Mondialisation. Etat des lieux
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Jean Pierre BERLAN - Texte paru sur la liste "Attac-talk" - Février 1999 | |
Economie politique des OGM et leurs enjeuxQui fait les OGM? Dans quel objectif? Avec quelles conséquences? Selon quelles méthodes? Il sagit là de questions concrètes. Les OGM verts et philanthropiques que nous font miroiter les transnationales, leurs scientifiques et les media relèvent de la pure spéculation: ils sont ceux dune société qui reste à construire. Qui les fait?Un petit nombre de firmes transnationales dominent maintenant les deux domaines jumeaux de la biologie appliquée, celui de lagriculture (de la génétique agricole pour être précis) et celui de la santé. Ces firmes chimique et pharmaceutique cherchent à se reconvertir dans les « sciences de la vie », parce que les résistances sociales à lemploi des produits chimiques dangereux pour les hommes, les animaux et la vie en général se multiplient, que les coûts de la recherche et de lagrément de nouvelles molécules croît, et sans doute aussi parce que la rentabilité de ce secteur baisse. Elles veulent donc reconvertir leur capital dans le domaine qui offre, de leur point de vue, des profits illimités, celui du « vivant ». Pour paraphraser Descartes, elles veulent être « comme maîtres et possesseurs du vivant ». Au nom de la compétitivité et de lemploi, les gouvernements et la Commission Européenne favorisent un « partenariat » entre la recherche publique et la recherche privée, cest-à-dire la privatisation de la première, jugée en France peu dynamique. Ce que M. Allègre a résumé au moment de linauguration du génopole dEvry dune phrase: « Les chercheurs (publics) nauront plus à raser les murs lorsquils feront du business ». Quun « socialiste », ministre, ancien scientifique de surcroit, pense que le « business » est le moteur de lactivité des chercheurs, plutôt que le bonheur de savoir et le jugement des pairs, en dit long sur le personnage, laffaissement idéologique du « socialisme » et le bureaucratisme de la recherche. Que lon croit ou fasse semblant de croire que ce qui est bon pour ces transnationales est bon pour la France, les pays européens, et lEurope, mériterait, à tout le moins, discussion. Dans quel objectif?Maximiser le taux de profit, cest la règle suprême. Comment? En agriculture, plutôt que dOGM, il sagit pour linstant de variétés génétiquement modifiées (VGM). Pour gagner de largent avec une VGM, il faut en vendre les « semences » à lagriculteur, ce qui nest possible que si lagriculteur ne peut plus semer le grain quil a récolté. Lobjectif de ces firmes est donc de faire, si lon peut dire, un vivant stérile, quasi-mort, puisque dépouillé de sa propriété fondamentale, se re-produire! Plutôt quaux « sciences de la vie », ces transnationales sintéressent avant tout à à la non-vie. En bref, tant que les plantes et les animaux se re-produisent et se multiplient dans le champ du paysan, le capital ne peut ni se reproduire, ni encore moins se multiplier au bilan de linvestisseur des « sciences de la (non) vie » . Aussi invraisemblable que cela paraisse, lobjectif de notre société et de SA science est dinterdire aux plantes et aux animaux de se re-produire dans le champ du paysan... Les moyens pour arriver à un tel résultat sont multiples: au 20ème siècle, les « hybrides » (des variétés qui ont la propriété de sautodétruire dans le champ du paysan) ont été la voie de recherche privilégiée, parfois exclusive de la recherche agronomique et de la génétique agricole. Ceci au nom dun phénomène inexpliqué et inexpliquable, «lhétérosis », un mythe créé de toute pièce dès 1914 pour justifier par la nature la mise en oeuvre dune technique de stérilisation du vivant. Mais de plus en plus les firmes préfèrent aux « hybrides » coûteux et inefficaces le droit de brevet permettant de socialiser les coûts de faire respecter le privilège qui leur serait ainsi accordé. Elles disposent aussi de la technique « Terminator » qui permet de rendre stériles les semences de deuxième génération. Terminator ouvrira-t-il les yeux sur les OGM réels que dissimulent les OGM virtuels? Le gouvernement hollandais, prenant conscience des dangers de la Directive européenne sur la brevetabilité des biotechnologies la porté devant la cour européenne de justice. Le gouvernement français, lui, na aucune inquiètude. Avec quelles conséquences?Il sagit dinterdire par un moyen quelconque aux plantes et aux animaux de se reproduire dans le champ du paysan. Du point de vue économique (en fait: du simple bon sens logique), toute entrave à la faculté fondamentale du vivant de se re-produire et de se multiplier est un gaspillage qui revient à nous forcer à fermer nos portes et fenêtres pour permettre aux marchands de chandelles de lutter contre la concurrence déloyale du soleil. Pour un libéral, un tel privilège est anathème. Ce même libéral sélèverait de façon véhémente contre la menace pour nos libertés publiques quentraîne un tel privilège. Le faire respecter implique un « fliquage » des campagnes, comme le montre lexemple de Monsanto avec les détectives Pinkerton chargés de débusquer les agriculteurs « pirates » ou les détectives qui circulent déjà en France dans les vergers pour y faire des prélèvements à linsu des agriculteurs, comme le dit avec jubilation le Wall Street Journal. Les Transnationales veulent faire du paysan un « pirate »! Le masque est levé: le « néo-libéralisme » actuel nest quune forme vulgaire du libéralisme. Ainsi, le miracle orwellien du terme « néo » permet-il quune doctrine politique cohérente et respectable, même pour ceux qui ne la partagent pas, devienne le moyen de justifier son contraire. Enfin, toute notre expérience historique dans ce domaine montre que: a) la privatisation du vivant (« hybrides », le précédent de la « sélection continue » au 19ème siècle, et dans le domaine animal, les Livres des Origines instaurant un monopole sur le « sang » des animaux) freine le progrès génétique; b) lexistence de puissantes firmes privées entrave le développement de recherches plus utiles mais qui ne leur sont pas profitables. Même lorsque lidéologie officielle est celle du service public de la recherche, ces firmes canalisent leffort de recherche publique et en capturent les fruits. A fortiori, lorsque cest celle de son asservissement comme maintenant. Les carences en matière de recherches agronomiques sur des formes dagriculture respectueuses de lenvironnement, de la santé des producteurs (combien dintoxications mortelles ou invalidantes dagriculteurs et douvriers agricoles dues aux pesticides? Silence), et du public, vers lesquelles il convient de sengager résolument pour éviter le désastre annoncé en matière denvironnement et de santé publique na pas dautre cause. Il faut que ceux qui nous gouvernent (hommes politiques, dirigeants des organismes de recherche profondément engagés au nom de la compétitivité dans une politique de collaboration avec les transnationales, dirigeants agricoles mesmérisés par le discours techno-scientifiques) répondent à la question: VOULEZ-VOUS FAIRE DE LA FACULTE DES PLANTES ET DES ANIMAUX DE SE RE-PRODUIRE LE PRIVILEGE DE QUELQUES FIRMES TRANSNATIONALES ? AVEZ-VOUS DEJA DECIDE DINTERDIRE AU PAYSAN DE SEMER LE GRAIN QUIL RECOLTE? Selon quels moyens?Ils sont connus, classiques, mais bien perfectionnés depuis que Georges Orwell les a décrits en 1946. Cest la propagande en novlangue: les effets dannonce, « percées » et autres « avancées significatives » dans la « maîtrise du vivant », les promesses dun monde dabondance, écologique, débarrassé des grandes endémies (en réalité sociales et politiques) que sont lobésité, le cancer, les maladies mentales, lalcoolisme, etc. Le rideau de fumée du meilleur des mondes dissimule de la réalité totalitaire du monde plus profitable quil sagit dimposer. Les biologistes ne voient pas plus loin que les quelques crédits et quelques postes pour lesquels ils pourront concourir grâce au « partenariat », transnational maintenant obligatoire. Certains rêvent de faire quelque « percée significative » débouchant sur un brevet et quils pourront déposer en leur nom et commercialiser grâce à la légalisation récente dune forme inédite de corruption du service public. Dans ces conditions, ne vaut-il pas mieux être employé par lEtat qui permet de privatiser une « percée significative » que par le privé qui la confisque pour ses actionnaires? Un exemple de novlangue: « le privilège de lagriculteur », semer le grain récolté, lacte fondateur de lagriculture et de nos civilisations. Les hautes autorités en discutent doctement. Où est le privilège? Respirer ou jouir de la lumière du soleil sont-ils des privilèges? Prenons garde, ils le deviendront un jour par un tour de passe-passe sémantique. Lhistoire ne démontre-t-elle pas avec constance quaristocrates et investisseurs ont toujours préféré le privilège de récolter ce quils nont pas semé au labeur du paysan de semer ce quil a récolté? Que signifie cette inversion du language si ce nest que le vivant appartient aux investisseurs et que ceux qui lutilisent sont irrémédiablement piégés? Observons que dans un pays comme les Etats-Unis, 50% au moins de la population souffre de formes diverses de malnutrition, obésité surtout, maladies cardiovasculaires, cancers, carences diverses. Partis après la guerre avec un handicap dans la course au « progrès », les pays européens mettent des bouchées doubles (si lon peut dire), pour rattraper leur retard dans le domaine de lobésité qui prend des proportions alarmantes. La cause principale de ces maladies est parfaitement connue: lagriculture industrielle et son prolongement, lalimentation industrielle. A qui fera-t-on croire que ces problèmes seront résolus avec des OGM, qui marquent au contraire une fuite en avant dans la prise de contrôle de notre alimentation et de lagriculture par ces quelques firmes? A qui fera-t-on croire que les OGM, Terminator par exemple, contribueront à résoudre le problème de la faim et de la malnutrition dans le Tiers-Monde? A. Sen a démontré avec précision ce que nous savions intuitivement depuis longtemps: cest la démocratie inséparable dune plus grande égalité de revenus et donc dune répartition pas trop inégalitaire des moyens de production (la terre en particulier) qui nourriront le Tiers-Monde, non les transnationales qui soutiennent depuis toujours les régimes les plus réactionnaires. Ajoutons que les progrès historiquement inouïs des rendements agricoles depuis la guerre reposent sur la libre circulation des connaissances et des ressources génétiques, sur leur mondialisation. Les transnationales en veulent la cartellisation. Nouvel exemple de novlangue préparant une formidable régression dont on connaît, depuis le Traité de Tortesillas (1494) partageant le monde entre lEspagne et le Portugal les funestes conséquences. Ces transnationales venues de la chimie opèrent selon les principes de la persuasion clandestine consistant à manipuler les personnes qui ont la confiance du public, les hommes politiques, les scientifiques, les « régulateurs » de façon à ne pas apparaître en première ligne. Les argumentaires diffèrent, mais grosso-modo les vieilles ficelles du Progrès, de lemploi, de lécologie (le « greenwash ») continuent de servir. Cet argumentaire préparé par des firmes de relations publiques est alors relayé par les media, lesquels sont tenus dailleurs par les annonceurs - les mêmes transnationales. Quant aux scientifiques, circonvenus par les contrats quils sont incités à signer avec ces transnationales, ils se taisent. Ces dernières achètent au coût marginal (la puissance publique supportant le coût des investissements lourds et des salaires) les résultats dannées de recherche et daccumulation de compétences, et surtout, ces résultats provenant dune recherche publique possèdent une légitimité sociale et économique quils nauraient pas sils avaient été produits par les firmes. Par exemple, les « hybrides », ces variétés ayant la fantastique propriété de sauto-détruire dans le champ du paysan, soulèveraient beaucoup plus de résistance sils avaient été le fait dentreprises privées. Le paysan aurait des soupçons. Mais comme la recherche « publique » (novlangue, toujours) les proposait au nom de lintérêt général et quil sagissait dun nouveau triomphe de la Science... Cette analyse des OGM agricoles vaut pour la santé moyennant quelques modifications. La théorie génétique actuelle de la maladie avec ses prolongements de « médecine prédictive » ne vise pas autre chose que de faire de toute personne en bonne santé un malade potentiel et de prendre le contrôle de notre santé, comme ces firmes ont pris le contrôle du vivant en agriculture. Il est évidemment plus profitable de transformer des individus bien-portants en malades potentiels que des malades en individus bien-portants. Cest aussi plus aisé: chacun de nous est en effet porteur de dizaines de soit-disants « maladies génétiques ». Un tel projet exige que les coûts en soient socialisés et les profits privatisés: le projet génome humain et les différents projets de décryptage ne visent pas autre chose. Les « hybrides » et Terminator sont aussi le fruit de la recherche « publique ». La maladie génétique nous vole notre responsabilité individuelle et de notre responsabilité collective, cest-à-dire politique sur notre santé. Pour les « politiques », cette naturalisation et individualisation de la maladie sont un souci de moins. Puisque cest génétique, confions les gènes aux transnationales. Leffondrement final de tout système de sécurité sociale est proche ouvrant enfin la voie à un système privé dont le coût est, on le sait, inversement proportionnel aux performances (comparons Angleterre, France, Etats-Unis). Et continuons pour des raisons de profit, à multiplier les polluants, y compris les OGM, autour de nous. Tout ira ainsi pour le mieux sinon dans le meilleur des mondes possibles, du moins dans le plus profitable.
Jean-Pierre Berlan |
Jean-Pierre Berlan est Directeur de Recherche à l'INRA/CTESI de Montpellier
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