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Antenne ASSEDIC

17 janvier 98:
DEBATS SUR LES REVENDICATIONS ET SUR LA FORME DU MOUVEMENT

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Ils peuvent nous expulser, ils ne nous feront pas disparaitre
	ILS PEUVENT NOUS EXPULSER,
	ILS NE NOUS FERONT PAS DISPARAITRE
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L'année 1998 commence par un joyeux chahut: partout en France, des
collectifs de chômeurs et de précaires occupent les lieux de passage
obligés des demandeurs d'emploi et allocataires des minima: antennes
Assedic, ANPE, Centres d'action sociale, CAF... Les chômeurs sont en
colère, le mouvement social effectue son retour sur la scène et la scène
elle-même s'en trouve transformée. Qui aurait imaginé qu'un ministre
socialiste de l'Economie accorderait un brevet de combativité aux chômeurs
à une heure de grande écoute ? Ce mouvement, qu'on a quelquefois qualifié
de "minoritaire", marque pourtant un tournant dans l'histoire des luttes
sociales. Pour la première fois, on assiste à la mobilisation forte,
organisée, vivante, multiforme, de populations atomisées, soumises au
contrôle social, souvent infantilisées par les institutions dont elles
dépendent. Les mouvements de chômeurs n'en sont pas à leur première
campagne, ni à leur première occupation de locaux. Mais jamais leur colère
n'avait connu un tel retentissement. Derrière la sympathie que suscite ce
mouvement, il y a sans doute cette image nouvelle pour beaucoup du chômeur
ou du précaire non plus honteux, caché, "exclu", mais revendiquant avec
détermination son dû: une part tangible de la richesse sociale.

A l'origine de ce mouvement début décembre 1997, une tradition de lutte.
Les comités de chômeurs CGT dans les Bouches-du-Rhône vont, comme chaque
année, réclamer une "prime de Noël" prise sur le reliquat du fonds social
des Assedic. Ce fonds social, réservé à des aides d'urgence pour les
chômeurs en difficulté, n'était jamais entièrement utilisé, loin s'en faut.
Mais en juillet 1997, il a été démantelé par l'Unedic. Privés d'un fonds
qui leur était destiné, les chômeurs occupent à nouveau les Assedic. Au
même moment, un regroupement d'associations de lutte contre le chômage et
les exclusions (AC!, APEIS, MNCP, CdSL, DAL, Droits Devant!!, CADAC) et de
syndicats (SUD, Tous Ensemble, Groupe des 10, FSU, Fédération CGT Finances)
est à l'initiative d'une semaine d'action "Urgence sociale" ponctuée de
multiples occupations, qui se clôturera par un grand forum au Carrousel du
Louvre. Après six mois d'immobilisme gouvernemental en matière de droits
sociaux, la nécessité d'agir s'impose. Les deux mouvements convergent de
fait rapidement autour de la revendication centrale d'un droit au revenu
pour tous. Il apparaît évident que demander le paiement d'un treizième mois
n'a de sens que dans le contexte d'une lutte globale sur les conditions de
vie toute l'année. Il n'est plus question alors seulement du fonds social
des Assedic mais d'exiger une revalorisation immédiate de 1500 F des minima
sociaux, l'instauration d'un droit au revenu pour les moins de z5 ans,
actuellement interdits de RMI, et une remise à plat complète du système
d'indemnisation du chômage. Car ce système de protection ne correspond plus
en rien aux réalités vécues par le nombre croissant de ceux qui en
dépendent. Depuis 199Z, les allocations chômage sont dégressives; un
chômeur sur deux n'est pas indemnisé et la moitié de ceux qui le sont
touchent moins de 3 000 F par mois. Quant aux minima sociaux, versés par
l'Etat (revenu minimum d'insertion, allocation spécifique de solidarité,
allocation parent isolé), ils sont non seulement insuffisants pour vivre
mais soumettent les allocataires à un contrôle tatillon: visites
domiciliaires des travailleurs sociaux, obligation de pointage dans les
commissions locales d'insertion, injonction d'accepter les emplois
précaires sous peine d'être exclu du RMI... De plus, ces minima ne sont pas
attribués individuellement, mais par foyer (un RMI-couple est inférieur à
deux RMI), et en sont déduits tous les avantages en nature dont
l'allocataire peut bénéficier, de l'aide au logement au lopin de terre
planté de tomates !

Une telle parcimonie dans l'attribution des minima sociaux et leur faible
montant sont à la fois révoltants et aberrants dans la cinquième puissance
économique mondiale. Mais au-delà de ceux qui les perçoivent, c'est
l'ensemble des salariés dont les conditions d'emploi sont sans cesse
précarisées qui sont touchés. Car le chômage de masse qui sévit depuis le
début des années 80 a vu non seulement une augmentation considérable des
chômeurs de longue durée mais aussi une croissance sans précédent des
emplois précaires. Travailleurs précaires et intermittents de l'emploi
forment désormais une des figures majeures du salariat contemporain, sans
que des garanties sociales tangibles viennent assurer aux précaires la
simple possibilité d'entretenir leur disponibilité sur le marché du
travail. Aujourd'hui, 80 % des embauches se font sous contrat à durée
déterminée (CDD), dont la durée moyenne est de deux mois. Les salariés
jeunes, femmes et immigrés sont amenés à circuler sur le marché du travail
de période d'emploi en période de chômage, en période de formation. Bien
souvent, ils ne sont pas employés suffisamment longtemps pour être
indemnisés par les Assedic, bien souvent, ils/elles sont contraints
d'accepter petits boulots et temps partiels imposés pour pouvoir vivre.
Exiger l'augmentation substantielle des minima sociaux et au-delà, comme le
fait AC!, un revenu inconditionnel du montant du Smic mensuel, c'est aussi
tenter de conquérir de nouvelles garanties sociales qui permettent de
résister à la précarité de l'emploi, de refuser emplois précaires et temps
partiels imposés. C'est la précarisation générale de l'emploi et des
conditions de vie qui permet aux revendications des chômeurs d'avoir une
telle résonance dans l'ensemble de la société; c'est aussi pour cela qu'AC!
a choisi d'être une association qui regroupe des chômeurs, des
fonctionnaires, des employés du secteur privé, des étudiants, des
stagiaires, des intermittents, des intérimaires et des salariés aux statuts
encore bien plus flous. La nature même de notre mouvement montre à quel
point ces "catégories" sont multiples, poreuses, sans frontières établies.
Ensemble, et tous statuts confondus, nous nous battons pour une réduction
du temps de travail sans perte de pouvoir d'achat ni flexibilité et avec
embauches compensatoires, pour le droit à un revenu pour tous, et pour le
droit à l'expression.

Car c'est aussi de cela qu'il s'agit: les chômeurs et les précaires sortent
du bois. Comme les sans-papiers l'avaient fait en occupant l'église
Saint-Ambroise en mars 1996, ils se montrent tels qu'ils sont, forts,
déterminés, mobiles et imprévisibles. De nouvelles formes de lutte émergent
comme l'avaient déjà montré le récent conflit des routiers ou la grève des
salariés du Crédit Foncier: être là où on ne nous attend pas, au coeur des
enjeux stratégiques, et en pleine lumière, c'est la force nouvelle du
mouvement social. Rien à perdre, peut-être, mais surtout tout à gagner. Et
d'abord ce droit à n'être plus seulement des numéros de dossier ou des
statistiques mensuelles mais des hommes et des femmes qui agissent
collectivement aux yeux du monde. Ce que ce mouvement exprime, c'est la
volonté de vivre, et pas seulement de survivre, de se déplacer librement,
d'avoir accès aux loisirs et à la culture, de choisir un emploi ou une
formation sans y être contraints. Aujourd'hui, Lionel Jospin reçoit les
associations de chômeurs et précaires alors que celles-ci n'ont toujours
pas le droit d'affichage dans les ANPE et les Assedic. Mais un mouvement
"minoritaire" qui emporte l'adhésion des deux tiers des Français n'en est
pas à un paradoxe près. Qu'importe, la première victoire de ce mouvement
d'occupations aura été la reconnaissance par les institutions des
associations de chômeurs et de lutte contre le chômage, dans lesquelles se
retrouvent et autour desquelles se fédèrent syndicats de salariés et
groupes revendicatifs aussi différents qu'Act Up, Scalp-Reflex, la CNT ou
le Collectif pour les droits des femmes. Au sein des entreprises, on sent
déjà l'envie d'agir. La recomposition du mouvement social, initiée au début
des années 90, arrive à maturité, et cela ne fait que commencer.

Jeanne Revel et Christophe Aguiton
Membres Agir ensemble contre le chômage!

[ Les Inrockuptibles, numéro 134, 14 au 20 janvier 1998 ]

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