compte courant comme part du PIB

Dette étrangère nette comme part du PIB

Milliards de dollars 2000

1999

$1'8464

$267.5

$338.9

3.7%

19.9%

2000

2'307.9

348.9

461.5

4.8%

23.8%

2001

2'752.1

330.3

444.2

4.4%

27.5%

2002

3'211.8

326.2

459.7

4.5%

31.2%

2003

3'682.4

318.4

470.7

4.5%

34.9%

2004

4'162.3

308.2

479.9

4.4%

38.5%

2005

4'650.3

296.3

488.0

4.4%

41.9%

2006

5'133.3

281.8

493.9

4.3%

45.1%

2007

5'641.5

264.4

497.2

4.2%

48.2%

2008

6'139.0

243.6

497.5

4.1%

51.1%

2009

6'633.9

219.7

494.9

4.0%

53.7%

2010

7'122.0.

191.8

488.2

3.8%

560%

Source: CBO 2000, Revenu national et Comptes des Produits, et calculs de l'auteur.

Il est possible de travailler avec des nombres légèrement différents – la différence entre la croissance étrangère et la croissance américaine pourrait être légèrement plus élevée, ou le ratio de la croissance des importations à la croissance du PIB pourrait être supérieur à deux.- mais ce n'est pas possible de construire un scénario crédible dans lequel le déficit des Etats-Unis est rapidement ramené a un niveau durable à travers les différences de taux de croissance. Ceci laisse la chute de la valeur du dollar comme la seule alternative pour ramener les déficits commercial et courant à un niveau acceptable.

Il n'est actuellement pas possible de déterminer avec précision de combien la baisse de la valeur du dollar serait nécessaire pour ramener le déficit budgétaire près de l'équilibre, mais cela devrait avoisiner probablement les 20 ou 30%. Ceci était l'amplitude de la baisse que le dollar a subie à la fin des années quatre-vingts. Cette baisse du dollar est apparue comme poussant les Etats-Unis vers un déficit commercial acceptable par rapport aux niveaux record atteints au milieu des années quatre-vingts, et même avant le début de la récession en 1990. (il y a un retard considérable entre le changement de la valeur d'une monnaie et son effet complet sur le commerce, de sorte qu’il est difficile de déterminer l'effet complet de la baisse de la valeur du dollar de 1986 à 1989.)

Une des raisons pour lesquelles il est difficile de déterminer l’importance exacte de la baisse nécessaire du dollar est qu’il n'est pas vraiment évident de savoir quel déficit courant peut être soutenu dans l’avenir. quoiqu'il en soit, un point est clair: plus on prend de temps pour ajuster la valeur du dollar, plus l’ajustement devra être grand, dès lors que les Etats-Unis sont actuellement en train d'accumuler la dette à un rythme extraordinairement rapide.

Un exemple simple peut démontre ce raisonnement. Si un déficit courant de 1.5% du PIB est le maximum qui peut être soutenu sur le long terme et si les Etats-Unis s'ajustaient immédiatement à ce niveau de déficit, ils pourraient encore avoir un déficit commercial annuel d'environ 0.5% du PIB. De toutes façons, si le pays continue à accumuler la dette au rythme actuel, dans deux ans il aura besoin d'un commerce équilibré pour maintenir le déficit courant en dessous des 1.5% du PIB. En d'autres termes, le coût de l'intérêt annuel résultant des dettes additionnelles accumulées en deux ans seraient approximativement égal à 0.5% du PIB.

Les conséquences de la chute du marché financier

Les Etats-Unis n'ont pas suffisamment d'expérience avec les krachs boursiers ou la baisse d'une monnaie, pour être capable de déterminer avec certitude quels effets cela aura. Quoiqu'il en soit, il est possible de dire quelque chose à propos de ce qui pourrait arriver après le dégonflement de ces   bulles.

Les effets d'un krach bousier sur la demande ont de quoi être dramatiques. Si le marché diminuait de 50% cela détruirait approximativement 9.000 milliards de dollars de valeurs (plus de 30.000$ par personne). Une règle approximative généralement acceptée est que chaque dollar de richesse du marché financier accroît les dépenses annuelles de consommation de trois ou quatre cents. Cela signifie qu'une baisse de 50% de la Bourse devrait réduire les dépenses annuelles de consommation de 270 à 360 milliards de dollars ou approximativement 3.0% du PIB. Si cela se produisait en un laps de temps réduit, cela causerait assurément une récession profonde.

L’effet sur le secteur des ménages combine cette perte avec la dette extraordinaire accumulée pendant la dernière décennie. Le ratio de la dette non-hypothécaire sur le revenu disponible était de 20.8% à la fin du premier trimestre 2000. Cela est supérieur de plus de 2% par rapport au maximum précédent de 18.6% en 1990. Cette augmentation dans la dette des ménages est en fait sous évaluée par ces données car elles excluent les emprunts pour achat de voitures. Le leasing des voitures a augmenté d'un niveau très bas en 1990 au point ou près de une voiture sur trois est en leasing plutôt que vendue. Du moment que les obligations du leasing sont très proche de celles d'un prêt pour acheter une voiture, le fardeau de la dette effective est probablement d'au moins 2.0% supérieur à ce qui est indiqué par ces données. Ce niveau d'endettement devrait soulever des inquiétudes à propos d'un grand nombre de faillites personnelles en cas de krach boursier. Dans tous les cas cela ralentirait certainement le rythme de nouvelles dépenses à la suite du krach.

Sur le plan des affaires, une chute brutale du marché financier conduirait à une réduction substantielle des investissements. Bien que les sociétés soient acheteuses d’actions, beaucoup d’entreprises, particulièrement dans le secteur de la haute technologie, émettent des actions pour financer leurs investissements. Si les actions chutent, cette source de financement disparaîtra rapidement. Un autre effet, également important, sera du à l’impact du prix des actions sur les fonds de pension. Au cours de la période de hausse du marché, les grandes sociétés ayant des plans de retraites traditionnels avec des avantages définis ont fait peu ou pas de contributions à ces plans. Un krach du marché boursier renverserait cette tendance , les sociétés devraient faire des contributions substantielles aux pensions, ce qui diminuerait les bénéfices et le cash-flow. Ceci provoquerait de nouvelles réductions des investissements.

Un krach du marché causerait aussi une forte réduction des revenus de l’Etat. En 1997 le gouvernement fédéral a collecté environ 91 milliards de dollars en impôt sur les plus values en capital. La CBO prévoit qu’il collectera environ le même montant chaque année au cours de la prochaine décennie Si le marché s’effondre, la recette des impôts sur les plus-values tombera presque à zéro. Ceci laissera un manque à gagner de près de 900 milliards de dollars au cours de la décennie, s’ajoutant aux revenus perdus à cause de la récession. Si les prochains Congrès et Président restent engagés à équilibrer les recettes et les dépenses, cela réduira encore la demande.

En plus d’un effet majeur sur le coté demande de l’économie, un krach boursier aura également un effet sur le coté offre . La raison en est qu’une partie significative de la population active espère recevoir une part substantielle  de ses revenus sous forme de stock-options. Dans les cas extrêmes tels que les start-up Internet le salaire des travailleurs peut être une  part minoritaire du revenu attendu ; ils espèrent que la part majoritaire résultera de la vente des stock-options. Si ces options perdent brutalement leur valeur, cela réduira la motivation au travail de ces personnes. Cela est spécialement vrai pour ceux qui ont déjà encaissé des gains significatifs sur les actions. Cela pourrait réduire radicalement le nombre de gens disposés à travailler dans des domaines cruciaux tels que la conception de logiciels et la programmation.

Il n’y a pas de méthode simple pour chiffrer l’importance de cet effet, parce qu’il n’y a aps de données fiables sur le nombre de personnes payées en, partie en stock-options, ni sur la part de leurs revenus constituée par ces options. Cependant une étude récente du Federal Reseve Board ( Lebow et al. 1999) donne une idée sur la prévalence des stock-options. L’étude a montré qu’un tiers des sociétés interrogées incluent des stock-options dans la paye de certains de leurs employés. Les options sont assez rares dans les activités à bas salaire, mais 32,8% des cadres et professionnels reçoivent une partie de leur paye en stock-options. La valeur de ces options a énormément augmenté dans les dernières années Une extrapolation simple de l’étude donne une valeur d’exercice des options supérieure à 1,6% de la masse salariale en 1998, alors que les gains en capital réalisés sur les options dépassent 9,2% de cette masse. Les deux chiffres sont plus du triple de leur valeur en 1994. Ces données suggèrent qu’une perte de valeur générale des stock-options réduirait de façon significative les revenus d’un groupe important de travailleurs bien payés. Il est probable que les sociétés compenseraient en partie cette perte par des augmentations de salaire direct ou une autre forme de rétribution. Dans ce cas cela pourrait réduire substantiellement les bénéfices. Par exemple si elles paient un montant de salaires égal à la valeur d’exercice des options émises en 1998, selon la statistique du Federal Reserve Board, cela réduira les bénéfices après impôt de plus de 10%.

D’après l’évidence de la prévalence des stock-options dans certains secteurs de haute technologie, et d'après l'étude du FRB, il est vraisemblable que l’effet sur l’offre de la pete de valeur de la plupart des options sera très important Le processus d’adaptation demandera beaucoup de temps, car il soulève le problème du risque assumé par les travailleurs en acceptant d’être payés en partie en stock-options. Il est probable que beaucoup de travailleurs supportaient plus de risques qu’ils ne le pensaient. D’où un deuxième effet sur l’offre en cas de chute du marché boursier. D’après la presse économique, beaucoup de sociétés ont utilisé des procédures comptables discutables afin de satisfaire aux attentes de bénéfices ( voir : Profits en lévitation, une fiction ou un fait ? par Gretchen Morgenson, New York Times , 13 Mai 2000, section 3 page 1 ). Les procès intentés par des actionnaires pour des informations inexactes données par les dirigeants sont devenus fréquents , mais il y aurait une énorme augmentation de ceux-ci en cas d’effondrement général du marché. Vu les sommes énormes mises en jeu, on peut s’attendre à voir des ressources considérables consacrées à ces procès sur les procédures comptables. Ces procès freineront l’économie, directement à cause des dépenses qu’ils impliquent, et plus encore, en préoccupant les directions de certaines sociétés importantes tout au long de nombreuses années de procédures juridiques.

L’effet de la chute du dollar

L’effet de la chute du dollar sur l’économie est, aussi, susceptible d’être important, bien que moindre que celui qui sera observé à la suite d’un krach boursier. La théorie qui sous tend cet argument est simple : la chute du dollar va provoquer un regain d’inflation. L’arithmétique est ici immédiate : si le dollar chute de 20 ou 30%, le prix des biens importés par les USA va augmenter de 20%, toutes choses égales par ailleurs. Il est généralement supposé que l’effet des changements dans les prix des devises n’est pas complètement subi par les consommateurs, et qu’une certaine partie est supportée par des intermédiaires. Si la baisse du dollar trouvait pour moitié sa contrepartie dans une hausse des prix à l’importation, celle-ci serait de 10-15%, suivant la valeur exacte de la chute du dollar. Les importations pèsent actuellement un peu plus de 14% du PNB, et par conséquent l’inflation générale des prix augmenterait de 1.4 à 2.1% (ou, en d’autres mots, elle passerait en rythme annuel à une valeur de 4.4 à 5.1%). Cependant, il est improbable que la FED laisse les choses se passer ainsi.

Ce n’est pas un taux d’inflation désastreux, mais les réactions qu’auraient les marchés financiers et le Federal Reserve Board devant sa croissance sont peu claires. S’ils s’alarmaient de la croissance du taux d’inflation, ils pourraient envenimer considérablement les choses. L’effet de panique sur les marchés, et les actions délibérées du FRB pourraient conduire à une hausse des taux d’intérêt, ce qui déprimerait la demande et projetterait probablement l’économie dans un état de récession. L’attitude la plus responsable consisterait à accepter un résultat rendu inévitable par les précédentes poussées de croissance du dollar. Si la FED devait chercher à éliminer toute tendance inflationniste dans l’économie, il en résulterait presque certainement une récession. Il est bon de rappeler que la FED a augmenté ses taux d’intérêt directeurs en 1990, ce qui a conduit à une période de récession, pour faire face à une inflation dont le taux était simplement de 14

 points supérieur à ce qu’il était sur la période 1986-1990.

La réponse du FRB va déterminer de façon significative qui supportera la charge d’un dollar plus faible et d’importations plus coûteuses. Si le FRB augmente les taux d’intérêt, pesant sur la demande et augmentant le taux de chômage, les travailleurs subiront la plus grande partie de cet effet sous la forme de salaires réels plus faibles. Si à l’inverse, l’économie peut continuer à produire à la même vitesse, alors ce sont les entreprises qui en supporteront la plus grosse partie. 

L’interaction des deux explosions des bulles

Si les bulles des marchés boursiers et du dollar explosent approximativement au même moment, ce qui semble probable, il y aura à la fois des interactions positives et négatives. Sur le plan des interactions positives, l’effet le plus important sera le stimulus que la chute du dollar communiquera à la demande, et qui compensera les baisses de consommation et d’investissement provoquées par la chute des cours. Si le dollar baisse assez pour rapprocher la balance commerciale de son point d’équilibre, l’augmentation induite des exportations nettes serait d’environ 3.5% du PNB, soit une quantité équivalente à la diminution prévue de la consommation. Il est cependant important de remarquer que l’ajustement des tendances commerciales sera probablement lent, et donc que la hausse des exportations n’interviendra pas assez vite pour éviter une récession.

Sur le plan des interactions négatives, un écroulement simultané des cours des titres et des devises pourrait amplifier les effets produits individuellement par l’un et l’autre. Sur le marché des titres, une des raisons justifiant les investissements en dollars (pour les résidents comme pour les ressortissants étrangers) est que la bourse américaine est considérée comme un lieu favorable aux placements. Si cela devait cesser d’être le cas, les investisseurs seraient amenés à placer leur argent sur des titres libellés en devises étrangères. Ce qui peut accélérer la chute du dollar.

La chute du dollar peut à son tour conduire à accélérer la chute des cours, en conduisant à éroder les bénéfices Si les travailleurs parviennent à négocier des gains salariaux qui font plus que compenser les hausses des prix des importations, les marges bénéficiaires en seront réduites. Si ces marges diminuent en deçà de leur niveau actuel (qui est proche du maximum qu’il avait atteint dans l’après guerre), les cours des actions seront mécaniquement diminués encore plus. Dès lors, dans ce contexte de double explosion de bulle, les décisions de la FED prennent une importance considérable. Si la FED fait du combat contre l’inflation sa priorité, ce qui implique qu’elle cherche à soutenir le dollar, cela aurait des répercussions négatives sur le marché et l’économie en général. La FED serait obligée d’augmenter ses taux alors que l’économie subirait déjà le poids d’une chute de la demande. Cela pourrait permettre de maintenir le dollar à un haut niveau, mais anéantirait l’effet positif que l’économie serait en droit d’attendre d’une hausse de ses exportations. Qui plus est, la hausse des taux conduirait mécaniquement à baisser les cours plus encore, jusqu’à un niveau inférieur à leurs valeurs d’équilibre à long terme. Cette stratégie pourrait conduire dans une spirale négative de façon durable et importante, même si cela pourrait limiter les effets négatifs de l’inflation sur l’économie.

Limiter les dommages de la bulle

Il n’y a pas de solution évidente au problème posé par les bulles des marchés boursiers et du dollar. Les USA seraient chanceux de pouvoir éviter une récession au moment ou la bulle se dégonflera. Il est certes impossible de prévoir tous les effets qu’un écroulement des bulles pourrait avoir tant que l’on ne l’a pas expérimenté, mais certains arguments peuvent déjà être proposés à propos des politiques économiques susceptibles d’être menées.

Le premier point, le plus important, est que plus tôt l’ajustement interviendra, mieux cela sera. Plus longtemps les déséquilibres subsisteront, et plus coûteux ils seront. Par exemple, si la myopie des marchés persiste, le ratio prix/bénéfices, qui est déjà plus haut que jamais, pourrait encore augmenter à court terme. La correction nécessaire n’en deviendrait que plus grande, et les implications macroéconomiques plus négatives.

Il est important de reconnaître les coûts économiques associés à des cours des titres ainsi surévalués. On peut par exemple y voir une inadéquation importante dans la façon dont sont alloués les investissements. Les entreprises dont les titres sont surévalués peuvent bénéficier de capitaux dont d’autres entreprises, qui pourraient en faire un usage plus productif, se trouvent ainsi privées. De plus, dans la plupart des cas, les plus values réalisées sur les titres finissent par alimenter les consommations en biens somptuaires d’entrepreneurs qui ont réussi à jouer de la crédulité des investisseurs. Cette forme de fuite des capitaux hors des investissements productifs au profit du marché est aussi négative pour l’économie que ne l’est la fuite générée par les déficits budgétaires importants. Le fait que les économistes ont été largement silencieux sur le premier phénomène, et sont virtuellement obsédés par le second, doit être relié à des considérations politiques plus qu’à la logique économique.

Le gonflement des prix des titres fait peser aussi un poids important sur les individus qui cherchent à épargner. Avec un marché des titres surévalué au double de sa valeur, quiconque achète un titre aujourd’hui paye une forme de taxe de 50% à la bulle. En d’autres termes, 1 dollar placé aujourd’hui à la Bourse rapportera autant que ne le ferait 50 cents en temps normal. Cela représente une ponction énorme sur les travailleurs qui économisent pour les études de leurs enfants ou pour leur retraite. Ils placent leurs économies sur le marché des titres , mais peuvent s’attendre à voir la moitié de leurs placements disparaître dans un avenir proche. Plus vite le marché est ramené à la réalité de l’économie, et plus vite cette taxe à la bulle sera éliminée.

Il est remarquable que, dans les débats politiques publics sur des sujets comme la sécurité sociale, beaucoup d’économistes et d’analystes de politique économique partent du principe que toute hausse des impôts représenterait une charge insupportable. Apparemment, ils considèrent qu’il est plus juste que des travailleurs perdent de grandes quantités d’argent sur les marchés financiers, que n’importe laquelle de ces sommes soit affectée aux impôts prélevés par le gouvernement. Bien sûr, il pourrait y avoir une logique à cette prise de position, mais elle ne peut en tout cas se justifier par aucune des perspectives économiques concernées par le niveau de vie des travailleurs.

En ce qui concerne la bulle financière, la raison principale justifiant l’encouragement de la déflation est de limiter les effets négatifs du gonflement de la bulle. Plus le dollar monte, et plus longtemps il reste fort, et plus la dette contractée à l’égard des pays étrangers s’accumule. Comme le dette devient forte, la charge qui lui est affectée augmente, et le déficit commercial, qui pourrait être cohérent avec un déficit de la balance des paiements stable et soutenable, devient trop lourd. En bref, plus le processus d’ajustement prend du temps, plus il devra être important. De plus, la croissance du déficit commercial correspond à une perte en termes d’emplois et d’entreprises demeurées dans le pays. Quand les entreprises américaines suppriment des emplois ou même ferment, non pas parce qu’elles ne sont pas compétitives, mais simplement parce que le taux de change des devises est mal ajusté, on peut dire que cela n’est justifié ni pour les travailleurs, ni pour l’économie américaine. C’est immédiat pour les travailleurs. Pour l’économie, les coûts sont aussi réels : parce que les travailleurs licenciés peuvent ne pas retrouver d’emplois aussi intéressants, ou parce qu’il est coûteux de rouvrir les entreprises fermées du fait du taux de change défavorable. Plus les Etats Unis continuent à tolérer des déficits aussi insoutenables, et plus il sera coûteux de revenir à des bases saines.

Donc, dans le cas de chaque bulle, il serait souhaitable d’avoir un processus d’ajustement rapide. Cela permettrait à l’économie de se rétablir des effets perturbateurs de ces bulles restées incontrôlées depuis des années.  

Quelques autres considérations de politique économique méritent d’être évoquées ici. D’abord, l’économie est virtuellement assurée de devoir faire face à une récession à la suite de l’écroulement des marchés boursiers, à mesure que la consommation et les investissements vont eux mêmes s’écrouler. L’économie se contractant, et les revenues du capital diminuant considérablement, le budget va devenir déficitaire. Il sera crucial que le Congrès et le Président laissent ce déficit se créer, et ne cherchent ni à couper dans les dépenses ni à augmenter les impôts pour parvenir à équilibrer le budget ou à diminuer la dette. L’économie va avoir un besoin impérieux des effets stimulants de ce déficit, et tout effort pour le contrecarrer ne représentera qu’une contrante de plus sur la croissance, et un facteur aggravant pour le taux de chômage.

Comme nous le disions plus tôt, la chute du dollar va créer des tensions inflationnistes dans l’économie, et probablement augmenter le taux de l’inflation de 1.4 à 2.1 points par an. Une augmentation de cette importance va faire naître des inquiétudes sur les marchés financiers. Mais essayer d’amoindrir ces tensions inflationnistes par la politique monétaire serait inapproprié. Cela reviendrait à accepter une augmentation du taux de chômage et donc une diminution du pouvoir de négociation des travailleurs afin de les forcer à accepter des réductions des salaires réels. Or il n’y a ni morale ni explication économique qui justifie cela. Le FRB devrait essayer de poursuivre une politique monétaire permettant le partage équitable des conséquences des hausses des prix à l’importation pour les travailleurs et leurs employeurs. Ce qui signifie certes quelques réductions dans les salaires réels, mais aussi des réduction dans les marges bénéficiaires dégagées par les entreprises. Il n’est pas assigné au FRB la tâche de maintenir indéfiniment les profits à leur niveau record de l’après guerre.

En prescrivant des politiques économiques aux autres nations, le gouvernement des USA, ainsi que le FMI et la Banque Mondiale, défendent souvent des politiques qui sont supposées nécessiter des efforts à court terme, afin d’obtenir des bénéfices à long terme. Dans la plupart des cas, l’effort de court terme a été évident, le gain à long terme beaucoup moins. Dans le cas de la double bulle il y a beaucoup de raisons économiques de penser que les gains à long terme et les efforts à court terme vont de pair avec la fin de ce modèle de croissance insoutenable Il sera intéressant de voir si les USA accepteront de se soumettre aux remèdes qu’ils recommandent si souvent aux autres avec beaucoup d’enthousiasme. 

Références

Baker, D. 1997. "Saving Social Security With Stocks: The Promises Don't Add Up." New York, NY: Century Foundation.

Baker, D. 1999a. "Letter to Martin Feldstein of May 15, 1999." (www.cepr.net/Social_Security/letter_to_feldstein2.htm)

Congressional Budget Office. 2000. Economic and Budget Outlook: Fiscal Years 2001-2010. Washington, D.C.: Government Printing Office.

Diamond, P. 1999. "What Stock Market Returns to Expect for the Future?" Boston College Retirement Research Center, Boston, MA: (http://www.bc.edu/bc_org/avp/csom/executive/crr/ib2.htm).

Hooper, P. and C. Mann, 1989. The Emergence and Persistence of the United States External Imbalance, 1980-87 Princeton Studies in International Finance, No. 65. Princeton, N.J.: Princeton University Press.

Lebow, D., L. Sheiner, L. Slifman, and M. Starr-McCluer. 1999. "Recent Trends in Compensation Practices." Federal Reserve Board Discussion Paper, Washington, D.C.: Board of Governors of the Federal Reserve Board.

Menon, J. 1996. Exchange Rates and Prices: The Case of Australian Manufactured Imports. Berlin: Springer-Verlag.

Shiller, R. 2000. Irrational Exuberance. Princeton, N.J.: Princeton University Press.

Annexe

Tableau 1 :

Le ratio de base cours/bénéfice est obtenu en ajustant la valeur des capitaux investis apparaissant à la ligne 10 du Tableau L4 des comptes de flux monétaires de Mars 2000.( 18.876 milliards de $ ) pour tenir compte de la baisse du marché entre fin 1999 et la date de rédaction de cet article ( 29 Mai 2000 ). En utilisant l’indice Wilshire 5000 comme représentatif de l’évolution du marché total, la baisse sur cette période est de 7,3%. Le terme bénéfices a été obtenu en prenant les bénéfices des sociétés tenant compte de l’évaluation des stocks et l’ajustement de la consommation de capital       ( Tableau NIPA 1.14 ligne 20 ) et en soustrayant les dettes d’impôt sur les sociétés ( ligne 23 ). Le montant des bénéfices avant impôt pour 1999 était de 892,7 milliards de $, les impôts de 259,4 milliards de $, d’où les bénéfices après impôt de  633,3 milliards de $.

Tableau 2 :

La dette étrangère nette colonne 1 est la somme des investissements nets à la valeur du marché à fin 1998 ( Tableau B-105 du Rapport Economique du Président ) ( -1,537 milliards de $ ) plus l’estimation par le Ministère du Commerce du déficit courant pour 1999 ( -338,9 milliards de $ ) . Le déficit commercial colonne 2 suppose que le déficit reste constant à 3,6% du PIB, comme au premier trimestre 2000. Il utilise la projection de croissance du PIB du CBO.

Le déficit du compte courant colonne 3  est la somme du déficit commercial et des transferts nets    ( dépenses militaires et aide étrangère ) de 0,4% du PIB, plus les paiements négatifs nets d’intérêts qui sont estimés à 0,4% de la dette étrangère accumulée à la fin de l’année précédente. Les colonnes 4 et 5 donnent le compte courant et la dette étrangère nette en pourcentage du PIB estimé dans CBO 2000.

Tableau 3

Ce tableau est construit comme le Tableau 2 , mais en supposant que les importations croissent deux fois plus vite que le PIB alors que les exportations croissent à un rythme supérieur de 0,2% à celui des importations.

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11/04/01