Bem-vind@ - Benvenuto - Bienvenido - Bienvenue - Velkommen - Welcome - Welkom - Willkommen

Attacbouton.jpg (1599 bytes)

Premier discours pour les dîners alternatifs de Mansion House

James Robertson

New Economics Foundation
http://www.neweconomics.org/

Christine Pagnoulle & James Cobett

 

Introduction

Pour autant que je sache, il s’agit ici du tout premier discours prononcé lors d'un dîner alternatif de Mansion House Alors, quel type de discours devrais-je prononcer ? 

Manifestement, il me faut parler d’argent. Mais sous quel angle ? Me faut-il dire ce que voudraient entendre les personnalités de la finance, c’est-à-dire les convives des dîners officiels de Mansion House ? Ou bien dois-je adresser mes propos à ceux qui croient que le système monétaire et financier actuel est une cause fondamentale de pauvreté, d’injustice sociale, de détérioration de l’environnement et d'aberrations économiques qui défigurent notre planète ?

Mes réflexions m'ont rappelé à la mémoire l'expression : "Si tu ne peux monter deux chevaux en même temps, ne t’engage pas au cirque". Entre la façon dont les professionnels de la finance voient les choses et la perception de ceux qui doivent subir les conséquences de leurs décisions dans leur vie quotidienne, il existe un écart considérable. Il convient de le combler. Les actions et les réactions de ces deux groupes vont contribuer à donner forme au monde du 21e siècle. Je vais donc essayer de m’adresser aux uns comme aux autres. 

Je parlerai de la nécessité de modifier fondamentalement la stratégie économique au Royaume Uni et par extension, dans le monde entier. Plus précisément, je traiterai du problème épineux qui se pose en matière de finances publiques, particulièrement de politique fiscale et monétaire. 

Un de mes thèmes principaux sera la nécessité de partager plus équitablement la valeur des ressources communes et d’adapter dans ce but les procédures et institutions fiscales et monétaires.

Je commencerai par souligner deux aspects de la situation actuelle. 

· Un aspect négatif : la critique de plus en plus acerbe et l’opposition de plus en plus active dont fait l’objet le système financier et monétaire actuel -- à l’échelle mondiale, nationale et locale. 

· Un aspect positif : au cours des trois dernières années au Royaume Uni, la façon de traiter les finances publiques et la politique monétaire ont connu des améliorations notoires.

Ensuite, je parlerai d’un autre point négatif : il est impératif et urgent de trouver des réponses aux questions que pose l’avenir des impôts actuels comme source de recettes fiscales. Ce questionnement est cependant potentiellement porteur d'effets positifs, puisqu'il offre une occasion d'asseoir la perception des revenus de l'État sur de nouvelles bases plus rationnelles, plus intelligibles et plus équitables.

Nous traiterons ensuite de la création d’argent neuf, le sujet justement d'un rapport que la New Economics Foundation rendait publique aujourd'hui. Ce rapport propose une politique qui retirerait aux banques privées le droit d’émettre de l’argent sous forme d'intérêts qu'elles prélèvent sur leurs prêts, et qui réserverait à l’État le droit d’émettre de l’argent neuf sous forme de recettes publiques et de le mettre en circulation sous forme de dépenses publiques. Une telle proposition bénéficierait à quasiment tout le monde. Elle repose sur le même principe que celui qui devra donner un sens à la politique fiscale : la valeur monétaire des ressources communes ne doit pas être réservée aux intérêts privés mais au contraîre être traitée comme des recettes publiques. 

Nous parlerons ensuite brièvement des dépenses publiques. Nous nous demanderons par exemple si dans une société de citoyens responsables, une partie des recettes générées par la valeur des ressources communes ne devrait pas être partagée sous forme de contribution au revenu de chaque citoyen.
Pour finir, après avoir dit quelques mots sur la manière dont ces idées pourraient s’appliquer à l’économie mondiale, nous réfléchirons aux rapports existant entre ressources communes, marchés et citoyens ; à la façon dont l’équilibre de ces rapports s’avérera l'un des devoirs essentiels d'un État habilitant ; et à la révision des politiques fiscales et monétaires dans cette perspective. Une notion clé dans tout ceci : les Repas aux Frais de la Princesse . Comme l’a fait remarquer Mason Gaffney, l’éminent professeur d’économie des ressources à l’Université de Californie du Sud, les économistes libéraux de droite se trompent lorsqu’ils proclament que des Repas aux frais de la princesse, ça n’existe pas ; dans les faits, ça existe. Les questions importantes sont : qui les reçoit et qui devrait les recevoir. L’économie offre en réalité beaucoup de Repas aux Frais de la Princesse, comme nous allons le voir. 

La situation actuelle (1)

Le système financier et monétaire actuel, contrôlé qu’il est par le pouvoir des multinationales, attire de plus en plus de critiques et d’opposition. 

Les personnalités de la finance s’indignent, bien naturellement, de la violence des manifestations menées lors de rencontres comme à Seattle, Washington ou Londres. Ces manifestations pourtant ne sont elles-mêmes qu'un symptôme de la perception de plus en plus répandue dans le monde que les institutions économiques et financières sont aujourd’hui tout à la fois économiquement injustes, socialement exploiteures et écologiquement destructrices. Peut-être les milieux de la banque et de la finance ne partagent pas cette opinion mais ils doivent reconnaître son existence et s’interroger sérieusement sur le fait que beaucoup de gens les considèrent responsables de ce qui ne va pas. 

· Cela comprend un transfert systématique de richesses à partir des pays et des citoyens pauvres vers les riches. 

· Cela comprend l’impératif de rendement (l’argent doit faire des petits) qui oblige à faire des bénéfices même au prix de conséquences dommageables sur le plan social et environnemental. 

· Et cela comprend le détournement des fonctions économiques qui, plutôt que de fournir des biens et des services, ne servent plus qu'à faire de l’argent à partir d’argent. 

Cette attitude critique envers la haute finance est renforcée par d’autres sources d’insatisfaction. Quelques exemples : 

· Les gens savent ce que leur confirment les enquêtes : que plus d’argent ne signifie pas nécessairement plus de bonheur. Le progrès économique dans sa forme actuelle peut nuire à la qualité de la vie. La fermeture de succursales bancaires dans des zones rurales en est un exemple. 

· Les gens constatent que les États accordent de plus en plus la priorité aux intérêts des multinationales sur la volonté et le bien-être de la population (voyez les OGM dans l’alimentation) ; et que ces États ont de plus en plus tendance à consacrer l’argent des contribuables pour soutenir les intérêts des grandes sociétés privées. 

· Au Royaume Uni, le soutien apporté au milieu des affaires par le gouvernement néo-travailliste s’appuie sur une vieille perception travailliste qui veut que la seule forme valable de travail soit un boulot rémunéré, qu’il convienne de travailler pour un employeur, et que le milieu des affaires soit l’organisateur indispensable du travail. Le résultat en est doublement négatif : une politique qui aurait dû rassembler aboutit au contraire à davantage de division ; et le travail socialement nécessaire mais non-payé, comme par exemple de s’occuper de ses enfants ou d'être aide-soignante d'un proche, est ainsi dévalorisé. 

La situation actuelle (2)

Ces trois dernières années, le gouvernement britannique a apporté des améliorations institutionnelles importantes dans les règles de mise en application des politiques monétaires et fiscales. Dans son discours à Mansion House l’année dernière, le Chancelier de l’Échiquier Gordon Brown expliquait que le cadre à long terme institué par le gouvernement reposait sur trois principes :

(1) des objectifs clairs pour assurer la stabilité des prix et l’équilibre des finances publiques ;

(2) des règles bien comprises, incluant
(i) un nouveau système de définition des politiques monétaires ayant comme pivot une Banque centrale désormais indépendante, et 
(ii) une ‘règle d’or’ selon laquelle le budget couvrant les frais généraux doit être équilibré tout au long du cycle économique ;

(3) la transparence et l’ouverture dans la prise de décision en matière de politique fiscale et monétaire.

Je pense qu’il faut féliciter Gordon Brown et le gouvernement actuel pour ces décisions. Elles offrent un point de départ prometteur en vue de la mise sur pied d’un système monétaire et d'un système des finances publiques qui soient dignes d’un État démocratique à l’ère de l’information. Peut-être que dans son discours de ce soir au Mansion House, le Chancelier développera ce qu’il a dit lors de la conférence du mois dernier dans le cadre du James Meade Memorial Lecture, où il a parlé du besoin "non pas d’un gouvernement fort, mais d’un bon gouvernement, ce que nous pourrions appeler un État habilitant", et de la nécessité de développer "une notion crédible et radicale de la citoyenneté, d'une citoyenneté responsable". Si ce soir il va plus loin dans son exploration de ce que représentent ces notions pour l’avenir de la politique fiscale et monétaire, comme nous le faisons ce matin, nous serions sur la bonne voie. 

Problèmes à venir pour les recettes publiques

Même si la situation financière du gouvernement britannique est actuellement favorable, il est généralement admis que les pressions pour réduire les impôts continueront à croître. 

Dans une économie mondiale de plus en plus concurrentielle, la mobilité du capital et des travailleurs de grande compétence continuera de faire pression sur les gouvernements pour qu’ils réduisent les impôts sur les revenus, sur les bénéfices et sur les capitaux. 

Dans des sociétés vieillissantes, l'opposition grandira à l’imposition d'un nombre réduit de travailleurs actifs pour payer les pensions d’un nombre croissant de personnes dites "économiquement inactives". 

Avec le développement du commerce électronique ("e-commerce"), la perception des droits de douane, de la TVA et des autres taxes et accises s'avérera de plus en plus difficile pour les États. Ceci est encore plus vrai pour les ventes de produits et de services que l’on peut télécharger directement de l’internet – livres, CD, cassettes vidéo, jeux, conseils et informations en tout genre, par exemple. Grâce à l’internet, les individus et les entreprises peuvent d’autant plus facilement déplacer leurs capitaux vers des pays où les taux d’imposition sont bas. 

Des organismes internationaux comme l’OCDE et l’UE réclament que l'on intervienne contre les paradis fiscaux. En 1998, un rapport estimait que les quelque £400 milliards placées dans les paradis fiscaux birtanniques – les Îles Anglo-Normandes et l’Île de Man – représentaient un manque à gagner d’au moins £20 milliards par an pour l'Échiquier. On estime à $6 billions les sommes placées dans les paradis fiscaux au niveau mondial. Outre les pertes sur le plan fiscal, les conséquences en sont des distorsions économiques et le blanchiment d’argent à très grande échelle. La meilleure façon probablement de s’attaquer à ce problème est de passer d'une imposition des revenus, des bénéfices et des capitaux, qui sont exportables vers les paradis fiscaux, à l'imposition d'éléments qui ne peuvent pas bouger, comme le territoire. 

Ces pressions de plus en plus marquées pour que l'objet de taxation n'en soit plus un qui puisse échaper au contrôle de l'impôt viennent appuyer l’argument économiquement, socialement et environnementalement constructif qui suggère d'imposer ce qui nuit plutôt que ce qui est utile. Deux récents rapports américains intitulés respectivement Tax Shift (Glissement de l’imposition) et Tax Waste, Not Work (Taxons le gaspillage et pas le travail) ont clairement développé cet argument. Il s'agit de faire passer les impôts de la sphère de l’emploi et des initiatives socialement utiles, vers la propriété et vers l’utilisation des ressources communes, comme par exemple la terre, l’énergie et la capacité de l’environnement à absorber la pollution. L'Union européenne a dans les années 90 proposé une taxe sur l’énergie fossile, taxe dont les revenus auraient été utilisés pour réduire le taux d’imposition sur l'emploi.

Le fait est que le système de taxation actuel est profondément pernicieux. 

· Les impôts portent lourdement sur l’emploi et sur les fruits du travail, mais légèrement sur l’exploitation des ressources communes. Ce système encourage l’inefficacité dans l’utilisation des ressources de tout type : l'épuisement des ressources naturelles, y compris les sources d’énergie et la capacité de l’environnement à absorber la pollution ; le sous-emploi et le sous-développement des ressources humaines. 

· En plus des effets nuisibles sur les plans économique, social et environnemental, le système d’imposition actuel est inéquitable et illogique. Il pénalise la valeur ajoutée, c'est-à-dire les contributions constructives des individus à la société, et néglige de pénaliser la valeur retirée. Le système ne fait que rarement payer ceux qui utilisent ou même monopolisent les ressources communes, ce qui pourtant empêche d’autres d’y avoir accès. 

· Le système d’imposition actuel permet aux riches et aux entreprises d'échapper à leurs obligations fiscales, ou du moins de les minimiser. Pour ce faire, les individus recourent aux paradis fiscaux et aux fiducies familiales . Deux procédés maintenant utilisés par les entreprises pour leur plus grand bénéfice - la décision de payer les membres de leur personnel en actions en bourse, et l'établissement de ‘mixer companies’ au Luxembourg ou aux Pays-Bas – permettent aux sociétés britanniques les plus performantes d’épargner quelque £4 milliards par an, estime-t-on, en leur évitant de payer l'impôt britannique sur leurs bénéfices à l’étranger. 

Un vrai bourbier. Au lendemain de l'exil du paradis terrestre, on peut presque imaginer Satan en conférence avec Belzébuth, Moloch, Belial et les autres membres de son conseil des ministres, cherchant quel pourrait bien être le système d’imposition le plus catastrophique qu’ils pourraient amener l'espèce humaine à adopter. Le résultat ne pourrait guère être pire. 

Partager la valeur des ressources communes

Ces problèmes révèlent à la fois la nécessité et la possibilité d’aborder la politique fiscale d'une façon nouvelle, ce qui permettrait de lever des recettes publiques sur la valeur de ressources communes pour ensuite la distribuer parmi les citoyens. 

Les ressources communes sont ces ressources dont la valeur vient de la Nature et de l’activité communautaire, et non des efforts ou des talents d’individus ou d’organisations. La terre en est un exemple évident. La valeur de tel ou tel terrain, si l’on exclut la valeur d’éventuelles constructions, est presque entièrement déterminée par l’urbanisme et les activités sociales qui l’entourent. Ainsi par exemple lorsque fut rendu public le tracé de la ligne de métro Jubilee à Londres, la valeur des terrains le long du tracé monta en flèche. L'accès à ces sites allait se trouver fortement amélioré. Une décision publique venait de fournir des bénéfices inespérés aux propriétaires de ces terrains sans que ceux-ci n’aient rien fait ni rien payé. Ils déjeunaient aux frais de la princesse. Des calculs effectués en 1994 par la New Economics Foundation et reposant sur la valeur des biens en 1990 suggère que l’absence d’imposition sur la valeur spécifique d’un terrain selon sa situation coûte aux contribuables britanniques de 50 à 90 milliards de livres sterling par an. C’est là une illustration parmi beaucoup d’autres de la façon dont aujourd’hui la valeur de ressources communes ne contribue pas aux recettes de l’État. 

En revanche, la vente aux enchères de licences permettant à la troisième génération de téléphones portables d’utiliser les ondes radio au Royaume Uni pour les vingt prochaines années a rapporté à l'État 22,5 milliards de livres sterling. C’est là un excellent exemple du potentiel de la valeur des ressources communes pour les revenus d’État. Bravo au Chancelier de l’Echiquier ! 

Les principales ressources communes comprennent : 
§ les terres (leur valeur spécifique d’après leur situation)
§ les sources d’énergie (avant exploitation)
§ la capacité de l’environnement d’absorber la pollution et les déchets
§ l’espace – nécessaire au trafic routier, au trafic aérien (p.ex. les couloirs d'atterissage)
§ l’eau – son extraction, ses utilisations, ainsi que les voies fluviales et maritimes
§ le spectre électromagnétique (y compris les ondes radio)
§ les ressources génétiques
§ la valeur résultant de l'émission d'argent neuf 

Leur valeur annuelle combinée représente beaucoup d'argent. Le partager parmi les citoyens permettrait de supprimer pas mal d’impôts actuels. 

Ainsi à l’avenir, les recettes publiques reposeront moins qu'aujourd'hui sur des impôts conventionnels et davantage sur les paiements de licences et les taxes sur les quotas commercialisables, les taxes sur l’utilisation d’eau, de l’espace routier et d’autres ressources communes, ainsi que sur la création d'argent neuf. Nous ne taxerons plus autant les personnes et les entreprises sur leurs revenus, c’est-à-dire sur leurs efforts et leurs initiatives utiles, sur la valeur qu’elles ajoutent, et sur leur contribution au bien commun. Nous leur demanderons plutôt de payer pour la valeur qu’elles déduisent des ressources communes en les utilisant, voire en les monopolisant. 

Un tel changement de perspective s'avère essentiel si nous voulons créer une économie durable en termes écologiques. L’Index pour une planète vivante de la New Economics Foundation, créé avec la collaboration du WWF, estime que sur les trente dernières années, nous avons détruit le tiers des ressources naturelles. D’après le géant de l’assurance Munich Re, le coût économique des changements climatiques a doublé avec chaque nouvelle décennie. A ce train-là, les coûts liés à ces phénomènes auront dépassé le Produit Mondial Brut d'ici 2060. 

Créer de l'argent neuf

L’opération Créer de l’argent neuf, lancée par la New Economics Foundation, concerne l'émission de nouvel argent dans les différentes devises nationales, comme la livre sterling au Royaume Uni. Il ne s'agit pas de nouvelles devises parallèles ou complémentaires, comme les LETS ou les Dollars-heures. Ceux-ci sont des innovations importantes mais d’un autre ordre. 

Aujourd’hui, moins de 5% de l’argent neuf au Royaume Uni est émis et mis en circulation par l’État et la Banque d'Angleterre sous forme de liquidités (pièces ou billets de banque). Les 95% qui restent ne sont pas de l’argent liquide, et ils sont émis entièrement par les banques privées. La situation est similaire dans d’autres pays. Comme le disait J.K. Galbraith : "Le procédé par lequel les banques créent de l’argent est tellement simple que nous avons peine à le croire. Quand l’enjeu est aussi important, la décence réclame de l'habiller d'un peu de mystère." En fait les banques se contentent d’imprimer de l’argent à partir de rien, directement dans le compte courant de ses clients, sous forme de prêts qui rapportent des intérêts et créent des bénéfices. L’intérêt sur ces prêts assure aux banques britanniques des bénéfices supranormaux de quelque £21 milliards l’an, comparés aux bénéfices supranormaux de £5 milliards que leur rapportent les distributeurs de billets, pourtant déjà critiqués par le rapport Cruickshank il y a quelques mois. Autoriser les banques à créer ainsi de l’argent qui ne circule pas représente une perte annuelle pour les recettes publiques d’environ £45 milliards – soit à peu près 12p d’impôt sur le revenu. Si l’on additionne l'ensemble des bénéfices supranormaux empochés de cette façon par les banques privées du Royaume Uni, des Etats Unis, des pays de la zone Euro et du Japon, on obtient la somme annuelle d’environ $140 milliards.

La réforme nécessaire est simple, et il ne faudrait pas se laisser rebuter par sa simplicité. Elle se présente sous deux versants. 

(1) Les banques centrales devraient créer la quantité d’argent neuf, liquide ou non, qu'elles jugent nécessaire pour augmenter la réserve en devise. Elles devraient le créditer à l’État sous forme de recettes publiques. L’État devrait le mettre en circulation sous forme de dépenses publiques. Lorsqu’elles décident de la quantité d’argent à créer, les banques centrales devraient profiter d'une très grande indépendance face aux gouvernements, comme c'est maintenant le cas du Comité sur les politiques monétaires de la Banque d'Angleterre.

(2) Il devrait être interdit à toute autre institution de créer de l’argent neuf dans la devise officielle. Les banques commerciales seront ainsi exclues de la création d’argent. Elles devront se limiter à faire du courtage de crédit, comme n’importe quel autre intermédiaire financier : en empruntant l’argent qu’elles veulent prêter, et non plus en le créant. 

Cette réforme restaurera le seigneuriage, sous une forme adaptée à l'ère de l’information. C’est-à-dire qu’elle restaurera la prérogative de l’État de frapper monnaie et de convertir en recettes du trésor les revenus provenant de son émission, à une époque où l’argent est presque toujours réduit à de l’information. A l’origine, le seigneuriage désignait le droit qu’un seigneur ou un monarque battant monnaie prélevait sur la fabrication de cette monnaie. Il manifestait le fait que la monnaie valait davantage que le coût de sa fabrication. Au fil des siècles, les caractéristiques physiques de l’argent se sont modifiées, passant du métal au papier, puis à des octets ; et avec elles évoluait la pratique bancaire. Simultanément l’importance relative et la raison d’être du seigneuriage ont disparu. Maintenant que presque tout l’argent n’existe que sous forme d’entrées électroniques sur des comptes en banque informatisés, étendre le principe du seigneuriage à la monnaie qui n’est pas sonnante et trébuchante devrait corriger l’anomalie qui s’est installée avec le temps.

Les arguments en faveur de cette réforme monétaire ne se limitent pas à la contribution qu’elle représentera pour les recettes publiques, toute considérable qu’elle soit. Comme l’explique le rapport, elle aura également des effets sociaux et environnementaux bénéfiques. Elle fera par ailleurs beaucoup de bien à l’économie dans son ensemble. Elle maintiendra par exemple les taux d’intérêt et l’inflation à un niveau plus bas ; elle permettra une plus grande stabilité économique en rendant les banques centrales capables d’aplanir plus efficacement qu’aujourd’hui les sommets et les abîmes des cycles économiques.

Elle permettra de plus de clarifier les statistiques, les définitions et la terminologie monétaires. C’est essentiel. Ces dernières décennies, les distinctions entre l’argent comme moyen de paiement et l’argent comme réserve de valeur, entre les fonctions des dépôts à vue et des dépôts d’épargne, sont devenues floues. Par conséquent, les concepts et définitions sur lesquels reposent compréhension et prise de décision en matière monétaire sont encore plus obscures qu’auparavant. Il n’est pas du tout facile de savoir ce que l’on entend aujourd’hui par "réserve monétaire". Pour la plupart des gens, les différentes définitions de l’argent (M0, M1, etc., jusqu’à M4), c’est du latin. On pourait imaginer qu’une sorte de prêtrise de l’argent a délibérément entrepris de cacher aux citoyens et aux gouvernements des pays démocratiques comment fonctionne le système monétaire et comment il pourrait être amélioré pour le bien commun. 

La réforme proposée signifie que toutes les réserves en devises nationales qui circulent dans l’économie proviendront des banques centrales. Ceci comprendra l’argent virtuel dans les comptes en banque aussi bien que l'argent réel que nous avons dans nos porte-monnaie. Il sera dès lors facile de savoir combien il y en a. Il ne sera plus nécessaire de jongler avec des M0, M1, M2, M3, M3 étendu, M4, etc. Il n’y aura plus qu’une espèce d’argent M. Les citoyens ordinaires, les clients des banques et les contribuables, aussi bien que les experts financiers, les banquiers, les hommes politiques et les hauts fonctionnaires, tout le monde sera à même de comprendre comment fonctionne le système. Comme il convient pour des citoyens d’un État démocratique, nous serons mieux en mesure d’évaluer les politiques fiscales et monétaires et les différentes lignes de conduite qui nous sont proposées, et donc d’en débattre. Cette réforme représentera une étape décisive vers ce que le Chancelier de l’Echiquier, Gordon Brown, a appelé "la transparence en matière de décision politique, impliquant un système ouvert de prise de décision dans le domaine de la politique fiscale et monétaire".

Les dépenses publiques

Je vais maintenant me pencher sur trois points qui vont vraisemblablement faire l’objet d’un vif débat dans les années à venir.

Le premier point concerne les sommes versées aux grandes entreprises sur l’argent des contribuables. A l’heure actuelle, l’État distribue aux grosses entreprises d’énormes sommes sous forme de contrats, de subventions, d’incitants et sous d'autres formes. Prenons uniquement les subventions : on estime qu’à l’échelle mondiale, c’est environ 1,5 billions de dollars qui passent chaque année en subventions perverses – perverses dans le sens qu’elles ont un effet dommageable au plan écologique, social, et même économique. Il est clair que ceci ne peut durer. 

Le deuxième point concerne une manière d’attacher obligatoirement à des objectifs prédéterminés les recettes provenant de certains impôts. Ce point s’applique tout particulièrement aux impôts de nature écologique. Par exemple, on prévoit qu'une taxe sur le transport motorisé dans les villes serait mieux acceptée si l’argent récolté était réinjecté dans les transports publics. Des études ont démontré que l’effet régressif des taxes sur l’énergie, qui frappent davantage les faibles revenus, peut être inversé si l’argent récolté est recyclé sous forme de prime écologique à tous les citoyens habitant la région affectée par ces taxes. 

Le troisième point concerne l’extension probable du versement de bénéfices ou de crédits d’impôt pour garantir un revenu minimum à diverses catégories de personnes. Le programme de réduction d’impôt pour les familles au travail, proposé par l’actuel gouvernement britannique, suscite un débat sur la façon de garantir un revenu à certains citoyens actifs comme les aides-soignantes d'un proche (en payant la sécurité sociale à leur place, par exemple), les parents (une idée défendue par Harriet Harman), et même les personnes impliquées dans l'économie sociale. On peut s’attendre à ce que la combinaison de pareilles propositions avec le principe des primes écologiques conduise à un revenu universel, une notion qui a de plus en plus de partisans. Cette allocation serait versée de droit à tous les citoyens. Elle remplacerait diverses allocations sociales et réductions d’impôts déjà existantes. Elle reconnaîtrait le fait que dans une société composée de citoyens responsables, une partie des recettes publiques provenant de la valeur des ressources communes doit être partagée directement entre les citoyens et qu'une partie seulement devrait être mise à la disposition des fonctionnaires de l'État et des sociétés privées pour être dépensée dans d'autres programmes publiques. 

La dimension mondiale

Les principes présentés ici pour la gestion des finances publiques et l'émission d’argent neuf au niveau national s'appliquent aussi au niveau mondial. 

Il y a cinq ans, la Global Governance Commission admettait qu’il faudrait lever un impôt planétaire "pour répondre aux besoins de la communauté mondiale". Les impôts planétaires, basés sur l’usage des ressources communes que fait chaque nation, pourraient comprendre :

· des impôts et des taxes sur l’utilisation de ressources internationales, comme la pêche en haute mer, l’exploitation minière des fonds marins, les couloirs de navigation maritimes et aériens, l’espace intersidéral et le spectre électromagnétique ; 

· des impôts et des taxes sur les activités polluantes et dommageables pour l’environnement planétaire, ou encore les activités qui sont sources de risques au-delà des frontières nationales, comme l’émission de CO2 et de CFC, les déversements de pétrole ou de déchets en mer, ou toute autre forme de pollution des mers ou de l'air. 

La Commission a également souligné qu’il est urgent de procéder à une réforme monétaire internationale. "Une économie mondiale en croissance exige un constant accroissement des liquidités." Le rapport La création d'argent neuf suggère que le principe qui sous-tend la réforme qu'il propose peut s’appliquer tant au niveau planétaire qu'au niveau national. Il est possible de créer une véritable devise mondiale. 

Les recettes de taxes et de seigneuriage planétaires pourraient fournir une source de financement stable pour les dépenses des Nations Unies , y compris les programmes de maintien de la paix. Mais ça n'est pas tout ! Une partie des recettes pourrait être distribuée aux différents pays en fonction de leur population, d’après le droit qu’a chaque individu de recevoir une allocation de citoyen du monde représentant sa part de la valeur des ressources communes mondiales. 

Cette approche offre de nombreux avantages. 

· Elle favoriserait un développement mondial durable et générerait les revenus dont les Nations Unies ont tant besoin ; 

· Elle fournirait de droit, donc sans contrepartie, des ressources financières importantes aux pays en voie de développement, en tant que compensation versée par les pays riches pour leur utilisation disproportionnée des ressources de la planète ; 

· Elle aiderait à briser le lien de dépendance dont les pays en voie de développement souffrent face à l’aide et aux prêts internationaux, et face aux institutions comme la Banque Mondiale et le FMI qui sont dominées par les pays riches ; 

· Elle réduirait le risque d’une nouvelle crise de la dette du Tiers Monde ; 

· Elle reconnaîtrait à tous les individus sur terre le statut commun de citoyen du monde. 

Quelques remarques en guise de conclusion

Premièrement, la valeur des ressources communes devrait être équitablement partagée. 

Deuxièmement, le partage de la valeur des ressources communes devrait être perçu comme une prédistribution. Alors que la redistribution vise à corriger après coup le résultat de l’activité économique, la prédistribution partage la valeur des ingrédients essentiels à l'activité économique. Alors que la redistribution renforce la dépendance, la prédistribution est habilitante. Parce qu’elle s’attaque aux causes fondamentales de l’exclusion, de l’inégalité et de l’injustice économique, la prédistribution est une caractéristique essentielle d’une économie prospère dans une société sans exclus. Elle inverse la tendance à la privatisation des ressources communes, une tendance sur laquelle s'appuie encore aujourd'hui une bonne part du développement économique orthodoxe. 

Troisièmement, une économie de marché libre, sans intervention de l’État, est simplement impossible. Dans un pays comme le Royaume Uni, l'État prélève à peu près 40% du PIB (la valeur totale de l’activité du pays) sous forme d’impôt pour le réinjecter dans l’économie de marché sous forme de dépenses publiques. Cela a un impact massif sur les coûts et les prix dans tous les secteurs de l'économie, puisque les taxes gonflent le prix de tout ce qui est taxé et que les dépenses publiques réduisent les coûts de tout ce qu’elles soutiennent. L’ensemble des recettes publiques combinées à l’ensemble des dépenses publiques fournit toujours un cadre économique qui fausse les prix dans le sens que l'on choisit. L’objectif principal d’une politique fiscale et monétaire doit donc être de fournir un cadre qui favorise des résultats en accord avec des choix et des préférences décidés démocratiquement. 

De plus en plus de gens partagent le désir d’une société qui serait davantage centrée sur les personnes et sur le respect de l’environnement, et moins sur le monde des affaires, l’État ou le patronat. 

· En tant que citoyens d’une telle société, nous serons davantage qu’aujourd’hui égaux en termes de conditions de vie, de capacités à contribuer au bien commun, et donc d’estime personnelle. 

· Il sera plus facile de trouver un travail rémunéré mais nous ne serons plus aussi dépendants d'employeurs pour l’organiser et pour nous fournir un revenu. 

· La division de classe entre patrons et travailleurs, propre à l’ère industrielle, continuera à s'effacer – tout comme ont disparu les anciennes divisions entre maître et esclave et entre seigneur et serf. Il deviendra normal de travailler pour nous-mêmes et les uns pour les autres. Le cadre social nous permettra d’organiser notre propre vie de travail. 

· En échange de notre droit au partage de la valeur des ressources communes, nous nous attendrons à prendre davantage de responsabilités pour nous-mêmes et pour le bien-être de notre famille, de notre coummunauté et de la société où nous vivons. 

Cette vision d’avenir exige une restructuration des finances publiques et du système monétaire. Cela peut sembler utopique à certains mais, comme je le disais il y a trois ans dans un rapport à la Commission Européenne, la ligne de partage entre la nouvelle économie et l’économie traditionnelle n’est pas fixe. Des voix s’élèvent, qui montrent la nécessité de changements, comme pour la protection de l’environnement, et l’opinion dominante finit par se modifier. Des penseurs tracent la voie et l’opinion dominante finit par les rattraper ; il est impossible de définir une limite nette entre les implications politiques de la nouvelle économie et l'évolution des programmes politiques. 

Comme le dit Ed Mayo dans la préface de La création d'argent neuf : "Bien des idées élaborées par la New Economics Foundation et des organisations similaires de par le monde semblent obscures et invraisemblables lorsque nous les énonçons pour la première fois. Nous souhaitons voir la réforme monétaire se retrouver au centre du débat politique, comme il est arrivé avec les écotaxes, la participation ouvrière et l’annulation de la dette. Aidez-nous en participant à ce débat sur l’économie de l’avenir. "