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La Réforme des Institutions financières internationales

Conseil scientifique d'ATTAC France

Version du 17 juillet 2001

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Avertissement :  Cette note résulte des discussions du groupe de travail sur les Institutions Financières Internationales (IFI) composé de Suzanne DE BRUNHOFF, Jacques CAPDEVIELLE, Gus MASSIAH et Dominique PLIHON. Elle prend en compte les principales remarques formulées par les membres du Conseil Scientifique. L’objectif est d’aboutir à une analyse et à des propositions d’Attac sur la réforme des IFI.

A la suite d’un choix politique destiné à renforcer leur domination dans le cadre du capitalisme financier et internationalisé, les pays du G7 ont organisé la mondialisation néolibérale. Celle-ci a creusé les inégalités dans chaque pays, a accentué les déséquilibres entre le Nord et le Sud et a engendré une instabilité récurrente du système monétaire international. Les institutions financières internationales (IFI), quittant leur simple rôle de régulation, sont devenues des instruments aux mains des pays du G7 pour imposer la mondialisation néolibérale. Une réforme radicale des IFI, fondée sur une remise en cause de l’organisation actuelle des pouvoirs au sein du système financier international, constitue une condition politique préalable à la construction d’un mondialisme alternatif fondé sur le pouvoir des peuples et sur  une nouvelle conception du développement durable.

1. La dérive du système monétaire et financier international

Le fonctionnement du système monétaire international n’a cessé de se dégrader au cours des trois dernières décennies. Les accords de Bretton-Woods (1944) avaient pour objectifs d’éviter les errements monétaires des années trente, d’élaborer un système moins rigide que l’étalon-or, de stabiliser les taux de change et de financer la reconstruction et le développement. Ces accords de Bretton Woods ont créé les IFI, qui étaient rattachées au système des Nations Unies, pour atteindre le double objectif de la stabilité monétaire (FMI) et de financement du développement (Banque Mondiale).

Une première rupture majeure intervient en 1971. Confrontés au déficit durable de leur balance des paiements et à la spéculation contre leur monnaie, les Etats-Unis  décident de mettre fin à la convertibilité du dollar en or. Le dollar reste ainsi l’étalon du système monétaire international sans obligation en contrepartie :  c’est la porte ouverte à l’endettement illimité des Etats-Unis. Deuxième rupture majeure :  en 1973, les taux de change des principales monnaies sont devenus flottants.

Dès la fin des années 1970, les crédits bancaires privés ont commencé à devenir la principale source de financement. Les flux de capitaux étaient encore orientés dans le sens du Nord vers le Sud, mais ils correspondaient déjà prioritairement à des besoins des pays du Nord : les crédits ainsi accordés leur permettent à la fois de recycler les pétrodollars et de relancer leurs exportations, après la crise de 1974-75. Ces crédits bancaires privés tendent la nasse dans laquelle l’écrasante majorité des pays en développement vont se faire piéger – crédits accordés facilement, dans le cadre de contrats retenant des taux d’intérêt variables dont beaucoup de gouvernements n’ont pas su, faute d’expérience antérieure en la matière, mesurer les dangers.

Le basculement du système financier international, en tant que système de financement du développement, se produit en 1980-1981.  Une nouvelle étape est franchie avec le mouvement de libéralisation financière, lancé par Reagan et Thatcher . La « dictature » des créanciers s’installe : libéralisation et  déréglementation des mouvements de capitaux, titrisation de la dette publique des pays avancés, Etats-Unis en tête, politique monétaire de la Fed, le tout provoquant une hausse des taux d’intérêt longs qui passent de 1,5/2 % à 8/10 %. Le G7, qui est le pacte des principaux pays actionnaires de l’économie mondiale, impose le dogme du Consensus de Washington, fondé sur la libéralisation des échanges et des capitaux, les privatisations et la primauté donnée aux marchés financiers et aux investissements internationaux.

On connaît la suite : crise de la dette, « décennie perdue » en Amérique latine et dans de nombreux pays de par le monde, à commencer par l’Afrique. Dans le nouveau contexte de globalisation financière, les IFI sont aujourd’hui devenues des instruments contribuant à imposer, souvent avec la complicité tacite et résignée des Etats nationaux, des politiques de privatisation et de libéralisation des marchés, derrière l’appellation d’  « ajustement structurel ».

Une nouvelle étape est franchie dans les années 1990. Les crédits bancaires ont reculé en importance au bénéfice des placements en actions et en obligations sur les marchés émergents, qui se trouvent de plus en plus tributaires d’allers et retours spéculatifs engendrant une hausse artificielle des cours dans un premier temps, puis leur effondrement ensuite, avec les conséquences économiques et sociales que l’on sait pour les populations concernées.

Une « nouvelle architecture financière internationale » a été proposée, à l’initiative du G7 et des Etats-Unis, après les crises mexicaine, russe et asiatique. Le FMI a été chargé de mettre en œuvre les principes définis par Rubin, secrétaire au Trésor américain. Ces principes confortent l’évolution précédente : il s’agit essentiellement d’améliorer  l’information des investisseurs privés sur les marchés financiers émergents, afin d’accroître encore leur rôle.

2. Notre critique des IFI

Le FMI et la Banque Mondiale se sont largement discréditées. Nous leur adressons une triple critique :

·        Ces deux institutions de Bretton Woods se sont progressivement éloignées de leurs fonctions initiales, pour devenir des instruments à travers lesquels le capitalisme transnational impose aux pays dépendants et endettés ses préceptes d’organisation :  l’ajustement structurel

·        Les IFI ont été utilisées pour vider de leur substance des institutions comme la CNUCED ou le PNUD – qui relèvent de l’ONU – et dont le fonctionnement est a priori plus démocratique, puisqu’il n’est pas fondé sur le principe « un dollar, une voix ».

·        Les IFI ont imposé des politiques contraires aux exigences d’un véritable  développement en privilégiant le paiement de la dette et l’ouverture aux capitaux au détriment des autres objectifs. Ces politiques se sont soldées par de graves échecs :  crises à répétition et montée des inégalités sociales.

Nous proposons de réformer radicalement les IFI, c’est-à-dire de remettre en cause la nature-même des pouvoirs qui s’expriment à travers ces institutions et donc la logique qui détermine leur action. Cette position s’oppose, d’une part, aux ultra-libéraux dont la position est exprimée dans le rapport Meltzer et qui souhaitent réduire au minimum la régulation publique internationale et, d’autre part, à ceux qui souhaitent renforcer les IFI de Bretton Woods, telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui, voire les réformer à la marge, ce qui est la position du gouvernement français.

Les propositions de réforme radicale que nous avançons ne consistent pas à améliorer le fonctionnement des IFI de manière à assurer la pérennité du système existant. Nos propositions permettent, au contraire, de montrer en quoi le fonctionnement actuel des IFI va à l’encontre des exigences du développement. Elles s’appuient sur les revendications légitimes des peuples à choisir leur mode de développement. Ces propositions remettent en cause les pouvoirs établis et sont le plus souvent inacceptables pour les acteurs privés et publics qui conduisent aujourd’hui le système financier international. Notre objectif est de reprendre ces revendications qui expriment un refus de la mondialisation néolibérale afin de définir les principes d’une autre architecture financière internationale, et de montrer qu’une alternative est souhaitable et possible.

3. Une nouvelle logique pour l’économie mondiale et pour les IFI

La réforme des IFI doit s’inscrire dans le cadre plus global d’une réforme du système financier international en fonction de nouveaux principes. La mondialisation n’est pas en soi un processus critiquable dans la mesure où elle entraîne des échanges de tous ordres entre les peuples. Ce qui est inacceptable, c’est la logique actuelle de la mondialisation néolibérale car elle considère le monde comme une marchandise en donnant un pouvoir exorbitant aux marchés et à la seule logique du profit.

La réforme des IFI est indissociable des réponses données à deux questions préalables :

31. Des IFI pour quel type de développement ?

Le développement économique et social doit être l’objectif prioritaire des IFI. Notre modèle de référence est le « développement durable », même si le terme est aujourd’hui utilisé à tort et à travers et fortement récupéré. Nous entendons par là la mise en place d’un développement économe des ressources naturelles non renouvelables et du travail de l’être humain, et organisant l’équité intra-générationnelle et intergénérationnelle. En d’autres termes, il s’agit de promouvoir une économie fondée sur le respect de l’être humain et de son environnement, d’organiser l’échange entre les peuples fondé sur l’égalité, la démocratie, le libre choix des peuples. Le développement durable pourrait être, s’il n’est pas détourné de son objet, une alternative à la domination du marché et à la logique du profit. Il implique une rupture radicale avec le modèle libéral qui préside actuellement à toutes les décisions des IFI. Le développement durable est incompatible avec les solutions marchandes actuellement proposées par les pays du G7, telles que l’instauration d’un marché des droits à polluer du protocole de Kyoto qui aboutirait à relâcher les contraintes pesant sur les pays riches.

32. Quelles institutions et pour quelles fonctions ?

Imposer cette nouvelle logique économique suppose que l’on s’appuie sur des mobilisations sociales, tant au niveau national qu’international.

La mobilisation internationale, à travers le nouveau mouvement citoyen qui s’exprime à l’échelle mondiale, ne néglige pas pour autant les échelles locales et nationales. Le cadre des Etats-nations demeure aujourd’hui encore un lieu d’ancrage très important pour ces mobilisations populaires. Il reste également un levier opérationnel pour imposer une autre logique économique, à travers la fiscalité, la réglementation, la justice, la prise en charge de l’éducation, de la santé, de la protection sociale, du soutien à l’innovation et aux industries naissantes, etc.

Les quatre fonctions principales des IFI :

Nécessaire, la prise en compte du niveau national n’est pas suffisante et doit être combinée avec le niveau international. Les fonctions prioritaires des IFI devraient être : 

1/ d’organiser l’annulation internationale de la dette extérieure des pays qui le demandent (et pour qui c’est vital) ;

2/ d’assurer aux pays qui en ont besoin des formes et des conditions de financement qui permettent un développement durable ;

3/ d’organiser un dispositif de prévention et de gestion des crises et de donner aux pays qui le demandent l’assistance technique pour se protéger contre les mouvements de capitaux spéculatifs ;

4/ d’aider les pays à construire (ou à reconstruire) les institutions leur permettant de soustraire leurs exportations aux aléas de l’instabilité des monnaies et des cours des matières premières.

Même si notre réflexion est volontairement centrée sur les IFI, on ne peut dissocier celle-ci d’une analyse critique des autres organisations internationales, telles que l’OMC, et ne pas s’interroger sur les raisons d’une relégation au second plan d’institutions comme la CNUCED, la PNUD, l’OIT, la FAO ou l’OMS. Les relations internationales forment un tout et doivent faire l’objet d’une analyse d’ensemble.

Le traité qui a institué l’OMC est un contrat léonin, de type impérial. C’est pourquoi nous luttons contre l’OMC, telle qu’elle fonctionne actuellement, et pour la dévolution de ses fonctions à d’autres institutions. L’OMC, avec son organisme de résolution des conflits, véritable tribunal international, détient un pouvoir exorbitant pour imposer la primauté des intérêts commerciaux sur toute autre considération. Les décisions de l’OMC constituent une violation des principes fondamentaux défendus dans les domaines des droits économiques, sociaux et environnementaux défendus par l’ONU et l’OIT. Il est essentiel que le non respect des normes édictées par l’OIT puissent être sanctionnées afin que le travail ne soit plus une simple variable d’ajustement, soumise aux intérêts financiers et commerciaux défendus par les IFI et l’OMC.

Les IFI, comme l’OMC, ont des domaines de compétence limités qui doivent le rester. A l’inverse l’ONU est soumise à un ensemble de textes fondamentaux comme sa Charte, la Convention Universelle des Droits de l’Homme, la Convention sur l’Elimination des Discriminations à l’égard des femmes, le Pacte sur les Droits économiques, sociaux et culturels, la Charte des droits et des devoirs économiques des Etats. Les Nations Unies sont une organisation universelle légitime à laquelle devraient être subordonnées les autres organisations internationales. Cette proposition va de pair avec celle de la nécessaire réforme des Nations Unies, avec en particulier une remise en cause du Conseil de Sécurité, sans oublier la lutte contre les tendances bureaucratiques qui limitent son efficacité.

4.      Réformer le fonctionnement des IFI

Les IFI ne pourront contribuer à la régulation du système financier international selon les principes qui viennent d’être brièvement énoncés que si leur fonctionnement est gouverné par les principes suivants, en rupture profonde avec leurs pratiques actuelles[1].

4.1. Démocratie et transparence :  les IFI de Bretton Woods se caractérisent par un profond déficit démocratique :  secret des études et des décisions, concentration des pouvoirs aux mains des pays les plus riches, absence quasi-totale de femmes dans les instances décisionnelles. Une participation équilibrée des femmes dans les instances de décision permettrait de lutter contre la reproduction des inégalités du genre. Une priorité de la réforme des IFI doit être la démocratisation du vote et des modalités de prise de décisions, selon le principe des Nations Unies (un Etat, une voix) ; une pondération en fonction de la population, assurant notamment un équilibre entre pays riches et pays pauvres, créanciers et débiteurs est, au minimum, indispensable. Deuxième axe de démocratisation : instaurer un réel contrôle des Parlements nationaux, avec la collaboration des représentants de la société civile (ONG, syndicats, mouvements de femmes, …), sur les administrateurs nationaux dans les IFI, avec l’organisation de débats publics contradictoires et la publication de rapports d’information. Il faut, au minimum, que le représentant de la France au conseil d’administration du FMI et de la Banque Mondiale, et les administrations dont il reçoit des instructions, rendent compte et soient réellement contrôlés par les parlementaires.

Il est essentiel que la démocratie et la transparence soient également organisées au niveau des populations locales concernées directement par les interventions des IFI. L’information des populations locales doit être systématique. Les interventions des IFI doivent faire l’objet de débats et d’une approbation par les Parlements nationaux. Cela implique notamment la remise en cause du système actuel des conditionnalités qui est contraire à l’idée d’une coopération, ainsi qu’un rééquilibre des rapports inégaux  entre pays riches et pays en développement.

4.2. Restaurer l’équilibre entre pays créanciers et pays débiteurs

Le fonctionnement actuel des IFI est totalement asymétrique, puisque les pouvoirs de décision sont concentrés entre les mains des pays riches créanciers. Cela signifie que les pays débiteurs supportent généralement le fardeau des ajustements provoqués par des déséquilibre internationaux dont ils ne sont pas seuls responsables. De plus, les pays débiteurs ne disposent d’aucune marge de manœuvre dans le choix de leurs politiques économiques et sociales. Ce pouvoir exorbitant des créanciers, caractéristique de la finance libérale, doit être remis en cause. Il est donc crucial que la gestion des opérations de financement et de la dette des pays en développement soit organisée sur une base paritaire, reconnaissant la co-responsabilité entre les gouvernements des pays créanciers et des pays débiteurs dans la formation de la dette. Ce principe d’égalité implique notamment une remise en cause profonde des mécanismes de fonctionnement des club de Paris et de Londres, gestionnaires de la dette publique et privée des pays en développement.

4.3. Un rattachement effectif des IFI à une Organisation des Nations Unies elle-même réformée

Il est essentiel de subordonner les IFI et l’OMC au système des Nations Unies, ce qui est un moyen de les soumettre à un contrôle extérieur, d’une part, et de les amener à respecter des principes fondamentaux, supérieurs aux intérêts financiers et commerciaux, d’autre part.

Replacer le travail et les rapports sociaux de production au centre du débat : tel qu’il est engagé, le débat sur la « clause sociale » sert surtout à justifier des intérêts capitalistes, en divisant les travailleurs du nord et du sud, en surexploitant les travailleurs du Sud et en particulier les femmes, en masquant la régression des droits acquis des travailleurs du nord. C’est principalement aux syndicats qu’incombe la responsabilité de reprendre l’initiative, notamment dans le cadre de l’OIT, pour un front commun pour la défense et l’avancée universelle des droits du travail, avec le soutien des organismes de recours.

Cette réforme radicale des IFI et leur confrontation avec les autres dispositifs internationaux existants devra passer par la mise en place d’instances d’évaluation indépendantes, extérieures à ces institutions, qui seraient rattachées au système des Nations Unies. La possibilité d’une saisine de cette instance par les parties concernées, et aussi par les représentants des Parlements et des autres secteurs de la société civile (syndicats, associations, mouvements de femmes), serait un pas en avant considérable dans la démocratisation du système financier international.

4.4. Régionaliser les IFI

La régionalisation des IFI permettrait d’atteindre un triple objectif :  diminuer le pouvoir excessif du FMI et de la Banque mondiale, réduire l’emprise des Etats-Unis sur les IFI, et rapprocher les IFI des populations et des gouvernements locaux. Il faut cependant éviter des politiques de blocs formés autour de grandes puissances régionales ; ces politiques renforceraient l’instabilité et la concurrence entre les peuples, comme l’a montré l’histoire des années 1930. La régionalisation des IFI devrait permettre à celles-ci de contribuer plus efficacement à la solution des défis locaux. Une structure polycentrique devrait ainsi caractériser l’architecture future des organisations internationales. Les IFI régionalisées, intégrées au système des Nations Unies, seraient ainsi reliées entre elles par des accords de coopération et de coordination. Dans cette structure, le capital de la Banque Mondiale serait réparti entre les banques régionales de développement. La Banque Mondiale verrait alors son rôle limité à celui d’un organisme de garantie, n’accordant plus directement de prêts. Il y aurait lieu d’opérer également une régionalisation du Fonds mondial pour le développement dont nous proposons la création pour financer le développement sur la base de transferts publics obéissant à une logique qui ne soit pas déterminée par la seule logique du marché mondial.

La formation de zones monétaires régionales, comme celle de l’Euroland avec l’euro, est l’objet de discussions dans certains pays émergents, notamment en Amérique Latine. La question est difficile D’un côté, il s’agit pour ces pays émergents de contrer l’hégémonie du dollar  - notamment les diverses formes de « dollarisation » -  sur leurs politiques et sur leurs monnaies. Leur capacité de négociation avec le FMI, où domine l’influence américaine, pourrait en être accrue. Mais, d’un autre côté, l’expérience a montré que la création de blocs monétaires liés à des zones de  libre-échange (« un marché, une monnaie »), aggrave le risque d’instabilité et la concurrence internationale, jusqu’à ce qu’émerge  - par nécessité - une monnaie de référence mondiale, celle du pays capitaliste devenu « leader ». Est-il souhaitable, pour les pays émergents, que leurs monnaies régionales - si elles peuvent se faire - participent à l’instabilité générale, sans pour autant accéder au rang de grandes devises ? Et cela au prix de sacrifices accrus pour les populations, comme l’ont montré par exemple les coûts, en termes d’austérité pour les salariés en Europe, du processus de formation de l’Euro.

On suggère ici de mener une réflexion sur une monnaie mondiale commune, à partir des propositions de Keynes rejetées à Bretton Woods par les Etats-Unis, servant de référence aux échanges extérieurs et aux crédits entre Etats, ceux-ci conservant leur souveraineté monétaire et l’autonomie de leur politique monétaire. Une des conditions en était l’absence de liberté de mouvement des capitaux privés. Ce type de proposition est évidemment à inscrire dans un changement radical de la logique économique actuelle.

4.5. Créer des mécanismes et une instance de recours

La régulation mondiale ne peut pas être définie uniquement en termes institutionnels ; la question des droits a son importance. Il est indispensable de faire en sorte que les IFI se soumettent au droit international, particulièrement aux protocoles et aux accords auxquels ont souscrit la plupart de leurs Etats membres. C’est l’idée qu’il est possible de réguler l’économie et les échanges à partir du respect des droits, des droits civils et politiques autant que des droits économiques, sociaux et culturels. Cette référence aux droits fondamentaux est de plus en plus centrale dans la mobilisation et les revendications des mouvements sociaux dans le monde.

Afin d’assurer le respect des droits, et la prise en compte des droits économiques, sociaux et culturels dans la régulation des économies nationales et de l’économie mondiale, il est essentiel de progresser dans deux directions : en premier lieu, admettre la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels, c’est-à-dire reconnaître qu’une personne physique ou morale soit en mesure de demander réparation devant la justice si elle estime que ces droits ont été violés ; deuxièmement, mettre en place au niveau international des instances de recours susceptibles de juger ces situations.

Dans cette perspective, afin de réduire le pouvoir aujourd’hui excessif des IFI, et de redonner du pouvoir aux Etats et aux citoyens à l’échelle internationale, il est nécessaire d’organiser des possibilités de recours des Etats et des citoyens devant des juridictions internationales pour violation des traités internationaux, ou pour non respect des droits fondamentaux. Il est important d’obtenir une transformation du cadre juridique dans lequel fonctionnent les juridictions internationales, afin de permettre aux membres de la société civile (citoyens et leurs associations) d’ester en justice auprès des juridictions nationales de même qu’à l’échelon international contre les Etats, les entreprises ou les organisations internationales.

5.      Réformer les interventions des IFI

Aux changements institutionnels des IFI qui viennent d’être proposés doivent correspondre de nouvelles pratiques. Il est, en effet, indispensable que les IFI soient amenées à transformer radicalement les modalités de leurs interventions afin de remplir correctement les quatre fonctions, énoncées plus haut, qui leur sont assignées. Au cœur des priorités des IFI, on retrouve les objectifs de stabilité financière et de financement du développement qui avaient initialement constitué les fondements des accords de Bretton Woods.

5.1 Prévention et gestion des crises financières

L’instabilité financière, avec les crises de change et les crises bancaires, est une caractéristique centrale de la finance globalisée. Son coût est élevé; elle est devenue une préoccupation majeure des autorités monétaires et des gouvernements. Il y a une contradiction fondamentale entre la doctrine néo-libérale et la nécessité de mettre en place un système de régulation publique de la finance globale.

Le système de régulation actuel, qualifié de « contrôle prudentiel », repose sur un pilier préventif (réglementation et supervision) et sur un pilier curatif (dispositif de gestion des crises). Le premier pilier a été construit jusqu’ici dans le domaine bancaire par le Comité de Bâle, à la Banque des Règlements Internationaux. Il n’a pas empêché les « prises de risque excessif » dans l’attribution ou dans la suppression brutale des crédits accordés par des grandes banques internationales. Quant aux autres acteurs financiers (investisseurs, fonds spéculatifs, conglomérats), ils ne font pas l’objet d’une supervision véritable à l’échelle internationale. Le second pilier curatif concerne notamment la fonction de « prêteur en dernier ressort international », c’est-à-dire la lutte contre le risque systémique par la fourniture de liquidité en urgence en cas de crise. Le FMI a été chargé de coordonner les opérations de sauvetage dans les crises récentes (Mexique en 1995, Corée en 1998, Argentine et Turquie en 2000).

Mais le FMI manque de légitimité. Sa gestion des crises financières est particulièrement contestée depuis la « crise asiatique » de 1997-98. La crise russe a également montré les dérives de la libéralisation et des privatisations, ainsi que le risque que ces politiques portent, celui de la criminilisation généralisée du système financier international. Il a beaucoup été question de sa réforme, en 1999, mais rien d’important n’a été décidé, en partie à cause de désaccords sur la nature des réformes à entreprendre. Plusieurs projets ont été avancés : réduire le FMI à son rôle initial en octroyanr des prêts à court terme à des pays solvables atteints par une crise(commission Meltzer) ; garder le statu quo avec quelques aménagements (rapport Fabius 2000) ; ou développer une nouvelle régulation politique internationale (J.Stiglitz ). On a aussi beaucoup parlé d’impliquer les créditeurs privés « imprudents » dans le financement de la réparation des crises financières, mais sans préciser comment.

Face à ces désaccords et ces incertitudes, nous devons mettre en avant nos analyses et nos propositions : la libéralisation financière ne peut plus être le principe directeur du système financier international. Il est essentiel de promouvoir une nouvelle régulation de la finance, fondée sur un encadrement étroit des acteurs privés par une réglementation forte des mouvements de capitaux, la suppression du secret bancaire et des privilèges fiscaux, le renforcement de la taxation des opérations financières internationales (taxe Tobin), le contrôle démocratique des autorités publiques nationales et internationales.

5.2. Priorité à l’annulation de la dette extérieure

La dette est un frein considérable au développement des pays les plus pauvres, et elle pèse lourdement sur les pays dits « émergents ». Le caractère cumulatif des dettes (emprunter pour payer les intérêts ou rembourser) entretient une dépendance sans fin des pays du sud. L’annulation de la dette est plus que jamais d’actualité :  on peut en voir une confirmation dans les faibles résultats de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), lancée il y a quatre ans par le G7.

Il est essentiel de changer les modalités actuelles de gestion de la crise de la dette. Au lieu de traiter les dettes des pays du Sud au cas par cas comme c’est le cas actuellement aux clubs de Paris et de Londres, il faut mettre en place l’organisation d’un traitement global de la dette, par exemple dans le cadre d’une Conférence internationale, ce qui permettrait de réduire le poids des IFI et donnerait une dimension politique et planétaire à cette question, en faisant ressortir les responsabilités importantes des banques internationales et des gouvernements des pays riches.

Plusieurs principes pourraient être actés à cette conférence et s’imposeraient ensuite aux IFI :  « co-responsabilité » des pays créanciers et débiteurs dans l’origine de cette dette, limitation de la charge de la dette à un pourcentage bas des exportations des pays débiteurs, etc. Les IFI devront adapter leur approche actuelle de la dette en termes de « soutenabilité » aux principes définis conjointement par les autorités politiques représentatives des pays créanciers et débiteurs.

5.3. Priorité au développement, remise en cause des PAS et de la conditionnalité des prêts

Les plans d’ajustement structurels, ainsi que la doctrine de la conditionnalité, qui sont au centre de l’action du FMI, doivent être radicalement remis en cause. Cela signifie en particulier que la lutte contre les déséquilibres macroéconomiques (inflation, déséquilibre du commerce extérieur et des finances publiques) ne peut se faire au détriment des objectifs de développement économiques et sociaux à long terme. Une autre implication est qu’il est nécessaire de consulter le pays et ses instances démocratiques avant de mettre en application des politiques économiques recommandées par les IFI. De même, il est essentiel de donner la possibilité aux pays de fermer leurs frontières pour se protéger contre la concurrence excessive ou la spéculation :  cela met notamment en cause les pressions du FMI pour l’ouverture du compte de capital. Enfin, les pays, et directement les peuples, doivent être en mesure de contester devant une instance internationale (voir plus haut) les politiques qui leur sont appliquées par la communauté financière internationale, par exemple le retrait brutal de fonds par les banques et les investisseurs étrangers.

Les PAS sont la forme la plus brutale de la conditionnalité des prêts du FMI. Certains proposent de les supprimer, mais dans une optique néo-libérale. Ainsi la commission Meltzer a préconisé de les abandonner, et de limiter les prêts du FMI à des crédits à court terme, aux taux du marché, pour les seuls pays « solvables » subissant un choc extérieur. Cette proposition est absurde. La « solvabilité » d’un pays est en réalité appréciée selon sa taille ou (« too big to fail ») et sa place dans les stratégies internationales des grandes puissances capitalistes : voir les « sauvetages » du Mexique, de la Corée, de l’Argentine, de la Turquie. Et le principe des PAS est précisément de rendre « solvables » à court terme les pays emprunteurs les pays « émergents », selon les normes de la finance de marché.

Notre opposition aux PAS s’accompagne de la nécessaire définition de nouvelles modalités de crédit, à des conditions hors marché (subventions et transferts publics, prêts à taux d’intérêt bonifiés ou préférentiels). Il est souhaitable d’aller vers la création d’un Fonds mondial pour le développement, chargé de financer les projets les plus urgents et d’assurer les nécessaires transferts de technologie vers les pays du Sud. Ce Fonds pourrait être alimenté par l’aide publique qui devra être multipliée par trois afin de respecter l’objectif de O.7% du PIB des pays riches, et par un impôt mondial sur les revenus du capital comme l’a proposé la CNUCED en 1995. Le choix des projets, leur suivi et leur évaluation devraient être de la responsabilité d’un organisme lié aux Nations Unies, par exemple le PNUD, où les populations pourraient être directement représentées. De même, on doit envisager la création d’un Fonds de Stabilisation des matières premières destiné à préserver le pouvoir d’achat des pays exportateurs.

5.4. Lutte contre la pauvreté

La lutte contre la pauvreté fait partie du discours officiel des IFI, mais les politiques sur le terrain ne traduisent pas cet objectif : la pauvreté est féminine à 70%, et les plans d’ajustement structurel ont été particulièrement néfastes pour les femmes, que ce soit pour leur scolarisation, leur santé, leur emploi et leurs droits. De plus, la politique des IFI consiste le plus souvent à affirmer vouloir  aider les pauvres et beaucoup moins à combattre les causes de cette pauvreté. Les nouvelles méthodes de mesure - telles que celles développées par le PNUD avec l’indice de développement humain, l’indice sexospécifique de développement humain, l’indice de participation des femmes et l’indice de pauvreté, ou la « comptabilité verte » - doivent être encouragées pour permettre d’internaliser les coûts sociaux et écologiques du capitalisme de marché mondialisé. Des études d’impact sur le genre doivent être menées au préalable et conditionner tous les projets présentés par les IFI.

Cependant la lutte contre la pauvreté ne saurait remplacer le droit au développement. Il ne s’agit pas de secourir les pauvres mais d’assurer le respect des droits fondamentaux, l’accès de tous aux services de base et l’égalité des droits. Ceci vaut pour la lutte contre la pauvreté dans les pays du Sud, avec son caractère massif et dévastateur, mais aussi pour la lutte qui s’est développée dans les pays capitalistes eux-mêmes et qui touche des millions de personnes, notamment aux Etats-Unis et en Grande Bretagne.

5.5. Défense de l’environnement

Les IFI doivent avoir, parmi leurs objectifs, le souci de mettre en œuvre des mesures compatibles avec la protection de l’environnement. Ainsi, il est important de financer uniquement les projets agricoles ou industriels qui respectent l’équilibre des l’écosystèmes. A l’inverse, les IFI doivent pénaliser les acteurs économiques et financiers dont les actionssont destructrices de l’environnement.

Les IFI doivent respecter les accords internationaux, et les décisions prises par leurs membres dans les Conférences internationales (Rio, Kyoto, etc). 

En conclusion : promouvoir la redistribution des richesses à l’échelle internationale

La mondialisation et la finance libérales ont renforcé les inégalités dans tous les pays d’une part, entre les pays du nord et du sud, d’autre part. Elles ont aussi renforcé les inégalités entre les hommes et les femmes. Redistribuer les richesses pour favoriser un développement économique, social et humain équilibré sur l’ensemble de la planète est un objectif prioritaire. Les financements recourant au marché sont dans l’incapacité de jouer ce rôle. Les financements publics (aide au développement, prêts hors conditions du marché) doivent être considérablement développés, alors que leur part n’a cessé de se réduire depuis que la finance libéralisée domine. L’aide publique au développement est une des seules formes actuelles de financement échappant à la logique du marché : elle doit être accrue, malgré ses limites. Mais l’objectif doit être de développer la taxation du capital destinée à alimenter ces financements publics.

Les recettes de la taxe Tobin seront largement utilisées dans ce but redistributif à l’échelle internationale et dans les pays en proie à de profondes inégalités, avec l’objectif prioritaire de financer les dépenses permettant le développement humain (éducation, santé, agriculture). Car c’est dans les pays du G7 que sont concentrées les places financières et les principaux acteurs financiers qui dominent le marché des changes et la spéculation internationale. En frappant en priorité le cœur du système financier international, la taxe Tobin affecte l’activité financière à sa source et permet une redistribution vers les pays de la périphérie.

La période actuelle est favorable à notre approche fondée sur des propositions radicales dans la mesure où se développe une conscience de l’opinion publique internationale à propos de la faillite du capitalisme libéralisé et sous l’emprise de la finance. Notre but est de reconstruire l’architecture du système financier international selon deux objectifs prioritaires : d’une part, une distribution égalitaire des ressources financières à l’échelle planétaire, prenant en compte directement les besoins et les moyens de chaque pays, et d’autre part, la mise en place d’un système financier stable nécessaire au financement à long terme d’un développement soutenable du point de vue social et écologique.



[1] Ces principes ont déjà été mis en avant par différentes campagnes, et notamment la Campagne pour la réforme des IFI (animée en France par Agir Ici, l’AITEC et le CRID), Bretton Woods Project en Grande Bretagne, Fifty Years is Enough aux Etats-Unis, Focus on Global South en Asie, le CADTM en Belgique, Jubilee South en Afrique, etc.

 

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