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LA DETTE EXTERIEURE ET LE DECHIREMENT DE L' ETAT NATION

Salvador María Lozada

Texte paru sur la liste de discussion hispanophone "Bienvenido" - décembre 1999

Stan Gir & Alexandre Nikichuk

 

1. LA SACRALISATION DE LA DETTE EXTERIEURE

En novembre 1999, le futur ministre de l'économie du gouvernement accédant au pouvoir le 10 décembre suivant, brandissait de façon menaçante, contre ses interlocuteurs des gouvernements provinciaux, l'argument suivant : si nous accédons aux prétentions des provinces, nous nous touverons dans l'impossibilitè de payer les intérêts de la dette extérieure .

Ainsi, le payement de la dette, apparaîssait à la veille de l'entrée au pouvoir du nouveau gouvernement, comme l'aspect le plus important de la vie socio-économique, l'élèment final de toute discussion sur l'affectation des ressources, les mots dont le charme funeste doit clôturer tout débat, en forcer la décision et amener une résignation et un silence respectueux.

C'était en novembre 1999, la dette extérieure au début du gouvernement du Dr de la Rua était considérée aussi sacrée que durant celui du Dr Raoul Alfonsin quand le président de la Chambre des députés le Dr Juan Carlos Pugliese affirmait péremptoirement  " ou bien on paye la dette extérieure ou bien on la paye quand mème ". Cette affirmation a été également la règle absolue sous le gouvernement du Dr Menem .

Aussi bien le futur ministre de l'économie que ses interlocuteurs, passèrent complètement sous silence ce qu'il était advenu dans le monde du sujet de la dette extérieure durant ces quinze dernières années. On supposait ou on estimait donc que rien de neuf ne s'était passé dans ce domaine hautement conflictuel .

On prétendait ignorer les efforts qui furent réalisés dans certains secteurs afin de déclarer l'extinction de ces obligations aussi douteuses que discutables qui toutefois ne purent ètre discutées en Argentine et il ne semblait pas qu'il y eu une volonté de le faire de la part des dirigeants des partis politiques .

La réalité internationale montre toutefois un bien autre visage .Les lecteurs du Monde Diplomatique dont les colonnes témoignent constamment de la pression insoutenable exercée à la fois par et contre cet endettement vicieux, le savent bien .

Un grand nombre d'actes internationaux en témoignent  comme le VI colloque Amérique Latine - Europe qui s'est tenu à Madrid en juin 1996 et dont les résultats sont désormais publiés dans un livre que l'on ne peut pas ne pas lire  " La Dette Extérieure, Dimension Juridique et Politique " ( Editions Lepala, Madrid 1999).

Sans faire appel à des références plus anciennes dans l'histoire de ces dernières années, en octobre dernier, à l'occasion du synode des évêques européens, on est revennu sur ce qui avait déjà été dit dans ce milieu religieux quant à la nécessité d'en finir avec la dette du tiers monde à l'aube du troisième millénaire .

Concrètement, les évêques demandèrent que le nouveau catéchisme social qui sera publié le 1er Mai 2000 comporte la requête de la remise de la dette pesant sur ce secteur de l'humanité (El Pais Madrid 21/10/99).

Il s'agit d'une flexibilisation des critères de la dette qui ne serait plus considérée comme une inéluctable, indiscutable, immuable, fatidique et funeste "res judicata" que seulement admet l'abdication et la réthorique geignarde de la part de la classe politique .

2. LA DETTE ET LE DEVELOPPEMENT HUMAIN.

Cette flexibilisation de la Dette s'est accompagnèe d'autres correlations qui sont : les Données économiques brutes, le Produit Interne Brut, Le Produit Brut par habitant et mème la notion de croisance et de Développement économique ont été démystifiés …

Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) en est arrivé a cette désacralisation des données économiques brutes au vu d'une réalité indiscutable et impossible à occulter.

En fait, la croissance économique mondiale ne fait qu'augmenter les inégalités du développement.

Le Monde produit 6 fois plus de richesses qu'en 1950, mais cette croissance non seulemnet ne garantit pas le "développement humain" (il est bien curieux de voir ce terme entre guillemets comme si le développement pouvait ètre autre chose, comme si le développement avait jusqu'à maintenant été conçu comme non humain et mème éventuellement inhumain).

En fait, dans son rapport du 09/09/98, le PNUD déclare qu'en plus des données brutes de l'économie, il y a lieu de tenir compte aussi de la distribution de la richesse moyenne ressortissant des deux "indicateurs" : la longévité (services de santé publique ) et le niveau d'instruction (services de l'instruction publique) .

Il s'agit bien là d'une révolution dans la classification et la hiérarchisation des pays du monde .

Avec cette nouvelle méthode, Brunéi, pays le plus riche du monde en terme de PIB/habitant, se trouve rétrogradé au 35ème rang et les trois premiers pays deviennent le Canada, la France et la Norvège .

Le Canada laisse ainsi le 12ème rang qui était le sien ainsi que celui de la France, et la Norvège laisse le 5ème en terme de PIB/habitant. Il s'agit là d'une méthodologie plus juste dans la mesure ou elle colle mieux à la réalité. C'est ainsi d'ailleurs que le préconisait Eric Hobsbawm, l'historien renommé du 20ème siècle, quand il déclarait le Brésil, champion mondial de l'inéquité et "monument à l'incurie sociale", et qui a 6 fois le produit brut du Sri Lanka île asiatique qui cependant n'a qu'un tiers de la mortalité infantile et seulement la moitié de l'analphabétisme de la vaste patrie des "Sem Terra" .

Le rapport du PNUD dit encore "le lien entre la prospérité économique et le développement humain n'est ni automatique ni évident". En réalité on peut même dire bien plus : La croissance mondiale a élargie de façon scandaleuse l'abîme existant entre les riches et les pauvres.

Les trois personnes les plus riches du monde possèdent une fortune supérieure au PIB de 48 pays en voie de développement .

Le patrimoine des 15 individus les plus fortunés dépasse le PIB de l'Afrique subsaharienne. La richesse des 84 personnes les plus riches dépassent le PIB de la Chine avec ses 1,2 milliards d'habitants. Tous ces chiffres ressortent de ce mème rapport. Il y est dit également que 4% de la richesse accumulée par les 225 plus grandes fortunes mondiales pourrait donner à toute la population du globe accès à la satisfaction des besoins élémentaires de base ainsi qu'aux services sociaux correspondants : santé, instruction, alimentation.

Il s'agit là d'une relativisation des données brutes de l'économie, car, sans relations à d'autres éléments et à d'autres valeurs, ces données sont incapables de nous donner une idée de la société humaine concernée.

Ce n'est qu'en les rapportant à l'aspect humain de la société que ces données économiques commenceraient à avoir une certaine signification.

Cete relativisation des donnèes èconomiques brutes n'est pas étrangère à nos considérations sur la dette extérieure et sur sa "sacralisation". Si le "dèveloppement humain" et ici, c'est ironiquement que nous mettons les guillemets, suppose de donner en priorité satisfaction à l'alimentation, à la santé et à l'instruction des hommes, il semble évident que cela suppose l'élimination des obstacles susceptibles de détourner la satisfaction des ces objectifs essentiels au développement humain. Si l'économie en termes bruts n'est valide en matière de développement humain que si elle a un rapport efficace et positif avec la satisfaction de ces thèmes centraux à l'homme, il ne fait aucun doute que les autres nécessités économiques susceptibles de géner ou d'empécher cette réalisation de l'humain doivent être mises de côté.

Autrement dit, le développement humain implique le déplacement, la subordination ou le rejet de tous les facteurs économiques qui y font obstacle, l'aspect humain est dèfinitivement prioritaire, l'économique non nécessairement humain ou mème éventuellement contraire au développement humain, est accessoire.

Cela étant, le payement rituel des intérêts de la dette extérieure est clairement contre-productif dans la majeure partie des pays du tiers monde en matière d'alimentation, de santé et d'instruction de vastes secteurs de la population.

Ainsi que le suggèrent les paroles du nouveau ministre de l'économie, la dette extérieure, du fait du payement des intérêts correspondants contitue un véritable mur auquel se heurtent toutes les affectations de ressources afin que l'être humain ou plutôt tous les êtres humains puissent jouir dans ce pays d'un traitement vraiment humain.       

Ainsi, l'impératif pour l'Etat d'orienter l'économie vers un développement humain et de le servir, est incompatible avec le service financier à tout prix de la dette extérieure.

Le développement humain requiert par conséquent, la subordination, le déplacement ou l'annulation de ces payements à l'origine de tant de frustrations.

Devant cette obstination à payer les services de la dette qui préside à la naissance du nouveau gouvernement qui accédera au pouvoir le 10/12/99, il est indispensable de considérer tout cela dans une certaine perspective.

3. LE MODELE TRANSNATIONAL .

Il semble que le passage des dictatures latino-américaines criminelles des annèes 70 et du début des annèes 80 à une sorte de démocratie limitée et éventuellement châtrée ait été régi par une espèce de plan imposé de l'extérieur.

Il s'agit d'une influence extérieure prolongée par certains des tares de ces dictatures. C'est ce qu'on appelle dans d'autres publications "Le modéle Latino Américain de transition de la dictature à la démocratie dépendante ou conditionnée". Jalousement gardés et influencés par l'administration nord américaine des années 80 et du début des années 90, certains de ces pays soumis à des dictatures militaires ont viré depuis lors vers une certaine démocratie, conforme à un modèle  trés évidemment déssiné et imposé par la puissance hégémonique et ne permettant parfois qu'une participation populaire restreinte.

Les aspects essentiels de ce modèle semblent être, durant les années 80, un engagement rigide et définitif de la part de ces démocraties "conditionnées" ou "dépendantes" de payer les services financiers de la dette extérieure, ce qui présuppose une "aide" financière extérieure permettant le payement de ses intéréts avec l'immédiate conséquence d'une augmentation quasi incontrôlée de cette mème dette extérieure dont le principal semble ainsi difficilement payable, ce qui ne semble pas avoir grande importance tant que les intéréts sont payés.

Cet objectif ayant été atteint, durant la décennie suivante on impose une incorporation rigide au "monde globalisé", bien entendu, il s'agit d'une "globalisation" hégémonique qui se traduit par une soumission implacable et inconditionnelle à l'idèologie de marché, et ce, avec les conséquences bien connues: apauvrissement populaire et taux élevé de chômage.

A cela viennent s'ajouter les pièges archi connus qui rendent l'ouverture des marchés universelle et sans restrictions pour les pays périphériques, mais seulement sélective et restrictive et dans de nombreux cas inexistante pour les pays centraux comme nous le verrons plus loin. 

Dans le même temps et simultanément, la promotion de l'idéologie en faveur des privatisations fait ressortir la mutuelle implication entre l'énorme dette extérieure et la nécessité de privatiser les entreprises publiques.

Ainsi, sera-t-il possible d'améliorer l'efficience et de payer en mème temps la dette extérieure….

Mais pas le capital dû, pratiquement impossible à rembourser, sinon simplement les intérêts de la dette extérieure .

Cette argutie conceptuelle, prit force de loi en Argentine par le décrét 1842/87 qui constitue un échantillon de législation d'une importance particulière et symbolique que nous commenterons plus avant.

Par ailleurs, et de façon complémentaire, le pouvoir militaire devient intangible et constitue le gardien de l'expérience limitée de démocratie.Tel est le second élément du schéma de transition.

De là, dérive une politique militaire qui n'ose pas s'attaquer aux problèmes les plus importants et se refuse à transformer les forces armées, (instrument habituel et despotique du " statu-quo " local et de ses protecteurs et mentors impérialistes), en un véritable gouvernement civil.

Cet immobilisme devant l'"establishment" militaire explique les efforts ridicules faits en Argentine, au Brésil, et en Uruguay pour protéger les fonctionnaires militaires des accusations plus que plausibles d'homicides, tortures, séquestres et vols grâce à une législation impudique ayant pour objet de les mettre à l'abri de toute imputation pénale au moyen d'amnisties, prescription de soixante jours en matière de crimes contre l'humanité alors que dans le code pénal le délai minimum pour punir des délits mineurs est d'un an, l'impossibilité d'accuser ceux qui sont  considérés à priori comme liés par le devoir d'obéissance, et qui par ailleurs ont bénéficié de pardons et indulgences ignobles ou qui ont été condamnés mais qui ont aussi bénéficié des stratagèmes juridiques, etc…

Ainsi, la question des droits de l'homme,comme nous le signalons par ailleurs, est immolée sur l'autel du pouvoir militaire qui, en dépit de ces comédies méprisables, en ressort doublement renforcé.

A part ces deux aspects : imposition du plan néo-libéral et pouvoir  militaire considérés comme conditions dominantes dont les réponses ont été adoptées comme préliminaires indispensables à la "transition", la participation publique est limitèe aux zones d'intérêt mineur de la politique paraîssant ainsi, et bien souvent à juste titre, un jeu gratuit et mème en quelque sorte une espèce de masturbation politique, de "politique politicienne" ou de "politiquaillerie".

Et cela, au lieu de constituer comme cela devrait ètre l'instrument permettant de surmonter la dépendance et le sous développement .

Ainsi, l'intérêt du public et la participation collective diminuent rapidement, et la politique apparaît comme un jeu, par ailleurs réservé à la classe politique, à seule fin de changer les aspects mineurs de la réalité de telle sorte que rien de vraiment important ne change vraiment.

Le sentiment de frustration qui résulte de ce modèle de transition, devrait enseigner aux autres pays du tiers monde ce qui devrait ètre évité quand les dictatures militaires s'eteignent d'elles mêmes ou sont expulsées, mais il est bien improbable qu'il leur soit permis de tirer leur profit de l'expérience des autres …

Les conséquences de ces deux importantes limitations sont manifestes :

L'orientation économique toute particulière de ces gouvernements provient de la première.

Obligés de payer les intérèts de la dette extérieure sans avoir la possibilité d'en discuter la légitimité, ce dont ils n'ont d'ailleurs aucune envie, ils doivent augmenter leur endettement extérieur afin d'obtenir des fonds des banquiers internationaux, pour pouvoir payer ….ces mêmes banquiers internationaux.

L'augmentation des importations, conséquence directe d'une ouverture dogmatique mais en réalité selective du commerce extérieur tend à dépasser régulièrement les efforts en vue d'accroître de plus en plus les exportations.

Il y a ainsi toujours, un report  tragique de ce qu'il y a lieu d'appeler la dette sociale à savoir : besoins élémentaires de la population, santé publique, alimentation, viabilisation dans les zones les plus dépossédées, travaux publics, instruction, infrastructure indispensable au développement, etc.

Parallèlement, le Fonds Monétaire International (FMI) est peu à peu considéré comme une sorte de gouvernement mondial "de facto".

En fait, le FMI impose les qualifications et fixe les conditions dont le respect sera présenté à l'opinion publique comme décisif, interdit les investissements d'intérét public considérés comme susceptibles de contribuer au déficit fiscal, et enfin dirige l'économie en fonction de critères qui n'ont rien à voir avec le bien national, se présentant comme l'éxécuteur des exigences des créanciers extérieurs.

Cela se traduit par l'étranglement financier de tout ce qui n'est pas recyclage financier, cela augmente l'appauvrissement collectif et le chômage qui accompagne automatiquement cet alignement sur la "modernisation", la productivité et la "globalisation" qui sont les différents visages du "Capitalisme Sauvage"  lui même grand réducteur des droits de l'homme pour raisons économiques.

James Morgan, un des dirigeants du service mondial de la BBC a écrit dans le " Financial Times " un article dont le titre ne trompe personne : "La chute du bloc soviétique a permis au FMI et au G7 de  devenir les maîtres du monde et de créer une nouvelle ère impériale".

Il y  précise que la construction du nouveau système global est orchestrée par le "groupe des 7", le FMI, la Banque Mondiale et le GATT constituant ainsi un "système de régime indirect qui intègre les chefs des pays en dèveloppement  dans une nouvelle clase dirigeante".

Bien évidement, cela implique que les éléments du tiers monde incorporés dans ce " Club du Pouvoir Mondial " doivent légitimer par leur présence des inégalités alarmantes et des discriminations graves pour le bien ètre collectif de leurs pays respectifs.

Pour James Morgan, l'hypocrisie des nations riches qui réclament l'ouverture des marchés du tiers monde alors qu'elles protègent les leurs, est une évidence .

Come le dit N. Chomsky, on pourrait ajouter que la Banque Mondiale elle mème rapporte que les mesures protectionnistes des pays industrialisés réduisent le produit national des pays du Sud de près du double du montant proportionné par l'aide officielle, principalement à travers la promotion des  exportations spécialement vers les secteurs les plus riches, les moins nécessiteux mais les plus " consuméristes " des pays sous développés (ou "en développement" en jargon technocratique).

On pourrrait également se souvenir, ajoute le professeur du MIT, que la CNUCED estime que les barrières non tarifaires(BNT) élevées par les pays industrialisés réduisent les exportations du Tiers Monde en matière de textiles, acier, produits de la mer, aliments pour le bétail et produits agricoles, se traduisant par des pertes de milliards de dollars .

Une autre estimation de la Banque Mondiale fait ressortir que 31 % des biens manufacturés en provenance du Sud font l'objet de barrières non tarifaires alors que seulement 18 % des mèmes articles en provenance du monde développé y sont soumis.

Reportons nous enfin au rapport du PNUD de 1992, qui signale l'abîme grandissant entre riches et pauvres : 83 % de la richesse mondiale est possédée par le milliard le plus riche alors que le milliard le plus pauvre se partage seulement 1,4 % de cete richesse . Un abîme qui s'est décuplé depuis 1960 et que l'on peut atribuer aux politiques du FMI et de la Banque Mondiale.

Ce même rapport ajoutait que le protectionnisme des 20 des 24 pays industrialisés était bien supérieur à ce qu'il était une dècennie auparavant, Etats Unis inclus et qui célébraient la " revolution " reaganienne en multipliant par deux la proportion des importations sujètes aux mesures restrictives .

Les guillements dont nous avions entouré les mots "aide financière" étaient  parfaitement justifiés.

Voyons un peu le résultat de décennies de " Crédit pour le Développement " fait aux pauvres par les riches .

D'aprés l' Economist cela s'est en réalité traduit par un transfert des pays pauvres vers les coffres des pays riches d'environ 21 milliards de dollars (Noam chomsky  "The year 501 : The conquest continues " South End Press pag 61 et suivantes).

Le plan de transition aprés les dictatures militaires, c'est à dire d'un gouvernement "de facto", à la dèmocratie est d'une tragique ironie , car il implique une soumission totale et définitive au "gouvernement  de facto du monde"(le FMI),  qui par dessus les gouvernements élus, établit  le "régime indirect" de domination macro-économique que mentionnait James Morgan .

4. L'ARRIERE PLAN HISTORIQUE .

Il convient de regarder en arrière pour percevoir le caractère dramatique des hésitations et des complaisances par lesquelles nous sommes passés durant ces années en matière de dette extérieure pour apprécier la régression dont nous avons souffert.

Permettez moi de vous citer le paragraphe suivant extrait d'une chronique sur "The Cambridge History of Latin America" dans "The New York review  of Books" (5 vol directeur Leslie Bethel)

Dans son ensemble le monde était moins intèressé par la voix authentique des poètes latino américains que par le ton strident des avocats de ces pays. Les avocats latino-américains, héritèrent de la tradition légaliste et constitutionnelle élaborèe par les théologues et les juristes des 16° et 17° siècles.

Ces avocats, défièrent de différents manières l'arrogance politique et économique des intérêts étrangers et particulièrement des USA .

En 1895, le Secrétaire d'Etat Richard Olney, s'était vanté du fait que les USA étaient pratiquement les "maîtres  du continent" prètention que la Grande Bretagne en arriva a admettre en pratique si non en théorie .

Les états d'Europe quant à eux, soutenaient qu'ils pouvaient utiliser la force et intervenir (comme au Nicaragua) pour récupérer leurs créances et protéger leurs ressortissants contre des gouvernements instables et corrompus, usant et abusant de la doctrine de l'extra-territorialité .

Entre 1868 et 1896, l'avocat argentin Carlos Calvo développa et défendit une version extrême de la souveraineté nationale : les intérêts et les investissements étrangers doivent ètre inconditionnellement sujets aux lois nationales, abstraction faite de la notion européenne du caractère sacré des contrats.

Les états doivent donc agir en fonction de leurs intérêts tels qu'ils les perçoivent même si cela doit déboucher sur le rejet unilatéral des dettes. La "doctrine Calvo" devint le cri de guerre des nationalistes Latino-Américains ." c'était note Robert Freeman Smith, le débat classique entre débiteurs et créanciers, les développés et les sous-développés, les faibles et les forts".

Un tel paragraphe suggère de nombreuses observations .

En premier lieu, la formidable actualité et pouvant signifier en même temps une menace, de Carlos Calvo. Cette période est dominée par la question de la dette extérieure, par les scandaleuses interventions des états centraux en faveur des créanciers et la non moins scandaleuse tolérance des gouvernements périphériques dans leur acceptation complice de cette intervention.

Il apparaît significatif que les intellectuels du nord créancier doivent s'arrêter au grand lutteur de la résistance à l'intervention des états créditeurs aux réclamations juridiques de leurs ressortissants, résistance qui en tous cas a été et est ignorée dans cette étape actuelle de l'Amérique latine durant laquelle elle aurait été sans doute la plus nécessaire.

En deuxième lieu, la mention respectueuse de la tradition juridique ibérique, argentine et ibéro-américaine, héritière de la grande Ecole Espagnole de Droit Naturel du 16ème siècle et des siècles suivants.

La lutte de nos juristes contre l'arrogance des pays centraux constitue l'honneur historique de la profession juridique dans la région, tradition et honneur sur lesquels on n'enseignait pas grand chose dans ces temps là aux Facultés de droit et sur lesquels on écrivait peu, non seulement dans la presse paralysée bien souvent par le réflexe "privatisateur" et par la destruction du concept de "bien public" dans la vie publique, ni même dans les revues spécialisées.

Finalement on en arriva à la déformation et à la perturbation culturelle faisant considérer comme "extrême" la version de la souveraineté nationale proposées par Calvo. Ce dernier, ne se servit jamais d'autres concepts que de ceux habituels et reconnus . En toute simplicité et sans rien de surprenant, il écrit dans l'édition définitive de son "Traité" :

"A nos yeux, le caractère essentiel de la souveraineté d'un état ne repose pas sur sa plus ou moins grande dépendance des autres mais sur la capacité qu'il a de se donner une constitution, d'établir ses propres lois, etc... sans l'intervention d'une puissance étrangère .( Droit international,Théorique et pratique ,1896, vol1 pag 171 ).

Ce qui s'est passé c'est qu'il a voulu appliquer aux pays périphériques ce qui avait cours légal dans les pays centraux. Cela apparaissaît et apparaît encore comme insolite et déconcertant.

Ce qui était une simple application de la souveraineté nationale pour la France ou l'Angleterre, apparaîssait aux nord-américains et aux europèens comme une anomalie grossière, une exagération ridicule quand elle était invoquée en faveur du Nicaragua ou de Panama . La mentalité colonialiste ne tolère pas que les petits pays prennent à leur compte les concepts soit-disant universels qui sont  les fruits de la culture occidentale .C'est pour eux une extrapolation insupportable .

A partir de cette perspective déformée apparaît comme "nationalisme latino-américain" ce qui n'est rien de plus qu'une réponse défensive à l'expansion permanente et tenace des pays du nord capitaliste et à leur super-nationalisme, particulièrement à celui des U S A .

Dans le mème temps, il est intéressant d'observer comment cette même attitude coloniale n'est ni surprise ni scandalisée par l'aberration historique que constituent les relations des USA avec ses voisins.

Il est bien clair que le fait que Calvo voyait dans la souveraineté la capacité d'un état de se donner une constitution et des lois sans l'intervention d'une nation étrangère ne pouvait qu'incommoder !.

Comment sa conception de la souveraineté ne serait-elle pas apparue "extrémiste" ?

C'est exactement le contraire de ce qui s'est passé avec Cuba depuis le tout début de son histoire contemporaine.

En 1826, le Secrétaire d'Etat Henry Clay empêcha que Simon Bolivar, le Libérateur, ne porte la lutte pour l'indépendance dans cete île .

L' Indépendance par rapport à l'Espagne, pas par rapport aux USA, ne fut obtenue qu'il y a un siècle en 1898 .

Mais, ce ne fut pas une vraie indépendance, ainsi qu'il est bien connu. Souvenez vous de ce qui se passa avec la première constitution cubaine .Ce ne fut pas comme le demandait Calvo à juste titre, le fruit de la faculté de se donner des normes sans l'intervention d'un pays étranger.Mais bien tout le contraire .

L'Amendement Platt, fut une mutilation de la première constitution cubaine qui ne fut pas introduite par le pouvoir constituant cubain ni par le pouvoir réformateur de la constitution du pays .

Non, l'Amendement Platt à la constitution cubaine fut imposée par le Secrétaire à la Guerre des USA Elihu ROOT mais porte le nom du sénateur Orville H Platt du Connecticut, Président du comité du Sénat pour les relations avec Cuba .

Craignant une action directe dans l'ile du fait de la forte résistance du peuple cubain (comme d'ailleurs ce sera le cas 3/4 de siècle plus tard) les nord américains choisirent d'exercer une pression indirecte.

En 1901, par une clause additionnelle à la "Army Appropriation Act", une sorte de loi d'attribution de fonds à l'armée, au termes de laquelle on demandait à la classe politique cubaine d'introduire dans la constitution certaines restrictions contenues dans cette loi :

1 ) ne pas permettre qu'une autre puissance puisse exercer un type de contrôle quelconque sur l'île

2) ne pas consentir à l'état cubain un endettement excessif, pour éviter une intervention des U S A .

3) accepter la vente ou la location de sites dans l'ile pour l'établissement de bases navales ou de charbonnages en faveur des U S A  .

 Liberté aux U S A d'intervenir dans l'ile pour y maintenir l'ordre ou en préserver l'indépendance.

Cette dernière clause était particulièrement odieuse au peuple cubain .

Aprés le départ des troupes US en mai 1902, l'amendement Platt fut incorporé au traité de 1903 .

Cet Amendement fut utilisé comme excuse aux interventions de 1906-1909 et de 1917-1923.

Cette dernière clause eut lieu durant la présidence du Président Woodrow  Wilson, idéaliste en matière de politique extérieure quand il s'agissait de l'Europe mais interventioniste implacable lorsqu'il s'agissait du Méxique, des Caraibes et de l'Amérique Centrale. L'amendement servit également en de nombreuses autres occasions pour faire pression en  matière de politique intérieure cubaine .

Plus récemment en 1934, dans le cadre de la " politique de bon voisinage " du président F D Roosevelt, interprétée avec humour par les méxicains comme : Ils sont nos voisins et nous, nous sommes les bons". Le traité signé le 29 mai en finit avec ces dispositions oppressives et grossièremnt colonialistes.

Retournons à la dette extérieure.

Curiosement Calvo cite avec une approbation justifiée une décision du gouvernement de  Washington de 1868, selon la quelle fut formée une commission en vue d'examiner les réclamations financières formulées par des citoyens US et étrangers en raison de pertes ou d'actes d'expropriation dont ils auraient pu souffrir durant la guerre civile du fait des autorités fédérales.

Cette commission était souveraine, ce qui signifiait que ses décisions étaient sans appel mais devaient s'astreindre à une règle rigide : non seulement elle ne devait accepter aucune intervention diplomatique en faveur des réclamants étrangers mais le seul fait d'intervenir diplomatiquement amenait ipso facto le rejet sans autre examen de la réclamation en question.

On peut facilement imaginer quel aurait été le scandale international si dans un examen détaillé de chacune des obligations extérieures, un pays latino-américano se fut comporté de cette façon.     

Il y a lieu en effet dans ce contexte de se souvenir que les obligations inhérentes à ce que l'on appelle la dette extérieure ne sont rien d'autre que des obligations crées en faveur d'un créancier privé -généralement un banquier- ce qui n'autorise en aucune façon l'intervention de gouvernements ou de diplomates étrangers.

Cependant, durant ces dernières années,nous avons vu des hauts fonctionnaires allant des chefs d'états aux embasadeurs en passant par toutes sortes de Secrétaires et de ministres participer  au recouvrement des intérêts de la dette extérieure, comme s'il s'agissait d'une obligation entre états, les créanciers bénéficiant ainsi  avec l'accord complice des états supposés débiteurs, du formidable appui officiel des grandes puissances. C'est comme si les doges de Venise avaient pris avec enthousiasme le parti de l'implacable Shylock.

Carlos Calvo possédait une expérience vivace qui fécondait son oeuvre théorique .Son militantisme intellectuel contre les puissants de son époque n'était pas une attitude intellectuelle, elle correspondait à une praxis basée sur une expérience profonde.

Son engagement avec le gouvernement paraguayen contre les anglais fut une expérience marquante pour lui. Il convient de rappeler au lecteur quelles en furent les circonstances.

Un certain Canstatt, un uruguayen qui de temps à autre exhibait un passeport britanique, se trouva compromis, à la fin des annèes 50 du siècle dernier, dans une éventuelle conspiration de la puissance hégémonique de l'époque en vue d' assassiner le Président Lopez

Lorsqu'il fut pris, le consul britanique éxiga sa libération pour la seule raison qu'il était un sujet de la reine Victoria. Bien que le gouvernement d'Asuncion ait accepté de discuter de cette affaire avec une grande tolérance, il n'accepta jamais la prétention impudente qui entendait assujettir l'exercice du pouvoir juridique, l'action des tribunaux, émanation indiscutable de la souveraineté nationale, à une réclamation diplomatique.

Le consul Henderson non seulement n'abandonna pas son exigence extraordinaire mais en plus, à titre de protestation, il abandonna le Paraguay rompant ainsi les relations bilatérales.

En 1859, le fils du Prèsident lopez, le général Francisco Solano Lopez, se diposait à retourner de Buenos Aires à Asuncion aprés avoir servi de médiateur entre les gouvernements de la Confédération (Urquiza) et de l' Etat Indèpendant de Buenos aires (Mitre).

Au sortir de la rade, le navire qui le transportait fut arraisonné par des navires de guere britaniques qui l'obligèrent à retourner au port.

Interpellé à ce sujet, Sir Stephen Lushington, commandant la flotte britanique dans le Rio de la Plata, donna comme raison de son agression le refus du Paraguay de libérer le présumé conspirateur Canstatt.

Le gouvernement d'Asuncion engagea ensuite Carlos Calvo et l'envoya comme ministre en mission spéciale à Londres afin d'obtenir des réparations.

Arrivé à destination, il ne réussit pas à être reçu par Lord Russel (ancêtre de Bertrand Russel) qui était alors premier Ministre de la Reine Victoria.

A peine reussit-il à parler avec un sous secrétaire du Foreign Office pour s'entendre dire que le gouvernemebt impérial se refusait à toute négociation tant que le Paraguay n'accepterait pas les éxigences du consul Henderson.

A partir de ce moment, commença la tâche titanesque (ou plutôt Davidesque) de Calvo qui consista à faire converger sur le gouvernement de Londres les opinions et les convictions des plus grands juristes et des personnalités publiques les plus éminentes - tant des îles que du continent -, effort immense de pression intellectuelle, de prestige et de respectabilité internationale qui finalement donna des résultats positifs.

En 1862, fut signé à Asuncion, siège du gouvernement offensé, un traité aux termes duquel, la hautaine Albion affirmait n'avoir pas voulu s'arroger le droit d'intervenir dans la juridiction du Paraguay et que Lushington avait agi de son propre chef, son action étant complètement étrangère au gouvernement de sa gracieuse Majesté Britanique.

Aprés quoi, Calvo resta en Europe et devint lors de la décennie suivante l'un des juristes internationaux les plus éminents du 19ème siècle, membre fondateur de l'Institut de Droit International et correspondant de l'Académie des Sciences Morales et Politiques de l'Institut de France .

Tant par son engagement comme diplomate juriste par une nation soeur que par sa vocation intellectuelle intégratrice, Carlos Calvo fut un homme de cette Amérique-ci-devant-espagnole, comme Alberdi aimait à le dire .

Notre continent était alors (cela se passait pendant le long règne de l'empire victorien) le seul "Tiers-Monde" visible. Calvo serait aujourd'hui convaincu de l'opportunité non seulement de l'intégration Ibéro-Américaine mais encore de l'incorporation de nos pays à ce qui fut le mouvement des pays non-alignés par la suite durant les années internationalement lamentables du Ministre DiTella .

De nos jours, il participerait à l'effort international pour réduire la dépendance à un centre hégémonique totalitaire qui comme les empereurs romains se considère de legibus solutus, hors normes, en dehors du droit, bien plus, agresseur habituel du droit des gens, promoteur et éxécuteur de guerres internationales et cela contre la décision de la majorité des embres du Conseil de Sécurité des Nations Unies et, entre autres, promoteur implicite de génocides comme cela fut le cas au Timor oriental pendant des décennies,

En fait, à un moment où la balcanisation de l'Amérique ex espagnole devenait de plus en plus aiguë, du fait des dessins impérialistes, et ou les différences nationales de la "Grande Patrie" devenaient irréversibles, Calvo voulut passer sur ces différences et produit des textes totalisateurs comme la "Collection Historique et Complète des Traités, Conventions, Capitulations, armistices, Questions de frontières et autres aspects diplomatiques de tous les Etats compris entre le Golfe du Méxique et le Cap Horn de l'année 1493 à nos jours (1862  11 vol )", "Anales de la Révolution en Amérique Latine de 1808  jusqu'à la reconnaissance par les Etats Européens de l'Indépendance de ce vaste continent  (1864/1867,5 vol), et "Une page de Droit international ou l'Amérique du Sud avant la science du Droit des gens modernes) (1862 )".

Il est donc parfaitement pertinent de rappeler aujourdhui, à propos de la dette extérieure considérée comme un des causes du malheur contemporain, la vocation Ibéro-américaine de Calvo.

Et cela parce qu'une des grandes malhonnêtetés dont les peuples latino-américains ont souffert du fait de leurs gouvernements, a été de ne pas se décider à unir leurs forces et à affronter ensemble la pression des créanciers extérieurs.

Nous unir en un Cartel ou un Club de Débiteurs de la mème façon que le font les Créanciers avec l'appui additionnel du FMI et des grands Etats capitalistes, aurait permi d'égaliser les forces et cela n'aurait pas été précisément ce qu'auraient voulu nos dominateurs extérieurs ni correspondu aux désirs qu'ils laissaient avoir à nos pauvres et pathétiques gouvernants des années 80 et 90 . 

Ceux là, ont été et sont titulaires ainsi que le dit et cette fois à juste titre le cliché journalistique : titulaires, porteurs d'un titre, simples détenteurs formels d'un pouvoir qui leur permet d'exercer à niveau subalterne la " Politique Politicienne " de la petite bagarre pour le pouvoir entre tous ces quémandeurs d'une charge, d'un bénéfice, d'avantages, entre petits caudillos et usuriers électoraux, mais jamais dans les grandes instances dont dépendent le bien collectif, comme par exemple la dette extérieure.

Vers 1984/ 85, l'Argentine, le Brésil et le Méxique unis auraient pu mettre en déroute le système financier international et auraient pu utiliser le formidable pouvoir de leurs dettes douteusement exigibles pour imposer une bonne fois pour toutes un " nouvel ordre économique international " dont on n'arrêtait pas de parler dans la réthorique bureaucratique et qui n'aurait pas été tellement lointain des attentes du "Wall Street Journal"

Mais, comme si cela n'avait pas d'importance, nous avons dû supporter durant les années 80 le spectacle attristant de ces proclamations constantes aux termes desquelles, telle réunion ou telle autre au sujet de la dette extérieure n'impliquait en aucune manière la formation de ce type de Club ou de Cartel que nous avons mentionné plus haut. Il n'aurait pas fallu que nos dominateurs extérieurs puissent interpréter ces actes inoffensifs et rituels de tourisme officiel et diplomatique comme une véritable défense de l'intérêt collectif .

Non seulement il le fallait mais il fallait aussi reconnaître par le payement du service financier, la légitimité d'une dette présentant de fortes présomptions de manque de justification et d'inéxigibilité.

De même ces gouvernements boiteux se sentaient obligés de convaincre leurs créanciers et leurs protecteurs de ce que nous n'allions pas ètre défendus de la mème façon, avec la mème force plurielle, avec la mème solidarité utilisées par eux pour défendre de présumées créances.

La tragédie de la dette extérieure, vue sous cet angle, a signifié un grave recul dans l'intégration réelle et non réthorique de l'Amérique Latine.  

5. UNE SUGGESTIVE MARGINALISATION DU JURIDIQUE.

Durant toutes ces années, à quelques exceptions près, se produisit une marginalisation suggestive de l'aspect juridique dans le traitement et la discussion de la dette extérieure. Suggestive et sans discussion car le thème de la dette est par définition une matière juridique.

La relation entre débiteur et créancier, l'éxigibilité ou le manque d'éxigibilité de ce que l'on prétend dû, la légitimité des moyens utilisés pour contraindre le débiteur au payement de cette obligation, tous ces points sont totalement juridiques.

A l'exception de quelques références oratoires du candidat à la présidence victorieux en 1983, références rapidement escamotèes et contredites en 1984 par le ministre Grinspun, et qui commença à payer le service de la dette, arrachant jusqu'à la racine toute notion de légitimité, toute considération juridique a été systématiquement exclue.

Cela correspond clairement à la vocation de payer la dette extérieure, qui mème si elle est dissimulée n'en est pas moins évidente, de la payer sans discussion. Cette vocation est l'un des traits qui définissent le modèle de démocratie dépendante ou conditionnée pratiquée en Argentine, au Brésil et en Uruguay comme transition aux dictatures militaires .

La considération juridique etait, ainsi que je l'ai dit, essentielle et devait se développer au moins dans trois directions.

La première concerne les pays qui contractèrent une dette publique ou convertirent de façon perverse une dette privée en une dette publique durantl' une de ces dictatures militaires. L'Etat est une personne juridique et comme telle ne doit répondre que des actes et des faits qui ont leur origine dans ses organes légitimes de direction et d'administration.

Durant les dictatures, résultats des habituels coups d'état, ces organes sont occupés avec violence et sans légitimité par un usurpateur qui n'a pas d'autres titres pour gouverner qu'une appropriation criminelle.

Pour les argentins cela est maintenant juridiquement indiscutable suite à la courageuse sentence d la Chambre Fédérale de Buenos Aires relative au procés pour délit de rébellion des responsables de la dictature de 1976/83.

Par conséquent, si les organes de direction et d'administration de la personne juridique de l'état ne sont pas légitimes et sont occupés  par des délinquants violents, il est clair que ces remplaçants ne peuvent par leur action compromettre la responsabilité et le patrimoine de la personne juridique qui a fait l'objet de cette usurpation.

Le fait de reconnaître comme siennes les obligations contractées par les délinquants qui ont occupé le pouvoir de l'état, n'est en aucune façon une obligation résultant de la continuité de l'état, étant donné que le délit de rébellion implique une évidente interruption de cette continuité.

Il s'agit plutôt d'un cadeau, d'un don gratuit fait aux créanciers.

Le fait de l'avoir considérè ainsi, non seulement a constitué, comme nous l'avons vu, un immense dommage économique avec d'atroces répercussions sociales mais a stimué une joyeuse collaboration du "Big Business" financier international avec les militaires qui donnèrent libre cours à leurs penchants pour les coups d'état, très à la mode en Argentine, au Brésil et en Uruguay dans les années 80.

Pendant ce temps, la faiblesse humiliante des gouvernements civils devant la pression des prétoriens particulièrement visible dans la préparation de la constitution brésilienne, dans le vote de la loi d'impunité, par les chambres Uruguayennes et dans le cynisme du " point final " et du "devoir d'obéissance" qui fut offert aux militaires argentins suite aux succés de la semaine sainte de 1987 .

Bien que la dictature militaire n'ait rien à y voir, la deuxième direction se développe dans le sentiment d'immoralité de l'ensemble des obligations connues sous le nom de dette extérieure.

Ce mème président élu en 1983, dés mars 1984, alors qu'il jouissait encore de l'état de grâce, reconnaîssait à la télévision italienne que cettte dette avait été contractée de façon perverse, non pour promouvoir mais au contraire pour frustrer le développement du pays .

Aprés quatre mois au pouvoir en tant que chef administatif de la nation, il devait disposer de toutes les informations techniques provenant des départements compétents du pouvoir éxécutif et il etait raisonnable que cette conclusion ait été formulée aprés un examen fait sous un angle qui supposait la meilleure connaissance possible de tous les éléments impliqués.

En outre, la conclusion présidentielle coïncidait avec le sens commun le plus évident : comment il peut n'ètre pas illicite la cause d'une obligation contractée par un débiteur qui ne tenait aucune capacité objective, ni pour rembourser le capital ni pour payer les intérêts, sans que cela ne soit fait au détriment de sa substance propre ou sans nouvel endettement?.

Comment ne pas en inférer qu'il existe une collusion coupable entre un débiteur frauduleux et un créancier frauduleux dans la mesure où le prêteur, de nature si restrictif, si prudent, si craintif, se lance à préter des sommes importantes à qui de toute évidence n'a pas les revenus qui lui permettent de rembourser le capital et pour qui le seul le payement des intérêts met sérieusement son éxistence en danger.?

La disproportion entre le montant de la dette et l'incapacité de payement du débiteur est la preuve la plus éloquente du manque de sérieux - c'est à dire de véracité, d'authenticité, de légitimité en somme- lors de l'octroi de ces obligations énormes, absurdes et privées de sens commun.

Il y avait donc là, un cas d'application du principe général de droit qui en Argentine est inscrit dans l'article 504 du code civil, reflet d'une disposition parallèlle du code Napoléon, aux termes de laquelle sont inexistantes les obligations reconnues provenant d'une cause illicite.

6. LE MARCHAND DE VENISE ET LA DETTE EXTERIEURE .

Le troisième axe a une autre signification.

Même si les obligations extérieures n'avaient pas été contractées par qui n'avait pas la capacité d'engager l'Etat National, même si les obligations n'avaient eu pas une nature frauduleuse, ainsi qu'il découle de la disproportion entre la somme prétée et la capacité de remboursement, il y aurait quand même une autre réfutation décisive.

Il s'agit de la priorité ontologique et axiologique de la personne du débiteur, de sa substance et de son développement, sur les conséquences des ses propres actes y inclus ceux qui correspondent au principe pacta sunt servanda, c'est à dire l'obligation de remplir un contrat souscrit.

En effet, il est curieux que les anglo-saxons qui ont toujours la bouche pleine de "the sanctity of contracts", du caractère sacré d'un contrat, ainsi que cela est mentionné dans le paragraphe du New York Reviews of Books, traduit plus haut, ne réalisent pas qu'une grande oeuvre de la littérature anglo-saxone et universelle, "The Merchant of Venice" comédie de Shakespeare, réduit à néant et fait ressortir le ridicule de cette sacralité lorsqu'elle est invoquée contre la priorité de l'intégralité de la personne humaine.

Comme le lecteur s'en souviendra, Shylock décide que le prêt au débiteur sera assuré par une livre de la chair de celui ci.

Le prudent juge Portia réussit à empêcher la réalisation de la brutale pulsion de l'avare :

La garantie pourra ètre éxécutée mais à la condition que pas une goutte de sang ne soit versée ni qu'un gramme de plus qu'une livre de chair ne puisse être extraite du corps du garant.

Il est vraiment surprenant que les anglo-saxons et avec eux leurs colonisés qui les imitent sans cesse, les vernaculaires enthousiastes du payement  implacable de la dette éxtérieure, ne réalisent pas que la trame du Marchand de Venise a une analogie complète avec l'endettement du Tiers Monde .

Dans les deux cas il y va de la lutte entre la subsistance des êtres humains avec un niveau de vie tolérable et l'éxécution rigide d'un contrat abusif.

Cette lutte doit évidemment ètre résolue comme l'a fait Shakespear dans le cas de ce scélérat de Shylock, en repoussant la prétention du créancier qui abusivement, se désintéresse de la prévalence et la permanence de la condition humaine de son débiteur ou de son garant.

7. LA DETTE EXTERNE ET LA DOCTRINE INTERNATIONALE ARGENTINE

Se souvenir de Carlos Calvo et de Luis María Drago, ensemble, dans ce contexte, n’est pas un exercice de vaine érudition.

Le bien-être général des peuples et même les aspects économiques des droits humains, ou ceux qui sont conditionnés par la macro-économie, sont de tel manière influencés par cette affaire de la dette externe, qu’il convient d’insister sur ces grands compatriotes qui, dans une autre époque, ont fait face à un défi analogue en lui apportant une solution audacieuse.

Ce recours à l’histoire prétend montrer qu’il y avait, avec d’autres hommes, avec d’autres tempéraments et imagination politiques, avec une autre profondeur de culture juridique, la possibilité d’une autre forme, un autre style, une autre pugnacité, un autre niveau de grandeur, pour s’attaquer au problème.

Trois ans avant de mourir, à la fin de sa vie, tout le long de l’année 1903, Carlos Calvo apporta une contribution spécifique dans l’affaire de la dette externe. Une fois produite l’agression anglo-allemande contre le Venezuela à cause du non-paiement des services des obligations extérieures, le ministre des Relations extérieures d’Argentine, exposa le 29 décembre 1902  la doctrine qu’aujourd’hui porte son nom, la doctrine Drago, laquelle déclarait inadmissible dans l’ Amérique hispano-américaine le recouvrement de la dette externe par la contrainte. 

Calvo était à cette époque le chef de la mission de notre pays devant le gouvernement de France. Il traduisit la note de Calvo et il la fit circuler parmi les internationalistes le plus éminents de l’Europe du moment, en leur demandant l’appui intellectuel nécessaire pour la consolidation de ce qu’aujourd’hui est un des éléments les plus honorables de la tradition juridique et internationale des argentins.

Il repétait à la fin de sa carrière –  tout comme Saint Paul il était possible de dire Calvo boum certamen certavi, j’ai délivré la bonne bataille – ce qu’il avait fait en arrivant à Londres pour la première fois au début des années 60 du siècle passé, maintenant disposant de l’énorme  considération de ses collègues des universités européennes et surtout, de celle de ses anciens collègues de l’Institut du Droit International. Les destinataires de la lettre circulaire était Fréderic Passy, membre de l’Institut et Président de la Société Française pour l’arbitrage  entre les nations, F. Moynier, président de la Croix Rouge et membre honoraire du déjà cité Institut du Droit International, J. Westlake, conseiller Royal, professeur à Cambridge et membre de l’Institut de Droit International, L. V. Bar "conseiller privé", professeur à l’université de Gottïngen et membre de l’Institut de Droit International, Manuel Torres Campos, membre de l’Institut du Droit International, délégué d’Espagne à la Cour Permanente d’Arbitrage de La Haye et professeur à Grenade, Féraud-Giraud, membre  honoraire de l’Institut du Droit International et président honoraire de la Cour de Cassation de France, André Weiss, membre de l’Institut du Droit International et professeur à la Sorbonne, J. E. Holland, conseiller royal, professeur à Oxford et membre de l’Institut du Droit International, K. Olivecrona, associé étranger à l’Institut de France, membre honoraire à la Cour Suprême de Suède et membre honoraire de l’Institut de Droit International, F. M. Asser, conseiller d’état, membre de la Cour Permanente d’Arbitrage de La Haye et membre de l’Institut du Droit International, Francis Charmes, membre de l’Institut de France, et finalement Pasquale Fiore, professeur à l’Université de Naples et aussi membre de l’Institut du Droit International.

Malgré sa qualité de ministre plénipotentiaire devant le Quai d’Orsay, Calvo s’est adressé à ses collègues invoquant sa condition – sans doute beaucoup plus prestigieuse que celle de fonctionnaire public – de membre associé de l’Institut de France et de membre fondateur de l’Institut du Droit International. Il écrivit dans son courrier personnel des lettres comportant l’indication de son domicile 87 avenue Kléber. La majorité des réponses portait dans l’entête l’expression «Monsieur et éminent collègue» ou «Monsieur et cher confrère», ce qui mettait en évidence son pre-éminence individuelle avant même sa fonction bureaucratique. Comme cela n’arrive pas fréquemment, l’homme élevait avec son prestige la charge diplomatique, et non  l’inverse, ce qui est la pratique courante.

En approchant la fin de sa vie Calvo proposait une vaste opération d’influence intellectuelle, d’autorité morale, de force et d’effets des principes. Ce n’était pas un objectif facile, ce qui se déduit de la réponse quelque peu réticente du professeur Westlake, le point posé par Drago – en réalité un prolongement de la doctrine Calvo – était loin d’être une question acquise par les européens. Plutôt il portait atteinte aux intérêts économiques évidents et suscitaient quelques réserves. Néanmoins, en général, les réponses furent hautement satisfaisantes et en convergence avec la position argentine. Toutefois, plus que cette conformité majoritaire, le plus profondément fructueux, par hasard, de l’opération entreprise par Calvo, fîrent deux longues réponses , équivalentes respectivement à deux monographies, une de Féraud-Giraud et l’autre de Pasquale Fiori, lesquelles compensaient d’une certaine façon la briéveté et le manque d’élaboration doctrinaire de la lettre du ministre Drago. Ces deux documents constituent d’importants appuis à la position argentine, formulés par ceux qui avaient un seul intérêt académique pour la question, ce qui allait de pair avec une haute autorité juridique et universitaire.

La doctrine Drago présente aujourd’hui une exceptionnelle signification face aux problèmes de l’endettement extérieur des pays. Il sera dit – je crois de manière superficielle – qu’en 1902 ce qui la provoquait, était le recouvrement compulsif avec le recours à la violence militaire, à savoir une perception armée des services financiers impayés, ce qui n’est plus le cas. Il s’agit d’une observation imparfaite de la réalité, car ce à quoi fait face la doctrine Drago est la pression exercée contre un état souverain à cause du non-paiement de la dette. L’action militaire, le blocus, le bombardement des ports, l’occupation territoriale, sont seulement des variantes du genre de la pression, l’interférence, l’ingérence.

Il est clair que la doctrine Drago condamne toute sorte de pression. C’est ainsi que’elle découle du texte de la lettre du 29 décembre 1902. Dans ce courrier, Drago donnait à García Merou la mission d’essayer d’obtenir des américains du nord, la consécration du principe selon lequel il n’est peut y avoir d’expansion territoriale ni de "pression exercée contre les peuples du continent par le seul fait d’une malheureuse situation financière qui oblige à une des parties à différer le respect de ses obligations".

Par ailleurs, grâce à Calvo, la position argentine s’est vue fortifiée par l’opinion du professeur Pasquale Fiore qui affirmait textuellement: «S’il est possible de considérer l’ingérence comme une atteinte aux droits de la souveraineté intérieure, même avec l’objectif de protéger les intérêts des nationaux, avec plus de force se considérera comme illégitime l’intervention extérieure». De cette façon Fiore faisait le lien entre la doctrine Calvo et la nouvelle doctrine argentine de Luis María Drago.

Ainsi, la simple ingérence d’un Etat étranger afin d’obtenir le paiement de la dette extérieure d’un autre état, devient inacceptable. Aucune légitimité pour que le secrétaire du Trésor des Etats Unis, ou pour que le ministre des finances français, fassent de la dette externe argentine, un thème des relations bilatérales avec l’Argentine, dès lors qu’il s’agit du recouvrement des services supposés dus aux prêteurs de toute nationalité. C’est une interférence dans une relation qui commence et se termine entre l’Etat supposé débiteur et le préteur supposé créditeur. Cette relation ne peut pas s’altérer avec l’indue et déséquilibrante présence d’un troisième intervenant, à savoir un autre état souverain, pour qui le lien débiteur-créditeur doit être rigoureusement res inter alios acta, c’est-à-dire chose  contractée entre d’autres parties.

Par ailleurs, aussi bien Drago que Féraud-Giraud et Pasquale Fiore, font remarquer quelque chose qu’en Argentine et dans d’autres pays du continent, a été éludée de manière intéressée. Il s’agit de la particulière personnalité juridique du supposé débiteur. En vertu de cette fin, l’Etat national, le bien public ou bien commun, a un rang supérieur à celui d’une autre personne de la société humaine. Cette supériorité découle, comme il vient d’être dit, de la nature de sa finalité qui est constituée par le bien le plus élevé, le bien suprême, celui qui met de côté et subordonne tous les autres biens de la communauté. Le service du public, le service de la totalité des citoyens, de la totalité de la population, n’est pas comparable à aucune fin particulière aussi respectable qu’elle paraîsse, encore moins par rapport aux profits privés des sociétés commerciales prêteuses, à savoir les banques.

Dit d’une autre manière, dans le concept de dette publique il y a un dénivellement essentiel. Créditeur et débiteur ne sont pas sur le même plan, ils n’ont pas la même entité ni la même puissance légale. De ce principe dérive quelque chose qui a été dissimulée toutes ces années. L’État est une entité souveraine, et une des conditions propres à toute souveraineté réside dans le fait qu’aucune procédure exécutoire  ne peut être initié ni appliquée contre elle, parce qu’elle mettrait en question son existence même et ferait disparaître l’indépendance et l’action du gouvernement en question, selon les termes mêmes de la lettre signée par Drago.

Dans l’Argentine de nos jours, nous avons agi – surtout dans les années 80 – comme si à tout moment nous étions passibles d’être exécutés (ou saisis), comme si nous étions au bord d’un collapsus auquel nous serions poussés par un huissier  international. Nous avons sacrifié ainsi toute la perspective du développement économique autonome, toute l’indépendance et l’action du gouvernement, tous les contenus économiques du bien commun, tous les contenus économiques des droits humains, à un dogme que le président de la Chambre des Députés, entre 1984 et 1987, caractéristique porte-parole du régime de transition, exprimait quelque fois avec un désinvolte et agressif caractère péremptoire que difficilement aurait pu employer les avocats des créditeurs: «la dette doit être payée, sans aucune alternative».

En vertu de sa condition de souverain, l’Etat a la «faculté de choisir le mode et le temps d’effectuer le paiement», comme l’a dit textuellement Drago, ce qui a dû être rappelé avec acharnement ces derniers temps. Cette conclusion décisive, que fait partie d’une doctrine internationale dont l’Argentine est fière et dont les gouvernements ont le devoir de maintenir et d’accroître, a été marginalisée par les gouvernements de transition, à cause d’une auto-contrainte conduisant au paiement, ce qui est un trait inhérent  au modèle ou schéma de transition qui a été accepté avec soumission.

Pour cette raison, cette auto-contrainte fait surgir des doutes au sujet de qui sont réellement ses représentants, soit le peuple victime de cette hâte de ses représentants à effectuer une oblation (comme une offrande au Dieu des créditeurs), ou les mêmes créditeurs à qui il a été épargné tout effort pour le recouvrement de la dette.

Cette conclusion décisive reçut l’appui additionnel de Féraud-Giraud. Ce dernier rappelait le fait que dans la majorité des Etats, les actions des habitants contre ses gouvernements sont soumises à des règles exceptionnelles et restrictives  qui ont pour objet de ne pas entraver le bon fonctionnement des services publics, en se demandant ensuite: "comment serait-il possible en acceptant le principe de cette exception, de ne pas l’appliquer aux personnes qui lient volontairement leurs intérêts  aux éventualités d’oeuvrer pour les intérêts d’un gouvernement étranger en leur permettant de troubler l’action publique de ce gouvernement-là par la projection des intérêts privés ?".

Pasquale Fiore affirme quelque chose qui semble être écrite pour notre époque, pendant laquelle le pouvoir souverain a beaucoup diminué, et  tolèré comme si de rien était, la conduction des économies des Etats dépendants par le Fond Monétaire International, cette superstructure qui s’arroge une sorte de super-souveraineté, comme l’a dit Chomsky, devenant un gouvernement de facto du monde, même avec moins de raisons – en dévalant la côte  de l’abdication de la souveraineté – et en admettant l’ingérence d’ambassadeurs étrangers … jusque dans la liquidation d’une banque privée locale, société anonyme argentine. Comme le dit Fiore: "Je considère que l’ingérence d’un gouvernement dans l’administration publique d’un état étranger comme une atteinte au droit de la souveraineté intérieure, et je reconnais alors comme illégitime toute action d’un gouvernement qui, ayant l’objectif de protéger les intérêts de ses ressortissants, tendrait à établir un tel contrôle, sous quelque forme que se soit, sur les actes d’administration d’un Etat étranger".

Drago souligne un autre aspect de la question, à propos duquel abondent quelques uns des juristes requis par Calvo et qui a toute sa pertinence de nos jours. Le prêteur est, par définition, un spéculateur, un calculateur de risque, quelqu’un qui mesure, suivant en cela les rigoureux impératifs de son commerce, les éventualités difficultés pour effectuer le recouvrement du principal et des intérêts. Pour cela, il évalue les ressources du débiteur, les engagements pris par lui avec d’autres prêteurs, et toutes les circonstances complémentaires qui permettent de peser et de doser les conditions des prêts futurs. Parmi ces circonstances figure celle qui s’agit, dans le cas d’un débiteur insolvable, d’un sujet de droit avec qualité de souverain, sur lequel il ne serait possible d’exercer des pressions d’aucun type. Comme l’écrit Laurent cité par Féraud-Giraud dans sa réponse à Calvo: "Ceux qui traitent avec un Etat étranger sont soumis aux lenteurs administratives et, s’il y a lieu, aux difficultés financières des Etats avec qui ils négocient".

Ces considérations sont dignes d’être rappelées parce qu’un des angles de la discutable légitimité de la dette extérieure contractée pendant la dictature militaire, surgit de l’incroyable et soupçonable imprudence, apparente imprudence peut-être, avec laquelle ont agi les banquiers ou prêteurs, ce qui suggère une collusion frauduleuse entre débiteurs et préteurs. Finalement, il y a un autre point d’exceptionnelle importance pratique au sujet de la dette externe, tel qu’il se pose dans l’Argentine de transition. Il apparaît dans la réponse du cité Féraud-Giraud en tant que citation du professeur Frantz Despagnet, qui mentionnait dans le contexte de l’insolvabilité des obligations contractées par les Etats souverains: "l’Etat  débiteur se réserve toujours, dans de tels cas, en vertu de son droit de conservation et des principes  qui commandent le droit public, un bénéfice de compétence dans le sens romain de l’expression, c’est-à-dire de la faculté de ne pas payer sinon dans la mesure où sa situation financière le permet".

Un intelligent juriste, le Dr. Pedro F. Soria Ojedo Ilo, proposa dans les années 80 sans obtenir comme de bien entendu, aucun écho dans le milieu officiel, le bénéfice de la compétence; supposée la légitimité d’une partie de la dette externe, était de stricte pertinence dans notre cas dès que c’est le milieu juridique qui véhicule le mieux la priorité ontologique et axiologique du débiteur sur ses engagements, la priorité du principe de l’intangibilité de la personne humaine sur le subordonné principe pacta sunt servanda, c’est-à-dire de respecter ce qui a été contracté.

Le bénéfice de compétence fait partie du droit argentin. Il est inclus dans notre Code Civil. Il est traité dans le chapitre IX de la section I, Livre II, de ce corpus normatif, qui le définit comme celui accordé à certains débiteurs, pour ne pas les obliger à payer plus que ce qu’ils peuvent faire, en leur laissant par conséquent l’indispensable pour une modeste subsistance, selon le genre et les circonstances, avec l’obligation de faire face dès que les conditions se sont améliorées. Que cette clause soit tombé dans l’oubli, montre à quel point les gouvernements de cette étape de transition, étaient absolument obnubilés par  la compulsion de payer la dette à tout prix, élément clé du schéma de transition de la dictature militaire à la démocratie limitée et conditionnée.

8. DETTE EXTERNE ET PRIVATISATIONS DANS UN DIAGNOSTIQUE JESUITE

En 1997 les supérieurs jésuites réunis à Mexico, produisirent un document qui reflète l’état de la question vers la fin du siècle. Il s’agit d’affirmations, bien sûr, strictement applicables à la situation argentine. Ce document a été diffusé par la revue REALITE ECONOMIQUE dans son numéro d’avril et mai 1997.

Ce rapport est assez éloquent pour décrire les phénomènes socio-économiques depuis une lointaine perspective politique et idéologique, avec une sorte de vision à la fois ingénue et sans préjugés. Il est intéressant d’observer que les privatisations et la dette externe apparaîssent comme d'importants éléments du tableau dévastateur de l’économie latino-américaine et qui conditionne la très grave pénurie collective.

"Nous, Supérieurs Provinciaux de la Compagnie de Jésus en Amérique Latine et les Caraïbes, dit le document, en répondant à l’appel de la 34e. Congrégation Générale à approfondir notre mission au service de la foi et de la promotion de la justice, voulons partager avec tous ceux qui participent à la mission apostolique de la Compagnie de Jésus dans notre continent et avec toutes les personnes soucieuses et engagées  dans le souci du sort de notre peuple, spécialement  avec les plus pauvres, quelques réflexions sur le néo-libéralisme et ses effets dans nos pays".

"Nous résistons à accepter tranquillement que les mesures économiques appliquées ces dernières années dans tous les pays d’Amérique Latine et les Caraïbes, soient la seule manière possible d’orienter l’économie et que l’appauvrissement de millions de latino-américains soit le coût irrémédiable d’un futur développement".

"Derrière ces mesures économiques se trouve sous-jacente une culture, une conception de la personne humaine et une stratégie politique qu’il est nécessaire de discerner, ayant sous les yeux les modèles de la société à laquelle nous aspirons et pour laquelle nous travaillons, unis en cela à tant d’hommes et de femmes qui sont poussés par l’espoir de vivre et laisser aux générations futures une société plus humaine et plus juste".

"Les considérations que nous présentons n’ont pas la prétention d’être une analyse scientifique d’une affaire complexe qui doit être étudiée dans le cadre de plusieurs disciplines. Nous exposons seulement les critères les plus importants qui sont derrière le néo-libéralisme et nous décrivons quelques lignes fondamentales du type de société à la laquelle nous aspirons. En partageant ces réflexions, nous sommes motivés avant tout par une préoccupation d’ordre éthique et religieux".

"Nous sommes convaincus que les comportements économiques et politiques auxquels nous faisons référence reflètent, dans le domaine de la chose publique, les limitations et les contre-valeurs d’une culture qui fondemente ses valeurs sur certaine conception de la personnes et de la société humaine étrangère à l’idéal chrétien".

"Au seuil du XXIe. Siècle, les communications nous unissent étroitement, la technologie ouvre pour nous de nouvelles possibilités de connaissance et de créativité et les marchés pénètrent tous les espaces sociaux. En opposition avec la décade passée, l’économie de la majorité de nos pays est tournée vers le développement".

"Cette croissance matérielle, qui pourrait apporter l’espoir pour tous, laisse malgré tout un grand nombre de personnes dans la pauvreté, sans possibilité de participer à la construction d’un destin commun; menace l’identité culturelle de nos peuples et détruit les ressources naturelles. Il est possible de dire qu’en Amérique Latine et les Caraïbes, il existe  au moins 180 millions de personnes qui vivent dans la pauvreté et 80 millions qui survivent dans la misère".

"Les dynamiques économiques qui produisent ces effets pervers, tendent à se muer en idéologies qui rendent absolus certains concepts comme celui du marché, par exemple, qui d’instrument utile et nécessaire pour élever et améliorer l’offre et réduire les prix, passe à être le moyen, la méthode et même la fin qui déterminent les relations entres les êtres humains".

"Pour obtenir tout ceci, est diffusée dans le continent l’application de mesures connues comme "néo-libérales"".

"Ses caractéristiques les plus notoires sont :

Ces mesures considèrent le développement économique, et non pas l’épanouissement total de tous les êtres humains en harmonie avec la création, comme la raison d’être de l’économie; elles restreignent l’intervention de l’Etat, le dépouillant de sa responsabilité d’assurer les biens minimes auxquels tout citoyen a droit dans sa qualité d’être humain;

elles éliminent les programmes de création d’opportunités pour tous, en leur substituant des appuis éventuels pour de groupes déterminés;

elles privatisent des entreprises publiques en adoptant le critère que l’Etat est un mauvais administrateur;

elles ouvrent sans restrictions les frontières pour les marchandises, les capitaux et les flux financiers, laissant en même temps sans protection les producteurs plus petits et faibles;

elles n’appliquent pas le traitement adéquat au problème de la dette externe, dont le paiement oblige à réduire drastiquement l’investissement social;

elles réduisent la complexité de la gestion du domaine public à des tâches d’ajustement de variables macro-économiques telles celles tendant à équilibrer le budget fiscal, réduire l’inflation et stabiliser  la balance de paiements, en ayant la prétention d’assurer le bien commun, mais sans prêter attention aux nouveaux problèmes de la population qui se produisent de tels ajustements et qui doivent être pris en compte par l’Etat;

elles supposent que ces ajustements produisent la croissance qui, à grande échelle, élève les niveaux de revenus et résolvent en retour la situation des plus défavorisés;

afin de promouvoir l’investissement privé, elles éliminent les obstacles  qui pourraient signifier les législations de protection des travailleurs;

elles déchargent les groupes puissants des charges fiscales et des obligations de respect de l’environnement tout en les protégeant pour accélérer le processus d’industrialisation, provoquant ainsi une concentration encore plus grande de la richesse et du pouvoir économique;

elles mettent l’activité politique au service  de ce type d’économie appelée "libre", tombant dans le paradoxe d’un côté d’enlever toute entrave a l’exercice du marché libre, tandis que par ailleurs elles imposent des contrôles politiques sociaux au libre embauchage de la main d’œuvre;

nous devons reconnaître que ces mesures d’ajustement ont donné des résultats inégaux: les mécanismes de marché ont contribué à éléver l’offre de biens de meilleure qualité et prix; l’inflation a été réduite dans tout le continent; l’Etat s’est vu dégagé de tâches qui ne le concernent pas pour qu’il puisse se consacrer à sa mission de bien commun; ces mesures ont généralisé une conscience d’austérité fiscale permettant une meilleure utilisation des ressources publiques et un resserrement des relations commerciales entre nos nations.

Nonobstant, ces éléments positifs sont insuffisants pour compenser les immenses déséquilibres et perturbations qui causent le néo-libéralisme et qui se manifestent dans la multiplication des masses urbaines sans travail ou des groupes humains qui subsistent dans des emplois instables et peu productifs, les faillites de milliers de petites et moyennes entreprises, la destruction et le déplacement forcé de populations indigènes et paysannes, l’expansion du narco-trafic, principalement dans les secteurs ruraux dont les produits traditionnels restent hors compétition, la disparition de la sécurité alimentaire, l’augmentation de la criminalité, causée le plus souvent par la faim, la déstabilisation des économies nationales comme conséquence des flux libres de la spéculation internationale, le désajustement des communautés locales comme conséquence des projets des multinationales qui ne tiennent pas compte des populations.

Comme conséquence de tout ce qui vient d’être dit, à côté de la croissance économique modérée, nous voyons augmenter dans presque tous nos pays le malaise social sous forme de contestations citoyennes et grèves, nous voyons se développer dans nos régions la lutte armée, ce qui n’apporte aucune solution, nous voyons augmenter enfin, le refus généralisé à cette forme d’orienter le processus économique qui, loin de protéger le bien commun, rend possible les causes traditionnelles de mécontentement populaire : les inégalités, la misère et la corruption.

La logique du système économique appelé néo-libéral cache toute une conception de l’être humain qui réduit la grandeur de l’homme et de la femme à la seule capacité de générer des revenus monétaires, exacerbe l’égoïsme et le désir de gagner et de posséder, induit facilement à porter atteinte contre l’intégrité de la création et, dans beaucoup de cas, déchaïne l’avidité, la corruption et la violence. Tous ces facteurs, en se généralisant, détruisent radicalement la communauté.

De cette manière, s’impose une échelle de valeurs qui établit la primauté de la liberté individuelle comme moyen pour accéder à tout type de satisfactions et plaisirs considérés comme legitimes sans restriction, comme la drogue et l’erotisme. Cette liberté, qui refuse toute intervention de l’état dans l’initiative privée, s’oppose aux plan sociaux, méconnaît la vertu de la solidarité et accepte uniquement les lois du marché.

A travers le processus de globalisation de l’économie, cette manière d’appréhender la personne humaine, pénètre dans nos pays, véhiculant des contenus symboliques avec une grande capacité de séduction. Grâce à la maîtrise des moyens de communication, ils détruisent les racines de l’identité des cultures locales qui ne disposent pas de moyens suffisants pour communiquer leurs propres messages.

Fréquemment, les dirigeants de nos sociétés, alliés à ces mouvement de globalisation et imbus de l’acceptation indiscriminée des raisons du marché, vivent comme des étrangers dans leurs propres pays. Sans aucun dialogue avec le peuple, celui-ci est considéré comme un obstacle et comme un danger pour leurs propres intérêts, et non comme frère, camarade ou associé.

Pour le cas général, cette conception considère comme négligeable la naissance ou la mort de millions d’hommes et de femmes de notre continent, qui sont dans l’incapacité de générer des revenus afin de parvenir à une qualité de vie plus humaine. Pour cette raison, les gouvernements et les sociétés ne ressentent le scandale de la faim et du désespoir dont souffrent le plus grand nombre de personnes, et non plus, ils ne réagissent à l’incertitude et l’incompréhension que ressentent nos peuples face à ceux qui, sans penser aux autres, utilisent à leurs propres fins les ressources de la société et de la nature."

9. LA DETTE EXTERNE COMME JUSTIFICATION DES PRIVATISATIONS

Hector Valle, économiste directeur du Fides,  observe avec sagacité que la dette externe a été très efficace au sujet de l’implantation d’une politique économique comme celle que nous avons maintenant. Le processus de privatisations aurait été rendu impossible sans la puissante force de l’existence de la dette externe. (1).

Il me semble qu’il existe une confirmation précise de cette affirmation en faisant une enquête sur la phase finale du gouvernement de 1983-1988.

Privatisations et braderie du patrimoine collectif.

Un des traits de cette idéologie néo-libérale est le dogme des privatisations, ce qui a été exprimé par les Supérieurs jésuites. Les privatisations comme impératif absolu, sans discussion, sans réflexion, sans discriminations, sans discernement afin d’apprécier quels biens collectifs – dès par leur nature, leur fonctionnement particulier, dès par le domaine de l’économie dans lequel ils se trouvent – transférer à l’activité privée. Des privatisations, sans plus, à n’importe quel prix, de n’importe quelle façon, quelle que soient les conséquences, les effets et les coûts sociaux et leur impact sur le bien commun.

Les précédents immédiats de la braderie du patrimoine collectif

Pister les origines de cet écoulement (2) des biens pris à l’Etat national impose un examen qui exige un retour très lointain dans l’histoire contemporaine argentine. Celui qui s’arrêtera on examen, en échange, sur l’étape plus récente apercevra un point d’inflexion vers 1987.

Déjà en mars 1987 le ministre de l’économie s’empressa de payer une quote-part des intérêts de la dette externe, présentant ce paiement de manière spectaculaire, s’inspirant en cela du modèle mexicain. Il opérait ainsi la validation du fait de l’existence et la légitimité des supposés engagements internationaux, dans leur majorité acquis irrégulièrement pendant la dictature militaire. De la même manière une étude critique de cette dette n’a pas pu être réalisé, alors qui était abandonné le questionnement de base de la capacité juridique des usurpateurs du pouvoir public pour la contracter, ce qui a conditionné d’immenses conséquences pour le futur démocratique du pays.

Cependant, le gouvernement radical adopta résolument durant le deuxième semestre 1987 le cap économique que cette fatidique décision préfigurait. Dans le numéro 80 de REALITE ECONOMIQUE correspondant au premier bimestre de 1988, Alfredo Erice Calcagno anticipait le futur de la manière suivante  "L’intention de vendre une partie des actions de la compagnie Aérolineas Argentinas à SAS était un acte politique et économique transcendant, non seulement par sa propre signification, mais comme exemple à appliquer à tout le secteur public rentable (ou à certaines activités spécifiques à l’intérieur des entreprises publiques)". Les solutions proposées pour le cas d'Aerolineas, tout comme les solutions qui se prendront dans le futur pour les autres entreprises d'Etat et pour la dette externe, sont cohérentes avec le modèle néo-libéral. L'alternative qui se pose dans le cas d'Aerolineas n'est pas purement formelle mais touche aux questions de fond, faisant référence au projet national mis en avant. Seul le peuple argentin doit déterminer le modèle économique global dans lequel il souhaite vivre. En attendant, il serait illégitime d'adopter subrepticement le modèle libéral et s'engager dans une politique d'aliénation du patrimoine national.(3)

De manière très lucide faisait remarquer Calcagno s'ouvrait ainsi le chemin à une ruineuse privatisation de la ligne aérienne, ce qui est arrivé quelques années plus tard, ce qui a constitué une des actions les plus indécentes de l'étape Menem, et en tout cas  une privatisation, malgré qu'elle soit déjà lointaine dans le temps, non moins destructive, déplorable et passible d'une minutieuse enquête.

Ce point d'infléxion déjà mentionné devait s'extérioriser dans le domaine du pétrole. Dans le numéro suivant de la revue citée, Eduardo Murguja, dans un article intitulé "Lapeña, Terragno et la Réalité énergétique argentine", faisait remarquer les divergences qui ont déterminé la démission le 1r mars 1988 de l'ingénieur Lapeña, Sécrétaire d'Etat à l'énergie avec le ministre des Travaux et Services Publics, et s'interrogeait : "Pour quel motif le ministre Terragno insiste dans l'application de concessions de nouvelles surfaces ou gisements de YPF (Compagnie nationale d'exploitation du pétrole) en exploitation, dans le cadre du plan Olivos II, continuant ainsi  ce qui a été décidé par Martinez de Hoz, sans aucune justification économique ? Comment est-il possible d'utiliser un argument si élémentaire comme celui de dire que YPF n'a pas de ressources pour faire des investissements dans l'exploitation de ses gisements, mais qu'il dispose d'assez d'argent pour payer les sous-traitances au prix fort ? (4)

Ce n'est pas surprennent ainsi que dans le numéro 82 de la même publication sous le titre : "Le pragmatisme et la perte de l'identité économique nationale", Mario E. Burkun écrivait : "…l'Etat régulateur est attaqué de l'extérieur par un discours idéologique de privatisations, en vogue dans la conscience social de la crise, et de l'intérieur par le manque de scrupules et le scepticisme des propres responsables de la prise de décisions dans la politique économique, … l'incidence de l'ouverture et des privatisations laissera  une empreinte à long terme sous la forme d'accumulation de capital dans notre société, très difficile à transformer, même avec un changement de conduction de la politique économique".(5)

Héctor Valle, "Pagar o no Pagar", Realidad Economica

Cabe el término, parece, por aquel manido tropo de la Nave del Estado

Realidad Economica, nro. 80, pag. 3

Realidad Economica nro. 81, pag. 105

Realidad Economica, nro. 82, pag. 5,  Le soulignement est fait par nous

10. L'INCROYABLE DECRET 1842/87

Dans ce contexte, le ministre des Travaux et Services Publics, Dr Rodolfo Terragno, produisit un des actes  le plus draconien et en même temps le plus remarquable sur le chemin de la braderie du secteur public. Il s'agit d'un notable précédent annonçant et préparant la furieuse vague de privatisations qui allait balayer le secteur public des années 90 de l'administration Menem. Il s'agit du décret 1842/87 présenté comme "la Démonopolisation des Services Publiques rendus par les entreprises de l'état" avec les signatures de l'auteur, le ministre Rodolfo Terragno, qui l'avait proposé au Pouvoir Exécutif, et du président Alfonsín et du ministre Sourrouille. Il porte la date du 19 novembre 1987 (1). Ses motifs ne sont pas autres  que ceux induits par le discours idéologique privatiseur, exprimés avec le fier dogmatisme et la ribambelle de clichés et lieux communs que les "amuseurs" de la télévision, et les soi-disant communicateurs de l'industrie du divertissement, ont rabâché et imposé à la conscience collective les années précédentes.

Au sujet des amuseurs de la télévision, nous devons évoquer ici un débat ayant trait aux droits humains et qui s'entrecroisé avec celui des conditionnements économiques du bien-être collectif. Durant ce temps, la Chambre des Députés discutait la Loi de l'obéissance due, une dérobade du même gouvernement face au pouvoir militaire. Le député démocrate-chrétien, Carlos Auyero, après avoir décrit le vide, le gaspillage et la malversation des énergies collectives démocratiques qui avait impliqué l'annulation, par le gouvernement, de la mobilisation populaire pour étouffer le coup séditieux de la Semaine Sainte de 1987, disait :

"La seule chose que parfois nous défendons est la routine démocratique, certainement très importante, mais il y a danger à ne faire que cela ! J'ai vu moi-même les citoyens qui se trouvaient à la porte 8 de la caserne Campo de Mayo, en train de défendre la liberté et la démocratie : ils provenaient des quartiers très pauvres. Devant l'exemplarité de ce peuple s'écriant pour la liberté – qui peut-être est l'unique bien qui nous reste – nous devons prendre garde à ne pas courir le risque de le voir se tourner vers le désespoir et l'incrédulité. C'est la raison pour laquelle j'ai la ferme conviction de que nous devons avancer avec décision dans la politique argentine afin d'incorporer à la démocratie que nous sommes en train de vivre, les nécessaires éléments transformateurs, afin que cette routine formelle ne nous mène à la lassitude d'une démocratie si routinière qui ne saurait trouver des solutions aux problèmes de fond de notre pays. Je suis préoccupé  que le Secrétaire Brodershon ait dit-il y a peu de temps aux Etats-Unis à des banquiers qu'il regrettait  qu'ils ne votent pas, car cette action donneait davantage d'appuis au gouvernement. Je déplore qu'il y ait des fonctionnaires du gouvernement qui s'inclinent de la sorte, de la même manière que des journalistes comme Neustadt et Grondona exaltent les privatisations comme une forme de liquider l'axe central qui monte la garde pour que le pays ne soit pas dépendant (Applaudissements). Quelqu'un pourra me dire que j'ai perdu l'opportunité d'aller au programme "Temps Nouveau" : je ne suis pas intéressé et de toutes manières je n'y 'ai jamais été invité".

"Je ne peux pas comprendre qu'avec des gesticulations ces hommes justifient maintenant l'obédience due, les amnisties, les privatisations et les prétendues politiques d'indépendance. Nous devons garder à l'esprit qu'ils le font depuis un canal de l'Etat. Je pourrais défendre la liberté de Neustadt et Grondona de dire ce qu'ils veulent et où ils le veulent, mais je ne peux pas imaginer qu'ils disposent du canal officiel pour le faire, car ils sont en train de verser sur la société des messages débilitants".

Pour la petite histoire, le Dr Carlos Auyero est mort en 1997 dans un canal de télévision, alors qu'il soutenait les mêmes idées lors du débat de 1986, quand le journaliste Grondona s'était séparé de son co-équipier, en créant un autre programme, auquel participait Auyero.

Ce programme avait une finalité si non progressiste, du moins plus neutre évitant de soutenir un discours idéologique favorable aux privatisations, selon les dires de Mario E. Burkun.

Nous faisons maintenant un retour au décret au contenu si dérisoire de "démonopolisateur". Un de ses considérants montre avec une claire force de suggestion le fond qui a servi à la conception de cet audacieux plan de privatisation. Regardons de plus près :

"Que le régime de capitalisation de la dette externe offre un inestimable outil pour la canalisation de nouvelles inversions dans le secteur des services et biens destinés au public".

Il est possible d'apprécier avec facilité la tentative d'introduire dans le vaste champ du secteur public les fournisseurs et producteurs de biens et de services passibles d'apporter comme "nouveaux investissements" la capitalisation de la dette publique externe. En d'autres termes mais sans rien apporter de substantiel, que de toutes les manières ce serait l'état argentin qui paierait, sous le prétexte que la dette dont l'existence et la légitimité depuis 1984 n'avait jamais été ni discutée ni vérifiée. Il était ainsi possible de privatiser avec la nette "inexistence" d'autres "nouveaux investissements" à part les propres ressources nationales sous la forme de la dette capitalisée.

Pour le reste, il est intéressant d'observer et ce depuis novembre 1987, la mutuelle implication qui se développait entre dette externe et privatisations et de manière réciproque. Puisque nous devons beaucoup, nous devons privatiser, privatisons et la dette externe paiera.

Le système comprenait les entreprises et organismes publics qui, à l'époque, correspondaient au Ministère de Travaux et Services Publics, c'est-à-dire pratiquement presque tout le secteur public de l'économie, ce qui met en relief l'importance  de ce plan qui dans les faits, signifiait l'intention de transformer par décret la substance de l'économie publique.

Privatisations "à l'emporte-pièce"

L'article 4 constitue l'essentiel de ce curieux décret. Il établit que l'Etat transfère aux particuliers l'initiative des privatisations. Aussi bien la sélection des services à privatiser, que le temps et l'ordre à respecter pour la privatisation, ainsi que la nature juridique du lien qu'unira le nouveau prêteur ou le nouveau fournisseur avec l'Etat et les usagers, comme le rythme et les modalités précises de cette irruption du privé, en masse, sur l'économie publique, tout était entièrement livré aux aléatoires et compulsifs désirs de lucre des particuliers intéressés.

Tout ce processus s'est réalisé avec la totale passivité de l'autorité publique, dont le rôle sera purement passif et tenu par des conditions extrêmement difficiles.

Il était suffisant pour les particuliers de proposer n'importe quel sujet de privatisation pour mettre en branle des mécanismes d'une insolite difficulté pour l'Etat.

Face à cette très large autonomie des particuliers pour choisir ad libitum et manifester leur intention de prendre en charge un service public ou d'effectuer une provision de biens réalisée jusqu'à ce moment par un organisme public, apprécions le peu de marge de manœuvre d'un tel organisme : "Si dans le délai de trente jours ouvrables de la manifestation d'un intéressé, l'organisme public n'opposait aucune objection, l'intéressé devenait de plein droit, et sans nécessité d'un quelconque acte officiel, le fournisseur ou le prestataire de services pour lesquels il a manifesté son intérêt".

Singulière situation dans laquelle l'Etat était placé sans recours. Connues les faiblesses d'une administration, érodée par des gouvernants éblouis par l'activité privée et avec des fonctionnaires fréquemment sceptiques au sujet du rôle à jouer par le pouvoir public dans les domaines de la gestion du bien commun, les uns et les autres durement acculés par le catéchisme anti-étatique du cercle médiatique, les uns et les autres victimes du message débilitateur du discours idéologique privatiseur, invoqué par Auyero et Burkun, Il apparaît clairement imprudent l'exigence de s'y conformer dans le délai très exigu de trente jours.

Pendant ce laps de temps, devaient se réaliser les études techniques, obtenir les décisions des organismes permanents d'assistance, selon la loi des procédures administratives, pour après édicter un acte d'opposition contenant un convainquant argumentaire capable de persuader le juge dans le contentieux administratif auquel porterait recours le postulant privatiseur. Il est à remarquer que celui-ci disposait de tout le temps nécessaire pour articuler son projet et pour présenter l'intégralité de son montage financier, avec études de consultants, analyses et calculs de toute sorte. Tandis que l'Etat, pour s'opposer avec efficacité et rigueur, se trouvait enfermé dans le fatidique délai de trente jours d'activité d'une administration fréquemment désarmée et travaillée depuis l'intérieur par des occultes complaisances, et encore plus par des alliés intérieurs du postulant, surtout en ces temps si décidément "démonopolisateurs".

Remarquable et insolite situation sans défense, sans aucun doute, parce que, quand l'Etat est demandé devant les tribunaux, le code de procédure  lui concède 60 jours pour répondre aux demandes, alors que ce délai est porté à 15 jours pour les particuliers. Pour complexe qui soit un litige, il sera toujours incomparablement plus simple que la question du transfert d'un service publique à un organisme privé. Prétendre que l'Etat peut s'opposer avec des décisions élaborées, études et argumentaires à un projet privatiseur dans la moitié du temps pour répondre à des demandes judiciaires, suscite la plus grande perplexité.

Professeur de Droit administratif à la Faculté de Droit de l'Université Nationale du Comagë, Dr Hugo Eduardo Frare, qui a fait appel à l'attention de l'auteur sur ce singulier spécimen normatif.

Remarque idiomatique, intraduisible en français

11. DISPARITION DE L'APPEL D'OFFRES

Ce plan privatiseur inclut l'incorporation des particuliers dans les réseaux sectoriels des services publics, comprenant l'électricité, le téléphone, toutes les communications, les réseaux de voirie et de chemins de fer, les systèmes de radio et télévision en grande partie aux mains de l'Etat. Ce qui était exclu, très étonnamment, c'était la garantie minimale de moralité et de transparence administrative qui comporte l'appel d'offres publiques.

Dans ces cas, non pas le projet privatiseur, mais sa synthèse devait être publiée cinq jours dans un journal de grande diffusion au niveau national; cette condition est de douteuse application car le nombre de personnes qui lit les journaux de Buenos Aires dans les régions éloignées, est extrêmement réduit. La publication des projets dans les publications locales était prévue à la condition que le projet soit intéressant sur le plan local.

Mais le plus incroyable est la disposition de l'article 5, par lequel seuls les cas d'incorporation d'entreprises privées à des réseaux sectoriels ou à d'autres services  dispensés par des entreprises ou sociétés d'Etat, permet la manifestation d'une opposition à ces organismes ou entreprises locales. 

Il faut remarquer deux points d'importance capitale. En premier lieu, que la possibilité de faire opposition à d'autres personnes privées est accordée seulement dans les cas d'incorporation à des services sectoriels ou en coordination avec des services pré-existants. S'il n'y a pas de réseaux sectoriels, les particuliers, parmi eux d'autres entreprises privées potentiellement concurrentielles, n'ont pas la possibilité d'être au courant et encore moins de pouvoir se mettre en opposition au plan de privatisation, car la condition de la publicité pour cinq jours de la synthèse est restreinte  aux seuls cas d'incorporation aux réseaux sectoriels ou de coordinations de services. En deuxième lieu, en aucun cas ces personnes privées pourront entrer en concurrence avec des propositions alternatives, ou avec des prix inférieurs à égalité de conditions de prestation ou de prévision, parce que faire opposition, seulement possible pour les réseaux sectoriels ou de coordination de services, n'est pas concurrentielle. Dit d'une manière plus concise, ce régime de transfert des services publics et d'entreprises d'Etat, avait la prétention de se passer entièrement de l'appel d'offres, lequel devait purement et simplement disparaître. Non seulement braderie des biens publics, mais braderie avec un haut degré de clandestinité, ou tout au moins, dans l'opacité la plus totale, avec évidemment une nette tendance à la création de monopoles privés.

Curieux néo-libéralisme celui qui, lorsqu'il s'agit de brader le secteur public de l'économie oublie la libre concurrence et de toute notion d'appel d'offres. Encore plus singulier est un des considérants qui  responsabilise les monopoles d'état de la situation très grave qui devait être corrigée. Ce qu'il est possible de comprendre de cet épouvantable régime privatiseur et des convictions néo-libérales qui le nourrissent : Le système de monopole est seulement condamnable si c'est l'Etat qui l'exerce, et surtout pas si c'est le fait des concentrations de pouvoir économique privé.

Il va de soi que ces principes se sont notamment amplifiés sous le régime de Menem, mais ils étaient déjà présents potentiellement sous le régime radical.

Une caractéristique supplémentaire inhérente au régime Menem est que celui-ci présente une vocation, soit innée, soit compulsive, à une générale opacité alliée à un penchant vers les frontières de l'illégalité, ce qui a été dénoncé par un ministre de l'intérieur et un autre d'économie, témoins de choix car ayant été au cœur du système de corruption menemiste.

L'insécurité juridique qui s'est ensuivie, jointe à la notoire manipulation de la justice fédérale de Buenos Aires, est quelque chose sans précédent et qui a aggravé profondément la situation sociale dans l'Argentine des années 90.

Mais il est clair que ce précédent, comme bien d'autres, correspond, de fait, dans le projet de privatisations, à l'annonce d'une version social-démocrate du néo-libéralisme et qui serait une "gauche imaginaire", comme l'ont dénoncé au sujet du gouvernement socialiste de Mr. Jospin, deux journalistes, l'un du Monde, l'autre de Libération, dans un livre récent comportant ce titre. Dans ce livre, le néo-libéralisme est le principal, la social-démocratie l'accessoire, un faible édulcorant, un vain produit cosmétique, ou alors un camouflage. Ce n'est pas une bonne chose de tromper les gens sur ce point. Surtout parce que le contrôle, l'examen, et la révision des privatisations devrait être un des aspects centraux du nouveau gouvernement national mis en place à la fin de 1999. Les gouvernants ne pourront pas éviter cette réclamation collective, il me semble, ni avec des efforts d'harmonisation partisanes ni avec un travail d'adaptation idéologique imaginés comme le prix à payer pour obtenir l'accès au pouvoir. Parce qu'inévitablement sur le plan des services publics il y a intersection de la solidarité sociale,  rigoureux thème de notre temps, moteur du développement humain, avec l'économie, la modernisation et l'efficacité.