elf en résistance

  Synthèse du livre "Pour la semaine de quatre jours" de Pierre Larrouturou  
     
 

Pour la semaine de quatre jours

Sortir du piège des 35 heures

Pierre Larrouturou

La Découverte, Poche, Essais, 1999, 264 pp.

Présentation

Pierre Larrouturou est béarnais, il fait campagne depuis plusieurs années pour une réduction massive du temps de travail, comme une solution ( parmi d'autres ) pouvant contribuer à la réduction du chômage.

De nombreux contacts avec des hommes politiques de droite comme de gauche transparaissent dans son livre ; en outre sa démarche ne se ressent jamais de position partisane pour tel ou tel parti, ce qui n'empêche pas que le choix fondamental pour une plus grande justice sociale est clairement posé.

P.L. a créé une association qui milite en ce sens (1), elle intervient comme médiateur dans des entreprises. Son livre est donc riche de contacts et d'expériences dans les entreprises ou avec les partenaires sociaux ; actuellement 200 entreprises ont fait le choix de passer à 4 jours/ semaine, sous une forme ou sous une autre. Les réflexions de PL ne sont donc pas des positions dogmatiques, mais tiennent compte du vécu des entreprises.

(1)Association Référendum 4 jours, 93 rue Lafayette, 75010 Paris, tél. : 01 53 25 14 14 / Fax 01 53 25 14 15 / Email
s4j@infonie.fr , URL http://www.4jours.org

Motivations

Actuellement, " l'économie se porte bien, mais joue contre la société " ; la situation est celle d'un certain partage du travail, involontaire et dicté par le marché, c'est à dire avec une majorité de gens travaillant à temps plein, et une forte minorité (4 millions de chômeurs) ne travaillant pas du tout, ce qui entraîne une dislocation du lien social ; cet éclatement de la société est politiquement inacceptable. En outre, il constitue à terme un facteur négatif pour la compétitivité de nos entreprises, par suite des problèmes sociétaux, et du manque à gagner en terme de pouvoir d'achat de la population. Différentes solutions de partage du travail sont également rentables dans l'immédiat ; il est urgent, pour des raisons de justice sociale, de donner la priorité à un choix politique différent, faisant prévaloir une solution réaliste et efficace.

Pourquoi réduire le temps de travail ?

L'argumentation est condensée dans un tableau.

Evolution 1974 - 1998

Produit intérieur brut 1974 = 100, 1998 = 160 +60% évolution du niveau de vie

Total des heures travaillées 1974 = 37,9 milliards, 1998 = 33,4 milliards -12 % productivité automatisation tâches

Population active 1974 = 22,3 millions, 1998 = 25,7 millions +15 % baby boom + travail femmes

L'année 1974 est choisie comme la dernière avant l'explosion actuelle du chômage. Pour produire plus, on a besoin de moins d'heures alors que davantage d’individus veulent travailler, l'écart est de 27%. Pour PL ces chiffres infirment l'idée que la mondialisation soit la cause majeure du chômage, et qu'une croissance même soutenue suffise à retrouver un plein emploi dans un délai raisonnable.

Association Référendum 4 jours, 93 rue Lafayette, 75010 Paris,

tél. : 01 53 25 14 14 / Fax 01 53 25 14 15 / Email s4j@infonie.fr / http:\\www.4jours.org

Historique

1993

L'association de PL s'est battue dès 1993 pour un amendement législatif de la loi quinquennale (art. 39): le passage à 4 jours se traduisait par une exonération de droits de 3 ans. Une dizaine d'entreprises étaient passées à 4 jours en 1995.

Loi de Robien

Cela a constitué une expérience ; elle a permis un lobbying qui a conduit à la loi de Robien, dont PL est l'un des initiateurs. Les exonérations étaient plus longues. Deux cents entreprises sont passées aux 4 jours. Cette phase a montré que ce système de réduction du temps de travail est applicable à tous les métiers et à toutes les catégories d'entreprises (petites ou grandes) à condition que les modalités de détail soient discutées "à  la carte ".

Mais l’inconvénient de la loi de Robien résidait dans l’origine des fonds : le remboursement des exonérations Sécurité Sociale était effectué par l’Etat. Les fonds de l’Etat sont suffisants pour une expérience limitée, mais insuffisants pour une généralisation du dispositif. En outre dans la loi de Robien, l’exonération était limitée à 7 ans. Enfin, il n’y avait aucune garantie que les emplois créés correspondent à une augmentation stable de l’effectif : l’entreprise pouvait débaucher par ailleurs d’autres salariés. Néanmoins cette loi a permis de créer ou sauvegarder 15 000 emplois (8 000 créations, 7 000 licenciements évités).

Loi Aubry

La loi Aubry est jugée très insuffisante par P.L. L’effet sera limité puisque la réduction porte sur un nombre d’heures faible, et surtout il n’y a pas obligation réelle pour les entreprises d’effectuer cette réduction du temps de travail : des heures supplémentaires sont admises au delà du seuil de 35 heures, si elles sont payées plus cher (25% prévus initialement, peut-être 10% en définitive) ; cela fera au total 2,5, voire 1% d’augmentation de la masse salariale. PL accuse le gouvernement d’avoir lancé cette mesure pour des raisons de programme électoral, mais d’avoir donné en même temps au patronat l’occasion de ne changer les choses que de façon minime. Le patronat a en outre été indisposé par l’aspect autoritaire de la démarche. Enfin, l’aide Aubry est forfaitaire et non indexée sur les salaires : son application est plus aisée pour les faibles salaires que pour les salaires supérieurs. La crainte de P.L. est donc que l’échec prévisible de cette loi pour résoudre le chômage ne conduise à " enterrer " pour de nombreuses années le dossier de la réduction du temps de travail auquel il croit.

Comment réduire le temps de travail ?

Cesser de raisonner en termes d’heures

Pour PL, si la réduction du temps de travail est faible, elle est inefficace, car rapidement absorbée par les gains de productivité (mécanisation croissante...). Elle apporte un plus pour le confort des individus, mais ne change rien pour résoudre le chômage. Ainsi pour la réduction à 39 h décidée en 82, et qui avait en outre l'inconvénient d'être imposée par voie autoritaire. Faire des journées plus courtes n'a pas de sens dans certaines professions, ou est même concrètement impossible. Pour les journées plus courtes ou les demi-journées, il y a toujours le risque de débordement au delà de l'horaire officiel : les contraintes techniques tendent toujours à faire dépasser l'horaire prévu d'une journée déjà commencée. Pour PL, la solution est donc de réduire par journées entières de travail.

Une indispensable souplesse

Différentes formules sont possibles et les expériences montrent l'intérêt de solutions pragmatiques négociées localement service par service avec beaucoup de souplesse. Il faut dans la plupart des cas garder l'entreprise ouverte 5 jours par semaine. La réduction d'horaires peut donc être modulée :

  • un jour libre par semaine, - telle entreprise a convenu d'une présence obligée le mardi et jeudi pour coordination technique -
  • un WE de 4 jours toutes les 2 semaines
  • une semaine de libre sur 5 semaines
  • une année sabbatique tous les 5 ans
  • un mois sur 5
  • ou encore alternance de rythmes selon les contraintes.

Pour l'encadrement supérieur, une répartition différente des tâches actuelles peut s'avérer nécessaire.

Pour les cadres techniques (chercheurs...), une formule longue peut être préférable (5 mois/ 1 mois, 4 ans/1 an...) car le temps de présence continu est alors plus en rapport avec la durée effective des tâches complexes.

Les modalités financières

+10 % d’embauches

Une réduction de 20 % du temps de travail ne se traduira pas mécaniquement par 20 % de personnel en plus. PL pense réaliste de tabler sur 10% d'embauches.

-3  à -5% pour les salariés

Pour PL il serait indécent, et irréaliste, de promouvoir une réduction du temps de travail à salaire constant. Mais la réduction de salaire proposée n'est pas en proportion directe de la réduction du temps de travail. Il pense qu'une réduction de salaire de 3 à 5 % est socialement acceptable pour la plupart des salariés (sauf pour les plus bas salaires). Pour les salariés, cette réduction du salaire est justifiée par un gain considérable de qualité de vie : nous ne sommes pas des " porte-monnaie sur pattes ".

PL insiste même en indiquant que la poursuite de la tendance actuelle (réductions d'effectifs) va nous faire perdre de toute façon ce pourcentage de pouvoir d’achat, par suite des hausses d'impôts directs ou indirects que nécessitera le traitement social de ce chômage croissant.

-7% de charges pour une masse salariale stable

Pour que cette réforme soit acceptable pour les entreprises, PL pense qu'elle doit être faite à masse salariale constante. Il faut donc dégager 10 - 3 = 7 % d'allégement. PL propose d'exonérer définitivement de cotisations chômage les entreprises qui font cette réforme, à condition qu'elles effectuent les embauches correspondantes ( au moins 10 % d’emplois en plus, un des accords de branche conclus en 1996 a mis le seuil d'embauche à 15%). Ces cotisations (entreprise + salarié) représentent au total 8 % de la masse salariale. Les personnes embauchées seront surtout des chômeurs de courte durée, c’est à dire ceux qui coûtent le plus cher à l’UNEDIC (car en début de droits , les chômeurs longue durée ne sont plus subventionnés par l’UNEDIC mais par l’Etat). Le nombre global de chômeurs sera divisé par deux, mais les dépenses de l’UNEDIC seront réduites par un facteur 3. La mise au travail de personnes actuellement au chômage élargira en outre l’assiette des prélèvements (=nombre de cotisants) pour la Sécurité Sociale. Bien sûr il n’y aura exonération que s’il y a effectivement création d’emplois.

Accompagnement

Un certain nombre d'entreprises sont passées au système " 4 jours ", même sans l'incitation fiscale envisagée ici. La réduction de salaire peut dans certains cas être compensée par une réduction de coûts indirects (réorganisations, réduction du personnel en plage de temps mort...) ou peut être retournée aux salariés par un intéressement plus fort. Mais le principe d'une réduction de salaire est important aux yeux de PL pour que cette réforme garde un caractère réaliste pour les dirigeants économiques des entreprises.

Une mesure d'accompagnement social est proposée par P.L. : subventionnement par l'Etat de la perte de salaire pour les salaires inférieurs à 8500 F, le coût pour la collectivité serait de 7 à 8 Milliards de F.

Avantages de la réduction à 4 jours.

Alors qu'une réduction faible du temps de travail peut être compensée par des mesures d'annualisation ou par des gains de productivité, une réduction massive doit se traduire par des embauches. On peut escompter en moyenne 8 à 10 % d’emplois nouveaux, ce chiffre sera variable selon les branches. Ces dispositions pourraient donc créer 1,5 à 2 millions d’emplois. Il paraît irréaliste d’aller en deçà de 32 heures, car nous ne trouverions pas assez de gens formés pour effectuer les remplacements.  

Puisqu'il y a plus de monde disponible pour l'entreprise, celle-ci gagne en flexibilité : elle a davantage d'agents formés susceptibles d'assumer les tâches dans les " coups de bourre " : par rapport à la limite maximum de 44 heures par semaine, les 32 heures permettent un supplément ponctuel de 12 heures. Les compétences peuvent également être repensées : meilleur partage des tâches et des responsabilités, formations complémentaires.

Une entreprise a rarement l'occasion d'embaucher 10 à 15 % de personnel à masse salariale constante, avec des effets positifs sur la pyramide des âges, sur les plans de carrière etc. " L'entreprise peut et doit sortir gagnante de la réduction du temps de travail ". C'est une occasion de donner à nos entreprises " une longueur d'avance " en matière de compétitivité.

Quelle démarche suivre ?

P.L. propose un référendum sur son projet. Il y aurait deux avantages à cela :

créer un réel débat public , ce qui lui paraît réaliste car les idées avancées ne sont pas très compliquées,

créer une situation qui ait des chances d’être pérenne, ce qui ne serait peut-être pas le cas avec une loi parlementaire.

Un référendum donnerait à ce projet les dimensions d’un nouveau contrat social. Cela s’inscrirait dans le cadre de la révision constitutionnelle de l’été 1995, qui a étendu le champ d’application du référendum aux politiques économiques et sociales.

Le contenu serait une réduction de la moyenne hebdomadaire à 32 heures de travail ; les heures supplémentaires au-delà de 32 heures seraient fortement pénalisées pour l’entreprise, et payées au tarif normal pour le salarié.

Autres aspects du dossier

Le débat nécessite de diffuser l’information : beaucoup de gens ne sont pas informés de ce projet. Cette proposition n’est qu’un remède parmi d’autres (que PL n’aborde pas) pour réduire le chômage ; mais le temps libéré pour chacun donne à ce projet une dimension complémentaire : des enjeux culturels ou sportifs nouveaux sont ouverts pour une partie au moins de la population. De multiples blocages peuvent cependant intervenir tenant à des questions annexes, et l’importance d’un débat national serait faire disparaître ces blocages.

PL passe ainsi en revue dans la dernière partie de son livre les conséquences envisageables de cette part plus importante de temps disponible, susceptible de générer des activités hors de la sphère marchande . L’association qu’il anime a commencé a créer des groupes de travail sur ces sujets. Les réflexions commencent, et de ce fait P.L. rapporte ici ses impressions personnelles. Elles ne sont pas reprises dans ce résumé.

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