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Introduction Dans un article publié en mars dernier par le Groupe de Recherche de la Banque Mondiale sur le Développement, les économistes de Banque David Dollar et Aart Kraay confrontent les critiques envers les méthodes de la BM et du FMI avec de nouvelles recherches empiriques sur les revenus dans les pays développés et moins développés. Les auteurs concluent que “la croissance bénéficie généralement aux pauvres, et quiconque se soucie des pauvres devrait être favorable aux politiques promotrices de la croissance que sont la mise en place d’un bon système juridique, d’une discipline fiscale appropriée, et d’une ouverture au commerce international."(p.27) Bien qu’il n’ait été publié seulement sous forme de brouillon, cet article a reçu quelque peu d’attention de la part des média. "La mondialisation élève les revenus, et les pauvres y participent pleinement," a conclu The Economist, qui a aussi appris de cette étude que faire baisser l’inflation et réduire les dépenses publiques aide les pauvres de façon significative (de façon plus que proportionnelle à l’effort fourni).[1] Le document a été repris par ceux qui souhaitent répondre aux critiques contre la ligne de conduite du FMI/BM, pour lesquelles cette ligne de conduite est fondamentalement illégitime – voire pire.[2] Il est donc important de jeter un regard plus approfondi sur les assertions mises en avant dans l’article de Dollar et Kraay, et sur le débat auquel cela a contribué. Bien sûr la découverte principale de ce document – qu’il y ait généralement une corrélation positive entre la croissance économique et le revenu des plus pauvres — est sans surprise. En fait, il est difficile d’imaginer quelqu’un prétendre qu’une telle corrélation n’existe pas. Mais le débat auquel se sont joints Dollar et Kraay passe à côté de l’essentiel. La croissance économique, durant ces vingt dernières années, période durant laquelle les politiques soutenues par les auteurs (et leur institution) ont été mises en place, a été considérablement réduite. Il est peut-être vrai, comme Dr. Dollar le dit, que “ ignorer l’importance des politiques de promotion de la croissance est une injustice envers les plus pauvres. ”[3] Mais assumer que la Banque Mondiale et le FMI ont mené “des politiques de promotion de la croissance” dans leurs pays clients va à l’encontre du poids accablant de l’évidence tout au long des deux dernières décennies. En second lieu, la relation entre croissance économique et revenu des pauvres n’est pas aussi évidente que ce que les auteurs veulent faire paraître. La manière dont les pauvres – ou même la majorité de la population – accèdent aux gains de la croissance économique peut varier considérablement dans le temps, en fonction des changements des politiques économiques menées. Il apparaît beaucoup de cas dans lesquels les pauvres, et la majorité de la population ont été laissées hors du champs des bénéfices de cette ère de globalisation – même quand le revenu moyen par tête a augmenté dans le pays dans lequel ils vivent. En troisième lieu, les régressions dans les recherches de Dollar et Kraay ne montrent presque pas de relations significatives entre la plupart des variables examinées. Mise à part la corrélation entre la croissance économique et le revenu des pauvres, presque tous les autres expériences de l’article sont statistiquement non significatives. Etant donné l’importance des erreurs dans les données utilisées pour l’analyse (voir Appendice B), il n’y a d’ailleurs aucune conclusion qui puisse être tirée de l’impossibilité de trouver des résultats significatifs dans ces expériences. Par exemple, il n’est pas possible de conclure avec les tests menés qu’il n’existe pas de différence significative dans les relations entre croissance et revenus des pauvres décrites pour les périodes 80-90 et pour les décennies précédentes.. Et il n’existe probablement aucune donnée factuelle dans la recherche des auteurs pour soutenir leur conclusion que la "mondialisation est bonne pour les pauvres,” (p. 22) ou que les politiques anti-inflationnistes sont favorables aux pauvres. Finalement, les recherches des auteurs reflètent ce qui ne va pas avec la politique de la BM et du FMI : la volonté d’appliquer des “lois” économiques universelles – concernant les échanges, les flux de capitaux, les privatisations, la taille et la portée des pouvoirs du gouvernement – aux problèmes de développement économique. Par n’importe quelle mesure de performance économique, les deux dernières décennies ont montré que ces applications rigides d’une théorie économique orthodoxe sont un échec. Plutôt que de défendre cet échec cuisant, les chercheurs de la Banque et du Fond devraient essayer de découvrir ce qui est parti de travers. Et, fondamentalement, ils devraient encourager les gouvernements à poursuivre leurs propres voies, appropriées à la situation locale, de croissance et de développement. Source: Rapport sur le Développement Humain du PNUD 1998, 2000. Dans la Figure 1, nous pouvons voir le taux de croissance du PNB par tête pour les différentes régions du monde en voie de développement. Si nous comparons les résultats depuis 1980 avec les deux décennies précédentes, la différence est saisissante. Dans toutes les régions excepté l’Asie de l’Est, la période la plus récente montre nettement une croissance plus lente. En Amérique Latine, par exemple, le PNB par habitant a augmenté de 75% de 1960 à 1980, alors que dans la deuxième période, il a seulement augmenté de 6%. Pour l’Afrique subsaharienne, le PNB par habitant a augmenté de 36% dans la première période, alors que le taux est tombé depuis à 15%. Ce sont des différences très importantes quelle que soit la norme de comparaison retenue, de celles qui induisent la perte par toute une génération – des centaines de millions de gens – de toute possibilité d’améliorer son niveau de vie. Même quand la croissance reste significative dans la période 80-90, comme dans l’Asie du Sud-Est, elle l’est moins que dans la période précédente. La seule exception à cette tendance est l’Asie de l’Est, qui a connu une plus forte croissance de 1980 à 1998 que dans la période précédente. Mais cela est uniquement dû au quadruplement du PNB, durant les 18 dernières années, de la Chine (auquel appartient 83% de la population Est Asiatique). Pour faire court, il n’y a aucune région du globe que la BM ou le FMI puissent désigner comme ayant tiré un parti positif de l’adoption des politiques qu’ils encouragent – ou, dans beaucoup de cas, imposent – en contrepartie de l’accès à l ‘emprunt. (Il sont tout naturellement peu enclins à se féliciter des résultats de la Chine, qui maintient une monnaie non-convertible, un contrôle de l’état sur le système bancaire, et viole dans bien d’autres domaines les principes du couple FMI/BM).[4] On ne pas être assez sévère avec le bilan de ces politiques dès lors qu’on utilise des mesures de croissance économique, même en ignorant les répercussions inégales de cette croissance sur la distribution des revenus. Le débat sur l’article de Dollar et Kraay, par exemple, a simplement supposé – tout comme les auteurs – que les politiques du duo FMI/BM promeuvent la croissance, et que la seule question résiduelle était : comment les pauvres ont profité de la croissance qui a résulté de ces politiques. Il en résulte un grand trou dans le débat sur la qualité des politiques menées par les deux plus puissantes institutions financières. Cela permet au Fond et la Banque de continuer d’imposer à répétition tout un ensemble de politiques inefficaces, sans que leurs compétences ou les politiques elles-mêmes ne soient remises en question. Quand d’éminents économistes comme Jeffrey Sachs ou l’ex-économiste en chef de la BM Joseph Stiglitz critiquent les politiques macroéconomiques du FMI, ou lorsque Dani Rodrik, d’Harvard, conteste le dépassement institutionnel sur les questions de transparence, le Fond et la Banque n’y prêtent aucune attention. Le FMI répète simplement qu’il aide les pays en voie de développement à maintenir leur stabilité macroéconomique, et à croître ; peut-être, admettent ils (le FMI et la Banque) pouvoir faire plus pour combattre la pauvreté et protéger l’environnement, mais ils promeuvent (selon eux) l’accession par chaque pays à "des droits fondamentaux ", qui leurs permettraient de faire accéder leur population à un meilleur niveau de vie. Mais, c’est exactement l’inverse de ce qu’ils ont fait. Si le FMI et la Banque Mondiale étaient simplement des instituts de recherche, leurs erreurs ne porteraient pas autant à conséquence, puisque leurs analyses seraient concurrencées sur le “ marché ” des idées et seraient jugées par leurs succès ou leurs échecs. Mais, en fait, ils contrôlent l’accès au crédit pour la plupart des pays en voie de développement (et des économies en transition). Le Fond agit comme un filtre : la plupart des prêts qu’octroient la Banque dépendent de l’accord du FMI, et donc de l’adhérence des pays emprunteurs aux conditions du FMI. La plupart des crédits provenant d’autres institutions multilatérales (par exemple la Banque InterAméricaine de Développement), et certaines sources privées sont aussi dépendantes du sceau d’approbation du FMI. A la suite de cet arrangement, le Fond et la Banque ont le pouvoir d’imposer leurs politiques sur un grand nombre de gouvernements à travers le monde. Il est bien sûr difficile de séparer les relations causales entre les différentes politiques économiques menées – et catégorisables sous le nom du " consensus de Washington " – et la croissance économique considérablement réduite des deux dernières décennies. De telles relations ont peu de chance de se trouver dans des régressions du type de celles incluses dans l’article de Dollar et Kraay, principalement parce qu’il n’y a pas de relation simple ou stable entre les variables représentatives des politiques qu’ils examinent et les résultats macroéconomiques.[5] Mais ces relations peuvent être observées dans un grand nombre de cas et d’études sur des pays, et bien que les résultats varient, les facteurs causaux sont souvent les mêmes. Par exemple, simplement durant les trois dernières années, le FMI et ses créanciers alliés ont fait de sérieuses erreurs politiques qui ont incontestablement réduit la croissance économique cumulée pour des centaines de millions de personnes. Dans la crise financière asiatique, les politiques monétaires drastiquement resserrées du Fond (taux d’intérêt poussé jusqu’à 80% en Indonésie) et l’austérité fiscale ont aggravé la récession et jeté des dizaines de millions d’êtres humains dans la pauvreté. Bien que l’économie de la région ait maintenant retrouvé le chemin de la croissance, les effets de la croissance perdue, et la pauvreté induite par elle sont toujours aussi visibles[6]. Et l’Indonésie, le plus grand des cinq pays en crise (incluant la Corée du Sud, la Thaïlande, la Malaisie, et les Philippines) avec plus de 50% de leur population totale, n’a pas encore récupéré, après un déclin de 13.4% du PNB en 1998. En Russie en 1998, le FMI a insisté pour maintenir un taux de change surévalué et fixe, qui a nécessité de pousser les taux d’intérêts à 150%. Ces mesures n’ont pas seulement mené à une dette extérieure astreigante, elles ont aussi maintenu une bulle spéculative dans la sphère financière et privé l’économie réelle de capitaux d’investissement. Le rouble surévalué a réduit le coût relatif des importations, faisant vaciller la production domestique, et augmenté celui des exportations, – jusqu’à ce que la monnaie s’effondre en août 1998. Le FMI a mené de semblables politiques au Brésil. Le gouvernement a augmenté les taux d’intérêts à plus de 50% et emprunté des milliards au Fond en novembre 1998 pour stabiliser sa monnaie surévaluée, seulement pour la voir s’écrouler quelque mois plus tard. Dans ces cas-là, la croissance n’a-t-elle pas été réduite pour rien par les mesures du FMI, comme Stiglitz,[7] Sachs,[8] et d’autres ont dit? La réponse à n’importe quelle question de ce type dépend d’un contre-exemple. Les défenseurs du statu quo arguent que tout ces cas auraient été pires sans les mesures du FMI.[9] Même s’il est toujours difficile de dire ce qu’il en aurait été, il existe quelques solides indications dans chacuns de ces cas. Par exemple, en Indonésie, les taux d’intérêt extrêmement élevés n’ont pas réussi à éviter que la monnaie ne perde plus des trois-quarts de sa valeur. Il est difficile d’imaginer jusqu’où la monnaie serait tombée, ou comment le fait de prévenir un glissement plus important peut justifier les banqueroutes et l’effondrement économique causé par les valeurs de ces taux d’intérêt. Nous avons aussi le contre-exemple de la Malaisie, qui, plutôt que d’utiliser des taux d’intérêts astronomiques pour défendre sa monnaie, a imposé un contrôle monétaire. Malgré une large opposition à cette mesure de la part des créanciers privés étrangers et multilatéraux, et l’abaissement des notes internationales d’évaluation de la solvabilité de ses créances, la Malaisie a émergé de la crise avec le plus petit pourcentage de production perdue parmi les cinq pays.[10] Pour les interventions en Russie et au Brésil, l’argument du Fond pour sacrifier la production afin de défendre la monnaie était que la dévaluation mènerait à une inflation galopante. Nous savons maintenant que cet argument était faux. L’inflation en Russie pour l’année suivant la dévaluation (1999) était de 36%, alors qu’elle est cette année de 25%. L’inflation au Brazil était de 8.9% pour 1999, et elle est descendue à 1.4% pour les cinq premiers mois de cette année. La dévaluation russe a été en particulier bénéfique pour faire décoller son secteur indusriel jusqu’alors déprimé, sa production manufacturière étant en augmentation de 12.8% et son excédent commercial ayant décuplé depuis l’effondrement du rouble. Comme les économistes indépendants l’ont noté depuis longtemps,[11] toutes ces erreurs sont communes à un ensemble de mesures macroéconomiques reposant sur une tendance biaisante à la contraction. Faire disparaître un déficit de compte courant en comprimant l’économie domestique est, par exemple, une stratégie du FMI qui a été déployée depuis des décennies. Et alors que des mesures fiscales et des politiques réduisant les tensions inflationnistes peuvent être utiles dans certains cas, comme le soutiennent Dollar et Kraay, ces médecines sont souvent quelque peu mortelles quand elles sont prescrites peu convenablement ou en surdose. Il y a aussi d’autres problèmes: les économistes du FMI et de la Banque Mondiale ne connaissent pas assez bien les conditions spécifiques à un pays pour prendre correctement des décisions appropriées. Et ils peuvent avoir de multiples objectifs qui ne coïncideront pas forcément avec les intérêts des pays emprunteurs. Par exemple, il est maintenant largement reconnu que l’ouverture des marchés financiers dans l’Asie de l’Est était la première cause de la crise financière asiatique, puisque cela a conduit à une l’édification d’une énorme dette extérieure à court terme relativement aux réserves possédées. Les capitaux qui ont fui, dans un grand renversement du marché, l’Indonésie, la Corée du Sud, les Philippines, la Thaïlande, et la Malaisie pendant la crise Est Asiatique représentent 11% du PNB combiné de ces cinq pays (2), avec l’effet dévastateur que l’on imagine. Le FMI et son patron, le ministère américain de l’économie, avaient promu cette ouverture aux marchés financiers, et même cherché à modifier la charte du Fond pour être capable d’exercer une autorité sur les comptes de capitaux des pays membres.[12] Mais les pays de la crise, en particulier, n’avaient pas besoin de ces énormes afflux d’investissements financiers qui ont achevé de déstabiliser leurs économies; ils avaient des taux d’épargne très élevés. Comme Stiglitz a noté, la pression pour la libéralisation des mouvements de capitaux a peut-être plus à faire avec la recherche par les fonds de pension américains de débouchés pour ses investissements à l’étranger, qu’avec les besoins des pays emprunteurs.[13] Libéralisation dans les économies de transition Alors que des politiques économiques mal choisies peuvent avoir ralenti fortement la croissance dans les pays les moins développés, et l’avoir interrompue en Asie de l’Est, leur effet sur les économies de transition de l’ancienne Union Soviétique et d’Europe de l’Est a été encore plus radical. Ces pays ne figurent pas dans les tableaux ci-dessus, mais ils doivent être comptés parmi les plus graves échecs à long terme des politiques du FMI. La figure 2 ci-dessous montre le PIB par tête de neuf économies en phase de transition en 1997. Après 8 années, seule la Pologne a rattrapé le niveau de son PIB d’avant la transition (1989). Source : Joseph Stiglitz, ‘’Où va la réforme ? Dix ans de transition’’, Conférence Annuelle de la Banque Mondiale sur l’Economie du Développement, Avril 1999. La Russie a peut-être été le plus grand échec de tous, subissant une baisse de son PIB (plus de 40 %) rarement vue en l’absence de guerre ou de désastre naturel majeur. Le nombre de pauvres (vivant avec moins de 4 dollars par jour) a grimpé de 2 millions à 60 millions au milieu des années 90 (Stiglitz 1999, p. 2). Certaines des erreurs faites ici ont été spécifiques aux économies de transition – en particulier des privatisations mises en œuvre en l’absence de structures légales et institutionnelles nécessaires, et qui ont eu pour résultat une énorme destruction matérielle et sociale. Mais d’autres erreurs furent la conséquence du seul mode de fonctionnement du FMI lui même : politiques macro-économiques d’austérité et libéralisation imprudente non seulement pour le commerce, mais aussi pour la balance des opérations en capital (ce qui, combiné aux autres incitations à dé-capitaliser les industries existantes, conduisirent à une énorme fuite de capitaux hors du pays). Peut-être plus important, comme l’a noté Stiglitz, il y avait ‘’une incompréhension des fondements mêmes d’une économie de marché’’ et ‘’une confiance excessive dans les théories économiques, en particulier celles sous jacentes au modèle néoclassique’’. (Stiglitz 1999, p. 5). Stiglitz montre également qu’une partie du problème est venue de ‘’la confusion entre les fins et les moyens : prenant, par exemple, la privatisation ou l’ouverture des opérations en capital comme une marque de réussite plutôt que comme moyen pour des fins plus essentielles’’. Ces critiques devraient aussi s’adresser en général aux politiques du FMI et de la Banque Mondiale dans de nombreux pays en développement. Croissance et répartition Figure 3 (voir Appendice C), reproduite par Dollar et Kraay, montre la croissance du revenu du quintile le plus pauvre de la répartition du revenu, comparée à la croissance du revenu par tête. Les données comprennent 236 observations venant des pays développés et moins développés. Les auteurs notent que ‘’il y a 108 cas dans lesquelles le PIB par tête augmente à un taux d’au moins 2 % par an : dans 102 de ces cas, le revenu des pauvres augmente aussi.’’ Cette formulation citée par The Economist dans son article élogieux sur l’article, considère comme une évidence la relation extrêmement stable entre le revenu des pauvres et le revenu par tête. Mais il s’agit en fait d’une formulation plus fragile qu’elle n’apparaît au premier coup d’œil ; la majorité des points n’atteignent pas le seuil des 2 % de la croissance du PIB par tête. En d’autres termes, cette formulation signifie véritablement que lorsque l’économie croît plutôt rapidement, le revenu des pauvres augmente en effet – mais ce serait vraiment choquant si ce n’était pas vrai. Parmi les données des auteurs, il y a 35 cas où en fait le revenu des pauvres chutait tandis que le revenu par tête augmentait, sur une période d’au moins cinq ans16. Deux de ces cas se sont produits aux Etats Unis : les données des auteurs montrent le revenu par tête des pauvres chutant de 1979 à 1984 et de 1989 à 1994, alors que le revenu par tête augmentait. En fait, si nous élargissons notre champ pour y inclure la majorité de la main-d’œuvre, cela aide à expliquer les réactions brutales contre la globalisation – que les auteurs disqualifient dans leur article, en les jugeant non fondées – qui ont récemment a surgit. Le salaire réel médian aux Etats Unis n’est pas plus élevé aujourd’hui que ce qu’il était en 1973. Les salaires réels pour le quintile inférieur de la main-d'œuvre ont en fait diminué d’environ 9 % de 1973 à 1997. Depuis, il y a eu une période durant laquelle l’économie US s’est ouverte assez rapidement – la part du commerce dans le PIB a doublé – cela ne serait pas surprenant que la globalisation soit vue par la majorité de la population, aussi bien que par les syndicats et les groupes d’intérêt public, comme une menace pour le bien-être des personnes non fortunées. Depuis 1973, le revenu par tête aux USA a augmenté de 70 %. Pour que les salaires médians et les salaires du quintile inférieur aient chuté durant cette même période, il a fallu un changement économique de proportion considérable du point de vue de la majorité des Américains. Pour comparaison, durant la première moitié de l’après-guerre, les salaires des trois quintiles inférieurs augmentaient à peu près conformément à la moyenne (qui s’est accrue de 80 % de 1946 à 1973). C’est donc un phénomène relativement récent – et historiquement sans précédent – pour la majorité de la main-d’œuvre des USA d’être exclue du partage des gains de la croissance économique. Pour les Etats Unis donc, au moins, les ONG (que les auteurs disqualifient comme mal renseignées) ont à la base de leurs préoccupations un phénomène économique très réel et incontestablement important. Il est difficile d’analyser exactement quelle part de ce phénomène est due à la globalisation, mais les économistes qui ont tenté de le faire en ont trouvé un impact significatif. William Cline de l’Institut d’Economie Internationale estimait que 39 % de l’accroissement dans l’inégalité des salaires de 1973 à 1993 résultait de l’accroissement du commerce international.17 Ceci n’inclue pas les effets de la croissance de l’investissement international, qui a également fait pression à la baisse sur les salaires.18 Il n’est pas surprenant que le processus de projection de la main-d’œuvre US dans un espace de compétition croissante, avec des ouvriers moins payés partout dans le monde, ait abaisser les salaires aux Etats Unis. En fait, c’est ce qui était prévu par la théorie économique classique.19 Mais qu’en est-il du reste du monde ? Dollar et Kraay ne trouvent aucune variation significative au cours du temps, entre les années 1960 et 1990, dans les relations entre le revenu de la croissance pour les pauvres et le revenu de la croissance par tête (pp. 4-5 ; Figure 2). Mais il est difficile de croire que les Etats Unis sont un cas exceptionnel pour ce qui est de l’accompagnement de la croissance plus lente des dernières 20 années par une aggravation des inégalités. En Amérique Latine, par exemple, une autre étude a découvert que la répartition du revenu devenait plus équitable dans les années 1970 et s’était dégradée depuis. Tableau 1 et Figure 4 (à l’Appendice A) proviennent de la recherche de Londoño et Székely (1997), pour treize pays dont la population recouvre 83 % de la population d’Amérique Latine et des Caraïbes. Il y a une tendance générale à la croissance des inégalités de revenu dans les années 1980 et 1990 (après leur diminution dans les années 1970). Huit des treize pays montraient une aggravation de l’inégalité dans les années 1980 et 1990, tandis que seulement deux d’entre eux montraient une amélioration. En Russie, le coefficient de Gini doublait tandis que l’économie s’effondrait durant la dernière décennie.20 Il est possible que ces changements ne soient pas visibles dans les régressions de Dollar et Kraay en raison de la mauvaise qualité de leurs données. L’Appendice B analyse les résultats des données et des régressions plus attentivement et désigne un grand nombre de problèmes, y compris certains qui pourraient influencer les résultats. Le plus important est de garder à l’esprit que presque tous les tests statistiques contenus dans l’article, autres que ceux qui montrent une corrélation entre la croissance et le revenu par tête des pauvres, produisent des résultats non significatifs. Alors qu’il est possible dans certaines circonstances de faire des déductions à partir d’échecs pour trouver des résultats significatifs, il ne serait pas opportun de le faire lorsque les données sont aussi mauvaises que dans cette étude. (voir Appendice B). Pour prendre juste un exemple, la composition des ménages du quintile peut changer au cours des ans évaluée dans l’échantillon. Par exemple, dans les années de crise économique ou d’endettement dans les pays pauvres, certaines personnes les plus pauvres peuvent mourir. D’autres qui auraient voulu se marier, former de nouveaux ménages, et/ou avoir des enfants ne le feront pas en des temps difficiles. Par conséquent, le quintile inférieur évalué à l’année 5 comprend un mélange différent de ménages, avec un revenu moyen manifestement plus élevé, qu’il aurait été si l’échantillon à l’année 1 avait été suivi jusqu’à l’année 5. (Ces problèmes ou d’autres, d’évaluation et de données sont décrits en détail dans l’Appendice B). Les auteurs tirent également de plus larges conclusions qui ne résultent pas des résultats de leur régression. Par exemple, ils concluent que ‘’la globalisation est bonne pour les pauvres’’ (p. 22) parce que les résultats de leur régression ne montre aucune relation entre le degré d’ouverture et le revenu des pauvres ; et comme ils admettent que l’ouverture augmente la croissance, et que la croissance est bonne pour les pauvres, il s’ensuit que l’ouverture est bonne pour les pauvres. Mais les résultats de leur régression ne constatait pas que ‘’la globalisation est bonne pour les pauvres’’ ; au contraire, ils ne montrent aucun effet de la globalisation sur les pauvres. En outre, l’hypothèse que l’ouverture conduit à une croissance plus élevée est elle-même un sujet de controverse dans la littérature économique.21 Dollar et Kraay ne trouvent également aucune différence entre le déclin en pourcentages du revenu des pauvres par opposition à celui d’autres groupes. Cela, aussi, peut être un artefact des données (voir Appendice B) ; mais même si c’était vrai, cela ne signifierait pas grand-chose. Les pauvres souffrent certainement plus quand leur revenu chute dans les mêmes proportions que celui des riches, et ils doivent faire sans les nécessités élémentaires telles que la nourriture ou la médecine. Dans de nombreux pays, les deux dernières décennies ont également été l’occasion de coupes dans les subventions aux postes de consommation de masse – coupes souvent promues par le FMI – qui étaient supportées façon disproportionnée par les pauvres, et qui restent pour autant non visibles pour le jeu de données retenu dans l’article. Il y a aussi un argument qui peut être formulé sur le fait que l’attention portée au quintile inférieur est trop restreinte. Dans de nombreux pays de cet échantillon, il n’y a pas que le quintile inférieur qui est pauvre. Et il se peut que le quintile médian soit le plus immédiatement touché, par exemple, par des politiques d’ajustement structurel ou d’ouverture accrue au commerce. L’affaiblissement des syndicats et des autres institutions de la société civile peut également conduire, au cours du temps, à une répartition plus inégalitaire du revenu. Globalisation, Développement Economique, et ‘‘Taille-Unique pour tous’’ La recherche de principes abstraits gouvernant l’optimalité du degré d’ouverture du commerce et des finances, de la propriété privée, de la taille du gouvernement, ou même de l’inflation – et de leur rôle dans la recherche de croissance est analogue à la tentative de trouver une relation simple entre ration alimentaire et santé aux Etats Unis. Environ la moitié des Américains sont trop gros ; ils seraient probablement en meilleure santé avec une consommation plus faible de calories. Quoique même pour eux, éliminer simplement les nourritures les plus nutritives de leur alimentation, par exemple, n’améliorerait pas nécessairement leur santé à long terme. D’autres ne mangent pas assez – ils ont besoin de plus de nourriture. D’autres mangent de mauvais aliments, et ont besoin d’un régime plus équilibré pour assurer une nutrition satisfaisante, ou moins de graisses pour éviter l’artériosclérose. Il est difficile de dire ce qu’une régression prédisant la santé à long terme par la consommation de calories des individus aux USA produirait – cela dépendrait probablement de la manière dont l’équation serait posée. Mais nous pouvons être quasiment sûrs que les résultats ne seraient pas particulièrement utiles à un individu essayant de choisir un régime sain. De façon similaire, la recherche dans le domaine des avantages d’une ‘’ouverture’’ croissante, sans se soucier de la manière dont elle est effectuée, n’est vraisemblablement pas utile aux fins d’un pilotage de politique économique. Quoiqu’une telle recherche soit vaine, elle a été très nuisible quand elle a été mise en pratique. Au cours des vingt cinq dernières années, des tentatives pour formuler des stratégies de développement spécifiques aux besoins de chaque pays ont été supplantées par des formules simples et rigides favorisant l’ouverture aux marchés et aux investissements étrangers, des politiques monétaires trop strictes, et des politiques ‘’d’ajustement structurel’’ qui occasionnent souvent des dommages économiques superflus. Les plus-values statiques des avantages comparatifs, lesquels sont relativement très petites, ont été encouragées aux dépends de les plus-values dynamiques qui découleraient d’un déplacement de la production vers les branches de production à plus haute valeur ajoutée. La ‘’discipline fiscale’’ – et encore plus néfaste, la discipline monétaire – imposée par les marchés, a été prônée et renforcée. Cela a été vrai même quand ces politiques ont abouties – ou exacerbées – les crises économiques comme dans les cas de l’Asie, du Brésil, et de la Russie au cours des trois dernières années. Le fait que le ralentissement de la croissance des deux dernières décennies a coïncidé avec une globalisation croissante devrait au moins fournir des motifs de réflexion aux économistes qui prônent l’ouverture aveugle aux flux commerciaux et financiers. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de profit à tirer de l’augmentation des échanges ou des investissements étrangers. Mais cela peut signifier que certaines stratégies de développement qui ont prouvé leur succès dans le passé nécessiteront une plus large gamme d’interventions et de souplesse sur une certain nombre de politiques – Incluant celles relatives au commerce international – que ce qu’autorise l’orthodoxie actuelle. A une époque durant laquelle leurs choix économiques ont été si restreints et très souvent déterminés par des organismes extérieurs, il n’est pas surprenant que les pays en voie de développement aient démontré des résultats considérablement plus faibles.22 Tandis que chaque décennie s’écoule, la croissance de la productivité et le développement technologique devraient rendre plus facile aux pays les plus pauvres de rattraper leur retard vis à vis des pays les plus riches. Jusqu’ici telle n’est pas la tendance, et les deux dernières décennies ont été perdues pour la plupart du monde en voie de développement, tandis que les économies de transition ont la plupart du temps fait un énorme pas en arrière. Pour inverser ces tendances, il devra y avoir un débat honnête sur ce qui s’est mal passé au cours des 20 dernières années. Nous pouvons seulement espérer que la Banque Mondiale commencera à poser ces questions, afin qu’elle puisse jouer un rôle constructif dans la découverte de réponses. Et plus important, que la Banque Mondiale (et le FMI) autorisera les pays emprunteurs à poursuivre des politiques qui permettront un rétablissement des taux de croissance passés, aussi bien qu’une égalité croissante. APPENDICE A Table 1: Coefficients de Gini dans 13 pays d’Amérique Latine
Source: Londoño, Juan Luis et Miguel Székely (1997). “Pauvreté Persistante et Excès des Inégalités : Amérique Latine, 1970-1995.” Communication N° 357 de la Banque du Développement Inter Américain APPENDICE A (suite) Figure 4: Modification des Inégalités par Pays en Amérique Latine et dans les Caraïbes durant les Années 1980-1990 et 1990-1995 Source: Londoño, Juan Luis et Miguel Székely (1997). “Pauvreté Persistante et Excès des Inégalités : Amérique Latine, 1970-1995.” Communication N° 357 de la Banque du Développement Inter Américain ANNEXE B Tandis que le résumé et les conclusions du papier de Dollar-Kraay (DK) avancent quelques affirmations audacieuses, il est important de reconnaître la quantité limitée de nouvelles évidences que le DK apporte effectivement au débat sur l’impact des politiques de la Banque Mondiale et du FMI sur les pauvres. Le tableau ci-dessous résume les tests qui apparaissent dans le papier et leurs résultats. Variables testées Effet Positif Effet Négatif Négligeable Effet de la croissance sur 34*** 0 0 le revenu des Pauvres Différences Régionales dans la 1 NA 0 Relation entre croissance et revenu des Pauvres Différences entre pays à haut et 0 NA 1 bas revenu Différences entre Périodes à croissance 0 NA 1 Rapide et à croissance lente Différences entre Périodes à croissance 0 NA 1 Positive and Négative Différences entre années 1960 et 1970 0 NA 1 comparées aux années 1980 et 1990 Ouverture sur le Revenu Des Pauvres 0 0 6 Ouverture sur la croissance du Revenu 0 0 2 Contrôles du Capital sur le Revenu Des Pauvres 0 0 1 Autorité de la Loi sur le Revenu 0 1* 2 Des Pauvres Autorité de la Loi sur la croissance du Revenu 0 0 1 Inflation sur le Revenu des Pauvres 0 1* 2 Inflation sur la croissance du Revenu 0 1** 0 Droit d’expression sur le Revenu des Pauvres 0 0 3 Droit d’expression sur la croissance du Revenu 0 0 1 Consommation du Gouvernement sur 0 0 3 le Revenu des Pauvres Consommation du Gouvernement sur 0 1*** 0 la croissance Dépenses Sociales sur le Revenu Du Pauvre 0 1* 1 Effectif en Ecole Primaire sur 0 0 3 le Revenu des Pauvres Effectif en Ecole Primaire sur la croissance0 0 1 * niveau significatif à 10 % près ** niveau significatif à 5 % près *** niveau significatif à 1% près Comme on peut le voir, la grande majorité des résultats présentés dans le papier ne sont pas significatifs. A part la découverte que le revenu des pauvres a tendance à évoluer dans le même sens que la croissance de l’ensemble des revenus, un résultat qui ne devrait pas être controversé par les économistes, seulement six des trente-sept tests produisent des résultats significatifs. Et parmi trois des cinq cas dont le niveau est directement significatif, les résultats n’étaient significatifs qu’à un seuil de 10% d’erreur acceptable. De plus, dans ces cinq cas, il a été démontré que trois d’entre eux donnaient lieu à des résultats négligeables lorsque le test était structuré différemment. Des résultats non significatifs peuvent cependant fournir des informations lorsque les tests sont bien structurés et que les données de base sont bonnes. Cela ne semble pas être le cas ici. Il y a toujours un degré considérable d’erreur de mesure du revenu des pauvres, même dans les pays industrialisés. L’amplitude de l’erreur de mesure est beaucoup plus grande dans les pays en cours de développement où les ressources pour le rassemblement des données sont beaucoup plus rares, et le manque d’infrastructure rend la procédure difficile. Un examen au hasard des données suggère que l’erreur de mesure est un très gros problème ici. La plupart des points de données présente de grandes variations du revenu des pauvres qui ne semblent pas plausibles. Par exemple, les données montrent que le revenu moyen des 20% de la population la plus pauvre au Brésil a chuté de 27,3% de 1981 à 1983; au Canada, il a augmenté de 16% de 1988 à 1989; et en Colombie, il a chuté de 39% entre 1970 et 1971. Il est facile de choisir d’autres exemples de variations qui soient plus certainement attribuables à l’erreur de mesure qu’à une variation effective du revenu des pauvres. La fréquence de variations aussi improbables laisse supposer que l’amplitude de l’erreur de mesure de ces données est très grande par rapport aux mouvements réels du revenu des pauvres. Cela a pour effet d’influencer fortement la découverte de relations statistiquement significatives. Il est remarquable de noter que le papier ne trouve aucune évidence pour l’appui d’une affirmation que les auteurs considèrent irréfutable sur la base d’autres recherches—celle que l’ouverture augmente la croissance. Ce fait devrait être considéré soit comme une évidence contre l’affirmation que l’ouverture promeut la croissance, soit comme l’évidence que la qualité des données est si mauvaise qu’il est peu probable qu’elles puissent rendre un test acceptable pour n’importe laquelle des propositions examinées ici. Outre le problème général d’erreur de mesure, il y a des problèmes de mesures qui sont systématiques. Par exemple, il y a probablement un très grave problème de biais de sélection. Cela se produit à la fois à l’intérieur des pays et entre les pays. Entre les pays, ceux qui n’apparaissent pas dans l’échantillon sont probablement de manière disproportionnée ceux qui sont dans des conditions de particulière pauvreté. Quand un pays se trouve dans une situation économique catatrophique, il est moins probable qu’il ait les ressources nécessaires pour conduire des enquêtes sur sa population. Cela pourrait influencer les résultats, si par exemple, les pays qui se trouvent dans des crises économiques majeures sont aussi ceux où les pauvres sont les plus touchés. Puisque ces pays sont éliminés de l’échantillon, les tests de ce papier ne mesurent pas ce qu’ils sont supposés mesurés. Il est intéressant de noter que seulement 80 pays sont représentés dans cet échantillon sur au moins un intervalle de plus de 5 ans, et seulement 48 sont représentés sur au moins trois périodes d’au moins 5 ans, ce qui fait que l’ensemble de ces données exclut la vaste majorité des économies mondiales sur la période des 45 dernières années. [14] Le problème à l’intérieur des pays est peut-être encore plus grave. L’identité de la population des 20% des foyers les plus modestes va dépendre en partie des conditions économiques. Si les conditions pour les pauvres deviennent très mauvaises, alors beaucoup de foyers qui auraient normalement constitué les 20% des revenus les plus bas peuvent ne pas exister. Dans certains cas, les jeunes gens qui par ailleurs se seraient mariés et auraient fondé leur propre foyer, à la place restent avec leurs parents. La même chose peut aussi se produire avec les gens agés qui retournent chez leurs enfants. Certaines jeunes familles peuvent émigrer et aller chercher du travail dans d’autres pays. Et, dans beaucoup de cas, une partie des pauvres mourra à cause des mauvaises conditions économiques. En bref, les 20% des foyers les plus modestes ne seront pas constituées du même groupe de personnes selon les circonstances économiques. Cet effet peut être important. Supposons que 10% de tous les foyers qui auraient fait partie des 20% des plus modestes dans des conditions économiques normales, n’existent pas à cause de facteurs liés à une dépression économique. L’échantillon comprendrait alors des foyers qui se seraient trouvés auparavant dans le 21ème et le 22ème centile de la distribution des revenus, et qui se retrouveraient comme faisant partie des 20% des plus modestes. Cela conduirait à une surévaluation substantielle de la mesure du revenu de ce groupe. Dans le cas des Etats-Unis, cette substitution augmenterait le revenu annoncé des 20% les plus modestes d’environ 7 pourcent.2 Il serait nécessaire d’examiner le schéma de création de foyers et du taux de mortalité à l’intérieur d’un pays pour déterminer à quel point les circonstances économiques affectent la composition des foyers à l’intérieur d’une nation. Sans cette information, un test visant à déterminer si les crises économiques touchent de manière disproportionnée les foyers pauvres, comme celui du papier de DK, n’éclaire pas beaucoup sur la question. Une deuxième source possible d’erreur concerne la mesure de l’impact de l’inflation sur le revenu des pauvres. Dans la plupart des pays, les intérêts représenteront une source significative de revenu pour les foyers aisés. En période de forte inflation, les intérêts payés sur des titres et des prêts inclueront une prime d’inflation pour compenser la perte de valeur de la monnaie. Par exemple, aux Etats-Unis en 1980, le taux d’intérêt sur des titres à long terme du gouvernement dépassa les 11%. Cependant, cela ne représentait pas une bonne affaire pour les porteurs de titres, puisque le taux d’inflation pour l’année fut proche de 12%.3 Le taux d’intérêt réel (le taux d’intérêt nominal moins le taux d’inflation) était en fait négatif. Ce point particulier peut créer un problème dans les types de tests du papier DK, puisque le revenu des intérêts des foyers aisés a de fortes chances d’augmenter en période de forte inflation, à cause de la prime d’inflation. Cependant, comme cet argent compense tout juste la perte sur la valeur réelle de leurs prêts, il ne doit pas être traité comme un revenu véritable. A moins que l’étude effectue une correction pour cette prime d’inflation, en période de forte inflation, elle surévaluera le revenu allant aux riches et en conséquence sousestimera la portion de revenus allant aux autres groupes.4 Cet effet créé les conditions d’un biais dans l’un des rares résultats significatifs des tests menés par DK, à savoir qu’une plus faible inflation améliore la situation des pauvres. Une autre source possible de biais pourrait expliquer deux des autres résultats significatifs du papier, qui sont que les dépenses du gouvernement et les dépenses sociales du gouvernement affectent négativement le revenu des pauvres. Supposons qu’une partie significative des dépenses gouvernementales est utilisée pour subventionner des articles qui sont consommés de façon disproportionnée par les pauvres, tels que les transports publics ou les céréales de base. Si ces subventions sont retirées pour réduire les dépenses, alors le prix de ces denrées augmentera. Cette augmentation de prix devrait être recueillie lors d’une mesure normale du taux d’inflation. Or, si les pauvres consommaient de façon disproportionnée les denrées qui étaient subventionnées (par ex, les achats de riz constituent une plus grande part du revenu de la personne pauvre que de celui de la personne riche), alors l’indice des prix sous estimerait l’augmentation du coût de la vie de la personne pauvre. Ce problème de mesure peut masquer les impacts négatifs que certaines politiques peuvent avoir sur les pauvres. Par exemple, supposons que le gouvernement subventionne le riz et que le riz est seulement consommé par les pauvres. L’élimination de la subvention pourrait substantiellement réduire le revenu des pauvres, puisqu’ils auront à payer plus pour le riz, mais cet effet sera en grande partie invisible dans les données utilisées dans le papier DK. L’omission de la prise en compte de ce type d’effet pourrait expliquer la relation négative entre dépenses sociales/dépenses gouvernementales et le revenu des pauvres observée dans ce papier. L’autre facette de ce problème peut aussi créer un effet de distorsion dans ces résultats. Les pays ayant de plus grandes parts de dépenses sociales dans les dépenses gouvernementales totales et de plus grand rapports de dépenses gouvermentales sur PIB sont aussi les pays ayant probablement les plus forts impôts.5 Si le système des impôts est au moins quelque peu progressif, alors les riches supporteront de façon disproportionnée la charge de ces impôts. DK utilise une mesure avant impôts du revenu des foyers. Si les riches sont capables d’augmenter leur revenu avant impôts au moins pour compenser l’effet des impôts, comme la théorie économique le prédit, il en résulte que les riches ont une plus grande part de revenu avant impôts ( et les pauvres une plus petite part) dans les pays qui fournissent plus de services sociaux à leur population. Ce résultat serait le contraire si la mesure était faite après impôts. Des erreurs de mesure dans certaines des variables explicatives peuvent aussi conduire à une distorsion vers la non significativité de certains résultats. Les variables explicatives utilisées ont été entrées dans le modèle sur la base d’une moyenne de leurs valeurs sur les cinq années précédent l’année de l’effet mesuré par le modèle. Dans certains cas, cela peut ne pas être un temps suffisamment long pour rendre compte de l’effet escompté. Par exemple, même si un accroissement des effectifs scolaires a un fort effet positif sur la croissance du revenu et sur le revenu des pauvres, il est improbable que cet effet puisse être visible pendant les cinq ans qui suivent cette augmentation. La plupart des nouveaux étudiants seront alors toujours scolarisés. Ce problème est encore plus grave avec les variables “droit d’expression” et “autorité de la loi”. Une seule observation mesurant chacune de ces variables est disponible, et située à la fin des années quatre-vingt dix. Or les tests supposent implicitement que pour chaque pays, ces mesures restent constantes sur la période de l’analyse. Ce n’est certainement pas suffisant pour la plupart des pays faisant partie de cet ensemble de données, tels que le Chili, le Brésil, la Corée du Sud et l’Espagne, qui ont tous fait, au moins une fois, un passage entre dictature et démocratie dans la période considérée pour l’ensemble du test. Etant donnée la façon dont ces deux variables sont entrées dans le modèle, il ne devrait pas être surprenant que ce papier trouve peu d’évidence d’une relation significativement positive entre elles et la croissance ou le revenu des pauvres. Ces résultats sont en contradiction avec des recherches récentes qui trouvent une forte relation positive entre ces mesures, le PIB par habitant et le bien-être des pauvres.6 Une dernière mesure qu’il est intéressant de noter est la construction de la variable d’”ouverture” dans le papier. La principale mesure d’ouverture utilisée dans ce papier est la somme des exportations et des importations mesurée en dollars constants, en pourcentage du PIB en dollars constants. Cette mesure peut donner une image très trompeuse de l’ouverture de l’économie d’une nation puisqu’elle est sensible à l’année choisie comme année de référence. Le tableau ci-dessous montre le contraste, pour le cas des Etats-Unis, entre cette mesure de l’ouverture (qui utilise 1996 comme année de référence) et une mesure qui utilise les dollars courants : Dollar Courant Dollar Constant (X+M)/PNB (X+M)/PNB 1969 10.1 10.1 1979 18.8 13.3 1989 20.0 17.3 1999 24.3 27.2 Comme on peut le voir, ces mesures montrent des trajectoires très différentes. En utilisant la mesure du dollar courant, la plus forte augmentation de l’ouverture, se produit dans les années 1970. Par contre, en dollar constant, la plupart de l’augmentation a eu lieu dans les années 1990. Les différences majeures sont dues aux fortes baisses relatives du prix du pétrole et des ordinateurs. Il ne semble pas raisonnable d’argumenter que, du fait de la chute ultérieure du prix du pétrole et des ordinateurs, l’économie des Etats-Unis était moins ouverte en 1979 que ce qu’elle aurait été si le prix de ces denrées était resté constant, comme la mesure en dollar constant l’implique. La mesure en dollar courant constitue la meilleure mesure pour la plupart des objectifs puisqu’elle permet de rendre compte de la part du PIB entrant et quittant effectivement le pays dans un but commercial.7 Les différences entre les mesures en dollar constant et courant peuvent ne pas être aussi grandes pour d’autres pays qu’elles le sont pour les Etats-Unis, mais l’utilisation d’une mesure inappropriée accroît la probabilité d’obtenir des résultats non significatifs. Cela pourrait permettre d’expliquer la relation non significative que le papier trouve entre l’ouverture et la croissance du PNB, et aussi la relation non significative entre l’ouverture et le revenu des pauvres. La mauvaise spécification de la variable d’ouverture rend plus improbable que les tests puissent révéler la relation réelle entre l’ouverture et d’autres variables. Il est aussi intéressant de noter que les autres rapports testés dans ce papier (dépenses gouvernementales/PIB et dépenses sociales/ dépenses gouvernementales) sont mesurés en dollars courants. Pour être logique, la mesure d’ouverture aurait due être faite de la même façon. Ces problèmes de mesures devraient suggérer une grande prudence vis à vis de la fiabilité des résultats des tests du papier DK. La qualité médiocre de l’ensemble des données résulte en une grande distorsion s’opposant à la découverte de relations statistiquement significatives, aussi, le fait que le papier n’en trouve pas beaucoup n’est pas surprenant. De plus, il y a des raisons de croire que les données contiennent un biais tendant à surestimer la relation négative entre inflation et revenu des pauvres, ainsi qu’entre toute forme de dépenses gouvernementales et revenu des pauvres. Elles peuvent aussi inclure des distorsions concernant la sous-estimation de l’impact positif de certaines formes de dépenses gouvernementales sur le revenu des pauvres. A moins que ces problèmes soient effectivement traités, les conclusions du papier sur ces thèmes ne devraient pas être acceptées. ANNEXE C Références Baker, Dean; Gerald Epstein; and Robert Pollin, Globalization and Progressive Economic Policy, Cambridge University Press, New York; 1998. Bruno, Michael, “Does Inflation Really Lower Growth?” Finance and Development; 1995. Cline, William, “Trade and Income Distribution,” Washington, DC: Institute for International Economics; 1997. Dawson, Thomas, “A Response to an Article in Barrons,” International Monetary Fund; April 15, 2000. Dollar, David and Aart Kraay, “Growth Is Good for the Poor,” The World Bank Development Research Group; March 2000. Dollar, David, Letter to the Financial Times; June 20, 2000. Dornbusch, Rudi, letter to The New Republic; May 29, 2000. Kahn, Joseph, New York Times; June 25, 2000. Kate Bronfenbrenner, “Final Report: The Effects of Plant Closing of Threat of Plant Closing on the Right of Workers to Organize,” Cornell University; September 1996. Kaufmann, D; A. Kraay, and P. Zoido-Lobaton, "Governance Matters," World Bank Policy Research Working Paper # 2196, www.worldbank.org/wbi/governance; 2000. Londoño, Juan Luis and Miguel Székely, “Persistent Poverty and Excess Inequality: Latin America, 1970-1995.” Inter-American Development Bank Working Paper No. 357; 1997. Lundberg, Mattias and Lyn Squire, “The Simultaneous Evolution of Growth and Inequality,” World Bank (manuscript); December 1999. Radelet, Steven and Jeffrey Sachs, “The East Asian Financial Crisis: Diagnosis Remedies, Prospects,” Harvard Institute for International Development; April 20, 1998. Rodrick, Dani, The New Global Economy and Developing Countries: Making Openness Work, Overseas Development Council; 1999. 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[3] Lettre au Financial Times, 20 juin 2000 [4] Les porte-parole officiels et partisans des politiques du FMI et de la BM désignent généralement un pays particulier sur une période relativement courte, quand ils défendent leurs bilans. Par exemple, dans un article récent du New York Times (25 Juin 2000, par Joseph Kahn, page 5) Le ministre des Finances américain Larry Summers a cité l’Ouganda et la Pologne comme des réussites complètes pour leur modèle économique. Mais l’Ouganda, malgré 7 années de croissance, est toujours 30% au-dessous de son revenu par tête de 1983. Et la Pologne est vraiment peu représentative du résultat des préconisations du FMI en Europe de l’Est et en ex-URSS – dont la plupart des habitants vivent toujours loin en dessous de leurs niveaux de revenus de 1989 (voir ci-dessous). [5] Par exemple, Dollar et Kraay pensent qu’une inflation peu élevée contribue significativement à la croissance, et se trouve être favorable aux pauvres. Mais il est très répandu que les gouvernements dont les économies sont déjà dans le malheur tendent à sur-dimensionner leur besoin d’argent, causant ainsi l’inflation; mais dans ces cas-là, c’est la misérable performance de croissance qui mène à l’inflation, aucune autre manière. La proximité entre les taux modérés d’inflation (en dessous de 40%) et la croissance est un des thèmes les plus recherchés en économie, et la plupart des études se sont montrées non-concluantes (voir par exemple, Michael Bruno, “L’inflation ralentit-elle vraiment la croissance?” Finance and Development, 1995.) [6] Banque Mondiale, “Asie de l’Est: Guérison et au-delà,” 1er juin 2000. [7] Joseph Stiglitz, "L’initié: Ce que j’ai appris des crises économiques mondiales," New Republic, 17 avril 2000. [8] Steven Radelet et Jeffrey Sachs, "La crise financière Est Asiatique: Diagnostics, Remèdes, Perspectives," Institut d’Harvard pour le Développement International, 20 avril 1998. [9] Rudi Dornbusch, lettre à New Republic, 29 mai 2000; Lettre de Thomas Dawson, “Réponse à un article dans Barrons,” 15 avril 2000, FMI (voir http://www.imf.org/external/np/vc/2000/041500.htm). [10] Banque Mondiale, “Asie de l’Est: Guérison et au-delà,” 1er juin 2000. [11] Voir, par exemple "La renaissance de la foi libérale: Le FMI, la Banque Mondiale, et l’inégalité dans une économie globalisée " (Lance Taylor et Ute Pieper) dans Dean Baker, Gerald Epstein, et Robert Pollin (eds.) Globalisation et politique économique progressive: Quelles sont les réelles contraintes et options?, 1998. [12] FMI, “Communiqué de la commission intérimaire du directoire du FMI,” Article de Presse No. 97/44, 21 septembre 1997. [13] “IMF and World Bank Accountability: Closing the Gap Between Rhetoric and Reality,” Panel with Joseph Stiglitz, sponsored by the Heinrich Boll Foundation, June 8, 2000. 16 Il y a également 5 cas où le revenu des pauvres s’effondre dramatiquement plus que le revenu par tête. 17 Cline William, ‘‘Commerce et répartition des revenus’’, Whashington, DC : Institut d’Economie Internationale ; 1997 18 Bronfenbrenner Kate, ‘‘Rapport final : Les effets de la fermeture d’usines ou de la menace de fermeture d’usine sur le droit des travailleurs de se syndiquer’’ 19 Le théorème de Stolper-Samuelson, qui est enseigné dans les cours d’économie internationale classique, montre que l’ouverture au commerce aurait eu tendance à abaisser le retour aux facteurs de production relativement rares (pour les Etats Unis, la main-d’œuvre non spécialisée – qui est inclue la majeure partie de la main-d’œuvre aux EU). 20 Stiglitz, 1999 21 See Rodrik (1999) pour une discussion sur la controverse. 22 Bien sûr cela n’explique pas le ralentissement de la croissance par tête pour les pays développés qui s’est installé depuis 1980. Nous voudrions soutenir que les changements de politiques monétaires des principales banques centrales en sont la première cause, mais ceci dépasse le champ de cet article. Toutefois, ce ralentissement fut un choc majeur pour les pays en voie de développement très dépendants des exportations sur ces marchés, et c’est une autre raison de considérer les stratégies de développement de long terme qui n’augmenteraient pas inutilement la dépendance vis à vis de la demande extérieure – particulièrement la demande qui est concentrée sur un ou deux marchés extérieurs. [14] L’importance des omissions peut être démontrée par le fait que parmi les 36 nations listées dans le rapport interne du FMI de 1994 “Enhanced Structural Adjustment Facility (ESAF)”, seulement 12 ont les deux points de données qui leur permettent d’apparaître dans l’ensemble des données de DK pour les régressions de croissance. Dans l’un de ces cas (la Guyane), le premier point est pour 1956, si bien que les données ne fournissent pas d’information sur l’impact des programmes d’ajustement structurels du FMI. 2 En 1996, le revenu moyen pour les 20% des familles les plus modestes aux Etats-Unis était de 12234$. Le revenu pour les familles au 20ème centile de la distribution était de 20132$. La sitiuation décrite dans le texte substituerait les familles gagnant plus de 20132$ aux familles qui gagnaient le revenu moyen de l’ensemble des 20% des familles les plus modestes, ou 12234$. (Cette donnée de revenu apparaît dans Mishel, Bernstein et Schmitt, 1999.) 3 Dans la logique de ce scénarion, les données DK montrent que la part de revenu des riches augmente à la fin des années 1970 aux Etats-Unis, une période où la part du PIB allant aux profits était à son plus bas un niveau d’après guerre 4 Le revenu réel des pauvres pourrait de la même façon être sous-estimé pendant les périodes de forte inflation, si typiquement ils sont débiteurs d’une dette libellée dans la monnaie nationale. Dans ces circonstances, une plus forte inflation éroderait la valeur de leur dette, rendant les pauvres plus riches dans les années futures. 5 Les pays qui ont un fort taux de dépenses sociales par rapport aux dépenses gouvernementales auront probablement un rapport dépenses gouvernementales/PIB élevé , à moins qu’ils aient de très faibles rapports dépenses gouvernementales non-sociales/PIB. 6 Voir Kaufmann, D; A. Kraay, and P. Zoido-Lobaton, 2000, "Governance Matters," World Bank Policy Research Working Paper # 2196, www.worldbank.org/wbi/governance. 7 Les mesures en dollar constant ne sont pas additives dans les composantes du PIB, si bien que la signification associée au rapport (X+M)/PIB n’est pas claire. |