Propositions - Spéculation

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Séminaire international ATTAC - Paris, 25 janvier 1999

Pourquoi la taxe Tobin La taxe Tobin c'est possible. Compte rendu

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POURQUOI LA TAXE TOBIN


Ont notamment participé à ce séminaire : Martin Branen (Bread for All, Pain pour le prochain), Suzanne de Brunhoff (CNRS), Bernard Cassen (université Paris VIII, président d'ATTAC), Jean-Christophe Chaumeron (Fédération des finances CGT), François Chesnais (université Paris XIII), David Felix (Washington University, Saint Louis, Etats-Unis), Susan George (Observatoire de la mondialisation, Transnational Institute), Gérard Gourguechon (Union syndicale Groupe des Dix, vice-président du conseil scientifique d'ATTAC),  John Grahl (University of North London, Royaume Uni), Liêm Hoang-Ngoc (université Paris I),  Bruno Jetin (université Paris XIII), Richard Langlois (Internationale de l'éducation), Bertrand Legendre (banquier, Observatoire de la finance),  Jacques Mazier (université Paris XIII), Alex Michalos (University of Northern British Columbia, Canada), René Passet (université Paris I, président du conseil scientifique d'ATTAC), Heikki Patomaki (Nottingham Trent University, Royaume-Uni), Katarina Patomaki (Nottingham Trent University, Royaume-Uni), Dominique Plihon (université Paris XIII), Howard M. Wachtel (American University, Washington DC, Etats-unis), Ibrahim Warde (University of California, Berkeley, Etats-Unis).

 

Depuis juillet 1997 la récession frappe de mois en mois de nouveaux pays, tandis que les premiers atteints, comme l'Indonésie, sombrent dans une dépression profonde aux incalculables conséquences humaines. Chaque récession nationale nouvelle accentue le ralentissement de la croissance de l'économie mondiale et fait peser la menace d'une crise de dimension planétaire. Le régime de finance globalisée, né de la libéralisation et de la déréglementation des flux de capitaux, porte une responsabilité écrasante dans l'avènement de cet état de choses.

Le retrait des capitaux de placement, attirés par des conditions de rémunération très élevées, entraîne, comme au Mexique en 1995 ou en Thaïlande en 1997, l'effondrement du système financier et bancaire national. Chercher à retenir ces capitaux implique de satisfaire leurs appétits. Ainsi le Brésil a dû élever le taux d'intérêt à 40 %, voire à 45 %. Résultat : les marchés financiers sont tranquillisés et le cours des actions peut continuer à monter dans les grandes Bourses mondiales, mais, à Sao Paolo par exemple, c'est par dizaines de milliers que se comptent chaque semaine les vagues de licenciements.

Un coup de semonce


La mise en place d'une taxation sur les opérations de change, dite taxe Tobin, constituerait une première mesure d'urgence pour empêcher la propagation ce ce désastre social. Elle aurait la valeur de coup de semonce à l'intention des opérateurs, préalable à une refonte totale du système financier international. En cela, sa visée diffère totalement de celle de l'écrasante majorité des autres projets de réformes jusqu'ici proposés : leur but est en effet d'assurer la pérennité de la libéralisation et de la déréglementation financières, c'est-à-dire de la principale cause des maux dont souffrent l'économie mondiale et les couches sociales les plus exposées aux crises.

Dans la plupart des cas, les mesures de réforme proposées par le Fonds monétaire international (FMI) et le G7 s'adressent uniquement aux économies dites "émergentes". Au nom de la "transparence" et de la "surveillance" nécessaires,  elles  entendent accroître la mainmise du FMI sur les gouvernements des pays tributaires de la finance internationale. Elles concernent la gestion des crises, mais pas leur prévention, et elles absolvent les fonds de placement et les banques internationales de toute responsabilité. Elles cherchent à parer à la brutalité de la sanction des marchés - où de lourdes pertes succèdent à d'énormes profits - en fournissant des filets de sécurité aux investisseurs et spéculateurs, mais nullement aux populations, comme l'ont spectaculairement montré les récentes interventions du FMI en Asie du Sud-Est.

Qu'il s'agisse de fonds spéculatifs ou de grandes banques occidentales, les gouvernements veillent prioritairement à la survie des institutions trop grosses pour faire faillite ("too big to fail"). Le cas le plus récent est celui du fonds spéculatif américain LCTM, mais on ne saurait oublier des exemples plus anciens, comme celui du Crédit Lyonnais en France. Le coût économique et social de ces sauvetages, qu'il soit supporté par les contribuables ou réparti entre grandes institutions financières, est parfaitement toléré par les défenseurs de la finance libéralisée, au nom de la nécessité de pallier le "risque systémique" : effondrement du crédit, krach financier mondial. La taxe Tobin, qui n'affecterait pourtant que les spéculateurs sur les devises, est, en revanche, jugée intolérable par ces mêmes néolibéraux, en raison de l'élément de contrôle des mouvements de capitaux qu'elle introduirait. Or c'est précisément cet avertissement politique aux marchés qui est devenu indispensable.

Croissance, justice sociale, développement soutenable


Nous défendons cette mesure comme premier pas vers la construction d'une économie mondiale dans laquelle la croissance irait de pair avec la redistribution des revenus et avec la justice sociale ; dans laquelle, année après année, les indicateurs internationaux ne mettraient pas en évidence l'aggravation des inégalités, la croissance de la malnutrition et de la faim, la réapparition d'anciennes maladies ou l'extension de la pandémie du sida qui frappe aujourd'hui les plus déshérités. Une économie dans laquelle la croissance, libérée notamment des ponctions de la financière rentière, serait respectueuse des conditions écologiques d'un développement soutenable.

Première forme d'impôt sur les transactions financières internationales, la taxe Tobin sur les opérations de change a comme principal objectif de contribuer à la stabilisation des mouvements de capitaux, prélude à des réformes beaucoup plus amples. Sa mise en oeuvre, même à un taux initial peu élevé, n'en dégagerait pas moins des sommes considérables qui pourraient être consacrées à ces objectifs d'égalité sociale, de développement soutenable et de réparation des maux les plus graves entraînés par les politiques de libéralisation. Elle appellerait la création de structures politiques internationales de répartition et d'administration des fonds ainsi dégagés.

Trop modeste, cette proposition ?


James Tobin a dit de sa proposition qu'elle visait simplement à "jeter du sable dans les rouages de la spéculation" sur les monnaies. Elle remettrait en cause la latitude laissée aux actuels comportements déstabilisateurs, de même que les algorithmes permettant le calcul des rendements par rapport aux risques dans un futur incertain : aujourd'hui, un ordre de change engendre jusqu'à huit opérations induites, ouvrant par la-même un espace démesuré et inutile à la spéculation. La taxe Tobin réduirait la dimension du marché des changes, sans pour autant le paralyser. Elle agirait à titre préventif en rendant non profitables certaines opérations spéculatives, et éviterait ainsi les attaques destructrices contre les monnaies. Ambition modeste au regard des problèmes d'aujourd'hui ? Disons plutôt premier pas d'une grande portée potentielle, et dont les conséquences seraient déjà importantes. Enumérons-en quelques unes.

Alors que la plupart des réformes proposées par le FMI et le G7 ne concernent que les économies "émergentes", la taxe Tobin les concerne toutes.  A commencer par celles des Etats les plus riches et les plus développés, dont les monnaies sont au c¦ur de la finance mondiale et dont les initiatives ont le plus de poids. L'adoption d'un tel impôt affirmerait la nécessité de mettre en ¦uvre une réglementation publique internationale face à l'instabilité des marchés de capitaux. Elle affirmerait la volonté des gouvernements d'avoir la haute main sur les marchés financiers, renversant la tendance actuelle. Un tel rétablissement suppose que les monnaies véhiculaires des opérations mondiales de change, principalement le dollar, soient impliquées.

La taxe Tobin a une vocation universelle : intégrer, par la négociation, l'ensemble des gouvernements de la planète dans une démarche coordonnée de reconstruction d'un système financier et monétaire mondial stable, tournant le dos aux pétitions de principe énoncées dans le cadre étroit et non démocratique des sommets du G-3, du G-7, ou du G-10. Imposer les opérations de change, ce serait adresser un avertissement politique sans ambiguïté  aux  principaux  acteurs économiques et affirmer que l'intérêt général doit l'emporter sur les intérêts privés et les besoins du développement sur la spéculation internationale.

Après vingt ans de déréglementation et de restructurations capitalistes, la puissance économique et sociale des marchés du capital a considérablement augmenté. Les néolibéraux eux-mêmes admettent que la bonne tenue des Bourses a été alimentée par une redistribution de la valeur ajoutée favorable aux revenus du capital par rapport à ceux du travail . Et, partout, l'allégement de la taxation du capital s'est accompagné de l'alourdissement de la fiscalité sur les salaires. Cette pression sur le salariat est présentée comme un phénomène mondial inévitable, auquel il faudrait se soumettre sous peine de disparaître. En écornant, même légèrement, les revenus de la spéculation sur les devises, la taxe Tobin aurait un important impact politique : elle introduirait un coin dans le mur de ce fatalisme qui affecte le rapport de forces au détriment du travail. Certes elle ne prétend pas pouvoir éviter les grandes crises. Mais, en réduisant l'instabilité financière, elle pourrait avoir un effet préventif et constituer l'un des éléments indispensables d'un dispositif plus large de soumission de la finance aux exigences de la justice sociale et du développement soutenable.

Une question politique, pas technique


Les difficultés de mise en oeuvre de la taxe Tobin ne sont pas tant techniques que politiques. Le seul argument invoqué à son encontre par le gouvernement français, par exemple, a été son manque de "réalisme politique". Ce qui manque, en vérité, c'est la volonté de défendre une proposition qui pourrait gêner certains Etats et certains intérêts financiers. Entre 1979 et 1995, le régime actuel de finance globalisée est bien né de décisions politiques. Au nom de quels arguments des décisions différentes ne pourraient-elles pas corriger, voire défaire ce régime au bilan désastreux ? Certains pays "émergents" (Chili, Colombie) ont déjà pris, avec succès, des mesures contraignantes - les réserves obligatoires - qui, même limitées, reviennent à taxer les capitaux dont l'entrée aurait un but purement spéculatif. Plus récemment, la Malaisie a rétabli le contrôle des changes pour contenir les effets financiers de la crise économique qui ravage la région.

Pour une efficacité maximale, la taxe Tobin doit être mise en place chez tous les membres du G-7. Ils sont en effet au centre du marché des changes, marché hautement concentré auquel ne participent de façon décisive que huit ou neuf pays et une centaine de grandes banques et institutions financières. La création, en Europe, d'une monnaie unique a rendu impossible la spéculation sur les changes des pays participants. Il est maintenant nécessaire qu'ils exercent l'autorité que cela leur confère pour exercer la pression politique appropriée en faveur des autres pays capitalistes pour la taxation des opérations de change. Paradis fiscaux et stratégies de contournement

La mise en oeuvre de la taxe Tobin exige que l'on s'attaque aux paradis fiscaux. Cette entreprise de salubrité publique peut, entre autres possibilités, se réaliser au moyen d'une taxe punitive, tant à l'entrée qu'à la sortie des capitaux de ces repaires de la fraude fiscale et du blanchiment de l'argent sale. Ici encore, l'Union européenne pourrait dès à présent prendre des mesures contre les Etats et autres entités politiques situés sur son propre territoire, ou entretenant des rapports étroits avec elle, et qui servent de refuge aux capitaux spéculatifs et à l'argent de tous les trafics.

Certains pensent que la taxe Tobin serait inefficace car les opérateurs financiers pourraient la contourner. Mais c'est le propre de tous les impôts que d'être confrontés à l'évasion fiscale, légale ou illégale,  et cela n'a jamais conduit  pour autant à renoncer à en créer de nouveaux. L'évasion se combat tant par des moyens réglementaires que par la vigilance des salariés de la banque et de la finance, et de leurs syndicats. Un débat technique approfondi - dont les principales données sont déjà connues- permettra d'élaborer les mesures adéquates en vue de l'extension et de l'adaptation de la taxe Tobin à tous les instruments financiers sur le marché des changes.

Le tremplin d'une réforme  d'ensemble du système financier


La taxe Tobin n'a rien d'une panacée. Son champ d'action serait limité aux opérations sur le marché des changes et ne dérangerait que les mouvements spéculatifs à court, voire à très court terme. Elle ne se substitue pas à la taxation de l'ensemble des revenus provenant des actions, obligations et autres actifs qui, elle, relève des finances publiques nationales et qui,  partout, est très favorable aux revenus financiers.

Son intérêt majeur réside dans son caractère international, dans la logique de coopération et non pas de compétition entre Etats qu'exige sa mise en oeuvre.    Elle constitue un embryon de contrôle de la spéculation, même si seul le marché des changes est concerné, car celui-ci est au carrefour de toutes les opérations financières internationales, sur toutes les sortes d'actifs, y compris les investissements à long terme à l'étranger. Redonnant des marges d'autonomie aux politiques économiques nationales - ou communautaires, dans le cas de l'Union européenne - elle conforterait les mesures intérieures de taxation des revenus financiers, ainsi que la surveillance publique des investissements extérieurs.

Les propositions de réforme du régime actuel des changes et du système financier doivent se faire du point de vue de "ceux d'en-bas" et non pas de celui des dominants. Pour bénéficier aux pays et aux couches sociales soumises aux pressions des "marchés", elles devront affronter la puissance de la finance capitaliste et sa liberté d'action. Mais il faut commencer par un bout. A cet égard, une action résolue sur le marché des changes ouvrirait une brèche dans le fatalisme encore trop répandu quant au caractère prétendument "irréversible" de l'état actuel des choses.

La discussion sur la taxe Tobin doit maintenant sortir du cercle étroit des économistes, experts, financiers, banquiers et gouverneurs de banques centrales. On ne peut qu'être encouragé par le mouvement d'opinion qui se dessine en faveur d'un contrôle plus strict des mouvements de capitaux et dont témoigne, entre autres,  un sondage récent effectué dans 20 pays pour le compte de l'hebdomadaire The Economist   et publié dans son numéro du 2 janvier 1999 :  49% des personnes interrogées se déclarent en faveur de ce contrôle, 37% se prononcent contre et 14% ne savent pas . Ce n'est certes qu'un sondage, mais, comme le souligne la direction de ce journal, pourtant favorable aux thèses ultralibérales, il incite à réfléchir sur les limites à imposer à la liberté des marchés de change et du capital. Une de ces limites est précisément constituée par la taxe Tobin. Aux gouvernements d'épouser et de conforter ce mouvement d'opinion en la mettant en oeuvre.

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