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Que faire à présent ?

Susan George

Texte pour le Forum social mondial de Porto Alegre
15 janvier 2001

 

Le mouvement social mondial en lutte contre la mondialisation impulsée par les compagnies transnationales et les marchés financiers; qui lutte pour un monde plus juste, plus démocratique et plus écologiquement durable a fait beaucoup de chemin depuis trois ans. Nous avons marqué des victoires importantes: l'Accord Multilatéral sur l'Investissement est mort, même si l'on essaie de le résusciter. La Banque mondiale, le Fonds monétaire et l'Organisation mondiale du commerce sont en état de crise et la présidence de Bush peut l'aggraver. Partout les consommateurs se révoltent contre les Organismes génétiquement modifiés. Des douzaines, des centaines de batailles ont lieu dans des douzaines, des centaines d'endroits du monde. A cause de nos actions, à cause des protestations de masse et du refus populaire d'accepter la mondialisation néo-libérale, de plus en plus de personnes reconnaissent que nous ne sommes pas arrivés à "la fin de l'histoire". Le sens de Porto Alegre est de faire des projets d'avenir avec réalisme et espoir. Comme nous disons à ATTAC, un autre monde est possible. 

Ce ne sont pas là minces victoires et il faut s'en réjouir. Mais il faut bien reconnaître aussi que le chemin à partir de maintenant sera long et dur. Oui, la Banque mondiale, le FMI et l'OMC sont touchés, mais il sont toujours debout et n'ont renoncé à aucun de leurs pouvoirs. La distribution des richesses du monde demeure radicalement inégale. Chaque jour de plus en plus de personnes sont plongées dans la pauvreté. La dette du Sud continue à croître et à détruire l'existence de personnes innombrables. La planète, la nature font toujours l'objet d'un assaut sans relâche et peut-être fatal. Pire encore, les vrais responsables de la mondialisation ont été à peine touchés: je parle des firmes transnationales industrielles et financières pour lesquelles la Banque, le Fonds, l'OMC, l'OCDE et les autres servent de domestiques. Ces mega-compagnies et les marchés financiers sont l'incarnation ultime du capitalisme mondial; c'est d'elles que vient le vrai danger et leurs dirigeants se réunissent à Davos en ce moment même. Tant que nous ne les aurons pas placées sous contrôle démocratique et légalement contraignant, nous ne pourrons pas crier victoire. 

Pour ces raisons je voudrais parler des pas à faire ensemble si nous voulons atteindre notre but--que je définirais comme "une mondialisation démocratique, équitable et écologique". Certains de ces pas sont intellectuels ou idéologiques; d'autres concerne davantage l'organisation, la tactique et la stratégie. La première chose à faire est de nous débarasser de l'idéologie dominante qui a convaincu tant de gens qu'il n'y a pas d'alternative à la mondialisation néo-libérale. Pour cela, commençons par restaurer la vérité du langage et la crédibilité de l'information. Cela me semble vital pour convaincre tout le monde, y compris les gouvernements, que le monde actuel n'est pas inévitable, que la mondialisation n'est pas une force de la nature comme la gravitation ou de la loi divine, que le marché ne peut être la mesure de toute chose. 

L'écrivain André Breton disait "L'intellectuel est le gardien du vocabulaire". Garder le vocabulaire n'est toutefois pas la tâche des seuls intellectuels: le mouvement tout entier représenté a Porto Alegre doit apprendre a se servir de mots qui sont compris de tous mais qui en même temps dévoile les mensonges de nos adversaires. Des mensonges se sont encastrés dans notre langage de tous les jours. Quelques exemples de cet usage colonisé par les néo-libéraux:

Nous disons "Mondialisation" ou "globalisation" comme si toutes les nations et tous les peuples marchaient ensemble vers quelque Terre Promise alors que nous savons très bien qu'il s'agit d'un mythe. La "mondialisation" n'est autre que l'intégration de certaines parties du monde par les compagnies transnationales industrielles et financières, c'est tout simplement le capitalisme du 21ème siècle. Il se nourrit en mangeant la planète, il enrichit les riches, il augmente les inégalités, il refuse la démocracie et il exlut des centaines de millions de personnes.

Nous disons "privatisation" alors qu'il s'agit de "l'aliénation" d'entreprises de valeur, construites par le travail de milliers de personnes pendant de longues années et qui sont aujourd'hui remises à bas prix aux élites du Nord et du Sud. Tout comme la Banque et le FMI, nous parlons "d'ajustement structurel" quand il s'agit d'austérité économique insoutenable et d'un assaut brutal contre les pauvres. Nous disons "déréglementation" tout en sachant que de nouvelles règles sont mises en place chaque jour par des institutions internationales opaques et anti-démocratiques. En fait nous subissons une véritable "re-régulation".

Nous parlons même de Georges Bush Jr. comme le "Président démocratiquement élu des Etats-unis quand c'est clair que le peuple américain vient d'être victime d'un quasi-coup d'état. Si de telles irrégularités électorales s'étaient produites dans un pays du tiers monde, les USA auraient probablement envoyé des troupes ou imposé des sanctions.

Je trouve aussi profondément irritant et faux que la presse nous qualifie d'"Anti-mondialistes". Disons clairement que nous sommes "pro-mondialisation" car nous sommes favorables au partage de l'amitié, la culture, la cuisine, la solidarité, la richesse et les ressources. Nous sommes avant tout des "pro-démocratie" et des "pro-planète", ce qui n'est surement pas le cas de nos adversaires.

Pour rétablir l'équilibre idéologique, il nous faut aussi dévoiler les mensonges de la soi-disant recherche que la Banque, le FMI ou l'OMC mettent en avant pour justifier leurs politiques. Ces institutions emploient des intellectuels dociles mais bien rémunérés dont la tâche consiste à convaincre les media et le public que la mondialisation améliore la vie des plus démunis, que la liberté du commerce bénéficie à tous et la marée qui monte soulève tous les bateaux, que l'ajustement structurel mène à la croissance, la prospérité et la redistribution de la richesse; que le marché sait répartir au mieux les ressources financières, matérielles et humaines--et d'autres contes de fée du même acabit. Démasquer cette idéologie qui essaie de se faire passer pour erudition est sans doute un travail pour les chercheurs mais tout le monde peut se battre contre ces mensonges officiels. 

La dernière étape dans notre renouvellement intellectuel est de perdre et faire perdre quelques illusions pernicieuses. Dans le Nord on a sans doute plus d'illusions que dans le Sud mais partout il est difficile pour les gens de bonne volonté d'admettre une réalité aussi décourageante. Voici quelques exemples d'illusions typiques: 

Bill Gates et les 400 et quelques milliardaires recensés chaque année, qui contrôlent des avoirs équivalents à ceux de la moitié de l'humanité, comprennent surement qu'il ne sert à rien d'être à la tête d'une immense fortune si on est à bord du Titanic. Ils pourront se servir de leur richesse pour améliorer l'état de la planète et de ces habitants. C'est faux. Il n'y a pas de limites supérieures au désir de richesse et de pouvoir, même si les limites inférieures--la déstitution et la mort--sont clairement définies. 

Certains pensent que la dette de l'hémisphère sud sera enfin annulée si l'on peut prouver sans contestation possible aux gouvernants que la dette tue et détruit d'innombrables existences. Encore faux. Des centaines d'études l'ont déjà prouvé. Il faut reconnaître qu'aucun niveau de souffrance humaine en soi ne fera changer les politiques des créanciers.

La plupart des citoyens du Nord ont l'air de penser que tout le monde a accepté les gains sociaux, résultat des luttes depuis 100 ans. Beaucoup continuent à croire que les pays du Sud pourront tôt ou tard construire leurs propres "Etats providence" grâce à la croissance et au processus du développement. Croire tout cela est suicidaire. Les élites nationales et internationales nous replongeraient allegrement dans le 19ème siècle si elles le pouvaient. Ces élites cherchent constamment les moyens d'employer moins de personnel, de baisser les salaires, d'éliminer les avantages acquis, de transférer les services publics au marché, de ne plus payer d'impôts, etc. Quant au Sud, depuis la fin de la guerre froide, les élites du Nord se moquent du "développement" et les budgets de coopération sont en chute libre. 

C'est encore chimèrique de penser que les transnationales et les pays riches changeront au moins de comportement quand ils comprendront enfin qu'ils démolissent la vie de la planète sur laquelle nous devons tous vivre. De toutes les croyances, celle-ci est peut-être la plus pernicieuse. Il semble logique et dans l'intérêt de tous, y compris des pays riches et des transnationales, de préserver notre base écologique. A mon sens, il ne peuvent pas s'arrêter même s'ils le veulent, même pour l'avenir de leurs propres enfants. Le capitalisme est comme cette fameuse bicyclette qui doit toujours avancer ou tomber et les entreprises sont en concurrence pour voir qui peut pédaler le plus vite avant de s'écraser contre le mur. 

Vous voyez où je veux en venir! Le capital ne donne jamais rien de son plein gré au travail, les classes dominantes ne relâchent jamais leur pouvoir et leurs privilèges et veulent toujours en acquérir plus, l'environnement ne sera pas protégé simplement parce que ce serait rationnel et ce serait de la folie de croire que les acquis de luttes passées ont été acquis une fois pour toutes. En revanche, les vieilles notions de rapport de forces et de lutte des classes n'ont rien perdu de leur actualité même si nous devons beaucoup réfléchir à la nature des classes sociales qui a bien changé depuis 150 ans. 

Pour résumer, nous aurons à mon sens gagné la moitié de la bataille si nous pouvons effectivement rétablir la vérité du langage et la légitimité de notre propre recherche; si nous pouvons combattre avec succès les illusions que des millions de gens chérissent encore. C'est alors que la route s'ouvrira devant nous.

Pour aller de l'avant, d'autres stratégies s'imposent. C'est clair qu'il nous faut continuer à protester. En synchronie avec la réunion du Forum Social Mondial à Porto Alegre, il y aura beaucoup de monde pour protester au Forum Economique Mondial à Davos. C'est un bon symbol mais il me semble qu'à un an de Seattle nous devrions nous mettre d'accord sur le principe suivant: Partout où "ils" sont, certains d'entre nous serons aussi". Certains d'entre nous, mais pas tous car nous ne devons pas permettre à l'adversaire de fixer notre calendrier. Porto Alegre est important en partie parce que c'est notre évènement. 

Tous nos camarades n'ont pas les moyens de voyager. Tous ne peuvent s'absenter de leur travail ou de leur famille pour aller manifester aux quatre coins du monde. On ne peut pas construire un vrai mouvement social sur les bases d'un jet-set de gauche ou d'une culture de jeunes. Il faut que la presse cesse de tout comparer à Seattle parce que le nombre n'est pas l'objectif ou en tous cas pas le seul objectif. Parfois, mais pas très souvent, nous devons montrer notre force par le nombre et remplir les rues. Mais certainement pas à chacun des réunions de l'adversaire. On peut marquer son opposition aussi en restant là où l'on est et si nous sommes inventifs nous pouvons occuper l'attention des media. 

Partout où nous apparaissons, il nous faut à mon avis nous déclarer sans équivoque mouvement non-violent et tout faire pour isoler physiquement et politiquement les éléments violents qui semblent croire que casser des vitrines, mettre le feu ou se bagarrer contre les flics peuvent de quelque manière obscure menacer le capitalisme. Oui, je sais que c'est souvent la police qui commence, qu'en particulier beaucoup d'hommes jeunes sont furieux et désespérés. Mais je prétends que le "capitalisme" n'est que trop heureux de nous voir faire des erreurs straté_iques grossières qui sont invariablement grossies à la télévision et qui attire de la sympathie pour nos adversaires tout en nous isolant, nous, de personnes qui pourraient être nos alliés. Il ne nous sera jamais possible d'attirer les personnes plus âgées, les familles avec enfants, les handicapés ou les moins en forme physiquement, les membres de minorités qui ne peuvent risquer d'être mis en prison. Aucun de ceux-là ne viendront à nos manifestations si nous ne pouvons leur garantir qu'elles seront pacifiques. 

Mais "pacifiques" ne veut pas dire "ennuyeuses". Je propose que nous pensons beaucoup plus à l'expression artistique--théâtre, danse, musique, cinéma, peinture--pour rendre notre message plus intense, plus coloré, plus puissante. Réfléchissons aussi à comment nous pouvons rendre nos adversaires non pas sympathiques, parce qu'aggressés violemment, mais ridicules. Ceux qui partagent les valeurs de l'adversaire ne sont pas seulement mesquins et méprisables: ils sont ridicules et il s'agit de s'en moquer avec imagination, humour et dérision. Rappellez-vous ces héros du peuple qui ont lancé des tartes à la crème contre Mike Moore et Michel Camdessus. En ce moment, l'OMC quémande des donations privées de manière à, je cite, "instruire les nations démunies concernant les règles complexes du commerce international". Quel aveu du fonctionnement non-démocratique de cette organisation! Ses propres membres ne comprennent même pas ce à quoi ils se sont engagés. Faudrait-il demander des contributions charitables pour l'OMC--quelques tonnes de pièces de dix centimes, par exemple? Faudrait-il faire parvenir à son compte en banque des milliers de chèques pour de toutes petites sommes? Apprenons en tous cas à utiliser ces aveux de faiblesse à notre avantage.

Protester, oui, mais en même temps il nous faut proposer. C'est là un problème complexe. Trop souvent, le mouvement citoyen est dépeint comme une bande d'anarchistes qui ne ne sont d'accord sur rien, si ce n'est qu'ils ne veulent pas de règles. Vous connaissez tous le refrain:: "Si vous n'acceptez pas les règles de l'OMC vous allez nous ramener aux guerres protectionnistes des années 1930 et peut-être à la guerre tout court". "L'OMC existe pour protéger les faibles contre les forts mais vous, vous voulez la loi de la jungle". "Le commerce est bon pour les pauvres; vous êtes contre le commerce; donc vous êtes contre les pauvres". D'autres justifications similaires existent pour le FMI, la Banque et les autres. Nous devons, de ce fait, être parfaitement clairs: Nous voulons des règles. Aucun système, y compris Porto Alegre, ne peut fonctionner sans règles mais le tout est de savoir qui fait les règles et au bénéfice de qui. Nous refusons à juste titre les règles d'organisations non-élues et opaques qu'il s'agisse de firmes transnationales, de marchés financiers ou d'institutions internationales.

Le mouvement a déjà commencé à travailler à mettre d'autres règles à la place ce celles que nous refusons. Les nôtres doivent être instantanément reconnues comme légitimes, c'est à dire qu'elles doivent être fondées sur le corpus de droit international elaboré au cours du 20ème siècle: droits humains, accords sur l'environnement, conventions de base sur le travail etc. Cette loi doit toujours prévaloir sur des systèmes légaux plus spécialisés comme l'Organe de règlement des différends de l'OMC. Les entreprises transnationales et leurs dirigeants doivent être rendus personnellement et pénalement responsables des actions de leurs filiales partout dans le monde. Les marchés financiers doivent être contrôlés au moyen de l'imposition fiscale et, quand il le faut, par le contrôle des changes. 

Tout comme nos prédécesseurs ont lutté pour le principe de la taxation et la redistribution nationales, nous devons lutter pour la taxation internationale dans un monde où l'argent des firmes et des individus les plus fortunés échappe à l'impôt en se cachant dans des paradis fiscaux ou dans des compagnies fictives. Puisque l'aide officielle au développement est en chute libre et les véritables flux financiers vont du Sud pauvre vers le Nord riche; l'unique façon de réduire l'écart riche/pauvre-Nord/Sud est de taxer le capital international. Les meilleures cibles sont les transactions financières ou les fusions et acquisitions des firmes transnationales. L'on nous dit bien sûr que de tels impôts ne sont pas techniquement praticables. C'est faux. Le monde dans son ensemble n'a jamais été aussi riche et la technologie existe si les gouvernements ont la volonté de s'en servir. Le vrai problème est qu'ils n'ont pas cette volonté. 

Tout en faisant nos propositions, refusons l'attitude que Ralph Nader a qualifiée de "défaitisme réaliste"--partir du principe qu'il est impossible d'obtenir ce que l'on veut vraiment et ce n'est donc même pas la peine d'essayer. Un exemple: Pendant la lutte contre l'Accord Multilatéral sur l'Investissement, le comité consultatif des syndicats de l'OCDE, le TUAC, prétendait que l'AMI serait de toute manière adopté et qu'il fallait de ce fait essayer d'y faire inclure une clause sociale. En dehors du fait qu'une clause sociale dans ce traité n'aurait eu aucun sens, cette attitude reflétait la démoralisation du mouvement syndical. Il se trouve que nous avons battu l'AMI, sans aucune aide des syndicats concernés, même si d'autres syndicats dissidents étaient très importants dans cette lutte. Essayons toujours de viser le maximum. Parfois le "réalisme" consiste à exiger ce qui peut paraître de prime abord impossible.

D'autre part, même si toutes les victoires sont temporaires et partielles, il n'y a pas de "petites" victoires. En Europe nous avons connu l'exemple de certains députés de gauche au Parlement européen qui ont refusé de voter une résolution portant sur une étude de faisabilité de la "Taxe Tobin" sur les transactions financières. Ces députés prétextaient qu'une telle taxe ne serait qu'un "aménagement" du capitalisme alors qu'eux voulaient le renverser entièrement. Leurs votes négatives ont causé la défaite de la résolution. 

Je suis désolée d'admettre que je ne sais plus ce que "renverser le capitalisme" veut dire en ce début du 21ème siècle. Peut-être allons-nous assister à ce que le philosophe Paul Virilio a appelé "l'accident global". S'il advient, il sera certainement accompagné par des souffrances humaines immenses. Si tous les marchés financieres et toutes les bourses s'écroulent brutalement en même temps, des millions de personnes se retrouveront en chômage, les faillites de banques dépasseront largement la capacité des gouvernements à empêcher des catastrophes, l'insécurité et le crime deviendront la règle et nous serons plongés dans l'enfer Hobbesien de la guerre de tous contre tous. Appelez-moi si vous voulez "réformiste", je ne veux pas d'un tel avenir, pas plus que l'avenir néo-libéral. 

Si cette analyse est juste, cela implique à la fois que nous mettions un terme au programme néo-libéral de nos adversaires et que nous imposions les mesures qui peuvent remplacer l'actuel système du capitalisme sauvage avec un système coopératif où les marchés ont leur place mais ne peuvent dicter leur loi à l'ensemble de la société. Dans cette perspective, il n'y a pas de petites victoires et toute victoire devient la plateforme de victoires futures.

Nous savons très bien ce pour quoi nous luttons. Les dettes du Sud ne sont pas remboursables et ont été de toute manière déjà largement remboursées. Elles doivent être annulées et des restitutions pour la spoliation du Sud entreprises. Les institutions financières internationales doivent être placées sous contrôle démocratique. S'il est décidé qu'elles ont encore un rôle, celui-ci doit bénéficier à la majorité. Il nous faut un régime du commerce international mais pas celui de l'OMC. Certains biens doivent être mis complètement hors de portée du commerce et des relations marchandes. Je pense à un certain allocation de nourriture et d'eau pour tous [mais les personnes qui veulent remplir leur piscine doivent payer l'eau le prix fort]. La santé, l'éducation, et d'autres services sociaux ne sont pas des marchandises mais des droits. Les services publics, les transports et les logements sociaux peuvent être généreusement fournis. 

Une fois que les gens jouissent d'un certain niveau de sécurité matérielle, ils deviennent infiniment plus productifs et enrichissent leurs sociétés. Il est tout à fait faisable, matériellement parlant, d'établir un seuil de bien-être universel auquel tous ont droit, non comme objets de charité mais du seul fait qu'ils sont des êtres humains. Le monde n'a jamais été aussi riche et nous possédons tous les savoirs organisationnels et techniques nécessaires, en plus de la capacité de superviser la distribution des biens de manière à éviter la corruption et le gaspillage. Autrement dit, il n'y a pas d'excuse de ne pas changer le monde. 

Je suis certaine que tous ceux qui sont présents à Porto Alegre comprennent que nos luttes doivent être fondées sur des coalitions nationales fortes, réunissant paysans, syndicats, écologistes, femmes, professionnels, travailleurs culturels et intellectuels, chômeurs, sans toit, immigrés, militants des droits humains et d'autres forces encore. Sur ces bases nationales fortes, nous pouvons ensuite joindre nos luttes régionalement et internationalement. Dans tous les cas, il n'est pas nécessaire d'être d'accord sur tout pour travailler ensemble en vue d'objectifs communs. 

Permettez-moi de terminer en disant que je crois profondément et honnêtement que nous pouvons accomplir toutes ces choses. Nous n'avons aucune raison d'être pessimiste car il n'y a pas eu une telle resurgence d'énergie militante depuis la guerre du Vietnam. Je crois que nous pouvons gagner. Mais à condition de se souvenir d'une réalité pénible: tout, ou presque, prend très longtemps, un temps incroyable. L'exemple le meilleur, ou le pire, c'est la dette sur laquelle beaucoup d'entre nous ont commencé à lutter il y a 15 ans et dont les conséquences sont devenues de plus en plus graves avec chaque année qui passe. De ce fait, la leçon la plus difficile qu'il nous faut apprendre est comment perdre sans se décourager. 

C'est vrai, nos adversaires ont de l'avance sur nous. Ils se sont réunis plus tôt, ils ont l'argent, le pouvoir, la majorité des média et une bonne partie de l'organisation de leur côté. Mais n'oublions jamais que nous avons pour nous le nombre, nous avons les idées, et tout ce que nous chérissons aujourd'hui, tous les acquis du passé dont nous bénéficions aujourd'hui ont été gagnés par des gens qui ont commencé par perdre. Ils ont lutté et perdu, lutté et perdu et puis un jour ils ont gagné. Être dignes d'eux exige que nous ayons la même détermination, la même patience. Il ne faut pas _'étonner que ce soit dur--après tout, nous essayons de faire quelque chose que personne n'a jamais fait dans toute l'histoire de l'humanité! 

En attendant de gagner, n'oublions pas non plus que ceux qui sont de notre côté ont plus de joie, plus de vrais camarades, plus de raisons de vivre que ceux qui se retrouvent à Davos. Réjouissons nous de ce Forum Social Mondial et faisons-en un immense succès. Ensemble, vous tous qui êtes sur place et tous ceux qui comme moi ne peuvent pas y être mais qui en partagent l'esprit; ensemble nous ferons des mots "Porto Alegre" le signe de la dignité humaine, la solidarité et la démocratie.