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Millennium Round . org Traduit d'un document publié en anglais. |
CONFERENCE
ON ECONOMIC SOVEREIGNTY IN A GLOBALISING WORLD Bangkok
, 24-26 march 1999 UNE
COURTE HISTOIRE DU NÉOLIBÉRALISME : VINGT ANS D'ECONOMIE DE L'ELITE ET
AMORCE DE POSSIBILITE D'UN CHANGEMENT STRUCTUREL
Susan
GEORGE
[REMERCIEMENTS] Les
organisateurs de la Conférence m'ont demande de faire un bref historique
du neo-libéralisme qu'ils ont intitule "Vingt ans d'économie de l'élite".
Je regrette de devoir vous dire que par souci de cohérence, je vais
devoir revenir encore plus loin en arrière, jusqu'à il y a environ 50
ans, juste après la fin de la 2eme guerre mondiale. En
1945 ou 1950, si vous aviez sérieusement propose l'une des idées ou
l'une des politiques du kit standard neo-libéral actuel, on vous aurait
renvoyé en se moquant de vous ou on vous aurait envoyé à l'asile. A l'époque,
dans les pays occidentaux en tout cas, tout le monde était soit keynésien,
soit social-démocrate, soit social démocrate-chrétien ou encore
marxiste d'une tendance quelconque. L'idée qu'on devait permettre au
marché de prendre des décisions sociales ou politiques importantes, l'idée
que l'Etat devrait réduire volontairement son rôle dans l'économie ou
que les entreprises devraient être complètement libres, que les
syndicats devraient être jugules et qu'on devrait offrir beaucoup moins,
et non pas plus, de protection sociale aux citoyens--de telles idées étaient
complètement étrangères a l'esprit de l'époque. Même si quelqu'un était
effectivement d'accord avec ces idées, il aurait hésité à prendre
position ouvertement et aurait eu du mal a trouver un public. Bien
que cela puisse sembler incroyable aujourd'hui, particulièrement aux
membres les plus jeunes du public, le FMI et la Banque Mondiale étaient
considérées comme des institutions progressistes. On les appelait
parfois les jumeaux de Keynes parce qu'ils étaient sortis du cerveau de
Keynes et de Harry Dexter White, l'un des conseillers les plus proches de
Franklin Roosevelt. Quand on a créé ces institutions a Bretton Woods en
1944, leur mandat était d'aider à empêcher des conflits futurs en prêtant
de l'argent pour la reconstruction et le développement et en réglant les
problèmes temporaires de balance de paiements. Elles n'avaient aucun
contrôle sur les décisions économiques des gouvernements individuels et
leur mandat n'incluait pas le droit d'intervenir dans la politique
nationale. Dans
les pays occidentaux, l'Etat Providence et le New Deal avaient fait leur
apparition dans les années 30, mais leur développement fut interrompu
par la guerre. La première priorité du monde des affaires au moment de
l'après guerre fut de les remettre en place. L'autre chose importante a
faire était de redynamiser le commerce mondial-- ce fut accompli grâce
au Plan Marshall qui faisait une fois de plus de l'Europe le partenaire
commercial essentiel des Etats Unis, la plus puissante économie du monde.
Et c'est à ce moment la que les vents forts de la décolonisation se
mirent également a souffler, que la liberté soit obtenue par un accord
comme en Inde ou par la lutte armée comme au Kenya, au Vietnam et dans
d'autres pays. Globalement,
le monde s'était engage sur une voie extrêmement progressiste. Le grand
savant Karl Polanyi publia son œuvre majeure, "La grande
transformation" en 1944, une critique féroce de la société
industrielle du 19eme siècle, basée sur le marché. Il y a plus de 50
ans, Polanyi fit cette déclaration incroyablement prophétique et moderne
: "Permettre au mécanisme du marché d'être l'unique directeur du
sort des êtres humains et de leur environnement naturel... aurait pour résultat
la démolition de la société."[p 73 de l'édition anglaise].
Cependant, Polanyi était convaincu qu'une telle démolition ne pourrait
plus se produire dans le monde de l'après-guerre car, comme il le dit
[p.251],"Au sein des nations, nous sommes témoins d'un développement
tel que le système économique cesse de dicter la loi a la société et
la primauté de la société sur ce système est assurée". Hélas,
l'optimisme de Polanyi n'était pas de mise--l'idée même du neo-libéralisme
est qu'on devrait autoriser le mécanisme du marché a diriger le destin
des êtres humains. L'économie devrait dicter ses règles a la société,
et pas le contraire. Et comme l'avait prévu Polanyi, cette doctrine nous
mène tout droit a la "démolition de la société". Qu'est-il
donc arrive ? Pourquoi en sommes-nous arrives la un demi-siècle après la
fin de la seconde guerre mondiale ? Ou, comme les organisateurs
s'interrogent, "Pourquoi tenons-nous cette conférence précisément
maintenant ?". Une réponse rapide est "A cause de la récente série
de crises financières, particulièrement en Asie". Mais elle élude
le problème--le problème qu'ils se posent réellement est "Comment
le neo-libéralisme a-t-il un jour pu sortir de son ghetto
ultra-minoritaire pour devenir la doctrine dominante du monde
d'aujourd'hui ?" Pourquoi le FMI et la Banque Mondiale peuvent-ils
intervenir à volonté et forcer les pays à participer à l'économie
mondiale sur des bases défavorables ? Pourquoi l'Etat Providence est-il
menace dans tous les pays ou il avait été établi ? Pourquoi frôle-t-on
la catastrophe en ce qui concerne l'environnement et pourquoi y a-t-il
tant de pauvres aussi bien dans les pays riches que dans les pays pauvres
alors qu'il n'y a jamais eu autant de richesses qu'aujourd'hui ? Ce sont
ces questions auxquelles il faut répondre d'un point de vue historique. Comme
je l'ai développe dans la revue trimestrielle américaine Dissent, une
explication pour ce triomphe du néolibéralisme et pour les désastres économique,
politique, social et écologique qui l'accompagnent est que les neolibéraux
ont acheté et payé pour leur propre "Grande Transformation"
nocive et régressive. Ils ont compris ce que les progressistes n'ont pas
compris, que les idées ont des effets. Commençant par un petit groupe
embryonnaire a l'Université de Chicago avec pour noyau l'économiste
philosophe Friedrich von Hayek et ses étudiants comme Milton Friedman,
les néolibéraux et leurs fondateurs ont créé un réseau international
énorme de fondations, instituts, centres de recherche, publications,
chercheurs, écrivains et experts en relations publiques pour développer,
bien présenter et attirer sans arrêt l'attention sur leurs idées et
leur doctrine. Ils
ont construit ce cadre idéologique extrêmement efficace car ils ont
compris de quoi l'intellectuel marxiste italien Antonio Gramsci parlait
lorsqu'il développait le concept d'hégémonie culturelle. Si vous pouvez
occuper la tête des gens, leur cœur et leurs mains suivront. Je n'ai pas
le temps de vous donner les détails ici, mais croyez-moi, le travail idéologique
et promotionnel de la droite a été absolument remarquable. Ils ont dépensé
des centaines de millions de dollars, mais le résultat en valait la
chandelle car ils ont fait apparaître le néolibéralisme comme la
condition naturelle et normale de l'homme. Peu importent le nombre de désastres
en tout genre que le système neo-liberal a visiblement engendres, peu
importent les crises financières qu'il peut entraîner, peu importe
combien de perdants et d'exclus il peut créer, tout est fait pour qu'il
semble inévitable, comme une action divine, le seul ordre économique et
social possible qui nous soit accessible. Je
voudrais insister sur l'importance de comprendre que cette vaste expérience
néolibérale que nous sommes tous forcés de vivre a été créée par
des gens à dessein. Une fois que vous avez saisi ceci, une fois que vous
avez compris que le néolibéralisme n'est pas une force comme la gravite
mais une construction totalement artificielle, vous pouvez aussi
comprendre que ce que certains ont créé, d'autres peuvent le changer.
Mais ils ne pourront pas le changer s'ils ne reconnaissent pas
l'importance des idées. Je suis tout à fait pour les projets qui
s'attaquent à la racine des choses, mais je préviens qu'ils tomberont en
miettes si le climat idéologique ambiant est hostile a leurs buts. Ainsi,
d'abord une petite secte impopulaire n'ayant virtuellement aucune
influence, le néolibéralisme est maintenant devenu la religion mondiale
la plus importante avec sa doctrine dogmatique, ses prêtres, ses
institutions qui font la loi et peut-être le plus important de tout, son
enfer pour les hérétiques et les pêcheurs qui osent contester la vérité
révélée. Oskar Lafontaine, l'ex Ministre des Finances allemand que le
Financial Times traitait de "Keynésien non rénové" vient
juste d'être envoyé dans cet enfer parce qu'il a ose proposer
d'augmenter les impôts sur les sociétés et de les baisser pour les
familles ordinaires moins à l'aise financièrement. Maintenant
que j'ai présenté l'état des lieux idéologique et le contexte, je vais
faire un peu d'avance rapide pour nous trouver de nouveau dans le cadre
des vingt ans. Cela veut dire 1979, l'année ou Margaret Thatcher est
arrivée au pouvoir et a lancé la révolution neo-liberale en
Grande-Bretagne. La Dame de Fer était elle-même une disciple de
Friedrich von Hayek, elle était une Darwiniste sociale et n'avait pas de
scrupules à exprimer ses convictions. Elle était bien connue pour
justifier son programme par le simple mot TINA, acronyme (en anglais) de
Il n' y a Pas d'Alternative. La valeur centrale de la doctrine de Thatcher
et du néolibéralisme lui-même est la notion de concurrence --
concurrence entre les nations, les régions, les firmes et bien sur entre
les individus. La concurrence est un concept central parce qu'elle sépare
les moutons des chèvres, les hommes des garçons, les adaptes des non
adaptes. Elle est supposée allouer toutes les ressources, qu'elles soient
physiques, naturelles, humaines ou financières, avec la meilleure
efficacité possible. C'est
en contraste frappant avec les mots utilises par le grand philosophe
chinois Lao Tzu pour terminer son Tao-te Ching : "Surtout, ne rentrez
pas en concurrence". Les seuls acteurs du monde neo-liberal qui
semblent avoir suivi ce conseil sont les plus gros acteurs entre tous, les
compagnies multinationales. Le principe de concurrence ne s'applique à
peu près pas à elles ; elles préfèrent pratiquer ce qu'on pourrait
appeler le Capitalisme d'Alliance. Ce n'est pas par hasard que suivant les
années, les deux-tiers voire les trois quarts de l'argent catégorisé
"Investissement Direct a l'Etranger" ne soit pas consacré à de
nouveaux investissements créateurs d'emplois, mais à des Fusions et
Acquisitions qui entraînent presque invariablement des suppressions
d'emplois. La
concurrence étant toujours une vertu, ses résultats ne peuvent pas être
mauvais. Pour le neo-liberal, le marché est si sage et si bon que comme
Dieu, la Main Invisible peut faire sortir un bien d'un mal apparent. Ainsi
Thatcher a déclaré un jour dans un discours, " C'est notre travail
de vanter l'inégalité et de faire en sorte qu'on laisse cours aux
talents et aux compétences pour s'exprimer, pour le bénéfice de nous
tous". En d'autres termes, ne vous inquiétez pas pour ceux qui
pourraient rester à la traîne de la bataille de la concurrence. Les gens
sont inégaux par nature, mais ceci est bien car les contributions des
biens nés, de ceux qui ont reçu la meilleure éducation, des plus forts,
profitera finalement a tout le monde. On ne doit rien de particulier aux
faibles, à ceux qui n'ont pas suivi d'études, ce qui leur arrive est de
leur faute, jamais de celle de la société. Si "on laisse
cours" au système concurrentiel comme le dit Margaret, la société
ne s'en portera que mieux. Malheureusement, l'histoire des vingt dernières
années nous enseigne que c'est exactement le contraire qui s'est produit. Dans
la Grande-Bretagne d'avant Thatcher, environ une personne sur dix était
classée comme vivant en dessous du seuil de pauvreté, un résultat pas
brillant mais honorable et bien meilleur que dans la période d'avant
guerre. Maintenant une personne sur quatre, et un enfant sur trois est
officiellement pauvre. C'est la signification de la survie des plus aptes
: les gens qui ne peuvent pas chauffer leur maison en hiver, qui doivent
mettre une pièce dans le compteur pour pouvoir avoir de l'électricité
ou de l'eau, qui n'ont pas de manteau chaud et imperméable, etc. Je sors
ces exemples du rapport 1996 du British Child Poverty Action Group. Je
vais illustrer ce résultat des "réformes fiscales"
Thatcher-Mayor d'un seul exemple : durant les années 80, 1 % des
contribuables recevait 29 % de tous les bénéfices dus aux diminutions
d'impôts, de telle sorte qu'un célibataire gagnant la moitié du salaire
moyen voyait ses impôts augmentes de 7 %, alors qu'un célibataire
gagnant 10 fois le salaire moyen avait une réduction de 21 %. Une
autre conséquence de la concurrence en tant que valeur centrale du néolibéralisme
est que le secteur public doit être brutalement diminué car il n'obéit
pas et ne peut pas obéir à la loi fondamentale de la concurrence pour
les profits ou les parts de marché. La privatisation est l'une des
transformations économiques les plus importantes des vingt dernières années.
Cette tendance a commence en Grande Bretagne, et s'est répandue partout
dans le monde. Je
vais d'abord examiner pourquoi les pays capitalistes, particulièrement en
Europe, ont tous commencé par avoir des services publics, et pourquoi
beaucoup en ont encore. En fait, presque tous les services publics
constituent ce que les économistes appellent des "monopoles
naturels". Un monopole naturel existe quand la taille minimale pour
garantir une efficacité économique maximale est égale à la taille réelle
du marché. En d'autres termes, une entreprise doit avoir une certaine
taille pour réaliser des économies d'échelle et ainsi fournir le
meilleur service possible a un coût le plus faible possible pour le
consommateur. Les services publics nécessitent également d'investir une
grosse mise de fonds au début -- comme les rails de chemins de fer ou les
lignes a haute tension -- qui n'encouragent pas non plus la concurrence.
C'est pourquoi les monopoles publics étaient la solution optimale évidente.
Mais les néolibéraux considèrent que tout ce qui est public est par définition
"inefficace". Qu'est-ce
qui arrive alors quand on privatise un monopole naturel ? De façon tout
à fait normale et naturelle, les nouveaux propriétaires capitalistes ont
tendance à imposer des prix de monopole au public, tout en se rémunérant
grassement. Les économistes appellent cet effet "échec structurel
du marché" parce que les prix sont plus élevés qu'ils ne devraient
et que le service au consommateur n'est pas forcement bon. Pour empêcher
les échecs structurels de marche, jusqu'au milieu des années 80, les
pays capitalistes d'Europe confiaient presque tous la poste, les télécommunications,
l'électricité, le gaz, les chemins de fer, les métros, le transport aérien
et généralement également d'autres services comme l'eau, l'enlèvement
des ordures, etc., à des monopoles d'états. Les Etats-Unis sont une
grosse exception, peut-être parce qu'ils sont trop immenses géographiquement
pour donner avantage aux monopoles naturels. Quoi
qu'il en soit, Margaret Thatcher a changé tout cela. Bonus supplémentaire,
elle a pu utiliser la privatisation pour casser le pouvoir des syndicats.
En démantelant le secteur public là où les syndicats étaient les plus
forts, elle a pu les affaiblir terriblement. Ainsi entre 1979 et 1994, le
nombre d'emplois dans le secteur public en Grande Bretagne a été réduit
de 7 millions a 5 millions, une chute de 29 %. Pratiquement tous les
emplois éliminés étaient des emplois syndiques. Puisque l'emploi dans
le secteur privé n'a pas bougé pendant ces quinze ans, la diminution
globale du nombre d'emplois en Grande Bretagne a été de 1,7 millions,
une diminution de 7% par rapport à 1979. Pour les néolibéraux, moins de
travailleurs est toujours mieux que plus, parce que les travailleurs ont
un effet limitatif sur les dividendes. En
ce qui concerne les autres effets de la privatisation, ils étaient prévisibles
et ont été prédits. Les dirigeants des entreprises récemment privatisées,
souvent exactement les mêmes qu'avant, ont double ou triple leur salaire.
Le gouvernement a utilise l'argent des contribuables pour effacer les
dettes et recapitaliser les entreprises avant de les mettre sur le marché-
par exemple, les services chargés de l'eau ont touché 5 milliards de
livres (environ 50 milliards de francs NdT) pour couvrir des dettes, plus
1,6 milliards de livres appelés la "dot verte" pour rendre la
mariée plus attirante pour les acheteurs potentiels. Les services de
Relations Publiques ont beaucoup insiste sur comment les petits
actionnaires allaient avoir leur mot a dire dans ces compagnies -- et en
fait 9 millions de Britanniques ont achète des actions -- mais la moitié
ont investi moins de mille livres (10 000 FF N.D.T.) et la plupart ont
vendu leurs actions assez vite, dès qu'ils ont pu encaisser des profits
immédiats. A
partir des résultats, on peut facilement voir que le but de la
privatisation n'est ni l'efficacité économique ni de meilleurs services
pour le consommateur mais simplement de transférer des richesses de la
poche de l'état -- qui pourrait le redistribuer pour combler les inégalités
sociales -- vers des mains privées. En Grande-Bretagne et ailleurs, l'énorme
majorité des actions de sociétés privatisées sont maintenant dans les
mains d'institutions financières et de très gros investisseurs. Les
employés de British Telecom ont acheté seulement 1 % des actions, ceux
de British Aerospace 1,3 %, etc. Avant l'attaque de Mrs Thatcher, une
grosse partie du secteur public en Grande Bretagne était rentable. Par
conséquent, en 1984, les entreprises publiques ont contribue à hauteur
de plus de 7 milliards de livres (70 milliards FF, N.D.T.) au trésor.
Tout cet argent va maintenant a des actionnaires prives. Le service dans
les industries privatisées est maintenant souvent désastreux -- le
Financial Times a mentionne une invasion de rats dans le réseau d'eau du
Yorkshire et toute personne ayant survécu après avoir pris les trains de
la Tamise en Grande Bretagne mérite une médaille. Les
mêmes mécanismes exactement ont fonctionne partout dans le monde. En
Grande-Bretagne, l'Institut Adam Smith était le partenaire intellectuel
pour fabriquer l'idéologie de la privatisation. USAID et la Banque
Mondiale ont également utilise les experts d'Adam Smith et ont imposé la
doctrine de la privatisation au Sud. Des 1991 la Banque avait déjà fait
114 prêts pour accélérer le processus, et chaque année son rapport
"Finance du développement global" dénombre des centaines de
privatisations effectuées dans des pays débiteurs auprès de la Banque. Je
suggère que nous arrêtions de parler de privatisation et que nous
utilisions des mots qui disent la vérité : nous parlons d'aliénation et
du fait de céder le produit de dizaines d'années de travail par des
milliers de gens a une minuscule minorité de gros investisseurs. C'est
l'un des plus gros hold-up de notre, ou de toute, génération. Un
autre trait structurel du néolibéralisme est la rémunération du
capital au détriment du travail et donc le transport de richesses du bas
de la société vers le haut. Si vous êtes, environ, dans les 20 % supérieurs
sur l'échelle des revenus, le néolibéralisme va sans doute vous
rapporter quelque chose, et plus haut vous êtes sur l'échelle, plus cela
va vous rapporter. Réciproquement, les 80 % inférieurs y perdent tous,
et plus ils démarrent bas, plus ils y perdent en proportion. Au
cas ou vous penseriez que j'ai oublie Ronald Reagan, je vais illustrer ce
fait avec les observations de Kevin Phillips, un analyste républicain et
ancien conseiller du président Nixon, qui a publié en 1990 un livre
intitule "The Politics of Rich and Poor". Il examinait la manière
dont la doctrine et la politique neo-liberale de Reagan avaient modifié
la répartition des revenus entre 1977 et 1988. Sa politique avait été
en grande partie élaborée par la conservatrice Fondation Héritage, le
principal laboratoire de pensée de l'administration Reagan, qui a
toujours une influence importante dans la politique américaine. Pendant
la décennie des années 80, les 10 % les plus riches des familles américaines
ont vu augmenter leur revenu familial moyen de 16 %, les 5 % les plus
riches de 23 %, mais les extrêmement chanceux 1 % les plus riches peuvent
remercier Reagan pour une augmentation de 50 %. Leurs revenus sont passes
d'un confortable 270 000 $ a un enivrant 405 000 $. En ce qui concerne les
Américains plus pauvres, les 80 % les plus pauvres ont tous perdu quelque
chose ; conformément à la règle, plus ils étaient bas sur l'échelle,
plus ils ont perdu. Les 10 % les plus pauvres ont touche le fond : d'après
les chiffres de Phillips, ils ont perdu 15 % de leurs revenus déjà
maigres : d'une moyenne déjà à un niveau très bas de 4 113 $ annuels,
ils sont descendus a un niveau inhumain de 3 504 $. En 1977, les 1 % les
plus riches des familles américaines avaient un revenu moyen 65 fois plus
important que les 10 % les plus pauvres. Une décennie plus tard, les 1 %
supérieurs étaient 115 fois plus riche que le décile inférieur. L'Amérique
est l'une des sociétés les plus inégalitaires du monde, mais
pratiquement tous les pays ont vu leurs inégalités augmenter au cours
des vingt dernières années à cause des politiques neo-liberales. UNCTAD
a mis cet effet en évidence de façon accablante dans son Trade and
Development Report 1997 (Rapport sur le Développement et le Commerce)
base sur 2600 études différentes sur les inégalités de revenus,
l'appauvrissement et la disparition des classes moyennes. L'équipe de
l'UNCTAD a rendu compte de ces tendances dans des douzaines de sociétés
extrêmement différentes, y compris la Chine, la Russie et les autres
pays anciennement socialistes. Il
n'y a rien de mystérieux à cette tendance vers plus d'inégalités. Les
politiques sont faites spécifiquement pour fournir à ceux qui sont déjà
riches encore plus de revenu disponible, notamment en diminuant les impôts
et les salaires. La justification théorique et idéologique de ces
mesures est que des revenus plus élevés chez les riches et des profits
plus élevés entraînent plus d'investissement, une meilleure répartition
des ressources et par conséquent plus d'emplois et de bien-être pour
tout le monde. En réalité, de façon parfaitement prévisible, le
mouvement d'argent vers le haut de l'échelle économique a entraîné les
bulles boursiers, une richesse sur le papier dont on ne parle pas pour les
privilégiés, et le genre de crises financières dont on va beaucoup
entendre parler lors de cette conférence. Si les revenus sont
redistribues vers les 80% les plus bas de l'échelle, ils seront utilisés
pour la consommation et par conséquent seront bénéfiques pour l'emploi.
Si la richesse est distribuée vers le haut, où les gens ont déjà la
plupart des choses dont ils ont besoin, elle n'ira pas dans l'économie
locale ou nationale, mais dans les marchés internationaux. Comme
vous en êtes tous conscients, les mêmes politiques ont été menées
partout au Sud et a l'Est sous le terme d'ajustement structurel, qui est
juste un autre nom pour le néolibéralisme. J'ai utilise Thatcher et
Reagan pour illustrer ces politiques au niveau national. Au niveau
international, les néolibéraux ont concentre tous leurs efforts sur
trois points fondamentaux : --
libre commerce des biens et services --
libre circulation des capitaux --
liberté d'investissement. Au
cours des vingt dernières années, le FMI a été énormément renforcé.
Grâce à la crise de la dette et au mécanisme de conditionnalité, il
s'est transformé d'un support à la balance des paiements à un dictateur
quasi-universel des politiques économiques soi-disant saines, c'est-à-dire
bien sur neo-liberales. L'Organisation Mondiale du Commerce fut finalement
mise en place en janvier 1995, après des négociations longues et
laborieuses, souvent imposée à des parlements qui n'avaient qu'une vague
idée de ce qu'ils ratifiaient. Heureusement, l'effort le plus récent
pour rendre les règles neo-liberales contraignantes et universelles,
l'Accord Multilatéral sur l'Investissement, a échoué, au moins
temporairement. Il aurait donne tous les droits aux entreprises, tous les
devoirs aux gouvernements, et aucun droit aux citoyens. Le
dénominateur commun a ces institutions est leur manque de transparence et
de démocratie (elles ne doivent de compte a personne). C'est l'essence du
néolibéralisme. Il affirme que l'économie doit dicter ses lois a la
société, pas l'inverse. La démocratie est un fardeau, le néolibéralisme
est fait pour les gagnants, pas pour les électeurs qui englobent nécessairement
les catégories des gagnants et des perdants. J'aimerais
conclure en vous demandant de prendre vraiment très au sérieux la définition
neo-liberale du perdant, a qui rien de particulier n'est du. N'importe qui
peut être éjecte du système n'importe quand--parce qu'on est malade,
vieux, enceinte, qu'on semble incompétent, ou simplement parce que la
conjoncture économique et les implacables transferts de richesse du bas
vers le haut l'exigent. La valeur des actions est tout ce qui compte.
L'International Herald Tribune rapportait récemment que les investisseurs
étrangers se jettent sur les compagnies et les banques thaïlandaises et
coréennes. Ce n'est pas une surprise qu'on s'attende à ce que ces achats
entraînent de lourds licenciements. En
d'autres termes, les résultats d'années de travail par des milliers de
Thaïlandais et de Coréens sont transférés dans les mains de compagnies
étrangères. Beaucoup de ceux qui ont travaille pour créer cette
richesse ont déjà été, ou vont bientôt être laissés sur le pavé.
Selon les principes de la concurrence et de la maximalisation de la valeur
des actions, une telle attitude n'est pas considérée criminellement
injuste, mais normale et même vertueuse. Je
déclare que le néolibéralisme a changé la nature fondamentale de la
politique. La politique s'occupait à l'origine de qui gouverne qui et de
qui reçoit quelle part du gâteau. Des aspects de ces deux questions
centrales demeurent, bien sur, mais la nouvelle grande question centrale
de la politique est, a mon avis, "Qui a le droit de vivre et qui ne
l'a pas". L'exclusion totale est maintenant a l'ordre du jour, je le
pense très sérieusement. Je
vous ai donne plutôt beaucoup de mauvaises nouvelles parce que l'histoire
des 20 dernières années en regorge. Mais je ne veux pas terminer sur une
note aussi déprimante et pessimiste. Beaucoup de choses se font pour
contrer ces tendances qui menacent notre vie et il y a énormément de
possibilités pour prolonger l'action. Cette
conférence va aider a définir l'essentiel de cette action dont je crois
qu'elle doit inclure une offensive idéologique. Il est temps que nous définissions
l'ordre du jour au lieu de laisser les Maîtres de l'Univers le décider
à Davos. Nous ne pouvons pas compter sur les néolibéraux pour le faire,
nous devons donc mettre au point des systèmes internationaux de
taxation équitables et réalistes, comprenant une Taxe Tobin sur tous
les marchés monétaires et financiers et des taxes sur les ventes des
multinationales sur une base proportionnelle. Je suppose que nous
rentrerons dans le détail de ces questions lors des ateliers ici. Le
produit d'un système international de taxe devrait servir à diminuer l'écart
Nord-Sud et être redistribué à tous ceux qui ont été spoliés lors
des vingt dernières années. Je
vais répéter ce que j'ai dit précédemment : le néolibéralisme n'est
pas la condition humaine naturelle, il n'est pas surnaturel, il peut être
combattu et remplacé parce que ses propres échecs vont l'exiger. Nous
devons être prêts avec des politiques a mettre à la place qui rendront
le pouvoir aux communautés et aux états démocratiques tout en œuvrant
pour promouvoir la démocratie, la notion d'état de droit et de
distribution équitable au niveau international. Les affaires et le marché
ont leur place, mais cette place ne peut pas occuper toute la sphère de
l'existence humaine. Une
autre bonne nouvelle est qu'il y a beaucoup d'argent qui circule et une
minuscule fraction, une proportion ridicule, infinitésimale de cet argent
serait suffisante pour fournir une vie décente à tout le monde sur
terre, pour garantir universellement la santé et l'éducation, pour
nettoyer l'environnement et empêcher plus de destruction de notre planète,
pour annuler l'écart Nord-Sud -- au moins d'après l'UNDP qui réclame la
somme ridicule de 40 milliards par an. Ce qui, franchement, n'est pas
grand chose. Enfin,
souvenez-vous s'il vous plaît que le néolibéralisme est peut-être
insatiable mais qu'il n'est pas invulnérable. Hier seulement, une
coalition d'activistes internationaux les a obliges à abandonner, au
moins temporairement, leur projet de libéraliser tous les investissements
grâce à l'AMI. La victoire surprise de leurs opposants a rendu furieux
les supporters de la loi des entreprises et a démontre que des réseaux
de guérilla bien organisés peuvent gagner des batailles. Nous devons
maintenant regrouper nos forces et être vigilants pour qu'ils ne transfèrent
pas l'AMI a l'OMC. Regardez
la situation comme ceci. Nous avons le nombre de notre cote, parce qu'il y
a beaucoup plus de perdants que de gagnants au jeu neo-libéral. Nous
avons les idées, alors que les leurs sont enfin remises en question à
cause de crises répétées. Ce qui nous manque, pour l'instant, c'est
l'organisation et l'unité, ce a quoi nous pouvons remédier à cette époque
de technologie avance. La menace est clairement multinationale donc la réponse
doit également être multinationale. La solidarité ne signifie plus
l'aide, ou pas seulement l'aide, mais signifie trouver les synergies cachées
dans les luttes de chacun pour que notre force numérique et le pouvoir de
nos idées deviennent imbattables. Je suis convaincue que cette conférence
va beaucoup contribuer à ce but et je vous remercie tous pour votre
aimable attention. |
Susan GEORGE
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