En 2000, les grèves ont continué leur essor. A partir de l’étiage historique de 1998, le rebond entamé en 1999 s’est prolongé, hissant la conflictualité à son niveau du début de la décennie 1990 (Merlier, 2001a). La reprise économique et la baisse du chômage ont naturellement favorisé ce regain de combativité des salariés. Déjà la reprise de 1988-89 avait provisoirement interrompu l’effondrement de la conflictualité, laquelle avait été divisée par 4 entre 1975 et 1985 [1] . Cette recrudescence est-elle un feu de paille, comme en 1988-89 ? La remontée du chômage initiée en 2001 va-t-elle rétablir la paix, ou plutôt l’atonie, sociale ? Sans apporter de réponse définitive, les enseignements de l’analyse économique et historique permettent d’éclairer ces phénomènes. Une conjoncture sociale marquée par les 35 heures A la différence de la précédente reprise économique, le desserrement de l’étau du chômage n’est pas la seule explication à la récente recrudescence des conflits du travail. Certes, comme d’habitude, la croissance stimule les revendications salariales, qui prennent à nouveau le pas sur les questions d’emploi parmi les motifs des conflits. Le rapport des forces sur le marché du travail s’améliore un peu pour les salariés, après des années de chômage de masse et de précarisation de l’emploi. Ainsi, le chômage passe de près de 13% à 9% en cinq ans. Les contrats à durée indéterminée croissent à nouveau, ce qui est inédit depuis le début des années 1980. Le « plein-emploi » redevient un objectif de politique économique, alors qu’il avait disparu de la rhétorique politique depuis de longues années, même s’il restait une aspiration largement populaire. Les salariés à temps partiel « malgré eux » sont un peu moins nombreux, alors que leur nombre s’était envolé dans les années 1990 grâce aux incitations publiques (baisse des cotisations patronales pour les emplois à temps partiel et/ou à bas salaires). Certes l’intérim a littéralement explosé, mais globalement le développement de la précarité connaît en 1999-2000 une pause (Aerts, Mercier, 2001), qui favorise une plus grande ardeur revendicative. Tout ceci est assez classique, mais au moins deux faits nouveaux supplémentaires distinguent la reprise actuelle : l’envolée de la négociation d’entreprise sous l’impact des lois favorisant la réduction du temps de travail ; et le renouveau de l’implantation syndicale dans les entreprises. On doit également prendre en compte le renouveau de la conflictualité sociale hors de l’entreprise, qu’on évoquera en conclusion. Les accords d’entreprise connaissaient, depuis le début des années quatre-vingt-dix, une croissance régulière (tableau 1), qui traduisait le mouvement de décentralisation de la négociation collective, et l’affaiblissement relatif du rôle de la branche dans la détermination des conditions d’emploi et de salaires. Mais la loi Robien (3000 accords entre 1996 et 1998) et surtout les lois Aubry 1 et 2 (respectivement votées en juin1998 et février 2000) provoquent une flambée, le nombre d’accords atteignant 35 000 pour chacune des deux années 1999 et 2000 (Rouilleault, 2001). Malgré les procédures « d’accès direct » pour les PME en cas d’accord de branche, ce mouvement va s’alimenter dans les années à venir grâce à l’extension des 35 heures aux entreprises de moins de 20 salariés, même si celle-ci semble devoir se réaliser de façon très progressive suite aux récents assouplissements de la loi Aubry 2. Cette intense activité de négociation sociale est en large part imposée aux employeurs par des textes de lois qui exigent des entreprises la signature d’un accord social pour leur ouvrir droit aux aides à la réduction du temps de travail (RTT). Beaucoup de ces accords ont ainsi un caractère largement formel, entre une direction et une représentation du personnel fort peu indépendante, notamment dans le cadre du « mandatement » d’un salarié par une organisation syndicale qui n’était pas présente dans l’entreprise avant la négociation sur la RTT (Dufour, Hege, Vincent, Duprey, 2000 ; Furjot, 2001). Il n’en demeure pas moins que ces négociations, même dans les PME, sont souvent l’occasion de réels débats, et même de conflits producteurs de compromis. Ainsi le quart des conflits enregistrés en 2000 avaient pour motif les modalités de la réduction du temps de travail, ce qui est la plus forte proportion jamais atteinte par ce thème de conflit. Dans 15% des entreprises qui sont passées à 35 heures, les salariés ont observé au moins un arrêt de travail lors des négociations pour appuyer leurs revendications (Bunel, Coutrot, Zilberman, 2001). Cependant, les revendications salariales progressent avec l’affermissement de la reprise, et inspirent 38% de l’ensemble des conflits au second semestre 2000 [2]. Syndicats : la fin du déclin ? Il est trop tôt pour dire quels lendemains aura cette soudaine pénétration de la négociation collective formalisée dans un tissu de PME jusqu’ici fort rétif au dialogue social. Il est cependant probable que dans certains cas, l’épisode laissera des traces, sous la forme par exemple d’une plus grande obligation de transparence de la part de la direction, voire même d’une implantation syndicale plus durable. Car – c’est le second trait novateur de la situation – les syndicats ont enfin enrayé la spirale du déclin qui les entraînait irrésistiblement depuis 1980. Encore peu prise en compte par la plupart des observateurs, qui continuent à tenir pour acquis le déclin du syndicalisme, l’évolution récente n’est pourtant pas douteuse : on assiste depuis le milieu des années quatre-vingt-dix à un mouvement de création de bases syndicales dans les entreprises, qui s’est récemment accéléré et constitue l’indice le plus solide en faveur de l’hypothèse d’une nouvelle période. C’est depuis l992 que les scores des listes non-syndiquées ont commencé à reculer aux élections professionnelles que chaque entreprise de 50 salariés au moins organise tous les deux ans pour l’élection de son Comité d’entreprise. Il s’est agi d’abord d’une lente progression des listes syndicales, qui gagnaient environ un quart à un demi point sur chaque cycle électoral de deux années. Mais en 1999 ce glissement s’accélère, les listes syndicales gagnant plus de trois points en deux ans, au profit de la CFDT, de la CGT et de la CFTC (Ruelland, 2001). Cette progression ne résulte pas pour l’essentiel d’une confiance plus grande accordée aux syndicats par rapport aux non-syndiqués là où les deux types de listes sont en concurrence, car cette configuration est assez rare[3]; il s’agit bien plutôt d’un phénomène de resyndicalisation de Comités d’où les syndicats avaient disparu (ou qu’ils n’avaient jamais conquis, faute de base syndicale dans l’entreprise). Les syndicats s’implantent dans de nouveaux établissements : c’est ainsi que « la part des établissements de 50 salariés ou plus couverts par un délégué syndical augmente de 63% à 72% » entre 1993 et 1999 (Zouary, 2000), ce qui est une progression considérable, notamment dans les PME. Le taux de syndicalisation dans les établissements d’au moins 50 salariés progresse également, passant de 17 à 21% (selon les employeurs) (id.). Le regain du syndicalisme est évidemment une bonne nouvelle pour la négociation sociale : on sait que les représentants du personnel, quand ils sont syndiqués, disposent d’une plus grande autonomie et d’un poids plus important qui leur permet d’obtenir des compromis plus avantageux pour les salariés (Cézard, Zouary, Malan, 1996). C’est aussi un facteur de plus grande conflictualité : la présence syndicale est le trait qui distingue le plus les établissements à conflits des autres. Ainsi parmi les établissements employant au moins 20 salariés, 23% de ceux couverts par un délégué syndical ont connu au moins une grève entre 1996 et 1998, contre seulement 3% de ceux qui n’étaient pas couverts [4]. La conjoncture longue : flux et reflux Embellie sur l’emploi, lois de RTT, reprise de la syndicalisation : ces facteurs ne sont ils pas éphémères ? Suffisent-ils pour diagnostiquer un renouveau durable des luttes sociales et syndicales. Déjà le chômage repart à la hausse, la dynamique des 35 h s’épuise, l’inquiétude remonte au sein du salariat. En particulier, le mouvement à peine entamé de resyndicalisation résistera-t-il à ces turbulences ? Il importe à ce stade de mobiliser les acquis de l’analyse économique et historique de longue période, pour s’extraire de l’actualité immédiate et la replacer dans son contexte. La conjoncture économique et la conjoncture politique courtes ne doivent pas faire oublier la conjoncture longue, les mouvements profonds de l’économie et de la société qui se développent sur des décennies, et qui forment le cadre des flux et reflux des mobilisations sociales. A cet égard notre diagnostic, au delà de l’éphémère euphorie médiatique ou boursière de la pseudo « Nouvelle Economie », est que les économies capitalistes développées ont commencé à sortir de la longue phase de stagnation initiée en 1973. Sans pouvoir développer cette idée, évoquons la restauration d’un niveau levé de rentabilité des investissements, l’affirmation de nouvelles formes d’organisation du travail et de l’entreprise centrées sur la demande des clients et surtout sur le pouvoir des actionnaires, la mise en place de cadres institutionnels [5] renforçant et stabilisant le pouvoir des grands acteurs financiers , et l’émergence d’une nouvelle révolution technologique centrée sur la communication électronique et les bio-technologies. Ce nouveau régime de croissance (qu’on a qualifié de « patrimonial », « néo-libéral » ou « financiarisé »), s’appuie sans doute sur une accélération des gains de productivité, perceptible surtout aux USA dans les années 90, mais qui pourrait gagner les autres pays dans les années à venir. Cependant la productivité au sens classique du terme n’est plus nécessairement un bon indicateur de la performance de ce modèle, qui recherche avant tout la rentabilité de court terme par le biais de multiples leviers [6]. Par le passé, l’économie capitaliste mondiale a déjà connu plusieurs de ces longues (20 à 25 ans) phases de dynamisme et de généralisation des innovations, suivies de périodes tout aussi longues de stagnation et de « destruction créatrice ». L’économiste russe Kondratieff en proposait la thématique dès les années 20, et l’analyse des « cycles longs » ou « ondes longues » du capitalisme est désormais bien établie (Dockès, Rosier, 1983). Après l’onde longue « impérialiste » de la fin du XIXè siècle et du début du XXè et l’onde longue « fordiste » lancée par la 2è guerre mondiale, nous serions entrés dans une nouvelle phase de croissance et d’innovation. Cette phase, à la différence de la précédente, ne verra sans doute pas une croissance forte et stable, mais plutôt une alternance entre des périodes d’euphorie et des « purges » brutales (et probablement d’assez courte durée) liées à l’éclatement des bulles spéculatives qui gouvernent l’évolution erratique de marchés financiers dérégulés. L’actuel ralentissement mondial est la première de ces purges. Ce qui nous importe ici est le lien que l’histoire permet d’établir entre ces ondes longues du développement économique et les cycles de la lutte sociale. On sait que la construction du syndicalisme à une échelle de masse se réalise de façon discontinue, à l’occasion d’épisodes de luttes sociales aigues, de grandes vagues de grèves, dont la plus récente remonte à la fin des années soixante. Or selon John Kelly, spécialiste britannique des relations professionnelles et auteur d’un ouvrage important sur la question, « les tournants entre deux ondes longues de Kondratieff dans l’économie ont coïncidé avec des moments de montée des mobilisations ouvrières, mesurées en particulier par le nombre de grèves et par des poussées d’adhésions syndicales ». Qu’il s’agisse des années 1870, de la période 1910-1920 ou de 1968 et ses suites, « les plus importantes vagues de grèves se sont invariablement produites lors de la fin d’une onde longue ascendante » (Kelly, 1998, p. 128) (voir tableau 1). La théorie de la mobilisation Comment expliquer cette relative régularité ? La « théorie de la mobilisation » proposée par Kelly offre un cadre d’interprétation plausible. La capacité des salariés à s’organiser et se mobiliser collectivement dépend de la conjonction d’une série de facteurs relativement difficiles à réunir, sauf lors de ces tournants de l’histoire économique. Le premier facteur est l’existence dans le salariat d’un sentiment d’injustice largement répandu: il faut que les personnes soient indignées par la violation de valeurs ou de droits qu’elles identifient comme fondamentaux pour leur identité et le respect qu’elles portent à elles-mêmes. Les droits acquis en matière de revenu et surtout de sécurité de vie sont remis en cause par les politiques des entreprises et des Etats lors des grandes crises, comme au cours des années 70, ce qui suscite ce sentiment d’injustice chez les salariés menacés. Il faut ensuite que ces personnes puissent attribuer cette violation à un adversaire, fauteur d’injustice, dont l’action délibérée leur porte préjudice. Le patronat, voire l’Etat, sont ces adversaires relativement faciles à identifier. Il faut également que cet adversaire soit perçu comme commun et qu’existe la conscience d’une identité commune entre les individus du groupe, d’intérêts communs susceptibles d’être défendus par une action collective. Le groupe doit aussi disposer d’une capacité d’organisation collective, donc de ressources suffisantes pour surmonter la crainte du chômage et de la répression. Ainsi la protection sociale, les conquêtes institutionnelles et juridiques du mouvement ouvrier réalisées durant l’onde longue de croissance, mais aussi la « conscience de classe », les idéologies et représentations sociales sont des ressources précieuses. Il faut enfin qu’existe dans les entreprises et les localités un tissu de militants actifs et expérimentés, connus et reconnus par les travailleurs, et capables d’agréger ces sentiments et ces ressources pour leur donner une cohérence. Le rôle de ces individus (les « meneurs » dans la terminologie policière) est fondamental pour déclencher et surtout pour canaliser et capitaliser les explosions de révolte et de combativité : eux seuls disposent du savoir-faire organisationnel nécessaire, ancré dans l’histoire collective des communautés de travail. Injustice, attribution, identité, protection, leadership : la probabilité de conjonction de ces différents facteurs est donc nettement plus élevée à la fin d’une phase d’expansion longue, au moment où l’offensive patronale contre les « acquis » se développe alors que les ressources accumulées par le mouvement ouvrier sont encore inentamées. En revanche, une fois cette crise politique et sociale passée, le recul des effectifs syndicaux tend à être brutal sous l’impact du chômage et des restructurations. A l’inverse – et c’est sans doute pertinent pour caractériser l’actuelle conjoncture- , le passage d’une onde dépressive à une onde expansive peut permettre une certaine reprise de l’activité militante, alors que la crainte du chômage s’éloigne, et dans la mesure où le mouvement syndical a pu préserver ses bases et ses militants chevronnés pendant les vaches maigres. Ainsi en France le recul de l’implantation syndicale a probablement été accéléré, au cours des années 80 et 90, par des stratégies d’éviction menées par nombre d’employeurs. On a ainsi montré que la substitution du capital au travail était plus rapide dans les entreprises où les syndicats étaient implantés (Coutrot, 1996 et 2001). Les licenciements de représentants du personnel se sont multipliés au cours des années 1990, y compris au moment où le chômage commençait à baisser nettement (Merlier, 2001b). Malgré cela, les syndicats ont pu enrayer leur recul et repartir à l’offensive, semblant confirmer le pronostic de Kelly : « au moment où se profile la prochaine phase de croissance durable, l’organisation et la mobilisation des travailleurs devraient s’accentuer dans le monde capitaliste » (Kelly, 1998, p. 130). Plein-emploi précaire et luttes sociales Mais, ajoute-t-il aussitôt, l’avenir n’est écrit nulle part. D’abord parce que, soumis à des pressions systémiques communes, les institutions et systèmes nationaux de relations professionnelles peuvent réagir de façon très différentes. Kelly observe que son schéma-type ne s’applique guère aux pays qui, comme la Scandinavie ou l’Autriche, ont institué un système fortement centralisé et institutionnalisé (« néo-corporatiste ») qui permet aux syndicats de maintenir l’essentiel de leur pouvoir même au creux de la vague. D’autre part, les rapports entre grèves et syndicalisation sont variables selon les pays et les époques (Friedman, 1998). Ainsi, une déferlante gréviste est souvent la cause de l’essor des syndicats, mais l’inverse s’observe sur la période récente en France, où la reprise de la syndicalisation a précédé le renouveau des grèves. Dans des pays comme l’Allemagne ou l’Autriche, la syndicalisation est élevée et stable, alors que les conflits ouverts sont tout à fait exceptionnels Il faut donc se garder de tirer des conclusions simples d’un quelconque schéma général et de risquer des prédictions. D’autant plus que le lien, qui semblait pourtant solidement établi, entre plein-emploi et capacités d’organisation et de lutte, n’est plus aussi net que par le passé. La baisse du chômage, si elle a bien eu un impact important sur l’activité gréviste en France, n’a pas (encore ?) eu le même effet dans nombre de pays européens, ni aux USA. Après une phase de croissance ininterrompue de huit ans, qui a amené le taux de chômage au dessous de 4%, les syndicats y ont à peine commencé à reconquir le terrain perdu dans les années Reagan. Ainsi malgré certains conflits très médiatisés, comme à UPS ou chez Boeing, le taux de conflictualité aux Etats-Unis a encore chuté dans la seconde moitié des années 90, en plein boom économique [7] La récession actuelle risque de montrer la difficulté pour les syndicats de peser sur les plans de restructuration, et de limiter la hausse du chômage. Surtout, elle va aggraver la dégradation de la qualité des emplois et la précarité, qui touche maintenant de vastes secteurs du salariat américain, ainsi que la pauvreté qui n’avait guère reculé pendant le boom. Car le plein-emploi ne suffit pas à renverser le rapport des forces sur le marché du travail : encore faut-il que les normes d’emploi en vigueur soient suffisamment protectrices pour préserver les capacités de mobilisation des salariés. La mobilité extrême du capital financier, la flexibilité du travail, la mise en concurrence des individus et des collectifs au sein de chaque entreprise, de chaque secteur, de chaque pays et à l’échelle globale, ont permis une mutation importante dans la norme d’emploi, dont l’insécurité (du travail, du statut, de la rémunération) est désormais une caractéristique majeure. Dans les secteurs de la nouvelle économie, a ainsi émergé la catégorie du « permatemp », qui est un travailleur hautement qualifié et plutôt bien rémunéré, mais maintenu en permanence sur des contrats temporaires. Sur les segments moins favorisés du marché du travail, le temps partiel et/ou les très bas salaires sont la norme. C’est d’ailleurs pourquoi le BIT a promu le concept « d’emploi décent », afin de proposer une alternative à cette norme d’emploi développée par de nombreuses entreprises – souvent avec l’appui des politiques publiques d’emploi. Les effets négatifs de cette norme d’emploi (« indécent » ?) sur la capacité d’organisation des salariés ont permis au capitalisme anglo-saxon de s’approcher du plein-emploi sans concéder au mouvement syndical d’avancées majeures sur le plan des salaires ou des conditions de travail. Rien ne dit pourtant que cette tendance doive se généraliser dans le reste du monde développé. Ainsi, dans les pays scandinaves, le taux de syndicalisation n’a pratiquement pas reculé, et la conflictualité a plutôt augmenté dans les années 1990 [8] Au Canada, le taux de syndicalisation semble récemment avoir recommencé à augmenter légèrement [9].. L’avenir reste donc totalement ouvert. Beaucoup dépend de la capacité du mouvement syndical à se réorganiser en fonction des redéploiements du capital, à l’échelle locale, nationale et internationale. Beaucoup dépend également de sa capacité à nouer des alliances avec les autres mouvements sociaux, qui connaissent eux aussi une reprise importante de leur capacité de mobilisation, depuis 1994-95 dans le cas français, un peu plus tard aux USA[10]. Les mouvements féministe, écologiste ou « antimondialisation » sont des alliés potentiels du mouvement syndical, dont ils portent à leur manière les valeurs d’équité et de solidarité. Le sentiment « d’injustice » est largement présent dans les sociétés capitalistes contemporaines, notamment vis à vis des effets de la mondialisation : il nourrit donc un potentiel important de mobilisation sociale. En même temps, avec leurs formes d’action imprévisibles et parfois radicales, ces « nouveaux » mouvements sociaux sont aussi des éléments perturbateurs du dialogue social institutionnel. Selon la manière dont seront traitées ces différences de culture, d’objectifs et de stratégies, soit le mouvement syndical pourra bénéficier de la dynamique globale des mouvements sociaux, soit la fragmentation des intérêts l’empêchera de peser significativement sur les tendances du capitalisme mondialisé. Tableau: Taux de croissance des effectifs syndicaux pendant les ondes longues de Kondratieff et les vagues de grèves dans les cinq principaux pays capitalistes (1894-1985) En % de croissance annuelle moyenne
n.d. : non disponible Graphique Evolution de la négociation d’entreprise et des conflits depuis 1986
Aerts A.T., Mercier M.A. (2001), « Enquête sur l’emploi de mars 2001 : la forte hausse de l’emploi se poursuit », INSEE Première, n°785, juin Barrat O., Daniel C. (2001), « Reprise de la négociation salariale dans les entreprises au premier trimestre 2001 », Premières Informations DARES, n°34-1, août Bunel M., Coutrot T., Zilberman S. (2001), « La réduction du temps de travail et l’emploi : le point de vue des employeurs », Premières Synthèses DARES, à paraître, décembre Bouvet M. (2000), « Modélisation économétrique du nombre de journées individuelles non travaillées », mimeo, DARES Cézard M., Malan A., Zouary P. (1996), « Conflits et régulation sociale dans les établissements », Travail et Emploi n°66, Janvier Coutrot T. (1996), « Relations sociales et performances économiques, une première analyse empirique du cas français », Travail et Emploi n°66, Janvier Coutrot T. (2000), « Innovations et gestion de l’emploi », Premières Synthèses DARES n° 12.1 Dockès P., Rosier B. (1983), Rythmes économiques ; Crises et changement social, une perspective historique, Coll. Economie critique, Ed. La Découverte Dufour C., Hege A., Vincent C., Duprey M. (2001), « Le mandatement dans le cadre de la réduction du temps de travail », Lettre de l’IRES n°46, janvier Friedman G. (1998), State making and labor movement – France and the United States, 1876-1914, Cornell University Press, Ithaca and London Furjot D. (2001), « Le mandatement : mesure transitoire ou solution d’avenir », Premières Synthèses DARES n°19-1, mai Kelly J. (1998), Rethinking industrial relations : mobilization, collectivism and long waves, Routledge, London & New York Merlier R. (2001a), « Les licenciements de salariés protégés en 1999 », Premières Informations DARES, à paraître, novembre Merlier R. (2001b), « Les conflits du travail en 2000 », Premières Synthèses DARES, à paraître, novembre Rouilleault H. (rapport de la Commission présidé par) (2001), Réduction du temps de travail : les enseignements de l’observation, La Documentation Française Ruelland N. (2001), « Les élections aux Comités d’entreprise en 1999 », Premières Informations DARES, à paraître, novembre Zouary P . (2000), « Entre crise et croissance : une évolution des relations professionnelles en entreprise », Premières Synthèses DARES n°49-1, décembre
[1] De 3,8 millions de jours de grève en 1975 à 0,9 en 1985 (et 0,4 en 1998). Une équation économétrique simple indique une forte sensibilité de la conflictualité à l’activité économique, au sein d’une baisse tendancielle de 10% par an entre 1970 et 1998 (Bouvet, 2000). [2] Ces revendications salariales s’expriment dans un contexte de légère accélération de l’inflation, de baisse du chômage et de blocage négocié dans de nombreuses entreprises réduisant la durée du travail. Elles n’aboutissent à aucune accélération salariale, puisque les accords d’entreprisepassés au début 2001 prévoient des hausses de 2% en 2001 (Barrat, Daniel, 2001) [3] La législation prévoit en effet un monopole des listes syndicales au premier tour des élections professionnelles, les listes de non-syndiqués ne pouvant se présenter qu’en cas de carence ou de quorum insuffisant au premier tour. [4] Source : enquête REPONSE 1998, DARES [5] nationaux et internationaux : Agences et Banques centrales « indépendantes », Banque Mondiale, FMI, OMC… [6] Innovation permanente, flexibilisation et externalisation, raccourcissement des cycles du capital, monopolisation des marchés par le biais de fusions géantes, etc… [7] Le nombre de journées de travail « perdues » pour cause de grève aux USA est passé de 61 pour 1000 salariés pour la période 1988-1993 à 39 pour 1994-1999 (source : OCDE, Panorama de la société : les indicateurs sociaux de l’OCDE, 2001). Pour la France on passe de 80 à 92. [8] Le taux de conflictualité a augmenté au Danemark, en Finlande, en Norvège et en Islande, et baissé en Suède (OCDE, 2001, op. cit.). [9] Le taux de syndicalisation dans le secteur privé passe ainsi de 18,2 à 18,7% entre 1999 et 20000. Source : Unionization – an update », Statistics Canada, The Daily, August (http/ :www.statcan.ca/ Daily/English/ 000824/d000824d.htm). [10] Avec notamment l’émergence du plus puissant mouvement étudiant depuis la guerre du Vietnam, cette fois centré sur les questions de conditions de travail des ouvriers des « sweatshops » qui produisent au Mexique et en Asie les vêtements universitaires t-shirt avec logos,…); et d’un mouvement pour des « salaires vivables » (living wages) qui touche de nombreuses municipalités et Etats, autour de la question des salaires versés par les entreprises qui fournissent les collectivités territoriales. |
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