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LA DETTE EXTERIEURE ET LE DECHIREMENT DE L' ETAT NATION
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Salvador
María Lozada |
Texte paru sur la liste de discussion hispanophone
"Bienvenido" - décembre 1999
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Stan Gir & Alexandre Nikichuk
1.
LA SACRALISATION DE LA DETTE EXTERIEURE
En
novembre 1999, le futur ministre de l'économie du gouvernement accédant
au pouvoir le 10 décembre suivant, brandissait de façon menaçante, contre
ses interlocuteurs des gouvernements provinciaux, l'argument suivant :
si nous accédons aux prétentions des provinces, nous nous touverons dans
l'impossibilitè de payer les intérêts de la dette extérieure .
Ainsi,
le payement de la dette, apparaîssait à la veille de l'entrée au pouvoir
du nouveau gouvernement, comme l'aspect le plus important de la vie socio-économique,
l'élèment final de toute discussion sur l'affectation des ressources,
les mots dont le charme funeste doit clôturer tout débat, en forcer la
décision et amener une résignation et un silence respectueux.
C'était en novembre 1999, la dette extérieure au début
du gouvernement du Dr de la Rua était considérée aussi sacrée que durant
celui du Dr Raoul Alfonsin quand le président de la Chambre des députés
le Dr Juan Carlos Pugliese affirmait péremptoirement " ou bien
on paye la dette extérieure ou bien on la paye quand mème ". Cette
affirmation a été également la règle absolue sous le gouvernement du Dr
Menem .
Aussi
bien le futur ministre de l'économie que ses interlocuteurs, passèrent
complètement sous silence ce qu'il était advenu dans le monde du sujet
de la dette extérieure durant ces quinze dernières années. On supposait
ou on estimait donc que rien de neuf ne s'était passé dans ce domaine
hautement conflictuel .
On
prétendait ignorer les efforts qui furent réalisés dans certains secteurs
afin de déclarer l'extinction de ces obligations aussi douteuses que discutables
qui toutefois ne purent ètre discutées en Argentine et il ne semblait
pas qu'il y eu une volonté de le faire de la part des dirigeants des partis
politiques .
La
réalité internationale montre toutefois un bien autre visage .Les lecteurs
du Monde Diplomatique dont les colonnes témoignent constamment de la pression
insoutenable exercée à la fois par et contre cet endettement vicieux,
le savent bien .
Un grand nombre d'actes internationaux en témoignent
comme le VI colloque Amérique Latine - Europe qui s'est tenu à Madrid
en juin 1996 et dont les résultats sont désormais publiés dans un livre
que l'on ne peut pas ne pas lire " La Dette Extérieure, Dimension
Juridique et Politique " ( Editions Lepala, Madrid 1999).
Sans
faire appel à des références plus anciennes dans l'histoire de ces dernières
années, en octobre dernier, à l'occasion du synode des évêques européens,
on est revennu sur ce qui avait déjà été dit dans ce milieu religieux
quant à la nécessité d'en finir avec la dette du tiers monde à l'aube
du troisième millénaire .
Concrètement,
les évêques demandèrent que le nouveau catéchisme social qui sera publié
le 1er Mai 2000 comporte la requête de la remise de la dette pesant sur
ce secteur de l'humanité (El Pais Madrid 21/10/99).
Il
s'agit d'une flexibilisation des critères de la dette qui ne serait plus
considérée comme une inéluctable, indiscutable, immuable, fatidique et
funeste "res judicata" que seulement admet l'abdication
et la réthorique geignarde de la part de la classe politique .
2.
LA DETTE ET LE DEVELOPPEMENT HUMAIN.
Cette
flexibilisation de la Dette s'est accompagnèe d'autres correlations qui
sont : les Données économiques brutes, le Produit Interne Brut, Le Produit
Brut par habitant et mème la notion de croisance et de Développement économique
ont été démystifiés …
Le
Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) en est arrivé
a cette désacralisation des données économiques brutes au vu d'une réalité
indiscutable et impossible à occulter.
En
fait, la croissance économique mondiale ne fait qu'augmenter les inégalités
du développement.
Le
Monde produit 6 fois plus de richesses qu'en 1950, mais cette croissance
non seulemnet ne garantit pas le "développement humain" (il
est bien curieux de voir ce terme entre guillemets comme si le développement
pouvait ètre autre chose, comme si le développement avait jusqu'à maintenant
été conçu comme non humain et mème éventuellement inhumain).
En
fait, dans son rapport du 09/09/98, le PNUD déclare qu'en plus des données
brutes de l'économie, il y a lieu de tenir compte aussi de la distribution
de la richesse moyenne ressortissant des deux "indicateurs"
: la longévité (services de santé publique ) et le niveau d'instruction
(services de l'instruction publique) .
Il
s'agit bien là d'une révolution dans la classification et la hiérarchisation
des pays du monde .
Avec
cette nouvelle méthode, Brunéi, pays le plus riche du monde en terme de
PIB/habitant, se trouve rétrogradé au 35ème rang et les trois premiers
pays deviennent le Canada, la France et la Norvège .
Le
Canada laisse ainsi le 12ème rang qui était le sien ainsi que celui de
la France, et la Norvège laisse le 5ème en terme de PIB/habitant. Il s'agit
là d'une méthodologie plus juste dans la mesure ou elle colle mieux à
la réalité. C'est ainsi d'ailleurs que le préconisait Eric Hobsbawm, l'historien
renommé du 20ème siècle, quand il déclarait le Brésil, champion mondial
de l'inéquité et "monument à l'incurie sociale", et qui a 6
fois le produit brut du Sri Lanka île asiatique qui cependant n'a qu'un
tiers de la mortalité infantile et seulement la moitié de l'analphabétisme
de la vaste patrie des "Sem Terra" .
Le
rapport du PNUD dit encore "le lien entre la prospérité économique
et le développement humain n'est ni automatique ni évident". En réalité
on peut même dire bien plus : La croissance mondiale a élargie de façon
scandaleuse l'abîme existant entre les riches et les pauvres.
Les
trois personnes les plus riches du monde possèdent une fortune supérieure
au PIB de 48 pays en voie de développement .
Le
patrimoine des 15 individus les plus fortunés dépasse le PIB de l'Afrique
subsaharienne. La richesse des 84 personnes les plus riches dépassent
le PIB de la Chine avec ses 1,2 milliards d'habitants. Tous ces chiffres
ressortent de ce mème rapport. Il y est dit également que 4% de la richesse
accumulée par les 225 plus grandes fortunes mondiales pourrait donner
à toute la population du globe accès à la satisfaction des besoins élémentaires
de base ainsi qu'aux services sociaux correspondants : santé, instruction,
alimentation.
Il
s'agit là d'une relativisation des données brutes de l'économie, car,
sans relations à d'autres éléments et à d'autres valeurs, ces données
sont incapables de nous donner une idée de la société humaine concernée.
Ce
n'est qu'en les rapportant à l'aspect humain de la société que ces données
économiques commenceraient à avoir une certaine signification.
Cete
relativisation des donnèes èconomiques brutes n'est pas étrangère à nos
considérations sur la dette extérieure et sur sa "sacralisation".
Si le "dèveloppement humain" et ici, c'est ironiquement que
nous mettons les guillemets, suppose de donner en priorité satisfaction
à l'alimentation, à la santé et à l'instruction des hommes, il semble
évident que cela suppose l'élimination des obstacles susceptibles de détourner
la satisfaction des ces objectifs essentiels au développement humain.
Si l'économie en termes bruts n'est valide en matière de développement
humain que si elle a un rapport efficace et positif avec la satisfaction
de ces thèmes centraux à l'homme, il ne fait aucun doute que les autres
nécessités économiques susceptibles de géner ou d'empécher cette réalisation
de l'humain doivent être mises de côté.
Autrement
dit, le développement humain implique le déplacement, la subordination
ou le rejet de tous les facteurs économiques qui y font obstacle, l'aspect
humain est dèfinitivement prioritaire, l'économique non nécessairement
humain ou mème éventuellement contraire au développement humain, est accessoire.
Cela
étant, le payement rituel des intérêts de la dette extérieure est clairement
contre-productif dans la majeure partie des pays du tiers monde en matière
d'alimentation, de santé et d'instruction de vastes secteurs de la population.
Ainsi que le suggèrent les paroles du nouveau ministre
de l'économie, la dette extérieure, du fait du payement des intérêts correspondants
contitue un véritable mur auquel se heurtent toutes les affectations de
ressources afin que l'être humain ou plutôt tous les êtres humains puissent
jouir dans ce pays d'un traitement vraiment humain.
Ainsi,
l'impératif pour l'Etat d'orienter l'économie vers un développement humain
et de le servir, est incompatible avec le service financier à tout prix
de la dette extérieure.
Le
développement humain requiert par conséquent, la subordination, le déplacement
ou l'annulation de ces payements à l'origine de tant de frustrations.
Devant
cette obstination à payer les services de la dette qui préside à la naissance
du nouveau gouvernement qui accédera au pouvoir le 10/12/99, il est indispensable
de considérer tout cela dans une certaine perspective.
3.
LE MODELE TRANSNATIONAL .
Il
semble que le passage des dictatures latino-américaines criminelles des
annèes 70 et du début des annèes 80 à une sorte de démocratie limitée
et éventuellement châtrée ait été régi par une espèce de plan imposé de
l'extérieur.
Il s'agit d'une influence extérieure prolongée par
certains des tares de ces dictatures. C'est ce qu'on appelle dans d'autres
publications "Le modéle Latino Américain de transition de la dictature
à la démocratie dépendante ou conditionnée". Jalousement gardés et
influencés par l'administration nord américaine des années 80 et du début
des années 90, certains de ces pays soumis à des dictatures militaires
ont viré depuis lors vers une certaine démocratie, conforme à un modèle
trés évidemment déssiné et imposé par la puissance hégémonique et ne permettant
parfois qu'une participation populaire restreinte.
Les
aspects essentiels de ce modèle semblent être, durant les années 80, un
engagement rigide et définitif de la part de ces démocraties "conditionnées"
ou "dépendantes" de payer les services financiers de la dette
extérieure, ce qui présuppose une "aide" financière extérieure
permettant le payement de ses intéréts avec l'immédiate conséquence d'une
augmentation quasi incontrôlée de cette mème dette extérieure dont le
principal semble ainsi difficilement payable, ce qui ne semble pas avoir
grande importance tant que les intéréts sont payés.
Cet
objectif ayant été atteint, durant la décennie suivante on impose une
incorporation rigide au "monde globalisé", bien entendu, il
s'agit d'une "globalisation" hégémonique qui se traduit par
une soumission implacable et inconditionnelle à l'idèologie de marché,
et ce, avec les conséquences bien connues: apauvrissement populaire et
taux élevé de chômage.
A cela viennent s'ajouter les pièges archi connus qui
rendent l'ouverture des marchés universelle et sans restrictions pour
les pays périphériques, mais seulement sélective et restrictive et dans
de nombreux cas inexistante pour les pays centraux comme nous le verrons
plus loin.
Dans
le même temps et simultanément, la promotion de l'idéologie en faveur
des privatisations fait ressortir la mutuelle implication entre l'énorme
dette extérieure et la nécessité de privatiser les entreprises publiques.
Ainsi,
sera-t-il possible d'améliorer l'efficience et de payer en mème temps
la dette extérieure….
Mais
pas le capital dû, pratiquement impossible à rembourser, sinon simplement
les intérêts de la dette extérieure .
Cette
argutie conceptuelle, prit force de loi en Argentine par le décrét 1842/87
qui constitue un échantillon de législation d'une importance particulière
et symbolique que nous commenterons plus avant.
Par
ailleurs, et de façon complémentaire, le pouvoir militaire devient intangible
et constitue le gardien de l'expérience limitée de démocratie.Tel est
le second élément du schéma de transition.
De
là, dérive une politique militaire qui n'ose pas s'attaquer aux problèmes
les plus importants et se refuse à transformer les forces armées, (instrument
habituel et despotique du " statu-quo " local et de ses protecteurs
et mentors impérialistes), en un véritable gouvernement civil.
Cet immobilisme devant l'"establishment"
militaire explique les efforts ridicules faits en Argentine, au Brésil,
et en Uruguay pour protéger les fonctionnaires militaires des accusations
plus que plausibles d'homicides, tortures, séquestres et vols grâce à
une législation impudique ayant pour objet de les mettre à l'abri de toute
imputation pénale au moyen d'amnisties, prescription de soixante jours
en matière de crimes contre l'humanité alors que dans le code pénal le
délai minimum pour punir des délits mineurs est d'un an, l'impossibilité
d'accuser ceux qui sont considérés à priori comme liés par le devoir
d'obéissance, et qui par ailleurs ont bénéficié de pardons et indulgences
ignobles ou qui ont été condamnés mais qui ont aussi bénéficié des stratagèmes
juridiques, etc…
Ainsi,
la question des droits de l'homme,comme nous le signalons par ailleurs,
est immolée sur l'autel du pouvoir militaire qui, en dépit de ces comédies
méprisables, en ressort doublement renforcé.
A part ces deux aspects : imposition du plan néo-libéral
et pouvoir militaire considérés comme conditions dominantes dont
les réponses ont été adoptées comme préliminaires indispensables à la
"transition", la participation publique est limitèe aux zones
d'intérêt mineur de la politique paraîssant ainsi, et bien souvent à juste
titre, un jeu gratuit et mème en quelque sorte une espèce de masturbation
politique, de "politique politicienne" ou de "politiquaillerie".
Et
cela, au lieu de constituer comme cela devrait ètre l'instrument permettant
de surmonter la dépendance et le sous développement .
Ainsi,
l'intérêt du public et la participation collective diminuent rapidement,
et la politique apparaît comme un jeu, par ailleurs réservé à la classe
politique, à seule fin de changer les aspects mineurs de la réalité de
telle sorte que rien de vraiment important ne change vraiment.
Le
sentiment de frustration qui résulte de ce modèle de transition, devrait
enseigner aux autres pays du tiers monde ce qui devrait ètre évité quand
les dictatures militaires s'eteignent d'elles mêmes ou sont expulsées,
mais il est bien improbable qu'il leur soit permis de tirer leur profit
de l'expérience des autres …
Les
conséquences de ces deux importantes limitations sont manifestes :
L'orientation
économique toute particulière de ces gouvernements provient de la première.
Obligés
de payer les intérèts de la dette extérieure sans avoir la possibilité
d'en discuter la légitimité, ce dont ils n'ont d'ailleurs aucune envie,
ils doivent augmenter leur endettement extérieur afin d'obtenir des fonds
des banquiers internationaux, pour pouvoir payer ….ces mêmes banquiers
internationaux.
L'augmentation
des importations, conséquence directe d'une ouverture dogmatique mais
en réalité selective du commerce extérieur tend à dépasser régulièrement
les efforts en vue d'accroître de plus en plus les exportations.
Il y a ainsi toujours, un report tragique de
ce qu'il y a lieu d'appeler la dette sociale à savoir : besoins élémentaires
de la population, santé publique, alimentation, viabilisation dans les
zones les plus dépossédées, travaux publics, instruction, infrastructure
indispensable au développement, etc.
Parallèlement,
le Fonds Monétaire International (FMI) est peu à peu considéré comme une
sorte de gouvernement mondial "de facto".
En
fait, le FMI impose les qualifications et fixe les conditions dont le
respect sera présenté à l'opinion publique comme décisif, interdit les
investissements d'intérét public considérés comme susceptibles de contribuer
au déficit fiscal, et enfin dirige l'économie en fonction de critères
qui n'ont rien à voir avec le bien national, se présentant comme l'éxécuteur
des exigences des créanciers extérieurs.
Cela se traduit par l'étranglement financier de tout
ce qui n'est pas recyclage financier, cela augmente l'appauvrissement
collectif et le chômage qui accompagne automatiquement cet alignement
sur la "modernisation", la productivité et la "globalisation"
qui sont les différents visages du "Capitalisme Sauvage"
lui même grand réducteur des droits de l'homme pour raisons économiques.
James Morgan, un des dirigeants du service mondial
de la BBC a écrit dans le " Financial Times " un article dont
le titre ne trompe personne : "La chute du bloc soviétique a permis
au FMI et au G7 de devenir les maîtres du monde et de créer une
nouvelle ère impériale".
Il y précise que la construction du nouveau système
global est orchestrée par le "groupe des 7", le FMI, la Banque
Mondiale et le GATT constituant ainsi un "système de régime indirect
qui intègre les chefs des pays en dèveloppement dans une nouvelle
clase dirigeante".
Bien
évidement, cela implique que les éléments du tiers monde incorporés dans
ce " Club du Pouvoir Mondial " doivent légitimer par leur présence
des inégalités alarmantes et des discriminations graves pour le bien ètre
collectif de leurs pays respectifs.
Pour
James Morgan, l'hypocrisie des nations riches qui réclament l'ouverture
des marchés du tiers monde alors qu'elles protègent les leurs, est une
évidence .
Come le dit N. Chomsky, on pourrait ajouter que la
Banque Mondiale elle mème rapporte que les mesures protectionnistes des
pays industrialisés réduisent le produit national des pays du Sud de près
du double du montant proportionné par l'aide officielle, principalement
à travers la promotion des exportations spécialement vers les secteurs
les plus riches, les moins nécessiteux mais les plus " consuméristes
" des pays sous développés (ou "en développement" en jargon
technocratique).
On
pourrrait également se souvenir, ajoute le professeur du MIT, que la CNUCED
estime que les barrières non tarifaires(BNT) élevées par les pays industrialisés
réduisent les exportations du Tiers Monde en matière de textiles, acier,
produits de la mer, aliments pour le bétail et produits agricoles, se
traduisant par des pertes de milliards de dollars .
Une
autre estimation de la Banque Mondiale fait ressortir que 31 % des biens
manufacturés en provenance du Sud font l'objet de barrières non tarifaires
alors que seulement 18 % des mèmes articles en provenance du monde développé
y sont soumis.
Reportons
nous enfin au rapport du PNUD de 1992, qui signale l'abîme grandissant
entre riches et pauvres : 83 % de la richesse mondiale est possédée par
le milliard le plus riche alors que le milliard le plus pauvre se partage
seulement 1,4 % de cete richesse . Un abîme qui s'est décuplé depuis 1960
et que l'on peut atribuer aux politiques du FMI et de la Banque Mondiale.
Ce
même rapport ajoutait que le protectionnisme des 20 des 24 pays industrialisés
était bien supérieur à ce qu'il était une dècennie auparavant, Etats Unis
inclus et qui célébraient la " revolution " reaganienne en multipliant
par deux la proportion des importations sujètes aux mesures restrictives
.
Les guillements dont nous avions entouré les mots "aide
financière" étaient parfaitement justifiés.
Voyons
un peu le résultat de décennies de " Crédit pour le Développement
" fait aux pauvres par les riches .
D'aprés l' Economist cela s'est en réalité traduit
par un transfert des pays pauvres vers les coffres des pays riches d'environ
21 milliards de dollars (Noam chomsky "The year 501 : The conquest
continues " South End Press pag 61 et suivantes).
Le plan de transition aprés les dictatures militaires,
c'est à dire d'un gouvernement "de facto", à la dèmocratie est
d'une tragique ironie , car il implique une soumission totale et définitive
au "gouvernement de facto du monde"(le FMI), qui
par dessus les gouvernements élus, établit le "régime indirect"
de domination macro-économique que mentionnait James Morgan .
4.
L'ARRIERE PLAN HISTORIQUE .
Il
convient de regarder en arrière pour percevoir le caractère dramatique
des hésitations et des complaisances par lesquelles nous sommes passés
durant ces années en matière de dette extérieure pour apprécier la régression
dont nous avons souffert.
Permettez moi de vous citer le paragraphe suivant extrait
d'une chronique sur "The Cambridge History of Latin America"
dans "The New York review of Books" (5 vol directeur Leslie
Bethel)
Dans
son ensemble le monde était moins intèressé par la voix authentique des
poètes latino américains que par le ton strident des avocats de ces pays.
Les avocats latino-américains, héritèrent de la tradition légaliste et
constitutionnelle élaborèe par les théologues et les juristes des 16°
et 17° siècles.
Ces
avocats, défièrent de différents manières l'arrogance politique et économique
des intérêts étrangers et particulièrement des USA .
En 1895, le Secrétaire d'Etat Richard Olney, s'était
vanté du fait que les USA étaient pratiquement les "maîtres
du continent" prètention que la Grande Bretagne en arriva a admettre
en pratique si non en théorie .
Les
états d'Europe quant à eux, soutenaient qu'ils pouvaient utiliser la force
et intervenir (comme au Nicaragua) pour récupérer leurs créances et protéger
leurs ressortissants contre des gouvernements instables et corrompus,
usant et abusant de la doctrine de l'extra-territorialité .
Entre
1868 et 1896, l'avocat argentin Carlos Calvo développa et défendit une
version extrême de la souveraineté nationale : les intérêts et les investissements
étrangers doivent ètre inconditionnellement sujets aux lois nationales,
abstraction faite de la notion européenne du caractère sacré des contrats.
Les
états doivent donc agir en fonction de leurs intérêts tels qu'ils les
perçoivent même si cela doit déboucher sur le rejet unilatéral des dettes.
La "doctrine Calvo" devint le cri de guerre des nationalistes
Latino-Américains ." c'était note Robert Freeman Smith, le débat
classique entre débiteurs et créanciers, les développés et les sous-développés,
les faibles et les forts".
Un
tel paragraphe suggère de nombreuses observations .
En
premier lieu, la formidable actualité et pouvant signifier en même temps
une menace, de Carlos Calvo. Cette période est dominée par la question
de la dette extérieure, par les scandaleuses interventions des états centraux
en faveur des créanciers et la non moins scandaleuse tolérance des gouvernements
périphériques dans leur acceptation complice de cette intervention.
Il
apparaît significatif que les intellectuels du nord créancier doivent
s'arrêter au grand lutteur de la résistance à l'intervention des états
créditeurs aux réclamations juridiques de leurs ressortissants, résistance
qui en tous cas a été et est ignorée dans cette étape actuelle de l'Amérique
latine durant laquelle elle aurait été sans doute la plus nécessaire.
En
deuxième lieu, la mention respectueuse de la tradition juridique ibérique,
argentine et ibéro-américaine, héritière de la grande Ecole Espagnole
de Droit Naturel du 16ème siècle et des siècles suivants.
La
lutte de nos juristes contre l'arrogance des pays centraux constitue l'honneur
historique de la profession juridique dans la région, tradition et honneur
sur lesquels on n'enseignait pas grand chose dans ces temps là aux Facultés
de droit et sur lesquels on écrivait peu, non seulement dans la presse
paralysée bien souvent par le réflexe "privatisateur" et par
la destruction du concept de "bien public" dans la vie publique,
ni même dans les revues spécialisées.
Finalement
on en arriva à la déformation et à la perturbation culturelle faisant
considérer comme "extrême" la version de la souveraineté nationale
proposées par Calvo. Ce dernier, ne se servit jamais d'autres concepts
que de ceux habituels et reconnus . En toute simplicité et sans rien de
surprenant, il écrit dans l'édition définitive de son "Traité"
:
"A
nos yeux, le caractère essentiel de la souveraineté d'un état ne repose
pas sur sa plus ou moins grande dépendance des autres mais sur la capacité
qu'il a de se donner une constitution, d'établir ses propres lois, etc...
sans l'intervention d'une puissance étrangère .( Droit international,Théorique
et pratique ,1896, vol1 pag 171 ).
Ce
qui s'est passé c'est qu'il a voulu appliquer aux pays périphériques ce
qui avait cours légal dans les pays centraux. Cela apparaissaît et apparaît
encore comme insolite et déconcertant.
Ce qui était une simple application de la souveraineté
nationale pour la France ou l'Angleterre, apparaîssait aux nord-américains
et aux europèens comme une anomalie grossière, une exagération ridicule
quand elle était invoquée en faveur du Nicaragua ou de Panama . La mentalité
colonialiste ne tolère pas que les petits pays prennent à leur compte
les concepts soit-disant universels qui sont les fruits de la culture
occidentale .C'est pour eux une extrapolation insupportable .
A
partir de cette perspective déformée apparaît comme "nationalisme
latino-américain" ce qui n'est rien de plus qu'une réponse défensive
à l'expansion permanente et tenace des pays du nord capitaliste et à leur
super-nationalisme, particulièrement à celui des U S A .
Dans
le mème temps, il est intéressant d'observer comment cette même attitude
coloniale n'est ni surprise ni scandalisée par l'aberration historique
que constituent les relations des USA avec ses voisins.
Il
est bien clair que le fait que Calvo voyait dans la souveraineté la capacité
d'un état de se donner une constitution et des lois sans l'intervention
d'une nation étrangère ne pouvait qu'incommoder !.
Comment
sa conception de la souveraineté ne serait-elle pas apparue "extrémiste"
?
C'est
exactement le contraire de ce qui s'est passé avec Cuba depuis le tout
début de son histoire contemporaine.
En
1826, le Secrétaire d'Etat Henry Clay empêcha que Simon Bolivar, le Libérateur,
ne porte la lutte pour l'indépendance dans cete île .
L'
Indépendance par rapport à l'Espagne, pas par rapport aux USA, ne fut
obtenue qu'il y a un siècle en 1898 .
Mais,
ce ne fut pas une vraie indépendance, ainsi qu'il est bien connu. Souvenez
vous de ce qui se passa avec la première constitution cubaine .Ce ne fut
pas comme le demandait Calvo à juste titre, le fruit de la faculté de
se donner des normes sans l'intervention d'un pays étranger.Mais bien
tout le contraire .
L'Amendement
Platt, fut une mutilation de la première constitution cubaine qui ne fut
pas introduite par le pouvoir constituant cubain ni par le pouvoir réformateur
de la constitution du pays .
Non,
l'Amendement Platt à la constitution cubaine fut imposée par le Secrétaire
à la Guerre des USA Elihu ROOT mais porte le nom du sénateur Orville H
Platt du Connecticut, Président du comité du Sénat pour les relations
avec Cuba .
Craignant
une action directe dans l'ile du fait de la forte résistance du peuple
cubain (comme d'ailleurs ce sera le cas 3/4 de siècle plus tard) les nord
américains choisirent d'exercer une pression indirecte.
En
1901, par une clause additionnelle à la "Army Appropriation Act",
une sorte de loi d'attribution de fonds à l'armée, au termes de laquelle
on demandait à la classe politique cubaine d'introduire dans la constitution
certaines restrictions contenues dans cette loi :
1
) ne pas permettre qu'une autre puissance puisse exercer un type de contrôle
quelconque sur l'île
2)
ne pas consentir à l'état cubain un endettement excessif, pour éviter
une intervention des U S A .
3) accepter la vente ou la location de sites dans l'ile
pour l'établissement de bases navales ou de charbonnages en faveur des
U S A .
Liberté aux U S A d'intervenir dans
l'ile pour y maintenir l'ordre ou en préserver l'indépendance.
Cette
dernière clause était particulièrement odieuse au peuple cubain .
Aprés
le départ des troupes US en mai 1902, l'amendement Platt fut incorporé
au traité de 1903 .
Cet
Amendement fut utilisé comme excuse aux interventions de 1906-1909 et
de 1917-1923.
Cette dernière clause eut lieu durant la présidence
du Président Woodrow Wilson, idéaliste en matière de politique extérieure
quand il s'agissait de l'Europe mais interventioniste implacable lorsqu'il
s'agissait du Méxique, des Caraibes et de l'Amérique Centrale. L'amendement
servit également en de nombreuses autres occasions pour faire pression
en matière de politique intérieure cubaine .
Plus
récemment en 1934, dans le cadre de la " politique de bon voisinage
" du président F D Roosevelt, interprétée avec humour par les méxicains
comme : Ils sont nos voisins et nous, nous sommes les bons". Le traité
signé le 29 mai en finit avec ces dispositions oppressives et grossièremnt
colonialistes.
Retournons
à la dette extérieure.
Curiosement Calvo cite avec une approbation justifiée
une décision du gouvernement de Washington de 1868, selon la quelle
fut formée une commission en vue d'examiner les réclamations financières
formulées par des citoyens US et étrangers en raison de pertes ou d'actes
d'expropriation dont ils auraient pu souffrir durant la guerre civile
du fait des autorités fédérales.
Cette
commission était souveraine, ce qui signifiait que ses décisions étaient
sans appel mais devaient s'astreindre à une règle rigide : non seulement
elle ne devait accepter aucune intervention diplomatique en faveur des
réclamants étrangers mais le seul fait d'intervenir diplomatiquement amenait
ipso facto le rejet sans autre examen de la réclamation en question.
On peut facilement imaginer quel aurait été le scandale
international si dans un examen détaillé de chacune des obligations extérieures,
un pays latino-américano se fut comporté de cette façon.
Il
y a lieu en effet dans ce contexte de se souvenir que les obligations
inhérentes à ce que l'on appelle la dette extérieure ne sont rien d'autre
que des obligations crées en faveur d'un créancier privé -généralement
un banquier- ce qui n'autorise en aucune façon l'intervention de gouvernements
ou de diplomates étrangers.
Cependant, durant ces dernières années,nous avons vu
des hauts fonctionnaires allant des chefs d'états aux embasadeurs en passant
par toutes sortes de Secrétaires et de ministres participer au recouvrement
des intérêts de la dette extérieure, comme s'il s'agissait d'une obligation
entre états, les créanciers bénéficiant ainsi avec l'accord complice
des états supposés débiteurs, du formidable appui officiel des grandes
puissances. C'est comme si les doges de Venise avaient pris avec enthousiasme
le parti de l'implacable Shylock.
Carlos
Calvo possédait une expérience vivace qui fécondait son oeuvre théorique
.Son militantisme intellectuel contre les puissants de son époque n'était
pas une attitude intellectuelle, elle correspondait à une praxis basée
sur une expérience profonde.
Son
engagement avec le gouvernement paraguayen contre les anglais fut une
expérience marquante pour lui. Il convient de rappeler au lecteur quelles
en furent les circonstances.
Un
certain Canstatt, un uruguayen qui de temps à autre exhibait un passeport
britanique, se trouva compromis, à la fin des annèes 50 du siècle dernier,
dans une éventuelle conspiration de la puissance hégémonique de l'époque
en vue d' assassiner le Président Lopez
Lorsqu'il
fut pris, le consul britanique éxiga sa libération pour la seule raison
qu'il était un sujet de la reine Victoria. Bien que le gouvernement d'Asuncion
ait accepté de discuter de cette affaire avec une grande tolérance, il
n'accepta jamais la prétention impudente qui entendait assujettir l'exercice
du pouvoir juridique, l'action des tribunaux, émanation indiscutable de
la souveraineté nationale, à une réclamation diplomatique.
Le
consul Henderson non seulement n'abandonna pas son exigence extraordinaire
mais en plus, à titre de protestation, il abandonna le Paraguay rompant
ainsi les relations bilatérales.
En
1859, le fils du Prèsident lopez, le général Francisco Solano Lopez, se
diposait à retourner de Buenos Aires à Asuncion aprés avoir servi de médiateur
entre les gouvernements de la Confédération (Urquiza) et de l' Etat Indèpendant
de Buenos aires (Mitre).
Au
sortir de la rade, le navire qui le transportait fut arraisonné par des
navires de guere britaniques qui l'obligèrent à retourner au port.
Interpellé
à ce sujet, Sir Stephen Lushington, commandant la flotte britanique dans
le Rio de la Plata, donna comme raison de son agression le refus du Paraguay
de libérer le présumé conspirateur Canstatt.
Le
gouvernement d'Asuncion engagea ensuite Carlos Calvo et l'envoya comme
ministre en mission spéciale à Londres afin d'obtenir des réparations.
Arrivé
à destination, il ne réussit pas à être reçu par Lord Russel (ancêtre
de Bertrand Russel) qui était alors premier Ministre de la Reine Victoria.
A
peine reussit-il à parler avec un sous secrétaire du Foreign Office pour
s'entendre dire que le gouvernemebt impérial se refusait à toute négociation
tant que le Paraguay n'accepterait pas les éxigences du consul Henderson.
A
partir de ce moment, commença la tâche titanesque (ou plutôt Davidesque)
de Calvo qui consista à faire converger sur le gouvernement de Londres
les opinions et les convictions des plus grands juristes et des personnalités
publiques les plus éminentes - tant des îles que du continent -, effort
immense de pression intellectuelle, de prestige et de respectabilité internationale
qui finalement donna des résultats positifs.
En
1862, fut signé à Asuncion, siège du gouvernement offensé, un traité aux
termes duquel, la hautaine Albion affirmait n'avoir pas voulu s'arroger
le droit d'intervenir dans la juridiction du Paraguay et que Lushington
avait agi de son propre chef, son action étant complètement étrangère
au gouvernement de sa gracieuse Majesté Britanique.
Aprés
quoi, Calvo resta en Europe et devint lors de la décennie suivante l'un
des juristes internationaux les plus éminents du 19ème siècle, membre
fondateur de l'Institut de Droit International et correspondant de l'Académie
des Sciences Morales et Politiques de l'Institut de France .
Tant
par son engagement comme diplomate juriste par une nation soeur que par
sa vocation intellectuelle intégratrice, Carlos Calvo fut un homme de
cette Amérique-ci-devant-espagnole, comme Alberdi aimait à le dire .
Notre
continent était alors (cela se passait pendant le long règne de l'empire
victorien) le seul "Tiers-Monde" visible. Calvo serait aujourd'hui
convaincu de l'opportunité non seulement de l'intégration Ibéro-Américaine
mais encore de l'incorporation de nos pays à ce qui fut le mouvement des
pays non-alignés par la suite durant les années internationalement lamentables
du Ministre DiTella .
De
nos jours, il participerait à l'effort international pour réduire la dépendance
à un centre hégémonique totalitaire qui comme les empereurs romains se
considère de legibus solutus, hors normes, en dehors du droit,
bien plus, agresseur habituel du droit des gens, promoteur et éxécuteur
de guerres internationales et cela contre la décision de la majorité des
embres du Conseil de Sécurité des Nations Unies et, entre autres, promoteur
implicite de génocides comme cela fut le cas au Timor oriental pendant
des décennies,
En fait, à un moment où la balcanisation de l'Amérique
ex espagnole devenait de plus en plus aiguë, du fait des dessins impérialistes,
et ou les différences nationales de la "Grande Patrie" devenaient
irréversibles, Calvo voulut passer sur ces différences et produit des
textes totalisateurs comme la "Collection Historique et Complète
des Traités, Conventions, Capitulations, armistices, Questions de frontières
et autres aspects diplomatiques de tous les Etats compris entre le Golfe
du Méxique et le Cap Horn de l'année 1493 à nos jours (1862 11 vol
)", "Anales de la Révolution en Amérique Latine de 1808
jusqu'à la reconnaissance par les Etats Européens de l'Indépendance de
ce vaste continent (1864/1867,5 vol), et "Une page de Droit
international ou l'Amérique du Sud avant la science du Droit des gens
modernes) (1862 )".
Il
est donc parfaitement pertinent de rappeler aujourdhui, à propos de la
dette extérieure considérée comme un des causes du malheur contemporain,
la vocation Ibéro-américaine de Calvo.
Et
cela parce qu'une des grandes malhonnêtetés dont les peuples latino-américains
ont souffert du fait de leurs gouvernements, a été de ne pas se décider
à unir leurs forces et à affronter ensemble la pression des créanciers
extérieurs.
Nous unir en un Cartel ou un Club de Débiteurs de la
mème façon que le font les Créanciers avec l'appui additionnel du FMI
et des grands Etats capitalistes, aurait permi d'égaliser les forces et
cela n'aurait pas été précisément ce qu'auraient voulu nos dominateurs
extérieurs ni correspondu aux désirs qu'ils laissaient avoir à nos pauvres
et pathétiques gouvernants des années 80 et 90 .
Ceux
là, ont été et sont titulaires ainsi que le dit et cette fois à juste
titre le cliché journalistique : titulaires, porteurs d'un titre, simples
détenteurs formels d'un pouvoir qui leur permet d'exercer à niveau subalterne
la " Politique Politicienne " de la petite bagarre pour le pouvoir
entre tous ces quémandeurs d'une charge, d'un bénéfice, d'avantages, entre
petits caudillos et usuriers électoraux, mais jamais dans les grandes
instances dont dépendent le bien collectif, comme par exemple la dette
extérieure.
Vers
1984/ 85, l'Argentine, le Brésil et le Méxique unis auraient pu mettre
en déroute le système financier international et auraient pu utiliser
le formidable pouvoir de leurs dettes douteusement exigibles pour imposer
une bonne fois pour toutes un " nouvel ordre économique international
" dont on n'arrêtait pas de parler dans la réthorique bureaucratique
et qui n'aurait pas été tellement lointain des attentes du "Wall
Street Journal"
Mais,
comme si cela n'avait pas d'importance, nous avons dû supporter durant
les années 80 le spectacle attristant de ces proclamations constantes
aux termes desquelles, telle réunion ou telle autre au sujet de la dette
extérieure n'impliquait en aucune manière la formation de ce type
de Club ou de Cartel que nous avons mentionné plus haut.
Il n'aurait pas fallu que nos dominateurs extérieurs puissent interpréter
ces actes inoffensifs et rituels de tourisme officiel et diplomatique
comme une véritable défense de l'intérêt collectif .
Non
seulement il le fallait mais il fallait aussi reconnaître par le payement
du service financier, la légitimité d'une dette présentant de fortes présomptions
de manque de justification et d'inéxigibilité.
De
même ces gouvernements boiteux se sentaient obligés de convaincre leurs
créanciers et leurs protecteurs de ce que nous n'allions pas ètre défendus
de la mème façon, avec la mème force plurielle, avec la mème solidarité
utilisées par eux pour défendre de présumées créances.
La tragédie de la dette extérieure, vue sous cet angle,
a signifié un grave recul dans l'intégration réelle et non réthorique
de l'Amérique Latine.
5.
UNE SUGGESTIVE MARGINALISATION DU JURIDIQUE.
Durant
toutes ces années, à quelques exceptions près, se produisit une marginalisation
suggestive de l'aspect juridique dans le traitement et la discussion de
la dette extérieure. Suggestive et sans discussion car le thème de la
dette est par définition une matière juridique.
La
relation entre débiteur et créancier, l'éxigibilité ou le manque d'éxigibilité
de ce que l'on prétend dû, la légitimité des moyens utilisés pour contraindre
le débiteur au payement de cette obligation, tous ces points sont totalement
juridiques.
A
l'exception de quelques références oratoires du candidat à la présidence
victorieux en 1983, références rapidement escamotèes et contredites en
1984 par le ministre Grinspun, et qui commença à payer le service de la
dette, arrachant jusqu'à la racine toute notion de légitimité, toute considération
juridique a été systématiquement exclue.
Cela
correspond clairement à la vocation de payer la dette extérieure, qui
mème si elle est dissimulée n'en est pas moins évidente, de la payer sans
discussion. Cette vocation est l'un des traits qui définissent le modèle
de démocratie dépendante ou conditionnée pratiquée en Argentine, au Brésil
et en Uruguay comme transition aux dictatures militaires .
La
considération juridique etait, ainsi que je l'ai dit, essentielle et devait
se développer au moins dans trois directions.
La
première concerne les pays qui contractèrent une dette publique ou convertirent
de façon perverse une dette privée en une dette publique durantl' une
de ces dictatures militaires. L'Etat est une personne juridique et comme
telle ne doit répondre que des actes et des faits qui ont leur origine
dans ses organes légitimes de direction et d'administration.
Durant
les dictatures, résultats des habituels coups d'état, ces organes sont
occupés avec violence et sans légitimité par un usurpateur qui n'a pas
d'autres titres pour gouverner qu'une appropriation criminelle.
Pour
les argentins cela est maintenant juridiquement indiscutable suite à la
courageuse sentence d la Chambre Fédérale de Buenos Aires relative au
procés pour délit de rébellion des responsables de la dictature de 1976/83.
Par conséquent, si les organes de direction et d'administration
de la personne juridique de l'état ne sont pas légitimes et sont occupés
par des délinquants violents, il est clair que ces remplaçants ne peuvent
par leur action compromettre la responsabilité et le patrimoine de la
personne juridique qui a fait l'objet de cette usurpation.
Le
fait de reconnaître comme siennes les obligations contractées par les
délinquants qui ont occupé le pouvoir de l'état, n'est en aucune façon
une obligation résultant de la continuité de l'état, étant donné que le
délit de rébellion implique une évidente interruption de cette continuité.
Il
s'agit plutôt d'un cadeau, d'un don gratuit fait aux créanciers.
Le
fait de l'avoir considérè ainsi, non seulement a constitué, comme nous
l'avons vu, un immense dommage économique avec d'atroces répercussions
sociales mais a stimué une joyeuse collaboration du "Big Business"
financier international avec les militaires qui donnèrent libre cours
à leurs penchants pour les coups d'état, très à la mode en Argentine,
au Brésil et en Uruguay dans les années 80.
Pendant
ce temps, la faiblesse humiliante des gouvernements civils devant la pression
des prétoriens particulièrement visible dans la préparation de la constitution
brésilienne, dans le vote de la loi d'impunité, par les chambres Uruguayennes
et dans le cynisme du " point final " et du "devoir d'obéissance"
qui fut offert aux militaires argentins suite aux succés de la semaine
sainte de 1987 .
Bien
que la dictature militaire n'ait rien à y voir, la deuxième direction
se développe dans le sentiment d'immoralité de l'ensemble des obligations
connues sous le nom de dette extérieure.
Ce
mème président élu en 1983, dés mars 1984, alors qu'il jouissait encore
de l'état de grâce, reconnaîssait à la télévision italienne que cettte
dette avait été contractée de façon perverse, non pour promouvoir mais
au contraire pour frustrer le développement du pays .
Aprés
quatre mois au pouvoir en tant que chef administatif de la nation, il
devait disposer de toutes les informations techniques provenant des départements
compétents du pouvoir éxécutif et il etait raisonnable que cette conclusion
ait été formulée aprés un examen fait sous un angle qui supposait la meilleure
connaissance possible de tous les éléments impliqués.
En
outre, la conclusion présidentielle coïncidait avec le sens commun le
plus évident : comment il peut n'ètre pas illicite la cause d'une obligation
contractée par un débiteur qui ne tenait aucune capacité objective, ni
pour rembourser le capital ni pour payer les intérêts, sans que cela ne
soit fait au détriment de sa substance propre ou sans nouvel endettement?.
Comment
ne pas en inférer qu'il existe une collusion coupable entre un débiteur
frauduleux et un créancier frauduleux dans la mesure où le prêteur, de
nature si restrictif, si prudent, si craintif, se lance à préter des sommes
importantes à qui de toute évidence n'a pas les revenus qui lui permettent
de rembourser le capital et pour qui le seul le payement des intérêts
met sérieusement son éxistence en danger.?
La
disproportion entre le montant de la dette et l'incapacité de payement
du débiteur est la preuve la plus éloquente du manque de sérieux - c'est
à dire de véracité, d'authenticité, de légitimité en somme- lors de l'octroi
de ces obligations énormes, absurdes et privées de sens commun.
Il
y avait donc là, un cas d'application du principe général de droit qui
en Argentine est inscrit dans l'article 504 du code civil, reflet d'une
disposition parallèlle du code Napoléon, aux termes de laquelle sont inexistantes
les obligations reconnues provenant d'une cause illicite.
6.
LE MARCHAND DE VENISE ET LA DETTE EXTERIEURE .
Le
troisième axe a une autre signification.
Même
si les obligations extérieures n'avaient pas été contractées par qui n'avait
pas la capacité d'engager l'Etat National, même si les obligations n'avaient
eu pas une nature frauduleuse, ainsi qu'il découle de la disproportion
entre la somme prétée et la capacité de remboursement, il y aurait quand
même une autre réfutation décisive.
Il
s'agit de la priorité ontologique et axiologique de la personne du débiteur,
de sa substance et de son développement, sur les conséquences des ses
propres actes y inclus ceux qui correspondent au principe pacta sunt
servanda, c'est à dire l'obligation de remplir un contrat souscrit.
En
effet, il est curieux que les anglo-saxons qui ont toujours la bouche
pleine de "the sanctity of contracts", du caractère sacré d'un
contrat, ainsi que cela est mentionné dans le paragraphe du New York Reviews
of Books, traduit plus haut, ne réalisent pas qu'une grande oeuvre de
la littérature anglo-saxone et universelle, "The Merchant of Venice"
comédie de Shakespeare, réduit à néant et fait ressortir le ridicule de
cette sacralité lorsqu'elle est invoquée contre la priorité de l'intégralité
de la personne humaine.
Comme
le lecteur s'en souviendra, Shylock décide que le prêt au débiteur sera
assuré par une livre de la chair de celui ci.
Le
prudent juge Portia réussit à empêcher la réalisation de la brutale pulsion
de l'avare :
La
garantie pourra ètre éxécutée mais à la condition que pas une goutte de
sang ne soit versée ni qu'un gramme de plus qu'une livre de chair ne puisse
être extraite du corps du garant.
Il est vraiment surprenant que les anglo-saxons et
avec eux leurs colonisés qui les imitent sans cesse, les vernaculaires
enthousiastes du payement implacable de la dette éxtérieure, ne
réalisent pas que la trame du Marchand de Venise a une analogie complète
avec l'endettement du Tiers Monde .
Dans
les deux cas il y va de la lutte entre la subsistance des êtres humains
avec un niveau de vie tolérable et l'éxécution rigide d'un contrat abusif.
Cette
lutte doit évidemment ètre résolue comme l'a fait Shakespear dans le cas
de ce scélérat de Shylock, en repoussant la prétention du créancier qui
abusivement, se désintéresse de la prévalence et la permanence de la condition
humaine de son débiteur ou de son garant.
7.
LA DETTE EXTERNE ET LA DOCTRINE INTERNATIONALE ARGENTINE
Se
souvenir de Carlos Calvo et de Luis María Drago, ensemble, dans ce contexte,
n’est pas un exercice de vaine érudition.
Le
bien-être général des peuples et même les aspects économiques des droits
humains, ou ceux qui sont conditionnés par la macro-économie, sont de
tel manière influencés par cette affaire de la dette externe, qu’il convient
d’insister sur ces grands compatriotes qui, dans une autre époque, ont
fait face à un défi analogue en lui apportant une solution audacieuse.
Ce
recours à l’histoire prétend montrer qu’il y avait, avec d’autres hommes,
avec d’autres tempéraments et imagination politiques, avec une autre profondeur
de culture juridique, la possibilité d’une autre forme, un autre style,
une autre pugnacité, un autre niveau de grandeur, pour s’attaquer au problème.
Trois ans avant de mourir, à la fin de sa vie, tout
le long de l’année 1903, Carlos Calvo apporta une contribution spécifique
dans l’affaire de la dette externe. Une fois produite l’agression anglo-allemande
contre le Venezuela à cause du non-paiement des services des obligations
extérieures, le ministre des Relations extérieures d’Argentine, exposa
le 29 décembre 1902 la doctrine qu’aujourd’hui porte son nom, la
doctrine Drago, laquelle déclarait inadmissible dans l’ Amérique hispano-américaine
le recouvrement de la dette externe par la contrainte.
Calvo
était à cette époque le chef de la mission de notre pays devant le gouvernement
de France. Il traduisit la note de Calvo et il la fit circuler parmi les
internationalistes le plus éminents de l’Europe du moment, en leur demandant
l’appui intellectuel nécessaire pour la consolidation de ce qu’aujourd’hui
est un des éléments les plus honorables de la tradition juridique et internationale
des argentins.
Il repétait à la fin de sa carrière – tout comme
Saint Paul il était possible de dire Calvo boum certamen certavi,
j’ai délivré la bonne bataille – ce qu’il avait fait en arrivant à Londres
pour la première fois au début des années 60 du siècle passé, maintenant
disposant de l’énorme considération de ses collègues des universités
européennes et surtout, de celle de ses anciens collègues de l’Institut
du Droit International. Les destinataires de la lettre circulaire était
Fréderic Passy, membre de l’Institut et Président de la Société Française
pour l’arbitrage entre les nations, F. Moynier, président de la
Croix Rouge et membre honoraire du déjà cité Institut du Droit International,
J. Westlake, conseiller Royal, professeur à Cambridge et membre de l’Institut
de Droit International, L. V. Bar "conseiller privé", professeur
à l’université de Gottïngen et membre de l’Institut de Droit International,
Manuel Torres Campos, membre de l’Institut du Droit International, délégué
d’Espagne à la Cour Permanente d’Arbitrage de La Haye et professeur à
Grenade, Féraud-Giraud, membre honoraire de l’Institut du Droit
International et président honoraire de la Cour de Cassation de France,
André Weiss, membre de l’Institut du Droit International et professeur
à la Sorbonne, J. E. Holland, conseiller royal, professeur à Oxford et
membre de l’Institut du Droit International, K. Olivecrona, associé étranger
à l’Institut de France, membre honoraire à la Cour Suprême de Suède et
membre honoraire de l’Institut de Droit International, F. M. Asser, conseiller
d’état, membre de la Cour Permanente d’Arbitrage de La Haye et membre
de l’Institut du Droit International, Francis Charmes, membre de l’Institut
de France, et finalement Pasquale Fiore, professeur à l’Université de
Naples et aussi membre de l’Institut du Droit International.
Malgré sa qualité de ministre plénipotentiaire devant
le Quai d’Orsay, Calvo s’est adressé à ses collègues invoquant sa condition
– sans doute beaucoup plus prestigieuse que celle de fonctionnaire public
– de membre associé de l’Institut de France et de membre fondateur de
l’Institut du Droit International. Il écrivit dans son courrier personnel
des lettres comportant l’indication de son domicile 87 avenue Kléber.
La majorité des réponses portait dans l’entête l’expression «Monsieur
et éminent collègue» ou «Monsieur et cher confrère», ce qui mettait en
évidence son pre-éminence individuelle avant même sa fonction bureaucratique.
Comme cela n’arrive pas fréquemment, l’homme élevait avec son prestige
la charge diplomatique, et non l’inverse, ce qui est la pratique
courante.
En
approchant la fin de sa vie Calvo proposait une vaste opération d’influence
intellectuelle, d’autorité morale, de force et d’effets des principes.
Ce n’était pas un objectif facile, ce qui se déduit de la réponse quelque
peu réticente du professeur Westlake, le point posé par Drago – en réalité
un prolongement de la doctrine Calvo – était loin d’être une question
acquise par les européens. Plutôt il portait atteinte aux intérêts économiques
évidents et suscitaient quelques réserves. Néanmoins, en général, les
réponses furent hautement satisfaisantes et en convergence avec la position
argentine. Toutefois, plus que cette conformité majoritaire, le plus profondément
fructueux, par hasard, de l’opération entreprise par Calvo, fîrent deux
longues réponses , équivalentes respectivement à deux monographies, une
de Féraud-Giraud et l’autre de Pasquale Fiori, lesquelles compensaient
d’une certaine façon la briéveté et le manque d’élaboration doctrinaire
de la lettre du ministre Drago. Ces deux documents constituent d’importants
appuis à la position argentine, formulés par ceux qui avaient un seul
intérêt académique pour la question, ce qui allait de pair avec une haute
autorité juridique et universitaire.
La
doctrine Drago présente aujourd’hui une exceptionnelle signification face
aux problèmes de l’endettement extérieur des pays. Il sera dit – je crois
de manière superficielle – qu’en 1902 ce qui la provoquait, était le recouvrement
compulsif avec le recours à la violence militaire, à savoir une perception
armée des services financiers impayés, ce qui n’est plus le cas. Il s’agit
d’une observation imparfaite de la réalité, car ce à quoi fait face la
doctrine Drago est la pression exercée contre un état souverain à cause
du non-paiement de la dette. L’action militaire, le blocus, le bombardement
des ports, l’occupation territoriale, sont seulement des variantes du
genre de la pression, l’interférence, l’ingérence.
Il
est clair que la doctrine Drago condamne toute sorte de pression. C’est
ainsi que’elle découle du texte de la lettre du 29 décembre 1902. Dans
ce courrier, Drago donnait à García Merou la mission d’essayer d’obtenir
des américains du nord, la consécration du principe selon lequel il n’est
peut y avoir d’expansion territoriale ni de "pression exercée contre
les peuples du continent par le seul fait d’une malheureuse situation
financière qui oblige à une des parties à différer le respect de ses obligations".
Par
ailleurs, grâce à Calvo, la position argentine s’est vue fortifiée par
l’opinion du professeur Pasquale Fiore qui affirmait textuellement: «S’il
est possible de considérer l’ingérence comme une atteinte aux droits de
la souveraineté intérieure, même avec l’objectif de protéger les intérêts
des nationaux, avec plus de force se considérera comme illégitime l’intervention
extérieure». De cette façon Fiore faisait le lien entre la doctrine Calvo
et la nouvelle doctrine argentine de Luis María Drago.
Ainsi, la simple ingérence d’un Etat étranger afin
d’obtenir le paiement de la dette extérieure d’un autre état, devient
inacceptable. Aucune légitimité pour que le secrétaire du Trésor des Etats
Unis, ou pour que le ministre des finances français, fassent de la dette
externe argentine, un thème des relations bilatérales avec l’Argentine,
dès lors qu’il s’agit du recouvrement des services supposés dus aux prêteurs
de toute nationalité. C’est une interférence dans une relation qui commence
et se termine entre l’Etat supposé débiteur et le préteur supposé créditeur.
Cette relation ne peut pas s’altérer avec l’indue et déséquilibrante présence
d’un troisième intervenant, à savoir un autre état souverain, pour qui
le lien débiteur-créditeur doit être rigoureusement res inter alios
acta, c’est-à-dire chose contractée entre d’autres parties.
Par
ailleurs, aussi bien Drago que Féraud-Giraud et Pasquale Fiore, font remarquer
quelque chose qu’en Argentine et dans d’autres pays du continent, a été
éludée de manière intéressée. Il s’agit de la particulière personnalité
juridique du supposé débiteur. En vertu de cette fin, l’Etat national,
le bien public ou bien commun, a un rang supérieur à celui d’une autre
personne de la société humaine. Cette supériorité découle, comme il vient
d’être dit, de la nature de sa finalité qui est constituée par le bien
le plus élevé, le bien suprême, celui qui met de côté et subordonne tous
les autres biens de la communauté. Le service du public, le service de
la totalité des citoyens, de la totalité de la population, n’est pas comparable
à aucune fin particulière aussi respectable qu’elle paraîsse, encore moins
par rapport aux profits privés des sociétés commerciales prêteuses, à
savoir les banques.
Dit d’une autre manière, dans le concept de dette publique
il y a un dénivellement essentiel. Créditeur et débiteur ne sont pas sur
le même plan, ils n’ont pas la même entité ni la même puissance légale.
De ce principe dérive quelque chose qui a été dissimulée toutes ces années.
L’État est une entité souveraine, et une des conditions propres à toute
souveraineté réside dans le fait qu’aucune procédure exécutoire
ne peut être initié ni appliquée contre elle, parce qu’elle mettrait en
question son existence même et ferait disparaître l’indépendance et l’action
du gouvernement en question, selon les termes mêmes de la lettre signée
par Drago.
Dans l’Argentine de nos jours, nous avons agi – surtout
dans les années 80 – comme si à tout moment nous étions passibles d’être
exécutés (ou saisis), comme si nous étions au bord d’un collapsus auquel
nous serions poussés par un huissier international. Nous avons sacrifié
ainsi toute la perspective du développement économique autonome, toute
l’indépendance et l’action du gouvernement, tous les contenus économiques
du bien commun, tous les contenus économiques des droits humains, à un
dogme que le président de la Chambre des Députés, entre 1984 et 1987,
caractéristique porte-parole du régime de transition, exprimait quelque
fois avec un désinvolte et agressif caractère péremptoire que difficilement
aurait pu employer les avocats des créditeurs: «la dette doit être payée,
sans aucune alternative».
En vertu de sa condition de souverain, l’Etat a la
«faculté de choisir le mode et le temps d’effectuer le paiement», comme
l’a dit textuellement Drago, ce qui a dû être rappelé avec acharnement
ces derniers temps. Cette conclusion décisive, que fait partie d’une doctrine
internationale dont l’Argentine est fière et dont les gouvernements ont
le devoir de maintenir et d’accroître, a été marginalisée par les gouvernements
de transition, à cause d’une auto-contrainte conduisant au paiement, ce
qui est un trait inhérent au modèle ou schéma de transition qui
a été accepté avec soumission.
Pour
cette raison, cette auto-contrainte fait surgir des doutes au sujet de
qui sont réellement ses représentants, soit le peuple victime de cette
hâte de ses représentants à effectuer une oblation (comme une offrande
au Dieu des créditeurs), ou les mêmes créditeurs à qui il a été épargné
tout effort pour le recouvrement de la dette.
Cette conclusion décisive reçut l’appui additionnel
de Féraud-Giraud. Ce dernier rappelait le fait que dans la majorité des
Etats, les actions des habitants contre ses gouvernements sont soumises
à des règles exceptionnelles et restrictives qui ont pour objet
de ne pas entraver le bon fonctionnement des services publics, en se demandant
ensuite: "comment serait-il possible en acceptant le principe de
cette exception, de ne pas l’appliquer aux personnes qui lient volontairement
leurs intérêts aux éventualités d’oeuvrer pour les intérêts d’un
gouvernement étranger en leur permettant de troubler l’action publique
de ce gouvernement-là par la projection des intérêts privés ?".
Pasquale Fiore affirme quelque chose qui semble être
écrite pour notre époque, pendant laquelle le pouvoir souverain a beaucoup
diminué, et tolèré comme si de rien était, la conduction des économies
des Etats dépendants par le Fond Monétaire International, cette superstructure
qui s’arroge une sorte de super-souveraineté, comme l’a dit Chomsky, devenant
un gouvernement de facto du monde, même avec moins de raisons – en dévalant
la côte de l’abdication de la souveraineté – et en admettant l’ingérence
d’ambassadeurs étrangers … jusque dans la liquidation d’une banque privée
locale, société anonyme argentine. Comme le dit Fiore: "Je considère
que l’ingérence d’un gouvernement dans l’administration publique d’un
état étranger comme une atteinte au droit de la souveraineté intérieure,
et je reconnais alors comme illégitime toute action d’un gouvernement
qui, ayant l’objectif de protéger les intérêts de ses ressortissants,
tendrait à établir un tel contrôle, sous quelque forme que se soit, sur
les actes d’administration d’un Etat étranger".
Drago
souligne un autre aspect de la question, à propos duquel abondent quelques
uns des juristes requis par Calvo et qui a toute sa pertinence de nos
jours. Le prêteur est, par définition, un spéculateur, un calculateur
de risque, quelqu’un qui mesure, suivant en cela les rigoureux impératifs
de son commerce, les éventualités difficultés pour effectuer le recouvrement
du principal et des intérêts. Pour cela, il évalue les ressources du débiteur,
les engagements pris par lui avec d’autres prêteurs, et toutes les circonstances
complémentaires qui permettent de peser et de doser les conditions des
prêts futurs. Parmi ces circonstances figure celle qui s’agit, dans le
cas d’un débiteur insolvable, d’un sujet de droit avec qualité de souverain,
sur lequel il ne serait possible d’exercer des pressions d’aucun type.
Comme l’écrit Laurent cité par Féraud-Giraud dans sa réponse à Calvo:
"Ceux qui traitent avec un Etat étranger sont soumis aux lenteurs
administratives et, s’il y a lieu, aux difficultés financières des Etats
avec qui ils négocient".
Ces considérations sont dignes d’être rappelées parce
qu’un des angles de la discutable légitimité de la dette extérieure contractée
pendant la dictature militaire, surgit de l’incroyable et soupçonable
imprudence, apparente imprudence peut-être, avec laquelle ont agi les
banquiers ou prêteurs, ce qui suggère une collusion frauduleuse entre
débiteurs et préteurs. Finalement, il y a un autre point d’exceptionnelle
importance pratique au sujet de la dette externe, tel qu’il se pose dans
l’Argentine de transition. Il apparaît dans la réponse du cité Féraud-Giraud
en tant que citation du professeur Frantz Despagnet, qui mentionnait dans
le contexte de l’insolvabilité des obligations contractées par les Etats
souverains: "l’Etat débiteur se réserve toujours, dans de tels
cas, en vertu de son droit de conservation et des principes qui
commandent le droit public, un bénéfice de compétence dans le sens romain
de l’expression, c’est-à-dire de la faculté de ne pas payer sinon dans
la mesure où sa situation financière le permet".
Un
intelligent juriste, le Dr. Pedro F. Soria Ojedo Ilo, proposa dans les
années 80 sans obtenir comme de bien entendu, aucun écho dans le milieu
officiel, le bénéfice de la compétence; supposée la légitimité d’une partie
de la dette externe, était de stricte pertinence dans notre cas dès que
c’est le milieu juridique qui véhicule le mieux la priorité ontologique
et axiologique du débiteur sur ses engagements, la priorité du principe
de l’intangibilité de la personne humaine sur le subordonné principe pacta
sunt servanda, c’est-à-dire de respecter ce qui a été contracté.
Le bénéfice de compétence fait partie du droit argentin.
Il est inclus dans notre Code Civil. Il est traité dans le chapitre IX
de la section I, Livre II, de ce corpus normatif, qui le définit comme
celui accordé à certains débiteurs, pour ne pas les obliger à payer plus
que ce qu’ils peuvent faire, en leur laissant par conséquent l’indispensable
pour une modeste subsistance, selon le genre et les circonstances, avec
l’obligation de faire face dès que les conditions se sont améliorées.
Que cette clause soit tombé dans l’oubli, montre à quel point les gouvernements
de cette étape de transition, étaient absolument obnubilés par la
compulsion de payer la dette à tout prix, élément clé du schéma de transition
de la dictature militaire à la démocratie limitée et conditionnée.
8.
DETTE EXTERNE ET PRIVATISATIONS DANS UN DIAGNOSTIQUE JESUITE
En
1997 les supérieurs jésuites réunis à Mexico, produisirent un document
qui reflète l’état de la question vers la fin du siècle. Il s’agit d’affirmations,
bien sûr, strictement applicables à la situation argentine. Ce document
a été diffusé par la revue REALITE ECONOMIQUE dans son numéro d’avril
et mai 1997.
Ce
rapport est assez éloquent pour décrire les phénomènes socio-économiques
depuis une lointaine perspective politique et idéologique, avec une sorte
de vision à la fois ingénue et sans préjugés. Il est intéressant d’observer
que les privatisations et la dette externe apparaîssent comme d'importants
éléments du tableau dévastateur de l’économie latino-américaine et qui
conditionne la très grave pénurie collective.
"Nous,
Supérieurs Provinciaux de la Compagnie de Jésus en Amérique Latine et
les Caraïbes, dit le document, en répondant à l’appel de la 34e.
Congrégation Générale à approfondir notre mission au service de la foi
et de la promotion de la justice, voulons partager avec tous ceux qui
participent à la mission apostolique de la Compagnie de Jésus dans notre
continent et avec toutes les personnes soucieuses et engagées dans
le souci du sort de notre peuple, spécialement avec les plus pauvres,
quelques réflexions sur le néo-libéralisme et ses effets dans nos pays".
"Nous
résistons à accepter tranquillement que les mesures économiques appliquées
ces dernières années dans tous les pays d’Amérique Latine et les Caraïbes,
soient la seule manière possible d’orienter l’économie et que l’appauvrissement
de millions de latino-américains soit le coût irrémédiable d’un futur
développement".
"Derrière
ces mesures économiques se trouve sous-jacente une culture, une conception
de la personne humaine et une stratégie politique qu’il est nécessaire
de discerner, ayant sous les yeux les modèles de la société à laquelle
nous aspirons et pour laquelle nous travaillons, unis en cela à tant d’hommes
et de femmes qui sont poussés par l’espoir de vivre et laisser aux générations
futures une société plus humaine et plus juste".
"Les
considérations que nous présentons n’ont pas la prétention d’être une
analyse scientifique d’une affaire complexe qui doit être étudiée dans
le cadre de plusieurs disciplines. Nous exposons seulement les critères
les plus importants qui sont derrière le néo-libéralisme et nous décrivons
quelques lignes fondamentales du type de société à la laquelle nous aspirons.
En partageant ces réflexions, nous sommes motivés avant tout par une préoccupation
d’ordre éthique et religieux".
"Nous
sommes convaincus que les comportements économiques et politiques auxquels
nous faisons référence reflètent, dans le domaine de la chose publique,
les limitations et les contre-valeurs d’une culture qui fondemente ses
valeurs sur certaine conception de la personnes et de la société humaine
étrangère à l’idéal chrétien".
"Au
seuil du XXIe. Siècle, les communications nous unissent étroitement, la
technologie ouvre pour nous de nouvelles possibilités de connaissance
et de créativité et les marchés pénètrent tous les espaces sociaux. En
opposition avec la décade passée, l’économie de la majorité de nos pays
est tournée vers le développement".
"Cette
croissance matérielle, qui pourrait apporter l’espoir pour tous, laisse
malgré tout un grand nombre de personnes dans la pauvreté, sans possibilité
de participer à la construction d’un destin commun; menace l’identité
culturelle de nos peuples et détruit les ressources naturelles. Il est
possible de dire qu’en Amérique Latine et les Caraïbes, il existe
au moins 180 millions de personnes qui vivent dans la pauvreté et 80 millions
qui survivent dans la misère".
"Les
dynamiques économiques qui produisent ces effets pervers, tendent à se
muer en idéologies qui rendent absolus certains concepts comme celui du
marché, par exemple, qui d’instrument utile et nécessaire pour élever
et améliorer l’offre et réduire les prix, passe à être le moyen, la méthode
et même la fin qui déterminent les relations entres les êtres humains".
"Pour
obtenir tout ceci, est diffusée dans le continent l’application de mesures
connues comme "néo-libérales"".
"Ses
caractéristiques les plus notoires sont :
Ces
mesures considèrent le développement économique, et non pas l’épanouissement
total de tous les êtres humains en harmonie avec la création, comme la
raison d’être de l’économie; elles restreignent l’intervention de l’Etat,
le dépouillant de sa responsabilité d’assurer les biens minimes auxquels
tout citoyen a droit dans sa qualité d’être humain;
elles
éliminent les programmes de création d’opportunités pour tous, en leur
substituant des appuis éventuels pour de groupes déterminés;
elles
privatisent des entreprises publiques en adoptant le critère que l’Etat
est un mauvais administrateur;
elles
ouvrent sans restrictions les frontières pour les marchandises, les capitaux
et les flux financiers, laissant en même temps sans protection les producteurs
plus petits et faibles;
elles
n’appliquent pas le traitement adéquat au problème de la dette externe,
dont le paiement oblige à réduire drastiquement l’investissement social;
elles réduisent la complexité de la gestion du domaine
public à des tâches d’ajustement de variables macro-économiques telles
celles tendant à équilibrer le budget fiscal, réduire l’inflation et stabiliser
la balance de paiements, en ayant la prétention d’assurer le bien commun,
mais sans prêter attention aux nouveaux problèmes de la population qui
se produisent de tels ajustements et qui doivent être pris en compte par
l’Etat;
elles
supposent que ces ajustements produisent la croissance qui, à grande échelle,
élève les niveaux de revenus et résolvent en retour la situation des plus
défavorisés;
afin de promouvoir l’investissement privé, elles éliminent
les obstacles qui pourraient signifier les législations de protection
des travailleurs;
elles
déchargent les groupes puissants des charges fiscales et des obligations
de respect de l’environnement tout en les protégeant pour accélérer le
processus d’industrialisation, provoquant ainsi une concentration encore
plus grande de la richesse et du pouvoir économique;
elles mettent l’activité politique au service
de ce type d’économie appelée "libre", tombant dans le paradoxe
d’un côté d’enlever toute entrave a l’exercice du marché libre, tandis
que par ailleurs elles imposent des contrôles politiques sociaux au libre
embauchage de la main d’œuvre;
nous
devons reconnaître que ces mesures d’ajustement ont donné des résultats
inégaux: les mécanismes de marché ont contribué à éléver l’offre de biens
de meilleure qualité et prix; l’inflation a été réduite dans tout le continent;
l’Etat s’est vu dégagé de tâches qui ne le concernent pas pour qu’il puisse
se consacrer à sa mission de bien commun; ces mesures ont généralisé une
conscience d’austérité fiscale permettant une meilleure utilisation des
ressources publiques et un resserrement des relations commerciales entre
nos nations.
Nonobstant,
ces éléments positifs sont insuffisants pour compenser les immenses déséquilibres
et perturbations qui causent le néo-libéralisme et qui se manifestent
dans la multiplication des masses urbaines sans travail ou des groupes
humains qui subsistent dans des emplois instables et peu productifs, les
faillites de milliers de petites et moyennes entreprises, la destruction
et le déplacement forcé de populations indigènes et paysannes, l’expansion
du narco-trafic, principalement dans les secteurs ruraux dont les produits
traditionnels restent hors compétition, la disparition de la sécurité
alimentaire, l’augmentation de la criminalité, causée le plus souvent
par la faim, la déstabilisation des économies nationales comme conséquence
des flux libres de la spéculation internationale, le désajustement des
communautés locales comme conséquence des projets des multinationales
qui ne tiennent pas compte des populations.
Comme
conséquence de tout ce qui vient d’être dit, à côté de la croissance économique
modérée, nous voyons augmenter dans presque tous nos pays le malaise social
sous forme de contestations citoyennes et grèves, nous voyons se développer
dans nos régions la lutte armée, ce qui n’apporte aucune solution, nous
voyons augmenter enfin, le refus généralisé à cette forme d’orienter le
processus économique qui, loin de protéger le bien commun, rend possible
les causes traditionnelles de mécontentement populaire : les inégalités,
la misère et la corruption.
La
logique du système économique appelé néo-libéral cache toute une conception
de l’être humain qui réduit la grandeur de l’homme et de la femme à la
seule capacité de générer des revenus monétaires, exacerbe l’égoïsme et
le désir de gagner et de posséder, induit facilement à porter atteinte
contre l’intégrité de la création et, dans beaucoup de cas, déchaïne l’avidité,
la corruption et la violence. Tous ces facteurs, en se généralisant, détruisent
radicalement la communauté.
De
cette manière, s’impose une échelle de valeurs qui établit la primauté
de la liberté individuelle comme moyen pour accéder à tout type de satisfactions
et plaisirs considérés comme legitimes sans restriction, comme la drogue
et l’erotisme. Cette liberté, qui refuse toute intervention de l’état
dans l’initiative privée, s’oppose aux plan sociaux, méconnaît la vertu
de la solidarité et accepte uniquement les lois du marché.
A
travers le processus de globalisation de l’économie, cette manière d’appréhender
la personne humaine, pénètre dans nos pays, véhiculant des contenus symboliques
avec une grande capacité de séduction. Grâce à la maîtrise des moyens
de communication, ils détruisent les racines de l’identité des cultures
locales qui ne disposent pas de moyens suffisants pour communiquer leurs
propres messages.
Fréquemment,
les dirigeants de nos sociétés, alliés à ces mouvement de globalisation
et imbus de l’acceptation indiscriminée des raisons du marché, vivent
comme des étrangers dans leurs propres pays. Sans aucun dialogue avec
le peuple, celui-ci est considéré comme un obstacle et comme un danger
pour leurs propres intérêts, et non comme frère, camarade ou associé.
Pour
le cas général, cette conception considère comme négligeable la naissance
ou la mort de millions d’hommes et de femmes de notre continent, qui sont
dans l’incapacité de générer des revenus afin de parvenir à une qualité
de vie plus humaine. Pour cette raison, les gouvernements et les sociétés
ne ressentent le scandale de la faim et du désespoir dont souffrent le
plus grand nombre de personnes, et non plus, ils ne réagissent à l’incertitude
et l’incompréhension que ressentent nos peuples face à ceux qui, sans
penser aux autres, utilisent à leurs propres fins les ressources de la
société et de la nature."
9.
LA DETTE EXTERNE COMME JUSTIFICATION DES PRIVATISATIONS
Hector Valle, économiste directeur du Fides,
observe avec sagacité que la dette externe a été très efficace au sujet
de l’implantation d’une politique économique comme celle que nous avons
maintenant. Le processus de privatisations aurait été rendu impossible
sans la puissante force de l’existence de la dette externe. (1).
Il
me semble qu’il existe une confirmation précise de cette affirmation en
faisant une enquête sur la phase finale du gouvernement de 1983-1988.
Privatisations
et braderie du patrimoine collectif.
Un
des traits de cette idéologie néo-libérale est le dogme des privatisations,
ce qui a été exprimé par les Supérieurs jésuites. Les privatisations comme
impératif absolu, sans discussion, sans réflexion, sans discriminations,
sans discernement afin d’apprécier quels biens collectifs – dès par leur
nature, leur fonctionnement particulier, dès par le domaine de l’économie
dans lequel ils se trouvent – transférer à l’activité privée. Des privatisations,
sans plus, à n’importe quel prix, de n’importe quelle façon, quelle que
soient les conséquences, les effets et les coûts sociaux et leur impact
sur le bien commun.
Les
précédents immédiats de la braderie du patrimoine collectif
Pister
les origines de cet écoulement (2) des biens pris à l’Etat national impose
un examen qui exige un retour très lointain dans l’histoire contemporaine
argentine. Celui qui s’arrêtera on examen, en échange, sur l’étape plus
récente apercevra un point d’inflexion vers 1987.
Déjà
en mars 1987 le ministre de l’économie s’empressa de payer une quote-part
des intérêts de la dette externe, présentant ce paiement de manière spectaculaire,
s’inspirant en cela du modèle mexicain. Il opérait ainsi la validation
du fait de l’existence et la légitimité des supposés engagements internationaux,
dans leur majorité acquis irrégulièrement pendant la dictature militaire.
De la même manière une étude critique de cette dette n’a pas pu être réalisé,
alors qui était abandonné le questionnement de base de la capacité juridique
des usurpateurs du pouvoir public pour la contracter, ce qui a conditionné
d’immenses conséquences pour le futur démocratique du pays.
Cependant, le gouvernement radical adopta résolument
durant le deuxième semestre 1987 le cap économique que cette fatidique
décision préfigurait. Dans le numéro 80 de REALITE ECONOMIQUE correspondant
au premier bimestre de 1988, Alfredo Erice Calcagno anticipait le futur
de la manière suivante "L’intention de vendre une partie des
actions de la compagnie Aérolineas Argentinas à SAS était un acte politique
et économique transcendant, non seulement par sa propre signification,
mais comme exemple à appliquer à tout le secteur public rentable (ou à
certaines activités spécifiques à l’intérieur des entreprises publiques)".
Les solutions proposées pour le cas d'Aerolineas, tout comme les solutions
qui se prendront dans le futur pour les autres entreprises d'Etat et pour
la dette externe, sont cohérentes avec le modèle néo-libéral. L'alternative
qui se pose dans le cas d'Aerolineas n'est pas purement formelle mais
touche aux questions de fond, faisant référence au projet national mis
en avant. Seul le peuple argentin doit déterminer le modèle économique
global dans lequel il souhaite vivre. En attendant, il serait illégitime
d'adopter subrepticement le modèle libéral et s'engager dans une politique
d'aliénation du patrimoine national.(3)
De manière très lucide faisait remarquer Calcagno s'ouvrait
ainsi le chemin à une ruineuse privatisation de la ligne aérienne, ce
qui est arrivé quelques années plus tard, ce qui a constitué une des actions
les plus indécentes de l'étape Menem, et en tout cas une privatisation,
malgré qu'elle soit déjà lointaine dans le temps, non moins destructive,
déplorable et passible d'une minutieuse enquête.
Ce point d'infléxion déjà mentionné devait s'extérioriser
dans le domaine du pétrole. Dans le numéro suivant de la revue citée,
Eduardo Murguja, dans un article intitulé "Lapeña, Terragno et la
Réalité énergétique argentine", faisait remarquer les divergences
qui ont déterminé la démission le 1r mars 1988 de l'ingénieur Lapeña,
Sécrétaire d'Etat à l'énergie avec le ministre des Travaux et Services
Publics, et s'interrogeait : "Pour quel motif le ministre Terragno
insiste dans l'application de concessions de nouvelles surfaces ou gisements
de YPF (Compagnie nationale d'exploitation du pétrole) en exploitation,
dans le cadre du plan Olivos II, continuant ainsi ce qui a été décidé
par Martinez de Hoz, sans aucune justification économique ? Comment est-il
possible d'utiliser un argument si élémentaire comme celui de dire que
YPF n'a pas de ressources pour faire des investissements dans l'exploitation
de ses gisements, mais qu'il dispose d'assez d'argent pour payer les sous-traitances
au prix fort ? (4)
Ce n'est pas surprennent ainsi que dans le numéro 82
de la même publication sous le titre : "Le pragmatisme et la perte
de l'identité économique nationale", Mario E. Burkun écrivait : "…l'Etat
régulateur est attaqué de l'extérieur par un discours idéologique de privatisations,
en vogue dans la conscience social de la crise, et de l'intérieur par
le manque de scrupules et le scepticisme des propres responsables de la
prise de décisions dans la politique économique, … l'incidence de l'ouverture
et des privatisations laissera une empreinte à long terme sous la
forme d'accumulation de capital dans notre société, très difficile à transformer,
même avec un changement de conduction de la politique économique".(5)
Héctor
Valle, "Pagar o no Pagar", Realidad Economica
Cabe
el término, parece, por aquel manido tropo de la Nave del Estado
Realidad
Economica, nro. 80, pag. 3
Realidad
Economica nro. 81, pag. 105
Realidad Economica, nro. 82, pag. 5, Le soulignement
est fait par nous
10. L'INCROYABLE DECRET 1842/87
Dans ce contexte, le ministre des Travaux et Services
Publics, Dr Rodolfo Terragno, produisit un des actes le plus draconien
et en même temps le plus remarquable sur le chemin de la braderie du secteur
public. Il s'agit d'un notable précédent annonçant et préparant la furieuse
vague de privatisations qui allait balayer le secteur public des années
90 de l'administration Menem. Il s'agit du décret 1842/87 présenté comme
"la Démonopolisation des Services Publiques rendus par les entreprises
de l'état" avec les signatures de l'auteur, le ministre Rodolfo Terragno,
qui l'avait proposé au Pouvoir Exécutif, et du président Alfonsín et du
ministre Sourrouille. Il porte la date du 19 novembre 1987 (1). Ses motifs
ne sont pas autres que ceux induits par le discours idéologique
privatiseur, exprimés avec le fier dogmatisme et la ribambelle de clichés
et lieux communs que les "amuseurs" de la télévision, et les
soi-disant communicateurs de l'industrie du divertissement, ont rabâché
et imposé à la conscience collective les années précédentes.
Au
sujet des amuseurs de la télévision, nous devons évoquer ici un débat
ayant trait aux droits humains et qui s'entrecroisé avec celui des conditionnements
économiques du bien-être collectif. Durant ce temps, la Chambre des Députés
discutait la Loi de l'obéissance due, une dérobade du même gouvernement
face au pouvoir militaire. Le député démocrate-chrétien, Carlos Auyero,
après avoir décrit le vide, le gaspillage et la malversation des énergies
collectives démocratiques qui avait impliqué l'annulation, par le gouvernement,
de la mobilisation populaire pour étouffer le coup séditieux de la Semaine
Sainte de 1987, disait :
"La seule chose que parfois nous défendons est
la routine démocratique, certainement très importante, mais il y a danger
à ne faire que cela ! J'ai vu moi-même les citoyens qui se trouvaient
à la porte 8 de la caserne Campo de Mayo, en train de défendre la liberté
et la démocratie : ils provenaient des quartiers très pauvres. Devant
l'exemplarité de ce peuple s'écriant pour la liberté – qui peut-être est
l'unique bien qui nous reste – nous devons prendre garde à ne pas courir
le risque de le voir se tourner vers le désespoir et l'incrédulité. C'est
la raison pour laquelle j'ai la ferme conviction de que nous devons avancer
avec décision dans la politique argentine afin d'incorporer à la démocratie
que nous sommes en train de vivre, les nécessaires éléments transformateurs,
afin que cette routine formelle ne nous mène à la lassitude d'une démocratie
si routinière qui ne saurait trouver des solutions aux problèmes de fond
de notre pays. Je suis préoccupé que le Secrétaire Brodershon ait
dit-il y a peu de temps aux Etats-Unis à des banquiers qu'il regrettait
qu'ils ne votent pas, car cette action donneait davantage d'appuis au
gouvernement. Je déplore qu'il y ait des fonctionnaires du gouvernement
qui s'inclinent de la sorte, de la même manière que des journalistes comme
Neustadt et Grondona exaltent les privatisations comme une forme de liquider
l'axe central qui monte la garde pour que le pays ne soit pas dépendant
(Applaudissements). Quelqu'un pourra me dire que j'ai perdu l'opportunité
d'aller au programme "Temps Nouveau" : je ne suis pas intéressé
et de toutes manières je n'y 'ai jamais été invité".
"Je
ne peux pas comprendre qu'avec des gesticulations ces hommes justifient
maintenant l'obédience due, les amnisties, les privatisations et les prétendues
politiques d'indépendance. Nous devons garder à l'esprit qu'ils le font
depuis un canal de l'Etat. Je pourrais défendre la liberté de Neustadt
et Grondona de dire ce qu'ils veulent et où ils le veulent, mais je ne
peux pas imaginer qu'ils disposent du canal officiel pour le faire, car
ils sont en train de verser sur la société des messages débilitants".
Pour
la petite histoire, le Dr Carlos Auyero est mort en 1997 dans un canal
de télévision, alors qu'il soutenait les mêmes idées lors du débat de
1986, quand le journaliste Grondona s'était séparé de son co-équipier,
en créant un autre programme, auquel participait Auyero.
Ce
programme avait une finalité si non progressiste, du moins plus neutre
évitant de soutenir un discours idéologique favorable aux privatisations,
selon les dires de Mario E. Burkun.
Nous
faisons maintenant un retour au décret au contenu si dérisoire de "démonopolisateur".
Un de ses considérants montre avec une claire force de suggestion le fond
qui a servi à la conception de cet audacieux plan de privatisation. Regardons
de plus près :
"Que
le régime de capitalisation de la dette externe offre un inestimable outil
pour la canalisation de nouvelles inversions dans le secteur des services
et biens destinés au public".
Il
est possible d'apprécier avec facilité la tentative d'introduire dans
le vaste champ du secteur public les fournisseurs et producteurs de biens
et de services passibles d'apporter comme "nouveaux investissements"
la capitalisation de la dette publique externe. En d'autres termes mais
sans rien apporter de substantiel, que de toutes les manières ce serait
l'état argentin qui paierait, sous le prétexte que la dette dont l'existence
et la légitimité depuis 1984 n'avait jamais été ni discutée ni vérifiée.
Il était ainsi possible de privatiser avec la nette "inexistence"
d'autres "nouveaux investissements" à part les propres ressources
nationales sous la forme de la dette capitalisée.
Pour
le reste, il est intéressant d'observer et ce depuis novembre 1987, la
mutuelle implication qui se développait entre dette externe et privatisations
et de manière réciproque. Puisque nous devons beaucoup, nous devons privatiser,
privatisons et la dette externe paiera.
Le système comprenait les entreprises et organismes
publics qui, à l'époque, correspondaient au Ministère de Travaux et Services
Publics, c'est-à-dire pratiquement presque tout le secteur public de l'économie,
ce qui met en relief l'importance de ce plan qui dans les faits,
signifiait l'intention de transformer par décret la substance de l'économie
publique.
Privatisations
"à l'emporte-pièce"
L'article
4 constitue l'essentiel de ce curieux décret. Il établit que l'Etat transfère
aux particuliers l'initiative des privatisations. Aussi bien la sélection
des services à privatiser, que le temps et l'ordre à respecter pour la
privatisation, ainsi que la nature juridique du lien qu'unira le nouveau
prêteur ou le nouveau fournisseur avec l'Etat et les usagers, comme le
rythme et les modalités précises de cette irruption du privé, en masse,
sur l'économie publique, tout était entièrement livré aux aléatoires et
compulsifs désirs de lucre des particuliers intéressés.
Tout
ce processus s'est réalisé avec la totale passivité de l'autorité publique,
dont le rôle sera purement passif et tenu par des conditions extrêmement
difficiles.
Il
était suffisant pour les particuliers de proposer n'importe quel sujet
de privatisation pour mettre en branle des mécanismes d'une insolite difficulté
pour l'Etat.
Face
à cette très large autonomie des particuliers pour choisir ad libitum
et manifester leur intention de prendre en charge un service public ou
d'effectuer une provision de biens réalisée jusqu'à ce moment par un organisme
public, apprécions le peu de marge de manœuvre d'un tel organisme : "Si
dans le délai de trente jours ouvrables de la manifestation d'un intéressé,
l'organisme public n'opposait aucune objection, l'intéressé devenait de
plein droit, et sans nécessité d'un quelconque acte officiel, le fournisseur
ou le prestataire de services pour lesquels il a manifesté son intérêt".
Singulière
situation dans laquelle l'Etat était placé sans recours. Connues les faiblesses
d'une administration, érodée par des gouvernants éblouis par l'activité
privée et avec des fonctionnaires fréquemment sceptiques au sujet du rôle
à jouer par le pouvoir public dans les domaines de la gestion du bien
commun, les uns et les autres durement acculés par le catéchisme anti-étatique
du cercle médiatique, les uns et les autres victimes du message débilitateur
du discours idéologique privatiseur, invoqué par Auyero et Burkun, Il
apparaît clairement imprudent l'exigence de s'y conformer dans le délai
très exigu de trente jours.
Pendant
ce laps de temps, devaient se réaliser les études techniques, obtenir
les décisions des organismes permanents d'assistance, selon la loi des
procédures administratives, pour après édicter un acte d'opposition contenant
un convainquant argumentaire capable de persuader le juge dans le contentieux
administratif auquel porterait recours le postulant privatiseur. Il est
à remarquer que celui-ci disposait de tout le temps nécessaire pour articuler
son projet et pour présenter l'intégralité de son montage financier, avec
études de consultants, analyses et calculs de toute sorte. Tandis que
l'Etat, pour s'opposer avec efficacité et rigueur, se trouvait enfermé
dans le fatidique délai de trente jours d'activité d'une administration
fréquemment désarmée et travaillée depuis l'intérieur par des occultes
complaisances, et encore plus par des alliés intérieurs du postulant,
surtout en ces temps si décidément "démonopolisateurs".
Remarquable et insolite situation sans défense, sans
aucun doute, parce que, quand l'Etat est demandé devant les tribunaux,
le code de procédure lui concède 60 jours pour répondre aux demandes,
alors que ce délai est porté à 15 jours pour les particuliers. Pour complexe
qui soit un litige, il sera toujours incomparablement plus simple que
la question du transfert d'un service publique à un organisme privé. Prétendre
que l'Etat peut s'opposer avec des décisions élaborées, études et argumentaires
à un projet privatiseur dans la moitié du temps pour répondre à des demandes
judiciaires, suscite la plus grande perplexité.
Professeur
de Droit administratif à la Faculté de Droit de l'Université Nationale
du Comagë, Dr Hugo Eduardo Frare, qui a fait appel à l'attention de l'auteur
sur ce singulier spécimen normatif.
Remarque
idiomatique, intraduisible en français
11. DISPARITION DE L'APPEL D'OFFRES
Ce
plan privatiseur inclut l'incorporation des particuliers dans les réseaux
sectoriels des services publics, comprenant l'électricité, le téléphone,
toutes les communications, les réseaux de voirie et de chemins de fer,
les systèmes de radio et télévision en grande partie aux mains de l'Etat.
Ce qui était exclu, très étonnamment, c'était la garantie minimale de
moralité et de transparence administrative qui comporte l'appel d'offres
publiques.
Dans
ces cas, non pas le projet privatiseur, mais sa synthèse devait être publiée
cinq jours dans un journal de grande diffusion au niveau national; cette
condition est de douteuse application car le nombre de personnes qui lit
les journaux de Buenos Aires dans les régions éloignées, est extrêmement
réduit. La publication des projets dans les publications locales était
prévue à la condition que le projet soit intéressant sur le plan local.
Mais le plus incroyable est la disposition de l'article
5, par lequel seuls les cas d'incorporation d'entreprises privées à des
réseaux sectoriels ou à d'autres services dispensés par des entreprises
ou sociétés d'Etat, permet la manifestation d'une opposition à ces organismes
ou entreprises locales.
Il faut remarquer deux points d'importance capitale.
En premier lieu, que la possibilité de faire opposition à d'autres personnes
privées est accordée seulement dans les cas d'incorporation à des services
sectoriels ou en coordination avec des services pré-existants. S'il n'y
a pas de réseaux sectoriels, les particuliers, parmi eux d'autres entreprises
privées potentiellement concurrentielles, n'ont pas la possibilité d'être
au courant et encore moins de pouvoir se mettre en opposition au plan
de privatisation, car la condition de la publicité pour cinq jours de
la synthèse est restreinte aux seuls cas d'incorporation aux réseaux
sectoriels ou de coordinations de services. En deuxième lieu, en aucun
cas ces personnes privées pourront entrer en concurrence avec des propositions
alternatives, ou avec des prix inférieurs à égalité de conditions de prestation
ou de prévision, parce que faire opposition, seulement possible pour les
réseaux sectoriels ou de coordination de services, n'est pas concurrentielle.
Dit d'une manière plus concise, ce régime de transfert des services publics
et d'entreprises d'Etat, avait la prétention de se passer entièrement
de l'appel d'offres, lequel devait purement et simplement disparaître.
Non seulement braderie des biens publics, mais braderie avec un haut degré
de clandestinité, ou tout au moins, dans l'opacité la plus totale, avec
évidemment une nette tendance à la création de monopoles privés.
Curieux néo-libéralisme celui qui, lorsqu'il s'agit
de brader le secteur public de l'économie oublie la libre concurrence
et de toute notion d'appel d'offres. Encore plus singulier est un des
considérants qui responsabilise les monopoles d'état de la situation
très grave qui devait être corrigée. Ce qu'il est possible de comprendre
de cet épouvantable régime privatiseur et des convictions néo-libérales
qui le nourrissent : Le système de monopole est seulement condamnable
si c'est l'Etat qui l'exerce, et surtout pas si c'est le fait des concentrations
de pouvoir économique privé.
Il
va de soi que ces principes se sont notamment amplifiés sous le régime
de Menem, mais ils étaient déjà présents potentiellement sous le régime
radical.
Une
caractéristique supplémentaire inhérente au régime Menem est que celui-ci
présente une vocation, soit innée, soit compulsive, à une générale opacité
alliée à un penchant vers les frontières de l'illégalité, ce qui a été
dénoncé par un ministre de l'intérieur et un autre d'économie, témoins
de choix car ayant été au cœur du système de corruption menemiste.
L'insécurité
juridique qui s'est ensuivie, jointe à la notoire manipulation de la justice
fédérale de Buenos Aires, est quelque chose sans précédent et qui a aggravé
profondément la situation sociale dans l'Argentine des années 90.
Mais il est clair que ce précédent, comme bien d'autres,
correspond, de fait, dans le projet de privatisations, à l'annonce d'une
version social-démocrate du néo-libéralisme et qui serait une "gauche
imaginaire", comme l'ont dénoncé au sujet du gouvernement socialiste
de Mr. Jospin, deux journalistes, l'un du Monde, l'autre de Libération,
dans un livre récent comportant ce titre. Dans ce livre, le néo-libéralisme
est le principal, la social-démocratie l'accessoire, un faible édulcorant,
un vain produit cosmétique, ou alors un camouflage. Ce n'est pas une bonne
chose de tromper les gens sur ce point. Surtout parce que le contrôle,
l'examen, et la révision des privatisations devrait être un des aspects
centraux du nouveau gouvernement national mis en place à la fin de 1999.
Les gouvernants ne pourront pas éviter cette réclamation collective, il
me semble, ni avec des efforts d'harmonisation partisanes ni avec un travail
d'adaptation idéologique imaginés comme le prix à payer pour obtenir l'accès
au pouvoir. Parce qu'inévitablement sur le plan des services publics il
y a intersection de la solidarité sociale, rigoureux thème de notre
temps, moteur du développement humain, avec l'économie, la modernisation
et l'efficacité.
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