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COLLOQUE DETTE DU SUD, DETTE INJUSTE…!!!Samedi 11 décembre 1999 Etat des négociations: enjeux, limites, perspectivespar Eric Toussaint, du Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers-Monde (CADTM)
Il est très important quand on
fait signer des pétitions, quand on se rencontre pour mobiliser, d'avoir
des moments de réflexion comme celui-ci. Il est indispensable que ce ne
soient pas des initiatives ponctuelles mais régulières. C'est la démarche
que nous avons adoptée, comme Comité pour l'Annulation de la Dette du
Tiers Monde, dans la collaboration active avec Entraide et Fraternité,
avec le CNCD, avec la Commission Justice et Paix et, plus largement au
niveau international, avec des organisations membres de la CIDSE et celles
participant au Jubilé 2000. Le Comité pour l'Annulation de
la Dette du Tiers Monde, est un réseau international, créé il y a dix
ans et basé à Bruxelles. Il
demande l'annulation de l'ensemble de la dette du Tiers Monde et il avance
d'autres propositions : le soutien à une taxe sur les transactions
financières internationales, du type Tobin (mais pas nécessairement
Tobin), la question de l'expropriation des biens indûment acquis (dont on
a parlé ici à propos de la République Démocratique du Congo et de sa
dette extérieure) et d'autres éléments comme l'arrêt des politiques
d'ajustement structurel. Des comités CADTM existent
dans d’autres pays : au Togo, au Bénin, au Mali ; il y
en a un qui se met en place au Sénégal, il y en a un au Venezuela. Nous
avons aussi dans différents pays des partenaires qui sans porter le nom
CADTM font partie de son réseau international. Ces différents comités
se situent sur un pied d’égalité à l'intérieur du réseau
international. J’en viens à la question
principale : qu'est-ce qui était demandé dans le cadre de Jubilé
2000? Ce sera mon premier point. Je montrer qu'il y avait une pluralité
de points de vue. Mon deuxième point : Qu'est-ce qui a été obtenu? Mon
troisième point : ce qui serait à avancer comme proposition alternative
à celle du G7, de la Banque mondiale et du FMI. Je répondrai ensuite à
la question : quel est votre calendrier pour l'année
2000 ? 1. Qu'est-ce qui était
demandé dans le cadre de Jubilé
2000 ? En quelques mots : il a été
demandé d’annuler la partie impayable des dettes des pays les plus
pauvres. Qu'est-ce que cela représente en chiffres? La dette de l’ensemble du
Tiers Monde, sans les pays de l’Est
(j'attire votre attention sur le fait que, maintenant, pour la
Banque Mondiale, le bloc de l'Est, la Russie comprise, fait partie du
Tiers Monde dans les chiffres sur la dette), était de 2.030 milliards de
dollars à la fin de l'année 98. Si vous voulez un élément de
comparaison, la dette publique des seuls Etats-Unis s’élève à 5.000
milliards de dollars, donc plus de deux fois et demie la dette de
l'ensemble du Tiers Monde. La dette cumulée des pays membres de l'UE, si
l'on additionne leur dette publique et qu'on la traduit en dollars, est
d’environ 6.000 milliards de dollars. Donc la dette publique cumulée
des 15 Etats membres de l'UE est à peu près trois fois supérieure à la
dette extérieure totale du Tiers Monde. Un autre élément de
comparaison : la dette privée des ménages aux Etats-Unis est aussi de
6.000 milliards de dollars. La dette des ménages + la dette publique des
Etats-Unis (sans inclure les entreprises) s'élève donc déjà à 11.000
milliards de dollars, c'est-à-dire plus de cinq fois la dette totale du
Tiers Monde. Si ‘on inclut le secteur privé, la dette totale aux USA
s’élève à 17.000 milliards de dollars… Ces comparaisons illustrent bien
la part marginale de l'endettement de tout le Tiers Monde dans la dette
globale. Si on annulait la dette du Tiers
Monde, qu'est-ce qu'on annulerait dans les dettes totales ? Très peu
de chose. Qu'est-ce que cela impliquerait dans les portefeuilles de créances
que les institutions privées, les Etats ou les institutions multilatérales,
possèdent ? Très peu de chose. Bref, ce que nous demandons est
arithmétiquement facilement réalisable sur le plan économique. Je parlais là de la dette
totale du Tiers Monde, de ces 2.030 milliards de dollars. Je crois que le montant demandé
par Jubilé 2000, c'est une
partie des 300 milliards de dollars que représente la dette d'une
cinquantaine de pays du Tiers Monde, les plus pauvres. Il y a une
discussion sur le nombre de ces pays. Le Tiers Monde compte grosso
modo 150 pays, selon la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire
International. Sur ces 150 pays, il y en a 41 dits « pays pauvres très
endettés » qui peuvent profiter éventuellement de mesures d'allégement.
La campagne Jubilé 2000 a avancé
une liste de 50 pays. Il s'agissait d'obtenir l'annulation de la partie
impayable de la dette extérieure de ces 50 pays. Sur les 300 milliards,
combien cela représente-t-il ? Cela se discute puisque ce n'est pas
l'ensemble de la dette extérieure de ces pays qui est annulée mais une
partie jugée « impayable ». Selon la BM et le FMI, la dette
extérieure des pays les plus pauvres du Tiers Monde est d'environ 207
milliards de dollars. Comme la liste avancée par Jubilé
2000 comprend des pays qui ne sont pas inclus par la BM et le FMI, la
revendication de Jubilé 2000
correspond à une partie des 300 milliards de dette des 50 pays les plus
pauvres. Je vous signale que la dette
publique de la Belgique est 250 milliards de dollars (10.000 milliards de
francs belges) c'est-à-dire
que la dette publique de l'Etat fédéral belge est supérieure à la
dette de l'ensemble de l'Afrique subsaharienne où vivent à peu près 600
millions d'habitants (=soixante fois la population de la Belgique). La
dette de l'Afrique subsaharienne est d'environ 235 milliards de dollars. Bref, quand on parle
d’annulation de la dette du Tiers Monde, on parle de sommes importantes
pour le Tiers Monde ou pour les pays les plus pauvres concernés mais ce
sont des sommes très marginales par rapport aux dettes globales. Mon ami de la CIDSE dira
beaucoup mieux que moi ce qui était demandé, par Jubilé
2000. Une série de mouvements dont celui que je préside, le CADTM,
se sont inscrits dans la campagne Jubilé
2000 avec des revendications plus radicales que celles que je viens de
mentionner. Nous demandons l'annulation de la dette publique extérieure
des pays du Tiers Monde. Je vous ai dit que la dette totale des pays du
Tiers Monde représente 2.030 milliards de dollars. La dette publique,
celle due par les gouvernements du Sud, à quelque type de créanciers que
ce soit, c'est environ 1.600 milliards de dollars. Nous, nous demandions
l'annulation de cette dette-là. Nous avons repris comme pétition
internationale un appel qui avait été élaboré par une plate-forme
argentine qui s'appelle Dialogo 2000,
plate-forme à la tête de laquelle
se trouve Adolfo Perez Esquivel, prix Nobel de la Paix, et une série
d'entités, y compris différentes religions, différentes Eglises en
Argentine, des organisations syndicales
et des mouvements sociaux. Nous avons repris cette
plate-forme parce que nous étions intéressés de reprendre une
plate-forme qui vient du Sud et non une plate-forme élaborée au Nord.
Elle prônait l’annulation de la dette du Tiers Monde et elle
l’exigeait des gouvernements du Sud, comme citoyens du Sud. Les
signataires disaient : « Nous demandons à nos gouvernants d'arrêter
le paiement de la dette extérieure et de consacrer les sommes qu'ils
consacrent aujourd'hui au remboursement de la dette extérieure, à des
projets dans le pays, de manière à rembourser la dette écologique et
sociale que ces gouvernements ont contractée à l'égard de leur peuple ».
Et au CADTM, nous avons ajouté, puisque nous sommes, nous, au Nord, :
«Nous soutenons les citoyens du Sud qui demandent ce qui précède et
nous demandons à nos gouvernements du Nord d'annuler les créances qu'ils
détiennent sur les pays du Sud ». Il y a eu d'autres plate-formes
dans le cadre de Jubilé 2000 où
d'autres sensibilités se sont exprimées. Il y a une déclaration pour
l'Amérique Latine, déclaration de Tegucigalpa. Il y a une déclaration
pour l'Afrique (la déclaration de Lusaka) qui date de mai 1999, il y
avait eu avant une déclaration à Accra, et on voit qu'à l'intérieur de
la campagne Jubilé 2000 il y a
des sensibilités différentes. A l’intérieur de Jubilé
2000, des campagnes nationales, régionales et continentales ont radicalisé
les objectifs initiaux : la coalition Jubilé 2000 de l’Afrique
australe exige l’annulation totale et inconditionnelle de la dette extérieure
des pays de la région (qu’ils dénoncent comme dette de l’apartheid).
Elle rejette également l’initiative de la Bm et du FMI pour les pays
pauvres et demande l’arrêt des politiques d’ajustement (Déclaration
de Johannesburg, le 21 mars 1999). La campagne Jubilé 2000 en Amérique
latine élargit la demande d’annulation de la dette extérieure à tous
les pays du continent (alors que la plate-forme mondiale de Jubilé 2000
ne visait que les pays les plus pauvres) et va au-delà du terme « dette
impayable » en ajoutant la nécessité d’annuler la dette immorale
et illégitime (Déclaration de Tegucigalpa, 27 janvier 1999). La déclaration
de Lussaka de mai 1999 rejette les plans d’ajustement structurel. 2. Qu'est-ce qui a été
obtenu? Que représentent
les promesses d'allégement formulées au G7 de 1999? En réalité,
c'est une goutte d'eau dans l'océan des dettes. Dans le meilleur des cas,
cela représentera un allégement réel de l'ordre de 2% de la dette
totale du Tiers Monde et environ 8% de la dette des Pays Pauvres Très
Endettés (qui rappelons-le ne représente que 41 pays sur 150 pays que
compte le tiers Monde). Que représente
l'effort annoncé par Clinton fin septembre 99? La somme
allouée par le Congrès en faveur de l'allégement de la dette due par
les Pays Pauvres Très Endettés aux Etats-Unis, représente moins de 1/2
millième des dépenses annuelles de la défense nationale. C'est
absolument dérisoire. Qu’en est-il concrètement des
mesures annoncées par les Chefs d’Etat du G7, par les ministres des
Finances et de l’Economie, par les dirigeants du FMI et de la Bm ? Il y a trois grandes catégories
de détenteurs de la dette extérieure des pays de la Périphérie :
les institutions multilatérales (principalement le FMI et la Bm), le
secteur privé (banques, fonds de pensions, mutual funds,…) et les Etats
(il s’agit principalement des Etats les plus industrialisés). Les membres du G7 n’envisagent
en aucun cas une annulation des dettes dues au FMI et à la Bm. Or, dans
le cas de l’écrasante majorité des pays d’Afrique sub-saharienne, la
dette due au FMI et à la Bm oscille entre 30 et 75 % de la dette extérieure
totale. Le FMI et la Bm ne renoncent jamais à une créance. L’effort
maximal qu’ils consentent, consiste à créer un fonds (appelé Trust
fund ou fonds fiduciaire) alimenté par les pays membres et dans lequel le
FMI et la Bm puisent pour se rembourser. En ce qui concerne la dette extérieure
détenue par les institutions privées des pays les plus industrialisés,
aucun chef d’Etat ne propose des mesures d’annulation. Or, plus de 50%
de la dette des principaux pays d’Amérique latine et de l’Asie du
Sud-Est sont détenus par des institutions privées (banques, fonds de
pension, mutual funds). Les mesures d’annulation éventuelles
ne concernent que les dettes d’Etat à Etat. La dette d’un Etat de la
Périphérie à l’égard d’un des pays les plus industrialisés se négocie
avec le Club de Paris qui agit comme un cartel des créanciers face à des
Etats dominés qui doivent se présenter séparément. Un pays endetté qui voudrait bénéficier
d’une mesure d’annulation doit être (très) pauvre et très endetté.
Cela concerne la majorité des pays d’Afrique subsaharienne, auxquels
s’ajoutent quelques pays d’Amérique centrale et des Andes : au
maximum, 41 pays sur plus de 150 pays de la Périphérie (sont exclus de
cette catégorie des pays comme le Mexique, le Brésil, l’Inde, les pays
du Sud-Est asiatique où vivent 80% des pauvres de la planète). Deuxième condition :
l’Etat doit avoir appliqué pendant 3 à 6 ans un programme
d’ajustement structurel renforcé (qui généralement fait suite à dix
ou quinze ans d’ajustement antérieur), rebaptisé depuis septembre
1999, « programme stratégique de réduction de la pauvreté ».
Les pays qui réunissent ces
conditions sont très peu nombreux : citons l’Ouganda, le
Mozambique, la Bolivie,… Que signifie pour eux
l’annulation de la dette d’Etat à Etat pouvant aller jusqu’à 80%
(voire 90%) ? On ne prend en considération que la dette qui était
due avant tout rééchelonnement. Or, en général, les pays endettés ont
négocié des rééchelonnements de leurs dettes à partir de 1985 (ou
avant). Prenons un exemple théorique. Un pays africain X doit 3 milliards
de dollars. 2 milliards sont dus à la Bm et au FMI . 800 millions de
dollars sont dus à des pays membres du Club de Paris. 200 millions sont
dus à des banques privées du Nord. Pour calculer le montant qui
sera éventuellement annulé, on ne prend en considération que les 800
millions de dettes dues au Club de Paris. De ces 800 millions, on ne prend
réellement en considération que le montant qui était dû avant tout rééchelonnement.
Considérons que le premier rééchelonnement a eu lieu en 1985, année où
la dette considérée s’élevait à 300 millions. Admettons qu’on
applique le maximum d’annulation rendu possible par les accords du G7 à
Lyon en 1996, soit 80%. On annulera au mieux 240 millions. Quel sera le
pourcentage réel de dette annulée ? 240 millions d’annulation sur
un total de 3 milliards, cela fait 8% d’annulation. Si on portait à 90%
le taux d’annulation, cela donnerait 270 millions d’annulation soit
une réduction réelle de dette de 9%. Tenant compte du fait que les prix
des produits exportés par ce pays sont en baisse, l’annulation ne
constituera même pas un allégement réel… 3. Ce qui serait à avancer
comme proposition alternative à celle du G7, de la Banque mondiale et du
FMI. Quelles sont les propositions de
nombreux mouvements sociaux des pays de la Périphérie et du CADTM et du
mouvement ATTAC ? La
plate-forme du mouvement ATTAC international appuie « la
revendication de l’annulation générale de la dette publique des pays dépendants
et l’utilisation des ressources libérées en faveur des populations et
du développement durable, ce que beaucoup appellent le règlement de la dette
sociale et écologique » (Plate-forme adoptée les 11-12 décembre
1998). Au Brésil, le
Mouvement des Sans Terre (MST) demande notamment dans son programme
d’urgence : « l'interruption
de la saignée de devises, principalement par le contrôle des mouvements
de capitaux et la suspension du paiement de la dette extérieure ;
l'abaissement
des taux d'intérêt et l'établissement d'un moratoire pour la dette intérieure;
la rupture de l'accord avec le FMI » (Intervention du MST à la
Rencontre Internationale du CADTM, 12-13 mars 1999). Le CADTM quant à lui
défend la même revendication qu’ATTAC International à savoir
l’annulation générale de la dette publique des pays dépendants et
l’utilisation des ressources libérées en faveur des populations et du
développement durable. Le CADTM ajoute que ces ressources libérées
doivent rentrer dans un fonds de développement national contrôlé par
les mouvements sociaux de la Périphérie. Ce fonds doit être alimenté
par des ressources supplémentaires : la rétrocession aux pays
concernés des avoirs détenus au Nord par les riches du Sud (ce qui
implique l’ouverture d’enquêtes internationales par exemple sur les
avoirs de l’entourage de feu Mobutu). Il faudrait y ajouter des
transferts des pays les plus industrialisés vers les pays dépendants
pour les dédommager du pillage dont ils ont été (et sont encore) les
victimes. Le CADTM soutient
dans ce sens la proposition de taxe Tobin (ou du même type) : les
recettes de la taxe devraient en partie être utilisées pour dédommager
les peuples du Tiers Monde. Pour
obtenir la réalisation de telles propositions, on aura besoin d’un
puissant mouvement citoyen au niveau mondial et d’un front des pays
endettés. Il n’est pas possible ici pour des raisons d’espace de présenter
l’ensemble des revendications/propositions concernant la dette de la Périphérie.
Elles sont présentées dans le livre « La Bourse ou la Vie »
réalisé par le CADTM en 1998 (voir bibliographie ci-jointe). Calendrier de janvier au 30 avril 2000 :
collecte de signatures pour la pétition commune Commission Justice et
Paix, Entraide et Fraternité, CADTM et CNCD Décembre 2000 à Dakar:
rencontre internationale pour l’annulation de la dette et l’abandon
des politiques d’ajustement. Pour
plus d’informations sur le calendrier : visiter le site Web du
CADTM BIBLIO Banque mondiale (1999), Global
Development Finance, vol. 1, Washington, 1999 CADTM (1998), Du Nord au Sud : l’endettement dans tous ses états,
Bruxelles, 1er trim. 1998, 115p PNUD, Rapport mondial sur le développement
humain, De Boeck, Paris, 1999. Toussaint Eric (1997), « Afrique :
Rompre le cycle infernal de la dette », in Le
Monde diplomatique, octobre 1997 Toussaint Eric (1998), La Bourse ou la Vie. La Finance contre les Peuples, Edit Luc
Pire-Bruxelles/ Syllepse-Paris/CETIM-Genève,
Paris, 396p Toussaint Eric (1999), « Briser le cycle infernal de la dette » in Le
Monde diplomatique, septembre 1999
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