La couverture maladie universelle. Texte paru sur la liste de discussion francophone "attac-talk" (juin 99) | |
LA COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLEPar
Catherine Levy Chercheur
au CNRS et membre du Conseil scientifique d’ATTAC L’objectif proclamé de la Couverture
Maladie Universelle, autrement dit CMU n’est pas discutable. Mettre en
place une couverture maladie pour tous, sans restriction aucune aurait pu
être un acte politique fort. Mais, à la lecture du texte de loi, passé
en première lecture au parlement, passé devant le Sénat et revenant
dans une dizaine de jours à nouveau devant les députés, plusieurs
questions se posent devant l’universalité affichée du projet. La première, d’ordre général, concerne la
couverture de base actuelle. La part des dépenses de santé prise en
charge par le régime de base est passée de près de 80% à moins de 75%
en 1997. Ce recul de la couverture de base est la cause majeure des inégalités
d’accès aux soins. Sept millions de personnes n’ont pas de couverture
complémentaire. Réaliser une “ avancée sociale ”
supposait donc de rompre avec cette évolution et d’améliorer pour tous
les niveau de la couverture de base. Cela supposait de revenir sur le “ credo ”
gouvernemental qui fixe comme horizon indépassable à sa politique la
baisse des prélèvements obligatoires. Une autre cause importante des difficultés
d’accès aux soins pour les plus démunis est “ l’avance de
frais ”. Le malade doit payer d’abord et attendre ensuite d’être
partiellement remboursé. La solution serait l’instauration d’un “ tiers
payant ” auquel s’opposent les principales organisations de médecins.
Certes, les bénéficaires de la CMU auront droit au “ tiers payant
intégral ” mais cette mesure n’est pas étendue à l’ensemble
de la population. Et, pour ces bénéficiaires de la CMU, quel va être le
comportement des professionnels de santé face à un “ tiers payant ”
qui leur a été imposé sans concertation ? Si certains médecins, en
particulier les spécialistes en secteur 2 qui pratiquent des dépassements
d’honoraires, refusent de prendre en charge des bénéficiaires de la
CMU, quelle sera la réalité de “ l’accès de tous aux soins
pour tous ” ? Les bénéficiaires de la loi seront les personnes
ayant des revenus inférieurs à 3500 Francs par mois, et, sur un critère
de résidence stable et régulière, ils pourront choisir entre deux modes
de couvertures : soit une complémentaire assurée par les caisses du régime
général, financée par l’Etat qui va récupérer les crédits
que les départements affectaient à l’aide médicale gratuite,
soit une complémentaire fournie par une mutuelle, une institution de prévoyance
ou une assurance privée. Premier problème : le seuil et les exclusions
qu’il engendre : c’est un chiffre, donc une quantité et un absolu,
censé mesurer une qualité, qui, elle, est relative ; le seuil, ici fixé
à 3500 Francs, doit mesurer la population en état de manques de soin,
manques que la loi vient combler ; mais comment peut-on limiter ainsi le
nombre de bénéficiaires en laissant de côté toutes les personnes dont
les revenus mensuels sont compris entre 3501 Francs et le salaire minimum
dont on peut facilement imaginer les carences au niveau des soins ? Le “ seuil
de pauvreté ” n’a rien d’absolu. Ce n’est qu’un chiffre
que tous les statisticiens ne mesurent pas de la même façon, et sur la
valeur duquel il y a débats. En fixant dans la loi un seuil de 3 500
Francs on opère une sorte de “ légalisation ” d’un des
chiffres qui existe. Est-ce une bonne idée d’avoir justement choisi le
plus bas ? Second problème : la résidence et les
exclusions qu’elle engendre : le critère définit pour les bénéficiaires
une résidence stable et régulière, ce qui exclut, de fait, toutes les
personnes en résidence administrative précaire et les “ sans
papiers ”. Par cette disposition, on hypothèque au départ
l’ensemble du dispositif. Seraient donc exclus tous les étrangers en
attente d’un premier titre de séjour ou en période de renouvellement,
mais aussi les français de plus en plus nombreux qui ont des difficultés
à établir ou renouveler leurs papiers et sans doute aussi tous ceux, SDF
ou non, qui ont perdu leurs papiers et qui mettent des mois, voire des années,
à récupérer leur état civil. En fondant une politique sociale sur
l’exclusion des sans papiers, c’est l’ensemble des étrangers qui
est fragilisé et, par voie de conséquence, l’ensemble de la population
précaire. Ceci est bien sûr contraire à toute une série
d’accords et de conventions internationales, dont la France est
signataire, et qui mettent tous l’accent sur l’égalité de traitement
entre nationaux et étrangers : la déclaration des droits sociaux, économiques
et culturels de l’ONU (1966), la Convention de Genève (1951), la
Convention sur les droits de l’enfant (1989), la convention n°118 de
l’Organisation Internationale du Travail (1962), la Convention européenne
d’assistance sociale et médicale (1954), la Charte sociale européenne
(1961), etc. plus les conventions bilatérales, et signées dans le cadre
de l’Union européenne, la Convention de Lomé, celle avec le Maghreb,
etc. En effet, l’égalité de traitement entre nationaux et étrangers,
sans condition de résidence, est le fondement de notre protection sociale
; la Déclaration universelle des Droits de l’homme considère que ce
droit est “ rattaché à la personne humaine quelle que soit sa
situation sociale, économique ou professionnelle ”. Troisième problème : celui de la définition
des soins effectivement pris en charge par la CMU, en particulier dans le
domaine des soins dentaires et de l’optique. La question n’est pas réglée
par la loi et doit faire l’objet d’une négociation avec les
professionnels de santé dans les mois qui viennent. Si l’accord se fait
sur des soins de faible qualité (appareils dentaires “ bas de
gamme ” par exemple) on aura créé, quoiqu’en dise la loi, une
catégorie de soins destinés spécifiquement aux “ pauvres ”.
Le niveau des soins qui va être défini est certainement un des points
centraux pour juger de la réalité des effets de la CMU pour lutter
contre l’inégalité dans le domaine des soins. Quatrième problème : c’est la banalisation
de l’intervention de l’assurance privée qui, certes, n’a pas obtenu
dans le projet de loi la place qu’elle revendiquait et que le rapport
Boulard (rapport préalable à la rédaction du projet de loi) lui
accordait ; mais malgré cette restriction, il faut bien se rendre à l’évidence
et reconnaître que la loi leur ouvre une porte royale dans le monde de la
sécurité sociale et de l’assurance maladie. L’assurance privée est
individuelle alors que l’assurance maladie est générale et complétée
par des mutuelles professionnelles. L’arrivée de l’assurance privée
porte évidemment en elle, quelles que soient les promesses que nous font
actuellement les assureurs, le risque fort de voir se développer les
politiques de sélection des populations à risque qui remettrait
totalement en cause l’aspect universel que la loi veut donner à la
couverture maladie. Cinquième problème : aucune voie de recours
n’a été prévue en cas de litige avec un organisme complémentaire. En
cas de litige avec une caisse primaire les voies de recours sont prévues,
mais que se passera-t-il si un bénéficiaire entre en conflit avec une
assurance ou une mutuelle ? Devra-t-il pendant des mois tenter de faire
valoir ses droits devant les tribunaux civils ? Pourquoi ne pas avoir prévu
un recours unique comme le demandaient les associations ? En dehors de ces problèmes un certain nombre
de questions qui se posent de manière récurrente ne semblent pas avoir
trouvé de réponse dans le cadre du projet de loi. Notre système de santé ne prend pas, ou
prend très mal en compte les aspects sociaux de la santé et des soins.
La CMU ici ne change rien. Qu’en est-il de la mise en place de plans départementaux
d’accès aux soins et de création de cellules d’accueil dans les
hopitaux préconisée par la loi contre les exclusions ? Qu’en est-il
du suivi et des moyens de contrôle des professionnels de la santé
dans la mise en pratique de cette nouvelle loi, eux qui n’ont pas été
associés à la confection de la loi et qui sont pourtant concernés au
premier chef par la modification du paiement des soins ? Catherine Lévy, Patrick Mony, Pierre
Volovitch, (Réseau d’Alerte sur les Inégalités) lundi 7 juin 1999
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Chercheur au CNRS Membre du Conseil scientifique d'ATTAC
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