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Médecins Sans Frontière http://www.paris.msf.org/ Denis Pingaud - Directeur du développement de MSF |
Salut de Médecins sans frontières à Attac (samedi 24 octobre 1999)
Médicaments essentiels et mondialisation Chers amis, Au nom de tous les Médecins sans frontières, je voudrais vous adresser
un salut amical et chaleureux. J’espère que vos assises seront
l’occasion à la fois d’approfondir et de populariser les idées que
vous défendez. Je profiterai de ces quelques minutes d’intervention pour évoquer un
sujet qui est aujourd’hui l’une des préoccupations majeures de MSF :
la très grande majorité de la
population des pays pauvres est aujourd’hui privée d’un accès aux médicaments
essentiels, autrement dit aux médicaments qui sauvent la vie. Il faut savoir, par exemple, que les maladies transmissibles connues,
comme la tuberculose ou le sida, ou moins connues, comme la maladie du
sommeil, tuent 17 millions de personnes par an dans le monde, dont la
moitié dans les pays pauvres. Or, un
très grand nombre de ces vies pourrait être sauvées si les possibilités
d’accès aux traitement de ces maladies répondaient à une autre
logique que la pure logique commerciale. Médecins sans frontières a lancé, depuis quelques mois, une campagne
internationale pour faciliter l’accès des populations défavorisées
aux médicaments essentiels. Et nous entendons bien profiter de notre
statut de Prix Nobel de la Paix pour forcer les décideurs publics et privés
à envisager un nouveau système de régulation du commerce du médicament. Plus concrètement, de quoi s’agit-il ? De changer des règles
explicites ou implicites qui se traduisent par deux conséquences
dramatiques : n
d’une part, la recherche et le développement sur le traitement de
maladies transmissibles spécifiques aux pays pauvres est quasiment
abandonnée par les trusts pharmaceutiques, parce que ces médicaments ne
sont pas rentables faute de demande solvable ; entre
1975 et 1997, sur plus de 1 200 nouveaux médicaments commercialisés dans
le monde, 11 seulement visaient le traitement d’une maladie tropicale ;
en d’autres termes, la logique du marché conduit à dépenser, en
recherche et développement, des milliards de dollars pour la Viagra et 0
centime pour mettre au point de nouveaux traitements contre le malaria qui
tue 1 800 000 personnes par an ; n
d’autre part, le fait que la production et la commercialisation de médicaments
obéissent à la seule logique du marché les rend inaccessibles à la très
grande majorité des malades des pays pauvres ; peut-être avez-vous
lu, cette semaine dans la presse, le récit de Rebecca, cette gamine
kenyane atteinte d’une tuberculose aiguë et soignée à l’hôpital de
Homa Bay, par Arnaud, médecin sans frontières ; au bout de cinq
jours de traitement, Rebecca a disparu de sa chambre ; sa grand-mère,
parce qu’elle ne pouvait plus payer les 15 francs par jour que coûtait
le traitement, était venue la chercher pour la ramener dans son village,
la condamnant ainsi à une mort certaine. Abandon de la recherche et du développement pour les
maladies tropicales, prix prohibitifs des médicaments pour les malades
des pays pauvres : comment agir pour renverser cette situation révoltante ?
La campagne de Médecins sans frontières se déploie sur trois niveaux. C’est d’abord une
campagne de terrain qui s’appuie sur le travail et l’expérience de médecins
confrontés, in vivo, à l’absence de solution pharmaceutique pour les
populations qu’elles soignent. Ainsi, en Ouganda, MSF mène un programme de lutte
contre la trypanosomiase, c’est à dire la maladie du sommeil, transmise
par la piqûre de la fameuse mouche tsé-tsé. Cette maladie, que l’on
croyait éradiquée, est réapparue à la suite de l’effondrement des
systèmes de santé et du déplacement massif de populations dans des pays
comme l’Ouganda, le Congo-Kinshasa ou le Soudan. Cette maladie, que
l’on pourrait parfaitement soigner, fait aujourd’hui 150 000 morts par
an selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé. Or, les médecins n’ont à leur disposition que
d’anciens médicaments, de moins en moins efficaces. Un médicament,
cependant, pourrait garantir un traitement approprié, c’est
l’eflornithine. Celui-ci, après avoir été commercialisé par le
laboratoire Merell Dow, à un prix très élevé, n’est désormais plus
disponible. Sa production a été stoppée faute de rentabilité. Depuis
trois ans, le trust Marion Roussel Hoescht, qui a racheté Merell Dow, a
offert les droits de commercialisation à l’Organisation mondiale de la
santé. Alors MSF, avec d’autres, essaie de convaincre un autre
laboratoire de produire cette molécule en lui garantissant un certain
volume d’achat. Voilà ce que fait concrètement MSF confrontée aux
mêmes types de problèmes sur d’autres terrains. Comme dans les prisons
de l’ex-Union soviétique où un malade sur quatre de la tuberculose est
condamné à mort parce qu’il présente des multirésistances aux
traitements disponibles ; comme en Thaïlande ou au Cambodge où nos
équipes conduisent des programmes curatifs contre le Sida sans pouvoir
disposer des bi ou des tri-thérapies. Nous pensons que cette connaissance et cette expérience de terrain donne plus de crédibilité
à MSF pour mener campagne à un deuxième niveau : les propositions.
Celles-ci tournent autour de deux axes : n
en premier lieu, il s’agit de permettre aux pays pauvres d’utiliser
tous les moyens dont ils peuvent disposer pour s’approvisionner en médicaments
essentiels ; au niveau du droit international, deux dispositions
existent - les licences obligatoires et les importations parallèles - qui
autorisent un Etat, en cas d’urgence sanitaire, de produire lui-même
des médicaments, quitte à copier des brevets existants ou d’en acquérir
au meilleur prix, au détriment de la pure logique commerciale ; MSF
soutient d’ailleurs certains états comme la Thaïlande ou l’Afrique
du Sud qui essaient de profiter de ces dispositions particulières
actuellement encore en vigueur dans les accords de commerce international ;
et naturellement, vous l’avez compris, ce sont ces dispositions
particulières que le lobby pharmaceutique mondial souhaite voir abroger
à l’occasion du prochain round de négociations de l’Organisation
mondiale du commerce (OMC) ; n
en second lieu, il s’agit de réunir autour d’une même table de
travail les laboratoires, les Etats riches et les organisations
internationales compétentes pour tenter de définir une nouvel ordre
mondial en matière de recherche afin de trouver les solutions, financières
principalement, pouvant permettre des avancées rapides et concrètes dans
le domaine des maladies transmissibles propres aux pays pauvres. Mais nous savons bien que, ce
faisant, nous touchons à la logique d’un système qui ne pourra changer
que sous la pression de l’opinion publique internationale : voilà
pourquoi notre campagne se déploie également à un troisième niveau,
celui de l’interpellation. Au fond, les questions que nous posons - et que nous allons poser systématiquement
poser à tous les grands décideurs publics et privés - sont très
simples. Le médicament est-il une
marchandise comme les autres, au même titre que l’automobile ou le téléphone
portable ? Peut-on laisser les traitements qui sauvent la vie soumis
à la seule loi du marché ? C’est la raison pour laquelle Médecins
sans frontières demande, à la veille de l’ouverture du sommet de
Seattle, que soit décrétée d’urgence l’exception sanitaire, au
même titre que l’exception culturelle. Parce
que nous ne pouvons pas nous résoudre à ce que la loi du marché, en
matière pharmaceutique, continue à empêcher de sauver des millions de
vies. Chers amis, En conduisant une campagne de terrain, de propositions et
d’interpellation sur l’accès des populations défavorisées aux médicaments
essentiels, nous avons bien conscience de rejoindre d’autres combats
d’autres Ong ou associations. C’est pourquoi nous
serons présents au contre-sommet de Seattle. Et c’est pourquoi je
conclurai en disant simplement ceci :
puisque nos routes se croisent, faisons donc un bout de chemin
ensemble !
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