Mondialisation - Etat des lieux
Bem-vind@ - Benvenuto - Bienvenido - Bienvenue - Velkommen - Welcome - Welkom - Willkommen |
Regard critique sur le mouvement de concentration contemporain - Texte paru sur la liste "Attac-talk" - Mai 1999 | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
La figure centrale de lA.M.I. et de ses clones, en premier lieu le PET (« partenariat économique transatlantique ») est un personnage anonyme nommé « linvestisseur ». On le retrouve aussi à lOMC bien sûr, un peu moins au devant de la scène, mais omniprésent en coulisse. « Linvestisseur » serait un personnage si important en cette fin de siècle quil faudrait se soumettre à toutes ses exigences, lui accorder le droit de pouvoir investir ou exporter sans quil se voit opposer « dentraves », relevant de dispositions tenant à la santé publique, à lenvironnement, au droit du travail ou aux services publics (là bien sûr où ils nont pas été déjà démantelés). Derrière labstraction du terme juridique, la réalité est celle du très grand groupe industriel et financier issu de la concentration, désigné classiquement du terme de trust ou de konzern.
Une régression politique et sociale
Lexpérience des années 30, aussi bien sous langle des forces de la finance et de lindustrie qui se sont mobilisées contre le New Deal aux Etats-Unis (les grands trusts) , que celles qui ont aidé le régime nazi en Allemagne à accéder au pouvoir avant de collaborer étroitement avec lhitlérisme (les konzerns), avaient conduit à létablissement de contrôles sévères sur les concentrations, au moins autant à partir de considérations tenant à lexercice de la démocratie quà des motifs de concurrence. Dans la force de « linvestisseur » et dans sa capacité à uvrer pour convaincre les gouvernements et les hautes administrations de lui reconnaître un statut exorbitant, et daligner le droit international comme le droit interne sur ses exigences entrent différents paramètres : sa capacité de contrôle sur lopinion publique et sur lélectorat au travers de sa possession des médias, la perméabilité du corps social et du système politique à la corruption, mais aussi en relation parfois très étroite avec de tels éléments, la dimension avec lemprise économique et financière dont celle est porteuse. Nées aux Etats-Unis, des législations anti-trust sévères freinant le mouvement de concentration avaient été étendues à de nombreux pays. Aujourdhui, sans avoir été abrogées formellement, elles ont été, pour lessentiel, remisées au magasin des accessoires. Au nom de limpératif sacro-saint de « compétitivité », et dans la foulée de la « fin de lhistoire » et du triomphe de léquation « marché égal démocratie », ainsi que sous limpulsion de la finance avide de rendements, des fusions toujours plus gigantesques sont menées à terme sans être interdites. Aux Etats-Unis, on se réveille ainsi tout dun coup pour sapercevoir que fort dun monopole sur certains logiciels, Microsoft peut lancer une tentative de contrôle sur laccès à Internet. Au sein de la Commission européenne, où la politique de concurrence et la surveillance des concentrations a été érigée depuis plus de vingt ans en instrument à peu près exclusif de politique dans le domaine de lindustrie et des services, depuis quatre ans environ une jurisprudence savante, illisible par le non-spécialiste, a été élaborée pour justifier labsence de plus en plus fréquente dinterdiction des fusions pourtant toujours plus gigantesques. Les Etats sont sommés par la Commission de parachever la privatisation, la libéralisation et le démantèlement de leurs services publics, mais on laisse au « marché » le droit de déterminer en toute tranquillité la taille des entreprises. Dannée en année les concentrations en réduisent le nombre, alors que parallèlement les actions se concentrent entre les mains de ces investisseurs institutionnels toujours plus grands et toujours plus libres de leurs mouvements, que sont les fonds de pension (les « Pension Funds ») et les fonds de placement financier collectifs (les « Mutual Funds »).
Lenvolée du marché des fusions et acquisitions
En augmentation constante depuis 1992, le marché des fusions et acquisitions (F&A) a atteint un nouveau record historique en 1998 avec une valeur totale des opérations estimée à plus de $ 2.500 Mrds, soit cinq fois le montant enregistré en 1992. Cette tendance semble se poursuivre en 1999 avec par exemple, le projet de fusion entre Telecom Italia et Deutsche Telekom (opération d'environ $ 65 Mrds), le rachat du pétrolier américain Amoco par British Petroleum (transaction de plus de $ 48 Mrds), la fusion des deux chaînes de distribution britanniques Kingfisher et Asda (opération de $ 31 Mrds), ou la bataille boursière en cours autour de la BNP, la Société Générale et Paribas (offre de BNP évaluée à $ 30 Mrds). Un des aspects les plus notables de l'essor des opérations de F&A depuis le début de 1998 réside dans un recours extensif à des offres publiques d'échange d'actions (OPE) comme modalité de transaction. Parmi les principales opérations survenues depuis janvier 1998, en dehors du secteur des télécoms où les privatisations sont encore récentes, rares ont été celles qui prévoyaient un paiement en argent liquide, ne fût-ce que pour une partie de la transaction. Le recours croissant à des OPE traduit le rôle joué par les investisseurs institutionnels et les marchés boursiers et doit être mis en relation avec le niveau actuel du cours des actions sur les grandes places boursières. La croissance des profits aux dépens des salaires a gonflé la trésorerie des entreprises et la baisse des taux dintérêt leur a permis demprunter à des taux très bas. L'envol du cours des actions a augmenté leur capacité d'acquisition en augmentant le «pouvoir d'achat» inhérent aux titres dont elles-mêmes et leurs principaux actionnaires ont le contrôle. Principale conséquence de l'essor des OPE, la valeur des opérations est extrêmement volatile et change avec la valorisation des titres des entreprises impliquées. Valorisée initialement à $ 83 Mrds au printemps 1998, la fusion entre la banque américaine Citicorp et le groupe financier Travelers, par exemple, n'avait plus qu'une valeur de $ 36 Mrds à son entrée en vigueur six mois plus tard, suite à une mauvaise conjoncture boursière et à des résultats trimestriels décevants ; la fusion entre Bank America et Nations Bank perdit d'ailleurs pour des raisons semblables un tiers de sa valeur (passant de $ 61,6 à 42 Mrds dans la période allant de l'annonce à la conclusion effective de l'opération). Le tableau 1 présente les opérations enregistrées depuis le début de l'année 1998 et dont la valeur, à l'annonce, dépassait les $ 10 Mrds. La présentation du tableau peut être trompeuse car beaucoup d'entreprises s'efforcent de structurer leur rapprochement comme «fusion entre égaux» de sorte qu'il n'y ait ni acquéreur ni cible. Selon la réglementation américaine, l'acquéreur doit en fait capitaliser dans son bilan le «goodwill», c'est à dire la différence entre le prix d'acquisition d'une entreprise et sa valeur nette comptable, et l'amortir sur plusieurs années, ce qui diminue d'autant ses bénéfices futurs. Lannonce faite récemment par les autorités boursières américaines que toutes les fusions seront traitées à partir de la fin de l'an 2000 comme des acquisitions pourrait néanmoins, à moyen terme, peser sérieusement sur le marché américain des F&A dont les coûts se trouveront augmentés. Mais à court terme, cette annonce devrait au contraire doper ce marché, car un certain nombre d'entreprises pourraient être tentées d'avancer leurs projets de croissance externe sur le marché américain afin de continuer à bénéficier de l'actuel régime favorable. Le tableau montre que les plus grandes opérations de F&A concernent avant tout les entreprises américaines qui, comme acheteur ou cible, distancent de loin les firmes britanniques et allemandes. La présence d'entreprises d'autres nationalités dans ce tableau n'est en fait pas significative. Les secteurs les plus touchés par ces opérations sont la finance (banques et assurances), suivie du secteur de communication (opérateurs, équipementiers et médias) ainsi que du secteur pétrolier. Le nombre peu élevé d'entreprises pharmaceutiques comme acteur ou cible de grandes opérations de F&A tient au fait qu'un certain nombre de rapprochements entre grandes firmes ont déjà eu lieu au cours des années antérieures. Tableau 1 : Opérations de F&A depuis janvier 1998 d'une valeur supérieure à $ 10 Mrds Source : Stephan Schubert à partir de différentes éditions du Financial Times et des Echos Le tableau 2 présente les opérations transfrontalières récentes, où lon constate le degré dengagement de groupes britanniques, français ou allemands comme acquéreurs aux côtés des groupes américains, cest-à-dire comme acteurs du processus de concentration proprement « global », qui a été rendu possible par la libéralisation et la déréglementation des flux financiers, des investissements directs et des échanges. Comme dans le palmarès du tableau 1, la finance et le secteur de la communication sont les principaux domaines, mais l'industrie pétrolière cède sa place à l'industrie automobile, pour laquelle les opérations de croissance externe semblent clairement s'inscrire dans une perspective doligopolisation accrue. Tableau 2 : Opérations de F&A transfrontalières depuis janvier 1998 (liste non-exhaustive) Source : Stephan Schubert à partir de différentes éditions du Financial Times et des Echos Linterpénétration capitalistique transnationale est clairement « atlantique ». Le tableau 2 nous permet de comprendre quelles sont les forces économiques et sociales au compte desquelles lOTAN prétend aujourdhui dire le droit international en se drapant du voile bien commode de « la guerre humanitaire » et en faveur desquelles uvrent les architectes du PET. Il y a dix ans le Japon aurait figuré dans tout tableau de ce type comme acquéreur. Aujourdhui il ne figure que comme pays dont un des groupes a été pris comme cible. Il faut en chercher les causes dans la gravité de la crise que ce pays subit comme conséquence dabord de linexpérience dont il a fait preuve du jeu de la finance de marché, de la Bourse et de la mondialisation financière (gravité du krach de 1990 et incapacité à en surmonter les conséquences), et ensuite de son appartenance à lAsie plongée en récession elle aussi, pour un ensemble de causes au centre desquelles il y a les formes dintégration des pays de la région dans la mondialisation financière. Aujourdhui sous une hégémonie politique américaine à sens unique, mais sur ce fond dinterpénétration capitaliste portée par le mouvement de concentration transatlantique, « lOccident » prétend construire un directoire mondial dirigé simultanément contre « lOrient », contre « lEst » dont les vestiges doivent éradiqués sans quil y ait place pour la démocratie dans laffaire et contre le « Sud ». Les opérations de F&A impliquant des entreprises françaises sont en grande partie franco-françaises, mais témoignent également, ainsi que le montre le tableau 3, du grand degré d'ouverture de l'Hexagone sur l'extérieur. Le secteur financier se trouve sans surprise au centre des opérations, suivi par la distribution, tandis que les industries de communication occupent une place nettement moins importante que dans les deux premiers tableaux examinés. Tableau 3 : Principales F&A impliquant des entreprises françaises depuis janvier 1998 Source : Stephan Schubert à partir de différentes éditions des Echos Pour terminer cette recension des opérations de F&A, le tableau 4 indique un certain nombre de batailles industrielles en cours, dont lissue n'est pas encore déterminée. Confirmant la tendance générale exposée ci-dessus, les plus importantes tentatives d'OPA et d'OPE en cours concernent en fait les secteurs des communications et de la finance. Tableau 4 : Opérations non-dénouées au printemps 1999 (y compris offres rivales) Source : Stephan Schubert à partir de différentes éditions du Financial Times et des Echos
Les relations entre concentration et dimension de la demande solvable
Le mouvement de concentration du capital par acquisition et absorption est ancien. Il commence dès que le capitalisme industriel prend pied et saccélère à la fin du siècle dernier. Il naît de la concurrence. Il a commencé par sanctionner des écarts de productivité permettant à lentreprise à productivité plus élevée dacculer à la faillite et dabsorber lentreprise à productivité plus faible. Comme la productivité est façonnée par létat de la technique et la capacité dacquérir les moyens de production, machines, équipements dans lesquels celle-ci sincorpore, le développement technologique, avec les effets de masse et de seuil qui lui sont liés, jouent un rôle en arrière plan. Mais aucun des travaux classiques sur la concentration, (les plus importants étant les travaux américains des années 40 et 50 financées par lagence anti-trust), na fait reposer la concentration sur la technologie. En revanche, la finance et les moyens conçus par les institutions financières pour réunir des capitaux importants ont servi très tôt comme levier pour les acquisitions. Sans la finance la concentration aurait toujours été plus lente. Aujourdhui elle en est un moteur décisif. Pendant lessentiel de lhistoire du capitalisme, le mouvement de concentration sest fait dans le cadre national. Dans ce cadre, il a pu y être partiellement contrôlé en chaque occasion où lEtat a décidé dapporter des limites à la concentration sous une pression politique démocratique et populaire. Ces moments ont été déterminés en réaction aux agissements politiques du capital concentré et sur la base de lappréhension de seuils dans lexercice par des entreprises dun pouvoir économique reposant sur leur faible nombre ce quon nomme leur pouvoir de monopole, loligopole nétant rien dautre que le monopole exercé non pas par une entreprise seule, mais par un petit groupe dentreprises agissant collectivement dans telle ou telle des dimensions importantes de contrôle de laccès à une industrie. Il est important de bien établir le lien entre la possibilité dentrée nouvelle et le rythme de ce qui est nommé de façon vague et impropre la « croissance ». Tant que laccumulation du capital est rapide (ou linvestissement élevé), que lexpansion de la demande est forte et que la concentration na pas dépassé un certain seuil, le mouvement dabsorption dentreprises par dautres, qui les ont défait dans la concurrence, peut encore être contrecarré par larrivée de nouveaux entrants. Il y a bien un mouvement progressif de concentration, mais il ne se traduit pas encore par la formation de barrières à lentrée et il ne crée pas encore de façon mécanique les bases pour les collusions les plus diverses et variées entre les entreprises dominantes. Lune des raisons centrales du rythme actuel très élevé des fusions est la croissance très lente résultant du régime daccumulation à dominante financière, cest-à-dire rentière. Lexplication la plus courante veut que les opérations de F&A (ou la grande majorité dentre elles) s'inscrivent dans une course à la taille afin d'atteindre la masse critique et la possibilité de bénéficier d'économies d'échelle en correspondance avec les exigences de la concurrence dans lespace mondialisé. Cette explication présente les opérations comme inéluctables, aussi nécessaires et incontournables que ne le seraient la libéralisation et la déréglementation. Elle ne fait aucune référence à la contraction tendancielle de la croissance. On considère ainsi que dans l'industrie automobile la taille critique de survie correspondrait maintenant à une production d'environ 4 millions d'unités par an. Ce seuil a doublé en dix ans et ne peut pas être compris indépendamment de lexistence de surcapacités très importantes, estimées dans le cas de l'Europe à environ 20 % de la production annuelle actuelle. Lexigence de grande taille na pas pour origine la fabrication, où le modèle japonais de « production flexible » assure en principe une très haute rentabilité pour des petites structures, mais la course aux nouveaux modèles, donc les dépenses de « design » et de développement, les dépenses faramineuses de publicité et la distribution. Lexplication ne définit pas lespace de la mondialisation du capital (la « globalisation ») comme un espace circonscrit par la solvabilité de la demande, donc un espace qui est restreint très largement aux pays de la « Triade », avec quelques extensions aux pays voisins ainsi quà la Chine, unique «nouvelle frontière » dans laquelle le capitalisme mondial place encore quelques espoirs. Pas plus quelle ne précise que la vague de F&A contemporaine se situe dans le cadre dindustries déjà fortement concentrées et qui sont toutes déjà sous lemprise doligopoles triadiques.
La concentration actuelle, conséquence du régime daccumulation à dominante financière
Aujourdhui les concentrations se déroulent dans un cadre marqués par les éléments suivants : 1° Nous sommes en phase dachèvement du démantèlement des services publics sous la double pression du capital concentré et de la crise fiscale des Etats et au début de la reconfiguration de très grands groupes internationaux visant à créer des positions de monopole à léchelle mondiale (noublions pas que les monopoles publics tellement décriés comportait un contrôle par la voie politique pour autant quil était permis aux mécanismes démocratiques prévus dans les constitutions et les statuts de fonctionner). Le secteur des télécoms est aujourdhui où lon voit à la suite de la déréglementation et dans la foulée immédiate des privatisations, certaines des opérations de F&A les plus importantes financièrement se produire. Elles marquent une phase de concurrence entre des alliances doligopoles, appuyés par les capitaux immenses que leur fournissent les investisseurs institutionnels. 2° La finance est redevenue la puissance dominante au sein du capitalisme et les institutions financières bancaires et non-bancaires (les compagnies dassurance) sont parfaitement conscients que leur capacité dapproprier des revenus de type rentier (ce sont les revenus perçus sous forme de dividendes et dintérêt sur les obligations et les prêts) est fonction de leur taille et de leur degré dinternationalisation. Les opérations de F&A menées entre compagnies assurances s'inscrivent souvent dans des stratégies visant à mordre sur les sources de revenus des fonds de pension. Celles des grandes banques ont un caractère fortement défensif, face à la menace que représente la puissance des fonds de pension et de placement financier. Bien que le processus de libéralisation et de déréglementation soit très avancé en terme douverture et dinterconnexion des marchés financiers, dans les industries des services financiers elle nest pas encore achevée. Louverture complète de ces industries aux capitaux étrangers est lun des objectifs des négociations du Millenneum Round. Dans les pays de lUnion européenne, l'introduction de l'euro a accéléré les processus en diluant les frontières entre les marchés domestiques de services financiers. Ce facteur est à lorigine de certaines des opérations dans le secteur financier européen, pris dans le cadre plus large de « la taille critique du bon capital rentier ». 3° Dans le cours des années 90, léconomie mondiale prise comme un tout est entrée dans une phase de contraction tendancielle. La croissance globale est si lente que le revenu mondial moyen par tête a cessé de croître et au contraire a baissé. Loin de contrecarrer ce processus, le capital a accompagné le mouvement. A quelques exceptions près, (qui ont été concentrées surtout lAsie de lEst et du Sud-Est jusquà ce que les crises financières néclatent débouchant sur la crise économique), les groupes industriels se replient sur les pays avancés. Mais ils sont confrontés à des surcapacités industrielles considérables qui sont la manifestation de la contraction et la conséquence directe dune insuffisance de pouvoir dachat mondial. Dans ce contexte, les fusions-acquisitions sont un instrument de captation de parts de marché. Aux niveaux de concentration déjà atteints, elles ont le sens dorganiser, en deçà de la formation ouverte de cartel et donc de façon instable une forme de partage de ces marchés en contraction tendancielle. Pour les groupes encore en liste, les facteurs de masse critique et déconomie déchelle sont souvent surtout des moyens défensifs, la seule façon despérer parer des OPA/OPE. Le tableau 5 montre la manière dont dans la transition fin 80-début 90, lobtention de parts de marché est devenu un objectif toujours plus conscient de la part de la direction des groupes industriels. Tableau 5 : Les buts que les entreprises déclarent poursuivre lors des F&A
Source : DOME, base de données de la DG IV (fermée en1992) 4° Le dernier facteur dimpulsion de la vague actuelle de F&A est la maximisation de la « valeur actionnariale », entendue à la fois comme le niveau de cotation en Bourse des entreprises dans lesquelles les grands investisseurs institutionnels ont des paquets daction importants et le montant, mais aussi la stabilité du flux de dividendes quils peuvent empocher. Exprimée en pourcentage du cash flow, de la valeur ajoutée ou du profit net après impôt, la part des dividendes na fait que croître. Une F&A possédant des bonnes perspectives de réussite offre aux investisseurs institutionnels une garantie sur lun et lautre plan et ils nhésitent pas à lui donner leur plein appui. Lorsque les perspectives sont incertaines et que le cours de laction consolidée est peu attractif lopération sera suspendue ou annulée.
Lindispensable questionnement de la légitimité sociale des concentrations
Pris conjointement lampleur du processus de libéralisation et de réglementation, la force acquise par le capital-argent et les fonds de placement financier, létendue de lemprise idéologique du néo-libéralisme au sein des bourgeoisies des pays capitalistes et la faiblesse du mouvement démocratique et du mouvement ouvrier au plan mondial comme au plan national, sont autant de qui ont fait sauter tous les freins au processus de concentration. Nous sommes dans une phase de mise en sommeil pour une durée indéterminée de toute application tant soit peu vigoureuse des lois anti-trust. Prenant place dans un mouvement de contraction progressive de léconomie mondiale et de repli du capital international sur les bases arrières « atlantiques » où il se considère le plus en sécurité, le mouvement de F&A ne fait quaccentuer le jeu des facteurs allant dans le sens de la contraction et du dualisme social profond caractéristique du capitalisme en général et du régime daccumulation à dominante financière en particulier. Les F&A se traduisent invariablement par des suppressions d'emplois parfois massives qui sajoutent à celles faites pour « compresser les coûts », mais aussi tout simplement pour soutenir le cours de laction en Bourse lorsquil commence à faiblir. Ajoutées les unes aux autres et ne rencontrant dans aucun pays autre que les Etats-Unis le jeu de mécanismes compensatoires fondés sur la possibilité de répartir à des couches rentières une masse importante de revenus financiers (intérêts et dividendes), les suppressions demploi détruisent du pouvoir dachat et accentuent encore lécart entre les capacités de production installés et le montant de la demande solvable. Ils contribuent ainsi à créer les fondements réels des crises financières. Sans quil puisse être daté le krach des grandes Bourses se trouve au bout du mouvement de contraction. Ce ne sera pas une consolation pour tous ceux qui commenceront par en subir directement les conséquences sous la forme dune aggravation de leurs conditions de vie. Mais cest à ce moment là quil deviendra de sattaquer à la monstruosité que représentent les groupes géants et tout-puissants. Ce moment doit être préparé intellectuellement. La formation de groupes industriels et financiers toujours plus grands, pose en effet, une fois de plus, des questions qui avaient été rendues moins brûlantes pendant plusieurs décennies par le contrôle relatif des concentrations, ainsi quun certain degré de « domestication » passagère du capital par les Etats. Jusquoù faut-il accepter de se soumettre idéologiquement au respect des principes « sacro-saints » de la propriété privée et de la « liberté totale dentreprendre » ? Les grands groupes industriels ne se sont-ils pas nourris du travail, de lintelligence, de la sueur, voire du sang de dizaines, voire de centaines de milliers de salariés ? A la « valeur actionnariale » ne faut-il pas opposer la prérogative des salariés de décider du sort des entreprises dont ils ont fait la richesse ? Cette richesse est collective et sa destinée ne peut pas être laissée aux mains des marchés boursiers et dinvestisseurs avides de percevoir leurs revenus financiers rentiers. A moins dintroduire dans la réflexion et les buts de laction, une prise en compte des conséquences profondément perverses de « la liberté de posséder » et « dentreprendre », il nest aujourdhui ni combat écologique à la hauteur des enjeux, ni combat conséquent contre les clones de lA.M.I. et contre lO.MC.
|
François Chesnais, Professeur à lUniversité Paris Nord
|