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Antenne ASSEDIC

17 janvier 98DEBATS SUR LES REVENDICATIONS ET SUR LA FORME DU MOUVEMENT
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Spleen militant
Date: Sat, 17 Jan 98 05:11:34
From: "Philippe" phcoutant@hol.fr
Bonjour 

      Le spleen touche aussi la militance, la souffrance mentale
 est également  dans le mouvement  de lutte actuelle.
Il n'y a pas de garanties, ni de certitudes, on le savait déjà,
 mais il est des moments  où le doute a besoin de s'exprimer !   

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Militer en paix avec la chefferie militante : est-ce possible ?


Oui il est possible de vivre en paix avec les diverses formes de chefferie
militante à condition d'accepter certaines règles de bases. Je me permets
d'en relever quelques unes et de vous les soumettre pour que vous en
fassiez bon usage. Comme j'ai déjà mon billet pour le Goulag, alors Basta !

Suite à certaines difficultés récentes rencontrées dans le mouvement des
précaires et chômeurs/euses, il m'a semblé nécessaire de revenir sur la
question du pouvoir en politique. Je ne pense pas que l'engagement des
personnes soit mauvais en lui-même ou que ce mouvement soit à condamner au
contraire, il est significatif des contradictions actuelles de la
domination capitaliste, il faut le soutenir et y participer. Ce qui fait
problème ce sont les modèles dans lequel l'existentiel militant se réalise. 

En fait il n'y a pas ou peu de débats de fond sur les références théoriques
ou les buts généraux, le communisme libertaire ou la révolution ne font pas
problème en eux-mêmes. On peut d'ailleurs facilement constater que les
grands buts humains sont nécessaires pour justifier le sacrifice à la
cause, pour rationaliser la soumission militante. Ce qui est en cause c'est
la tactique et la stratégie, la vie militante et existentielle au
quotidien. 

Si vous acceptez le pouvoir de certaines personnes, qui officiellement ne
s'annoncent pas toujours comme étant des dirigeants ou des dirigeantes,
mais qui ne s'en cachent pas en d'autres circonstances, vous n'aurez pas de
problèmes. 

Si vous acceptez une vision de l'universel façon « chef » tout ira bien,
c'est à dire que les critiques sont valables pour les autres jamais pour
soi. On crie haut et fort à la récupération, à la manipulation, au
comportement stalinien pour les autres, mais soi-même en ne se montrant pas
sous son vrai jour (la direction politique), on reproduit et profite au
maximum de ce genre d'attitude.

Si vous acceptez d'être intrumentalisé-e, si en plus vous aimez votre
soumission tout sera parfait, on vous aimera, vous valorisera, vous aurez
votre place sans difficulté, si au contraire vous froncez les sourcils, si
vous souhaitez émettre un avis, une réserve vous devrez assumez le rôle de
traître. Ne vous étonnez si on vous regarde de travers, si on vous sert la
soupe à la grimace, fini les bisous, votre place sera toujours sur un siège
éjectable, vous serez toujours suspect-e.

En fait vous devrez accepter que la chefferie militante possède LA vérité.
Ne cherchez pas pourquoi, c'est ainsi, l'organisation et son incarnation
humaine (le dirigeant ou la dirigeante) sont intrinsèquement
révolutionnaires, c'est par nature. Alors si vous osez certaines questions
vous serez jugé selon le critère simple « si tu n'es pas avec nous tu es
contre nous ! ». Cette coupure du tout ou rien se justifie facilement
puisque la chefferie militante est l'organe dirigeant de l'organisation
politique ou de l'association qu'il faut renforcer. Qu'importe si ainsi on
réussit à faire rimer libertaire avec autoritaire, peu importe que l'on
critique les partis classiques et que l'on adopte les mêmes comportements
qu'eux pour soi-même. La chefferie militante ressemble en cela assez aux
autres types de chefferies, elle n'est pas à une contradiction près,
l'important c'est de diriger sans forcément le dire, sans nécessairement le
revendiquer publiquement, d'instrumentaliser toutes les personnes
rencontrées dans le sillage des luttes. Le léninisme n'est pas mort, avec
le secret en politique ce sont les bases de la construction et du
développement de la chefferie militante.

Sachez qu'il est inutile de respecter les règles de bases de la démocratie
quand on a raison puisque les autres ont tort. On peut aussi la respecter
en apparence en ayant une telle influence que les débats sont faussés
d'avance. Il est inutile de reconnaître que la révolte se conjugue sous des
modes multiples, que l'idée libertaire prend des formes différentes,
l'essentiel c'est d'accepter la direction de la chefferie militante.

Suivant la ligne, dans un cas la rupture c'est tout de suite et vite, il
n'y a pas de raison d'accepter des médiations, la lutte contre le
capitalisme est une et ne se négocie pas. Selon une autre modalité de la
ligne politique, ce peut être l'unité tout le temps, même si les allié-es
sont les représentantes objectifs de la domination. Dans les deux cas,
quelque soit la lutte, le réel doit se plier à la ligne juste.

L'autonomie c'est la chefferie militante qui la met en oeuvre, le fait que
souvent elle n'apparaît pas en tant que telle est lié à des questions de
sécurité, bien évidemment. On pouvait rire de Georges Seguy qui disait que
la CGT était indépendante du PCF dans les années soixante-dix, ici
l'autonomie ne se discute pas si la chefferie militante est aux commandes.
Sachez aussi qu'il y aura toujours une personne sincère qui n'appartient
pas à la chefferie militante ou à son regroupement pour justifier cette
stratégie. En effet toutes les autres structures ont trahi, c'est bien
connu ! Que cette personne ignore tout de la chefferie militante et de ses
structures c'est encore mieux. On peut aussi justifier la ligne inverse
d'unité inconditionnelle par l'adage « plus on sera nombreux, mieux ce sera
! ». Mais en fait tout cela c'est secondaire, ce qui compte c'est qui a la
direction du mouvement. Il est impensable que celui-ci se donne seul les
formes de direction qu'il souhaite ou pas de direction du tout d'ailleurs.

Comme le remarquait Nietszche, le soubassement mental qui permet à la
croyance de faire fortune c'est le ressentiment, ressentiment que prend
bien soin de cultiver la chefferie militante. Dans un cas ce sera la
gue-guerre permanente avec tout le monde qui sera l'élément de base pour le
succès de ceux et celles qui ont raison seul-es contre tous et toutes, dans
un autre cas ce sera l'unité le leitmotiv avec la communion comme horizon
mythique et le fameux « tous ensemble », mais à chaque fois, que ce soient
des prêtres ou des révolutionnaires autoproclamé-es, détenir LA vérité pour
avoir le pouvoir c'est fondamental.

Ces phénomènes ne sont pas exotiques, pour nous aussi il est plus que temps
de réfléchir au vieux proverbe russe qui énonce que : « Un visage laid ne
doit pas maudire le miroir ! ».

Une fois le miroir tourné vers soi et ces critiques effectuées, « comment
vivre notre militance ? » reste la question préoccupante. Michel Foucault à
la fin de sa vie se posait la question de comment développer sa puissance
ou la puissance collective sans opprimer, je crois que c'est de cela qu'il
s'agit. Déjà ne pas se mettre la tête dans le sable est important, en effet
souvent dès que l'on aborde ce genre de problèmes on est saisi-e par le
malaise, malaise du à l'impuissance et à la culpabilité.

Nous sommes la plupart du temps dans l'impossibilité de mettre à jour et de
poser publiquement la question du pouvoir hors le champ de la concurrence.
Soit parce qu'on ne veut pas tout détruire (le mouvement de lutte en cours,
le regroupement dans lequel on inscrit son action militante, la peur de
faire mal aux personnes avec qui on milite, le sentiment d'être coincé-e,
que c'est toujours pareil et qu'il n'y a pas de solutions, la sensation de
ne pas pouvoir assumer les conflits engendrés par tout cela, etc..). En
général l'intérêt supérieur de la cause joue à plein pour empêcher
l'émergence de ce genre de discussion. Les problèmes affectifs sont
également en jeu : ses copines, ses copains, son amant ou son amante, son
frère ou sa soeur de combat, celui ou celle qui nous a initié à la
politique sont parfois au centre des débats et là « maman bobo ! ». Jamais
on ne se pose la question de comment militer avec des personnes que l'on
n'aime pas ou que modérément. La planète militante regorge de ces
frustrations, de ces dégoûts qui font abandonner tout engagement. La norme
militante est spontanément sacrificielle, la pression morale n'est pas
ouverte et formalisée, mais elle existe bel et bien, elle est d'autant plus
forte qu'elle reste un non-dit, on doit la subir et s'y conformer si on
veut trouver une place ou la conserver dans les cercles militants.

En ce qui me concerne, la solution que j'ai trouvée, c'est déjà de soulever
à ma façon le problème, je l'ai déjà fait dans le texte « Comment devenir
un bon dirigeant politique en 10 leçons  ! ».
[ce document est disponible sur le web http://perso.club-internet/nanar666/ ] 
   
Je continue aujourd'hui parce le débat sur le contenu de la loi symbolique
touche toute la société et en particulier celles et ceux qui veulent la
transformer. La question de la violence institutionnelle n'est pas simple,
mais je sais que la passer sous silence c'est criminel au sens du crime
mental ou de la « castration mentale » selon le terme de Bernard Noël.

Je n'ai pas de solution toute faite, je ne suis pas à l'abri de ce que je
critique. Je sais simplement que la lutte est multiple, que les formes de
militance sont multiples et qu'il est difficile de juger de la vérité, que
souvent la volonté de vérité est suspecte. La vanité humaine a tendance à
dire « moi je », ce qui a tendance à perturber le rapport à l'universel. La
situation a toujours un coté particulier et relatif, mais également un
versant général, une validité universelle, c'est la liaison entre les deux,
en politique, qui donne sens et valeur à l'engagement. Le relativisme
post-moderne a tendance à nier l'universel en énonçant que « tout se vaut !
» pour ne garder que les intérêts individuels ou étatiques. Nous savons que
ceci c'est une des formes idéologiques de la domination actuelle. Nous
connaissons également les limites du syndrome anar, qui énonce que la
trahison est obligatoire et la révolution sera forcement trahie. Au
contraire nous essayons d'agir et de penser tant bien que mal dans le réel
de notre temps, les temps maudits. La militance n'est ni toute blanche, ni
toute noire, souvent grise, avec des moments de passion et des retombées
déprimantes. Tout cela se vit avec des personnes humaines telles qu'elles
sont, faîtes de chair et de sang, d'amour et de haine, de grandeurs et de
mesquineries, de désirs et de peurs, de joies et de tristesse, parfois de
l'humour, « humain, trop humain » disait Zarathoustra ! Nous n'ignorons pas
que la lutte d'idée ou d'influence existe et qu'elle soit nécessaire au
débat démocratique. Nous savons que la question de la puissance se conjugue
à la fois par le possible en action et en pensée, la capacité et par
l'autorité du pouvoir, la domination. Mais je pense ou plutôt je postule
l'axiome suivant : 
Il est possible d'essayer de militer de façon un peu conforme aux idées
libertaires que nous défendons.

Certes, c'est une exigence éthique, mais comment supporter d'énoncer de
belles idées politiques et des contredire dans la pratique ? Comme le
disait Cornélius Castoriadis : « Nous ne philosophons pas pour sauver la
Révolution, mais pour sauver notre pensée et notre cohérence ». Après le
deuil du progrès, il nous faut peut-être envisager le deuil de la
révolution conçue comme une rédemption. C'est ici et maintenant que cela se
joue !

La sphère existentielle est très imbriquée à la politique en cette fin de
siècle. C'est normal parce que c'est une instance de vérité pour la ou les
subjectivités qui émergent en ce lieu bizarre qu'est la politique. Pour moi
la politique n'existe qu'au sens de la situation et de la critique ou de la
visée d'un impossible : l'égalité et la justice, pas au sens de la gestion
politicienne liée à la démocratie parlementaire si conforme au libéralisme
économique. La question des modèles doit être reposée et débattue. C'est
une des voies, à mon avis, qui permettra une reprise raisonnée pour évaluer
nos référents théoriques et idéologiques, pour assumer la force de notre
inconscient militant et les implicites qui le structure. Sinon comme
d'habitude nous serons condamné es à reproduire des formes de domination
parmi nous. 


Ce texte ne concerne pas seulement les luttes en cours mais toutes les
luttes, il s'adresse à personne et à tout le monde en même temps. Je refuse
la mise en place de tribunaux, je ne place pas sur le terrain de
l'autocritique, cette notion était liée au centralisme démocratique, à une
conception partidaire, donc à un certain type de chefferie. Au contraire je
crois que c'est d'abord une réflexion à mener pour soi-même et par soi-même.



Philippe Coutant lle 14 Janvier 1998
Ce texte n'engage que moi et pas les regroupements
dont je suis membre par ailleurs.

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