epuis
maintenant deux mois, les informaticiens
d'« Elf Exploration Production »
mènent un combat qu'on peut qualifier
d'original. Rappel des faits :
En 1995, un an après la
privatisation du groupe Elf, une tentative
d'externalisation de la micro-informatique avorte
grâce à un mouvement intersyndical bref et
efficace. La direction d'Elf, Philippe Jaffré en
tête, a la mémoire courte : en 1998, elle
annonce la mise en place d'un plan de
« performance ». Ce plan consiste non
seulement en une filialisation/externalisation de
certaines activités dont, encore une fois, la
micro-informatique, mais aussi en une nouvelle
stratégie de relation avec les actionnaires
(ndlr : il faut lire « en un foutage de
gueule des salariés »). Nouvelle échec
pour la direction.
Janvier 99, la direction d'Elf
persiste et signe ! Aveuglé par des bénéfices
exceptionnels, le surprenant Jaffré fonce corps
et âme dans une politique ultra-libérale dont
il serait le seul rescapé à long terme
(peut-être est-ce là son but d'ailleurs). En
effet, il privilégie la rentabilité à court
terme à la consolidation structurelle d'une
société de renom: séduction auprès des
investisseurs, notamment les étrangers qui
détiennent déjà plus de 50% du capital de la
société (1). L'attitude
est d'autant plus stupide que le groupe se
maintient depuis des décennies, avec Total, dans
les hautes sphères de la capitalisation (2).
Alors, pour faire face à cette
nouvelle provocation la filière informatique a
décidé d'agir de manière originale : bloquer
le réseau de communication du groupe pour
ralentir l'action suicidaire de Jaffré et
atténuer ses exactions.
Pour mieux comprendre les
motivations, les actions et les attentes des
salariés informaticiens d'Elf EP, l'Ornitho a
posé quelques questions à un membre de
l'équipe de gestion du site internet « Elf
en Résistance ».
D'où est venue
l'idée du blocage informatique ?
Le projet de la direction part
du principe que cette fonction n'a pas de valeur
ajoutée et qu'elle peut donc être externalisée
sans problème. Hors les gains de productivité
effectués depuis quelques années sont passés
par une intégration forte de l'informatique dans
les métiers. Notre "outil de travail"
étant immatériel, la grève ne pouvait pas
être mise en oeuvre sans toucher à cet outil.
De plus, le conflit s'est déclenché au moment
de la préparation de consolidation financière
qui précède l'assemblée générale des
actionnaires. Une finalité
"court-terme" était donc de bloquer
cette consolidation qui est destinée à ceux qui
ont provoqué l'origine du conflit par les taux
de rentabilité court-terme demandés.
La direction
est-elle sensible à cette grève
« moderne » ?
La direction distribue de
nombreux "tracts" qui semble montrer
qu'elle n'est pas indifférente. Il faut
cependant considérer qu'il est possible que ce
blocage soit intégré dans une stratégie de
casse de l'entreprise d'Exploration-Production en
vue d'un replis "frileux" sur le
métier de banquier. Ceci expliquerait le nombre
conséquent de provocations que nous avons pu
constater.
Pourquoi ne pas
bloquer l'accès internet au site Elf ?
Les remarques suivantes me
semblent « pertinentes » pour
illustrer l'action:
1) Le site institutionnel Elf est externalisé
depuis longtemps (chez FT hébergement). Le
risque de pirater le site n'a pas été pris
puisque nous souhaitons rester dans un cadre
strictement légal qui est la seule chance de
garder nos moyens d'actions
"judiciaires" efficaces.
2) A part cela, il n'y a plus d'accès Internet
direct pour les agents de la branche EP et
certaines directions centrales du Groupe. Un
contournement moins "confortable"
existe par accès via modems et abonnement
auprès d'un fournisseur d'accès (France Telecom
- Wanadoo pour beaucoup dont l'Intersyndicale).
3) En 50 et quelques jours, certaines filiales
ont reconstitué un accès au courrier
électronique alors que les techniciens internes
avaient posé le diagnostic dès le surlendemain
du blocage. Ceci montre bien la réactivité
"démentielle" des solutions de
sous-traitance.
Espérez-vous,
avant l'été, obtenir quelque chose de votre
direction ?
Même ténu, nous avons
toujours un espoir de faire comprendre à la
direction que son plan est suicidaire. Ceci aide
d'ailleurs fortement à éviter les
débordements.
Ne craignez vous pas que la
direction d'Elf attende l'été dans l'espoir
d'un essoufflement de la lutte ?
Stratégie clairement annoncée
au plus haut du Groupe : aux tous débuts de ce
qui est présenté comme une étude
« ouverte », le Président Philippe
Jaffré a dit qu'il s'attendait à une grève
dure jusqu'à l'été. Par contre,
l'incompétence en gestion humaine clairement
mise en valeur par l'étude
« performance » laisse craindre une
non maîtrise du passage à cette phase.
Ce blocage du
réseau, même s'il est très gênant pour le bon
fonctionnement de l'entreprise, n'est pas hyper
médiatique (en tout cas, moins que les pneus qui
brûlent et les charges de CRS). N'est-ce pas un
handicap ?
Au niveau mondial, le
référencement de notre site par des plaques
d'accueil internationales a certainement plus
d'impact que la charge de CRS qui nous
éliminerait en quelques secondes. De plus, ce
genre d'action n'est pas dans une ligne
« gagnante » pour nous car il
montrerait que nous ne sommes plus soutenus par
les pouvoirs publics (même si, dans le cadre
d'un groupe privé, cette action est moins rapide
que nos souhaits, nous espérons qu'elle sera
décisive et exemplaire).
Enfin,
pensez-vous que la direction finira par céder?
l'ensemble des employés sont-ils derrière vous?
Question sans réponse. Nous
n'aurions pas tenu plus de deux mois sans cet
espoir mais seul l'avenir dira s'il se confirme.
Comme dans tout conflit, certains sont plus
lucides que d'autres, certains privilégient leur
intérêt personnel ou raisonnent sur une base
plus vaste. Les seuls faits
« vérifiables » sont la présence
« substantielle » (par rapport à une
estimation des présents sur le site) aux
assemblées générales quotidiennes et la forte
proportion de souhait de poursuite du mouvement.
La
fréquentation du site elf-resistance est
encourageante. Recevez-vous beaucoup de messages?
de quel type?
La messagerie est
"annexe" au site dont l'ambition
première était de porter une vision
« différente » de celle de la
pensée unique affichée par la direction. Les
destinataires premiers sont les collègues
expatriés ou dans d'autres branches du Groupe.
Nous recevons des messages de soutien, des
messages de « service » signalant
telle ou telle faute, des demandes venant de la
presse. De plus, la messagerie permet aux
collègues qui le souhaitent de communiquer des
textes de réflexion, des informations diverses
(articles de presse ou liens intéressants). Elle
a aussi une fonction de « transport »
entre les mouvements des divers sites puisque les
liens internes sont interrompus.
Pensez-vous que
ce type de mouvement puisse en entraîner des
similaires à Pétrofina ou Esso, par exemple?
(3)
Nous pensons que ce type de
mouvement est extrême et qu'il est lié à une
stratégie d'implosion de Elf que nos concurrents
que vous citez n'ont peut-être pas. Par contre,
la présence sur le Web de sites syndicaux
devrait se développer. L'introduction des
nouvelles technologies dans la présence
syndicale nous semble avoir de l'avenir. Il faut
cependant noter que ceci demande un déploiement
d'énergie qui est actuellement hors d'atteinte
des petites structures. Une mutualisation sera
donc nécessaire.
Ainsi, alors que des
opérateurs stopperaient une chaîne, que des
routiers bloqueraient des autoroutes, les
informaticiens de Elf EP utilisent eux aussi a
bon escient leur outil de travail pour faire
pression sur leur directeur (ndlr : lire
« dictateur »). Eux aussi luttent
« avec tous ceux qui sont confrontés
aux idéologies totalitaires dans leur
entreprise, avec tous ceux qui sont bafoués dans
leur dignité d'hommes et de citoyens ».
Pour tous savoir sur leur
lutte, son évolution au jour le jour, je ne
saurai trop vous conseiller leur site : http://perso.wanadoo.fr/elf-resistance/
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