Opinion relative à la Question Parlementaire (février 2001) de M. Jonas Sjöstedt, Membre du Parlement Européen, et à la Réponse donnée L'article 56 du Traité CE est libellé comme suit : Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux paiements entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites. La Commission peut-elle dire si l'imposition des transactions financières, ce qu'on appelle la taxe Tobin, est compatible avec l'article 56 du Traité CE ?" La réponse de la Commission est libellée comme suit : That a tax of general application as originally conceived by Prof. Tobin ('Tobin tax'), if introduced by a Member State, is likely to be contrary to Article 56, together with Articles 12, 39, 43, 49 and the corresponding articles of the EEA Agreement; That such a tax, if introduced at Community level, is also unlikely to be possible under Article 57(2) of the EC Treaty, since that Article provides for restrictive measures only in a limited number of areas. Structure de l'Opinion : 1) Conclusions récapitulatives 2) Commentaire à propos de la réponse de la Commission 3) Opinion sur l'admissibilité d'une taxe Tobin au niveau du droit européen
1) La présente opinion[1] arrive aux conclusions suivantes. I- Est-il exact que la Commission européenne considère purement et simplement que la taxe Tobin est contraire au Traité CE ? La Commission hésite et ne se considère pas toute désignée pour apporter une clarification. II- L'admissibilité d'une taxe Tobin doit être jugée, sur le plan du droit européen, sur la base de deux types de règles : 1. les règles fiscales Les règles fondamentales du Traité, qui régissent le marché intérieur et la libre circulation des capitaux. Les règles fiscales européennes : l'UE ou un Etat membre, voire plusieurs, sont-ils habilités à introduire une taxe Tobin ? - Les articles du Traité relatifs à la fiscalité européenne a. ne s’opposent pas à une taxe Tobin b. comportent la possibilité d’imposer l’introduction d’une taxe harmonisée (au niveau national) ou d’harmoniser sur le plan européen les taxes Tobin (déjà introduites au niveau national). - La législation fiscale européenne dérivée contient des dispositions qui doivent être respectées par une taxe Tobin nationale (et, le cas échéant, elles peuvent être adaptées à condition qu’il y ait unanimité). - Lors de l'introduction de la taxe Tobin, les Etats membres doivent observer le droit (non fiscal) européen. - Les articles fondamentaux du Traité Européen, qui ne sont pas de nature fiscale : la taxe Tobin est-elle compatible avec les principes de l’UEM, la libre circulation dans le marché intérieur sans frontières, et surtout le principe d’égalité de traitement, la libre circulation des capitaux et des paiements, ainsi que la libre circulation des marchandises, des services et des personnes ? - Les objectifs de l’UE et de la taxe Tobin coïncident : politique de développement (art. 3 et 177 CE) et stabilité monétaire (art. 4 CE). Par conséquent, une incompatibilité de la taxe Tobin avec le Traité CE et l’UEM est exclue. Un test crucial pour la taxe Tobin est celui du principe européen d’égalité de traitement, qui trouve, entre autres, sa concrétisation dans l’interdiction, quasi absolue, d’instaurer une discrimination sur la base de la nationalité (article 12 du Traité CE) et, au-delà, dans les quatre principes fondamentaux de libre circulation, dans le cadre du marché intérieur. Puisque la taxe Tobin s'applique sur la base d'une différentiation légitime, il n’est en principe pas établi qu’une taxe Tobin irait à l’encontre du principe d’égalité de l’UE. La compatibilité avec la libre circulation des capitaux En vertu de la libre circulation des capitaux et des paiements qui s’y rapportent, les Etats membres peuvent introduire une taxe Tobin à bas tarif qui ne crée pas d'obstacle effectif aux mouvements de capitaux, qui est justifiée à la lumière de ses objectifs légitimes coïncidant avec ceux du Traité CE, et qui n’entrave pas, de manière déraisonnable ou disproportionnée, les mouvements de capitaux ("Rule of Reason"). Cependant, la taxe Tobin à tarif élevé, qui n’a pas une finalité budgétaire comme objectif principal, mais qui vise à lutter contre les fluctuations monétaires nocives, sert, au fond, une politique monétaire, ce qui, dans le cadre de l’UEM, exige aussi une action au niveau européen (donc une coopération entre l’UE et les autorités nationales, mais également sur le plan international, ce que le Traité CE prévoit également de manière technique). Par conséquent, cette variante n’est pas non plus absolument contraire au Traité CE, mais elle peut s’inscrire comme un instrument de stratégie monétaire dans la politique de l’UE. La compatibilité avec la libre circulation des marchandises, des personnes et des services En vertu de la justification e.a. sous la "Rule of Reason", la libre circulation des marchandises, des personnes et des services ne s’oppose pas non plus à une taxe Tobin qui, à la lumière de ses objectifs, n’entrave pas les mouvements de paiements de manière déraisonnable ou disproportionnée. 2. Commentaire à propos de la réponse de la Commission : est-il exact que la Commission européenne considère purement et simplement que la taxe Tobin est contraire au Traité CE ? Une lecture attentive de la réponse de la Commission européenne n'aboutit pas à cette conclusion. Au contraire ! Dans la première partie de la réponse, la Commission estime que la taxe Tobin originelle serait "likely" "to be contrary to Article 56 together with Articles 12, 39, 43, 49[2] and the corresponding articles of the EEA Agreement" On remarque - que par l'ajout de "likely" (vraisemblablement), la Commission montre que, pour le moins, elle hésite, sans toutefois vraiment laisser le bénéfice du doute à la taxe Tobin. - que la Commission renvoie à trois des quatre libertés de circulation dans l'UE et pas à la libre circulation des marchandises (articles 23 et suivants du Traité CE). Dans cet ordre d'idées, il n'est pas davantage clairement établi si la Commission pense que la probable incompatibilité avec la liberté de circulation des personnes et des services n’est envisagée qu’en rapport avec la libre circulation (des capitaux et) des paiements. - que la Commission européenne ne parle explicitement que de la "tax of a general application as originally conceived by prof. Tobin". La Commission européenne ne se prononce donc pas sur une version plus raffinée (par exemple, la variante Spahn à double tarif; la "international financial transaction "payment" tax" etc.). - que la Commission ne s'exprime que sur une taxe "if introduced by a Member State". Ainsi la Commission ne prend pas position au sujet d’une introduction par plusieurs ou tous les Etats membres (de la zone EURO et les autres, par exemple), qu'il s'agisse d'une initiative européenne (voir cependant ci-après sous 2.) ou non, et qu'elle soit limitée ou non quant à son application par rapport aux monnaies étrangères de l'UE. Dans la seconde partie de sa réponse, la Commission affirme, certes, qu'elle estime que cette taxe Tobin originelle, "if introduced at community level, is also unlikely to be possible under art. 57(2)[3] of the EC Treaty." Cette réflexion de la Commission se base vraisemblablement sur les attendus de l'arrêt de la Cour européenne de Justice C-163, 164 et 250/94 en date du 14 décembre 1995, au sujet de, entre autres, Sanz de Lera, dans lequel l'exportation de moyens de paiement ne pouvait être considérée comme une des opérations en capital énumérées à l'article 57, 2 du Traité CE. Avec cette remarque, la Commission n'apporte aucune précision. La Commission ne s'exprime donc pas sur une taxe Tobin harmonisée et à introduire dans tous les Etats membres par une Directive européenne ou un Règlement européen, en vertu de l'article 93 (règle d'harmonisation pour les impôts indirects) éventuellement juncto article 59 (mesures de sauvegarde, pour 6 mois au maximum, en matière de mouvements de capitaux en provenance ou à destination de pays tiers (n'appartenant pas à l'UE) qui, dans des circonstances exceptionnelles, menacent éventuellement de causer de graves difficultés pour l'union monétaire). Conclusion La Commission hésite et ne se considère pas tout désignée pour apporter une clarification.
Dans les considérations reprises ci-après, qui contiennent quelques parenthèses explicatives à l'usage des lecteurs ne connaissant pas le droit fiscal européen, on peut trouver des lignes directrices pour reprendre le débat, au niveau européen, sur la taxe Tobin. Opinion sur l'admissibilité d'une taxe Tobin au niveau du droit européen : L'admissibilité d'une taxe Tobin doit être jugée, sur le plan du droit européen, sur la base de deux types de règles : 1. les règles fiscales 2. les règles fondamentales du Traité, qui régissent le marché intérieur et la libre circulation des capitaux. L’admissibilité sur la base des règles fiscales européennes : l'UE ou un Etat membre, voire plusieurs, sont-ils habilités à introduire une taxe Tobin ? A. La compétence fiscale européenne 1. Au niveau européen, il n'existe dans le Traité qu'une seule règle fiscale explicite sur la base de laquelle la taxe Tobin (qui constitue un impôt indirect) peut être jugée.[4] l'Article 93 du Traité CE prévoit : "Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social, arrête les dispositions touchant à l'harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, aux droits d'accises et autres impôts indirects dans la mesure où cette harmonisation est nécessaire pour assurer l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur dans le délai prévu à l'article 14." En outre, cet article doit être lu en rapport avec le principe dit de subsidiarité, énoncé à l'article 5 du Traité CE : "Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n'intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les Etats membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire." 2. L'UE ne peut donc pas (sans modification du Traité) introduire elle-même de taxe Tobin (c'est-à-dire une taxe européenne) au niveau européen. 3. L'UE peut effectivement, par une mesure d'harmonisation, imposer aux Etats membres d'introduire une taxe Tobin nationale (harmonisée alors au niveau de l'UE). L'UE peut aussi harmoniser une taxe Tobin introduite de manière autonome par des (quelques) Etats membres. 4. D'ailleurs, l'UE a déjà harmonisé certains impôts indirects; les Etats membres doivent respecter ces règles lors de la conception d'une nouvelle taxe Tobin. Ainsi les impôts frappant les rassemblements de capitaux ont été partiellement harmonisés. Dans la Directive en question, les articles 10, 11 et 12, par exemple, sont pertinents.[5] La TVA a également été harmonisée en grande partie. Dans la sixième Directive TVA, l'article 33, par exemple, est pertinent.[6] 5. En outre, sur le plan européen, des propositions ont encore été faites au niveau de la Commission dans ce domaine, comme, par exemple, en ce qui concerne l'harmonisation des impôts indirects frappant les transactions sur les titres, et qui, malgré l'avis favorable du Parlement et du Comité Ecosoc, n'ont pas été adoptées par le législateur européen (le Conseil). 6. Si une taxe Tobin allait (partiellement) à l'encontre d'une directive d'harmonisation, un Etat membre ne pourrait introduire la taxe qu'après modification de cette directive par le législateur européen (à l'unanimité des voix du Conseil). B. Les compétences fiscales des Etats membres Les Etats membres ont, en général, et donc également dans le cas d'une taxe Tobin, conservé la souveraineté en matière d'imposition. Par conséquent, chaque Etat membre peut "en principe" introduire lui-même une taxe Tobin. "En principe" implique - et cela est très lourd de conséquences – qu’un Etat membre doit naturellement respecter les principes fondamentaux du Traité européen (voir ci-après la partie II), en raison de la primauté du droit européen et du principe de loyauté (article 10 du Traité CE). Les mêmes considérations prévalent pour le droit européen dérivé (par exemple, les règles d’harmonisation). Si une taxe Tobin n’est pas compatible avec les directives existantes (par exemple au sujet des impôts frappant les rassemblements de capitaux ou de la TVA), un Etat membre ne peut pas, purement et simplement, introduire une taxe Tobin directement, mais l’intervention du législateur européen est requise (éventuellement à l'unanimité des voix du Conseil). C. Conclusion - Les articles du Traité relatifs à la fiscalité européenne 1. ne s’opposent pas à une taxe Tobin 2. comportent la possibilité d’imposer l’introduction d’une taxe harmonisée (au niveau national) ou d’harmoniser sur le plan européen les taxes Tobin (déjà introduites au niveau national). - La législation fiscale européenne dérivée contient des dispositions qui doivent être respectées par une taxe Tobin nationale (et, le cas échéant, elles peuvent être adaptées à condition qu’il y ait unanimité). - Lors de l'introduction de la taxe Tobin, les Etats membres doivent observer le droit (non fiscal) européen. 3. L’admissibilité de la taxe Tobin jugée sur la base des articles fondamentaux du Traité européen qui ne sont pas de nature fiscale. La taxe Tobin est-elle incompatible avec les principes de l’UEM et la libre circulation dans le marché intérieur sans frontières (et dans ce cadre surtout le principe d’égalité de traitement, la libre circulation des capitaux et des paiements, ainsi que la libre circulation des marchandises, des services et des personnes) ? Les objectifs de l’UE et de la taxe Tobin coïncident : politique de développement et stabilité monétaire. En général, la taxe Tobin contribue, par le double but qu'elle poursuit essentiellement, à la réalisation de deux objectifs fondamentaux de l'UE. Les buts principaux de la taxe Tobin, à savoir le financement d'une croissance (durable) des pays en développement et l'amélioration de la stabilité monétaire (lutte contre les spéculations monétaires nocives) cadrent parfaitement avec ceux du Traité CE, qui cherchent à mettre en œuvre une politique de coopération et d'aide au développement ainsi qu'une Union Economique et Monétaire (UEM) (articles 2 et 3 du Traité CE). 1. la coopération au développement vise l'amélioration de la croissance durable des pays en développement, et tout particulièrement des plus défavorisés d'entre eux, l'intégration des pays en développement dans l'économie mondiale, et la lutte contre la pauvreté qui règne dans ces pays (article 177 du Traité CE).[7] 2. l'objectif monétaire (UEM) vise principalement le maintien de la stabilité des prix (article 4,2) (au moyen de l'instauration d'une monnaie unique ainsi que d'une politique monétaire et de change unique), des finances publiques et des conditions monétaires saines (article 4, 3 du Traité CE).[8] En outre, il est à noter que l'article 59 du Traité CE[9] confère au Conseil la compétence d'intervenir dans les mouvements de capitaux en provenance ou à destination de pays tiers, lorsque le bon fonctionnement de l'Union Economique et Européenne l'exige, et ce en prenant des mesures de sauvegarde pour une période de six mois au plus. Les Etats membres de l'UE ne participant pas à la zone Euro peuvent aussi, suivant la procédure des articles 119, 120 et 122, 6 du Traité CE, prendre des mesures de sauvegarde en accord avec l'UE, lors d'une crise soudaine dans la balance des paiements. On ne voit pas directement pourquoi, sur le plan juridico-technique, le tarif élevé de la variante Spahn n’entrerait pas en ligne de compte à cet effet (à condition, éventuellement, de recueillir l'unanimité, étant donné qu'il s'agit également d'une décision fiscale). D'après l'économie du Traité et les articles de ce dernier qui ont été cités, on peut déduire que les règles de l'Union Economique et Monétaire ainsi que les compétences du Conseil par rapport aux monnaies de pays tiers, priment sur la libre circulation des capitaux. Il est donc exclu de parler d'une incompatibilité de principe de la taxe Tobin avec le Traité CE et l'UEM (du reste, il n'en est pas question non plus dans la réponse de la Commission européenne). Un test crucial pour la taxe Tobin est celui du principe européen d’égalité de traitement, qui trouve, entre autres, sa concrétisation dans l’interdiction, quasi absolue, d’instaurer une discrimination sur la base de la nationalité (article 12 du Traité CE) et, au-delà, dans les quatre principes fondamentaux de libre circulation, dans le cadre du marché intérieur. Une première question[10] est de savoir si la taxe Tobin sur les transactions en devises porte atteinte au principe général d'égalité, en d'autres termes, si elle comporte une discrimination interdite ou si elle constitue une différentiation légitime. Le principe d'égalité signifie que des situations fiscales semblables doivent être traitées de manière identique (ce qui vaut pour l'un vaut pour l'autre), et que des situations non semblables exigent un traitement différent. Pour effectuer le test, on analyse (1) la comparabilité des situations analysées. Puis on examine si le traitement (la différence de traitement) trouve (2) une justification acceptable (test de légitimité) et (3) est raisonnablement proportionnel au but recherché (test de proportionnalité), pour autant que celui-ci soit légitime. Si la taxe Tobin sur les échanges en devises satisfait à ce test, il ne s'agit alors nullement d'une discrimination interdite, mais d'une différentiation légitime. Dans la pratique, se pose la question de savoir si la taxation de transactions en devises, sans taxer les transactions en monnaies intérieures, représente une discrimination interdite. Les transactions financières en monnaies étrangères sont-elles comparables à celles en monnaies intérieures ?[11] Il est clair qu'il existe une différence économique essentielle entre les deux types de transactions, et que seule cette différence est prise en considération pour la taxe Tobin. Deux sortes de transactions financières ("domestic vs. foreign exchange financial transactions or payments") s'effectuent sur des marchés totalement différents et distincts. Pour les acteurs du marché, l'échange de monnaies étrangères a une évidente fonction économique sous-jacente et particulière, avec des conséquences et des risques économiques propres, qui permettent d'établir que ces transactions présentent des caractéristiques complètement différentes de celles des "domestic financial transactions" (ce qui apparaît si l’on fait une analyse économique approfondie, mais dont des éléments sont certainement pertinents dans le contexte de la discussion fiscale, tels que les fluctuations essentielles de valeurs et la dimension de risque inhérente, la possibilité de spéculer et le besoin correspondant de couvrir les risques etc., qui n'existent pas pour les transactions financières dans une seule monnaie). Contrairement aux "domestic financial transactions", dans les "foreign exchange financial transactions" il y a toujours deux monnaies impliquées. Il y est toujours question de conversion, d’échange en d’autres monnaies. Ce sont justement ces caractéristiques que la taxe Tobin retient : un impôt sur les transactions de change internationales en monnaies dont les valeurs fluctuent entre elles, et qui, par conséquent, sont également soumises elles-mêmes à un véritable commerce objectivement distinct, qui comporte des risques et est sujet à l'offre et à la demande, influençant, à leur tour, la fluctuation de valeur et donc la stabilité de la monnaie. Ce n'est pas le cas pour des transactions financières dans une seule monnaie (intérieure). C'est l'échange de deux monnaies qui fait que la transaction relève des mouvements financiers et du marché des capitaux internationaux, et, en fonction de cet échange, la taxe Tobin 'de transfert' est prélevée. Par ailleurs, on remarque à l'égard de la différence entre l'Euro et les autres monnaies de l'UE, que, dans le Traité CE, il a été décidé de laisser aux Etats membres la possibilité de maintenir la diversité objective de leur monnaie, ce qui implique que le fait de partir de cette différence réelle pour prélever une taxe n'est pas, en soi, contraire aux règles fondamentales du droit européen. Lors de l'évaluation des objectifs de la taxe Tobin, on peut, comme déjà évoqué précédemment, établir qu'ils sont purement et simplement légitimes, au regard de ceux du Traité CE : amélioration de la stabilité monétaire et financement de la coopération au développement internationale. A la lumière de ce but, il apparaît tout à fait justifié de considérer spécialement les transactions internationales en devises comme des bases matérielles pertinentes et des éléments imposables, plutôt que les opérations sur le marché financier intérieur. Ce sont ces opérations qui sont étroitement liées aux avantages et aux risques de l'économie globale. Il est donc évident de lier la contribution destinée au développement durable des pays particulièrement pauvres, dont les économies sont encore plus vulnérables en raison de la globalisation de l'économie mondiale, à la base des transactions financières internationales et leur capacité contributive. Il existe un précédent comparable à une telle différence de traitement. Il s'agit de la reconnaissance par la Cour de Justice Européenne de la distinction justifiée entre résidents et non-résidents pour l'impôt sur le revenu, en tenant compte du principe de la capacité contributive, ainsi que des principes de la source et de la résidence en droit fiscal international. D'ailleurs, l'article 58, 1, a du Traité CE, qui concerne les mouvements de capitaux (en principe, uniquement vis-à-vis de pays tiers), permet d'établir une distinction dans la législation fiscale, en fonction du lieu où les capitaux sont investis. La question de la proportionnalité entre le moyen (la taxe Tobin) et l'objectif, c'est-à-dire le fait de savoir si la taxe Tobin n'est pas disproportionnée ("overkill"), trouve réponse sur la base du critère de nécessité : le prélèvement est-il nécessaire ou existe-t-il un prélèvement moins 'restrictif' qui garantit la réalisation de l'objectif ? Vu le tarif très bas dans la variante Spahn (et, par conséquent, l'impact minime sur les mouvements) et les revenus fiscaux importants en raison de la grande échelle à laquelle le prélèvement est appliqué, la taxe Tobin apparaît comme très efficace, et on n'imagine guère une autre solution qui soit moins défavorable pour les agents économiques. La variante qui propose un tarif élevé ("overkill" recherché), relève de la politique monétaire et s'inscrit dès lors dans un tout autre cadre, où le principe d'égalité, vu la situation d'exception que constituent les fluctuations monétaires excessivement nocives et qui est donc suffisamment différentiée, n’est plus, par hypothèse à l'ordre du jour. Dans l'article 12 du Traité CE, la nationalité est considérée comme un critère de discrimination absolument et interdit per se. La Commission s'y réfère également dans sa réponse. Il faut signaler qu'il existe des propositions de taxe Tobin qui sont tout à fait neutres à l'égard du critère de nationalité ou de critères qui y sont de facto assimilables, comme, par exemple, le domicile ou le lieu d'établissement des agents économiques, l'origine ou la destination des marchandises, des services ou des capitaux, de même que la nationalité de la monnaie : seule la conversion d'une monnaie en une autre est soumise au prélèvement. En plus, l'art. 58,1,a du Traité CE, comme déjà indiqué, permet une distinction fiscale en fonction des lieux où le capital est investi. Conclusion Il résulte de ce qui précède qu'il n'est en principe pas établi qu'une taxe Tobin irait à l'encontre du principe d'égalité de l'UE, puisque la taxe s’applique sur la base d’une différentiation légitime. L'admissibilité d'une taxe Tobin jugée sur la base des principes du marché intérieur Un des objectifs les plus fondamentaux du Traité CE réside dans la création d'un marché intérieur qui se caractérise comme un espace sans frontières intérieures, dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée (article 14 du Traité CE). (1) La libre circulation des capitaux dans l'UE s'oppose-t-elle à la taxe Tobin ? 1.1 Dans l'état actuel du droit communautaire, la libre circulation des paiements est traitée, dans le cadre de l'article 58 du Traité CE, de manière uniforme, comme les mouvements de capitaux (communément: les mouvements financiers)[12] dont toutes les restrictions sont défendues. Toutefois des restrictions appropriées et justifiées sont encore possible pour les mouvements de capitaux (article 58, 1, b (lutte contre les infractions fiscales et prudentielles, déclarations d'ordre public, auquel appartient le système monétaire), des limitations des mouvements de capitaux à l'égard de pays tiers dans quatre domaines (article 57, 2), et des mesures communautaires monétaires exceptionnelles en matière du mouvement de capital (article 59)). 1.2 Tout prélèvement d'impôt sur une opération en devises peut être considéré, en principe, comme une restriction aux mouvements de capitaux, mais n'est toutefois pas inévitablement interdit. Ce n'est que lorsqu'une taxe entraîne véritablement un effet dissuasif et crée une entrave réelle à la libre circulation, qu'elle risque d'être condamnée. La taxe Tobin avec un faible taux d'imposition (la variante Spahn), qu'elle soit envisagée sous l'angle de ses buts ou celui de ses effets, serait, selon ses partisans, conforme au marché, c'est-à-dire qu'elle ne découragerait pas réellement ou potentiellement les agents économiques : il ne serait pas question d'une entrave. 1.3 En outre, le principe de la libre circulation des capitaux n'est pas absolu : il sert une finalité (le marché intérieur libre)[13] qui doit être évaluée par rapport à l'objectif poursuivi par des mesures fiscales. - Puisque les Etats membres de l'UE conservent en principe leur compétence fiscale, il apparaît clairement que les mesures fiscales nationales, qui servent une finalité budgétaire, peuvent se retrouver en conflit avec les règles de l'UE, dont la finalité est de servir le marché intérieur et que les Etats membres sont tenus de respecter loyalement (article 5 du Traité CE). - Les mesures fiscales qui sont détournées de leur objectif afin de gêner la libre circulation au sein du marché intérieur, sont donc interdites. - Si une mesure fiscale n'a pas pour but une restriction de la libre circulation, mais qu'elle en entraîne une entrave, il faudra alors déterminer si cette mesure est justifiée : - (voir plus haut) en vertu des justifications qui figurent explicitement dans le traité CE; c'est-à-dire dans l'article 58, 1, a du Traité CE[14] (uniquement par rapport aux mouvements de capitaux en provenance et à destination de pays tiers), ainsi que les restrictions justifiées indiquées ci-avant (au point 1.1, deuxième phrase); - selon la règle dite "Rule of Reason". - En vertu de l'application de la "Rule of Reason", une restriction de la libre circulation peut être justifiée dans les conditions suivantes : a) le prélèvement restrictif doit trouver sa légitimité dans des raisons impérieuses d'intérêt général; (2) il doit être apte à garantir la réalisation du but recherché; (3) il ne peut aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif; et (4) il doit être mis en œuvre sans discrimination et ne peut pas aller à l'encontre du droit communautaire spécifique (dérivé). b) Afin de satisfaire la "Rule of Reason", la taxe Tobin doit donc être objectivement nécessaire pour la sauvegarde de raisons impérieuses d'intérêt général; pour en décider, on examine si la taxe introduite n'est pas déraisonnable et disproportionnée par rapport au but à atteindre, et on procède à l'évaluation de l'objectif que la mesure fiscale poursuit par rapport à la règle de libre circulation. c) Comme indiqué précédemment, la taxe Tobin rencontre, dans ses deux variantes, des objectifs légitimes de l'UE, qui servent l'intérêt général. Il n'existe pas d'alternative moins gênante pour la variante à tarif bas dont le "overkill" semble exclu. Par contre, la variante à haut tarif, qui doit lutter contre les fluctuations monétaires nocives, exige une évaluation de légitimité dans le cadre de la politique monétaire (qui est d'ordre communautaire). d) La taxe Tobin doit être appliquée sans discrimination, c'est-à-dire pour tous les agents économiques et les transactions pertinentes (sauf si des critères de distinction non discriminatoires et objectivement justifiés sont employés) (voir plus haut). Même dans le cadre de la variante à bas tarif, se pose donc la question de savoir si un Etat membre entrave le marché intérieur Européen avec une taxe Tobin. A mon avis, cet aspect doit surtout être jugé par rapport au principe de non-discrimination (voir plus haut). Enfin, la taxe Tobin (comme, par exemple, les directives d'harmonisation fiscale; voir plus haut, ce qui a trait aux directives concernant les impôts frappant les rassemblements de capitaux et la TVA) ne peut pas aller à l'encontre du droit communautaire spécifique (dérivée). Conclusion au sujet de la compatibilité avec la libre circulation des capitaux Par conséquent, on conclut qu’en vertu de la libre circulation des capitaux et des paiements qui s’y rapportent, les Etats membres peuvent introduire une taxe Tobin à bas tarif qui ne crée pas d'obstacle effectif aux mouvements de capitaux, qui est justifiée à la lumière de ses objectifs légitimes coïncidant avec ceux du Traité CE, et qui n’entrave pas d' manière déraisonnable ou disproportionelle les mouvements de capitaux ("Rule of Reason"). Cependant, la taxe Tobin à tarif élevé, qui n’a pas une finalité budgétaire comme objectif principal, mais qui vise à lutter contre les fluctuations monétaires nocives, sert, au fond, une politique monétaire, ce qui, dans le cadre de l’UEM, exige une action au niveau européen (donc une coopération entre l’UE et les autorités nationales, et également sur le plan international, ce que le Traité CE prévoit également de manière technique). Par conséquent, cette variante n’est pas non plus absolument contraire au Traité CE, mais elle peut s’inscrire comme un instrument de stratégie monétaire dans la politique de l’UE. La libre circulation des marchandises, des personnes et des services s'oppose-t-elle à la taxe Tobin ? Les autres règles fondamentales de libre circulation doivent également être respectées. D'ailleurs la Commission européenne évoque une possible incompatibilité avec la libre circulation des personnes, la liberté d'établissement et la libre prestation de services. En effet, les transactions en devises peuvent aussi être associées à la circulation des marchandises, du travail et des prestations de services, pour lesquels elles constituent le paiement, la rémunération ou la contrepartie.[15] Une taxe Tobin sur les paiements en monnaies étrangères peut donc restreindre indirectement la libre circulation des marchandises et des services. Pour déterminer si ces restrictions agissent de manière dissuasive ou si elles sont légitimes, il est nécessaire, en principe, de procéder à la même analyse, mutatis mutandis, que dans le cadre de l'examen de la liberté des mouvements de capitaux, comme résumé ci-dessus. La jurisprudence actuelle semble adopter plutôt une attitude réservée quant au fait de considérer les restrictions fiscales aux mouvements de paiements comme des entraves indirectes et interdites à la libre circulation des marchandises, des services et des personnes.[16] Conclusion En vertu de la justification e.a. sous la "Rule of Reason", la libre circulation des marchandises, des personnes et des services ne s’oppose pas non plus à une taxe Tobin qui, à la lumière de ses objectifs, n’entrave pas les mouvements de paiements de manière déraisonnable ou disproportionnée. [1] Le débat à propos de la taxe Tobin se situe maintenant principalement sur le terrain des économistes-fiscalistes. Il n’existe pas de proposition suffisamment concrète, qui se prête à une confrontation juridique (et fiscale) approfondie au droit (fiscal) européen. Le présent exposé se limite donc à la confrontation aux principes fondamentaux du Traité européen d’un prélèvement à concevoir comme une taxe de transfert sur l’échange de monnaies, lors de transactions financières internationales. [2] ces dispositions fondamentales du traité concernent la libre circulation des capitaux et des paiements (56) ainsi que le principe de non-discrimination (art. 12), la libre circulation des personnes (art. 39), dont la liberté d'établissement (art. 43) et la libre prestation des services font également partie (art. 49). 3 l'art. 57(2) permet au Conseil de l'UE d'adopter des mesures relatives aux mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers, lorsqu'ils impliquent des investissements directs, l'établissement, la prestation de services financiers ou l'admission de titres sur les marchés des capitaux. [4] Mis à part les prélèvements en matière de douane, d'agriculture et d’antidumping. En effet, les transactions financières (notamment les opérations en devises) ne sont pas des "marchandises" sur lesquelles un droit à l'importation peut être prélevé. Du reste, les prélèvements à l'importation sont unifiés au niveau de l'UE. La question qui se pose est de savoir si des taxes Tobin sur le paiement de marchandises sont compatibles avec l'interdiction d'instaurer des taxes à l'importation et à l'exportation déguisées. 5 Directive concernant les impôts frappant les rassemblements de capitaux, art. 10 : "En dehors du droit d'apport, les Etats membres ne perçoivent, en ce qui concerne les sociétés, associations ou personnes morales poursuivant des buts lucratifs, aucune imposition, sous quelque forme que ce soit : (a) pour les opérations visées à l'article 4;(p.m. : essentiellement l'apport et l'augmentation de capital) (b) pour les apports, prêts ou prestations, effectués dans le cadre des opérations visées à l'article 4; (…)" Directive concernant les impôts frappant les rassemblements de capitaux, art. 11 : "Les Etats membres ne soumettent à aucune imposition, sous quelque forme que ce soit : (a) la création, l'émission, l'admission en bourse, la mise en circulation ou la négociation d'actions, de parts ou autres titres de même nature, ainsi que de certificats représentatifs de ces titres, quel qu'en soit l'émetteur; (b) les emprunts, y compris les rentes, contractés sous forme d'émission d'obligations ou autres titres négociables, quel qu'en soit l'émetteur, et toutes les formalités y afférentes, ainsi que la création, l'émission, l'admission en bourse, la mise en circulation ou la négociation de ces obligations ou autres titres négociables." Directive concernant les impôts frappant les rassemblements de capitaux, art. 12 : "1. Par dérogation aux dispositions des articles 10 et 11, les Etats membres peuvent percevoir : (a) des taxes sur la transmission des valeurs mobilières, perçues forfaitairement ou non; (b) des droits de mutation,(…), sur l'apport de biens immeubles ou de fonds de commerce situés sur leur territoire (…); (c) des droits de mutation sur les biens qui font l'objet d'un apport (…),dans la mesure où le transfert de ces biens est rémunéré autrement que par des parts sociales; (…) (f) la taxe sur la valeur ajoutée. 2. Les droits et taxes visés au paragraphe 1 sous b), c) (…) sont les mêmes, que le siège de direction effective ou le siège statutaire de la société, association ou personne morale poursuivant des buts lucratifs se trouve ou non sur le territoire de l'Etat membre percevant l'imposition. Ces droits et taxes ne peuvent pas non plus être supérieurs à ceux qui sont applicables aux opérations similaires, dans l'Etat membre percevant l'imposition." 6 Sixième Directive TVA, art. 33 : "Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les dispositions de la présente directive ne font pas obstacle au maintien ou à l'introduction par un Etat membre de taxes sur les contrats d'assurance, sur les jeux et paris, d'accises, de droits d'enregistrement, et, plus généralement, de tous impôts, droits et taxes n'ayant pas le caractère de taxes sur le chiffre d'affaires." [7] Le Traité de Nice (décembre 2000) renforce encore cet objectif en imposant que la Communauté européenne prenne avec des pays tiers des mesures de coopération économique et financière qui soient cohérentes avec la politique de développement de la CE (art. 181 A). [8] voir aussi l'art. 105 et en sus les art. 99,4 (politique économique), art. 111 et suivants (la politique relative aux monnaies non communautaires relève du Conseil). [9] Art. 59 Traité CE : Lorsque, dans des circonstances exceptionnelles, les mouvements de capitaux en provenance ou à destination de pays tiers causent ou menacent de causer des difficultés graves pour le fonctionnement de l'Union économique et monétaire, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission et après consultation de la BCE, peut prendre, à l'égard de pays tiers, des mesures de sauvegarde pour une période ne dépassant pas six mois pour autant que ces mesures soient strictement nécessaires. [10] Cette question est également pertinente non seulement au sein du marché intérieur européen, mais aussi dans le cadre des relations avec des pays tiers, puisque la libre circulation des capitaux s'applique également aux pays tiers et qu'on entend aussi par 'restriction interdite' les discriminations arbitraires. [11] Pour simplifier, on se base déjà dans cette note sur le fait que, dans la zone Euro, tant l'Euro que les monnaies de l'UE avec un cours irrévocablement fixe, sont des monnaies intérieures. [12] Les opérations en devises, qui constituent des paiements liés de façon indissociable à la circulation des marchandises, des personnes ou des services, ne sont pas évaluées sous l'angle de la libéralisation des capitaux mais sous celui des règles de libre circulation en question (voir ci-après, point 2). [13] Du reste, on remarque que dans les relations avec des pays tiers, en général, le principe du marché intérieur ne peut pas être utilisé purement et simplement comme fil d'interprétation pour renforcer la liberté de circulation des capitaux : en effet, il n'existe pas de marché intérieur libre avec ces pays tiers. [14] Art. 58 : 1. L'article 56 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les Etats membres : a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis; b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des établissements financiers, de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d'information administrative ou statistique ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l'ordre public ou à la sécurité publique. [15] des études estiment que le volume de ces transactions de change représente 5 % des transactions financières internationales. [16] voir également la note en bas de page 4 in fine |
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