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Le rôle de l'OIT et de l'Union européenne vis à vis des codes de conduite relatifs aux normes fondamentales du travail

Thierry BRUGVIN

Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales EHESS-Paris IUED, Ouvrage Collectif , Le commerce durable, IUED, Septembre 2000, Genève

Lire aussi: Application des normes fondamentales du travail et implication sur les clauses sociales et les codes de conduite (comparaison Nord Sud)

INTRODUCTION

En 1992 sous la pression des ONG américaines, la société transnationale (STN) Levis Strauss adoptait le premier code de conduite du secteur textile habillement cuir (THC), par lequel il s'engageait à respecter certaines normes fondamentales du travail.  (Sajhau 1997)

La même année la Clean Clothes Campaign en Hollande, réalisa le premier code de conduite européen du secteur THC. Ce nouvel instrument, s'est ensuite diffusé dans les autres secteurs de production, puis aux distributeurs.

Ce sont généralement de petits groupes de citoyens éclairés, qui font œuvre de pionniers, puis lorsque l'opinion commence à être sensibilisée à la valeur  de ce "combat" nouveau, alors seulement le monde politique tente d'accompagner ce mouvement.

Les attentes des promoteurs des codes de conduites sont parfois grandes vis à vis des autorités publiques, qu’elles soient nationales ou internationales. Ils attendent notamment de l'organisation internationale du travail (OIT) et de l'Union Européenne (UE), que celles-ci non seulement les aident dans leur travail de pionnier, mais parfois aussi qu'elles donnent une assise officielle au plan juridique et politique, aux codes de conduite.

Nous examinerons donc dans un premier temps, les attentes des ONG, des associations de consommateurs et des syndicats, trois types d'organisation de défense des travailleurs, ( ODT), vis à vis de l'OIT, dans quelle mesure celle-ci est-elle capable de satisfaire leurs souhaits et le mandat quelle a reçu de ses représentants concernant les codes de conduite.

Puis nous observerons l'implication de l'Union Européenne et de certaines de ses directions au regard des codes, afin de savoir quel type de soutien elle leur apporte. Nous verrons comment s'est progressivement élaborée l'IEPCE, une coordination européenne des différents promoteurs des codes, parrainée par l'UE et associant à la fois les organisations de défense des travailleurs, les employeurs et les pouvoirs publiques.

L'ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL ET LES CODES DE CONDUITE

Historique de l'OIT 

L'OIT fût créée en 1919, lors de la conférence de la paix, en même temps que vit le jour la société des nations. En 1946, L'OIT fut la première institution spécialisée qui naquit aux Nations-Unies. Elle a actuellement 174 Etats membres. Elle dispose pour la période 2000-2001 d'un budget de 467 470 000 $ et compte environ 1900 membres du personnel, 600 experts de mission et 40 bureaux implantés dans le monde.

Les codes de conduites reposent largement, sur de nombreux textes de lois et déclarations qui ont été conclues sur l’initiative de l'OIT et d'autres agences des Nations Unies. En voici les principaux :

- Les 182 conventions internationales du travail.

- La déclaration de Philadelphie de 1944, qui affirme clairement la primauté des objectifs sociaux dans la politique internationale. 

- La déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948.

- Les conventions internationales sur les droits civils et politiques et celles concernant les droits économiques, sociales et culturels du 16 déc. 1966. 

- Les deux ensembles de règles de conduites internationales - qui font le plus autorité- à l'intention des entreprises, à savoir la déclaration tripartite de principes concernant les entreprises multinationales et la politique sociale (OIT, 1977) et les lignes directrices à l'intention des entreprises multinationales (OCDE 1976). 

- La Convention sur la suppression de toutes les formes de discrimination envers les femmes du 18 décembre 1979. 

- La convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant du 20 novembre 1989. 

- La déclaration du Sommet de Copenhague en 1995, pour la promotion des besoins sociaux et des droits fondamentaux.

- Le Global Compact, émit par Kofi Annan, Secrétaire Générale des Nations Unies, au cours du forum de Davos en 1999. Elle consiste en une série de 9 propositions destinées à servir de règles d'éthique dans les relations commerciales. (United Nations, 1999)

- La déclaration relative aux principes et droits fondamentaux de l'OIT du 17 juin 1998, qui a été adoptée à l'occasion de la Conférence Internationale du Travail.

Quatre droits sont donc considérés par l'OIT comme les plus essentiels pour les travailleurs :

1- La liberté d'association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective.

2- L'élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire.

3- L'abolition du travail des enfants.

4- L'élimination de la discrimination en matière d'emploi et de profession.

On peut néanmoins s'interroger sur le caractère prioritaire de ces 4 droits. On considérait auparavant 3 autres droits, comme faisant aussi partie des plus fondamentaux. Ce sont le droit à un salaire minimum, le droit à une durée limitée de travail et le droit à une hygiène et une sécurité suffisante au travail. Ils sont d'ailleurs le socle de la plupart des codes de conduite liés aux conditions de travail.

En effet, ce n'est pas la facilité de mise en évidence des infractions ou de fixations de normes observables qui peut expliquer le choix de ces priorités, car il est au moins aussi difficile de faire la preuve des infractions, au quatrième droit (la non-discrimination), que pour les trois derniers, qui ne sont pas inscrits comme prioritaires dans la déclaration de juin 98.

Une nouvelle convention créée  par l'OIT

Parmi les normes de l'OIT, qui intéressent directement les codes de conduites figure la nouvelle convention n°182, de juin 1999, interdisant les pires formes de travail des enfants. Elle concerne notamment l'esclavage, le travail forcé, la servitude pour dette, le servage, la prostitution, la pornographie et des formes de travail dangereux.

Depuis la création de cette dernière convention, certains collectifs d'ONG, initiateurs d'un code de conduite, envisagent à présent de l'inclure à leur code afin de réduire le champ de la convention n°138, qui ne concerne que l'âge minimum au travail. 

Il y a en effet des collectifs d'enfants travailleurs en Asie, en Afrique, des ONG tel Enda-Tiers monde ou des chercheurs tel Michel Bonnet (Bonnet 1998), qui défendent le droit au travail pour les enfants, même s'ils souhaitent qu'il soit aménagé. 

Parmi les détracteurs de cette norme, il y a deux courants. Ceux qui ne sont pas informés qu'il est prévu un accompagnement, pour la mise en place de cette norme. On sait en effet que si des mesures d'accompagnement sont prévues dans le cadre des codes de conduite, les enfants ne risqueront pas d'être expulsé et sans travail.

Mais il y a aussi ceux qui le savent et qui craignent malgré tout, que les procédures prévues dans les codes n'y suffisent pas et n'aboutissent qu'a l'expulsion anticipée des enfants travailleurs, avant même que les employeurs ne soient directement impliqués dans un code. Mais le risque des campagnes d'opinions et des codes est qu'ils conduisent dans un premier temps à des réactions brutales des employeurs, qui expulseraient tous les enfants travailleurs, sans contrepartie et avant même qu'ils ne soient directement impliqués dans la mise en œuvre d'un code.

Ce n'est donc pas la limitation de l'âge et du type de travaux dans les codes qui seraient nuisibles en soit, mais les réactions excessives et préventives des employeurs.

L'interdiction du travail des enfants soulève donc de vives controverses, tant chez les travailleurs du Sud, que chez les consommateurs du Nord. Cela se révèle nuisible à la promotion et la mise en œuvre des codes et des labels, car ceux-ci reposent essentiellement à l'implication de ces derniers.

Il n'est donc pas certain que la limitation de la convention n° 138, par la convention n°182, suffira à désamorcer ce conflit. Faudra-t-il pour qu'il soit dépassé, faire preuve de plus de pédagogie vis à vis des consommateurs ou bien faudra-t-il utiliser la stratégie "des petits pas" préconisée par Patrick Itschert, le Secrétaire du FISL-THC, consistant à ne proposer que peu de normes dans les codes, mais qui fassent consensus, pour ensuite en ajouter progressivement de nouvelles plus audacieuses ? (Itschert 1998)

Cette stratégie impliquerait donc dans un premier temps, de supprimer des codes de conduite, la norme portant sur le travail des enfants, jusqu'à ce que les organisations de défense des travailleurs soient sûres que cela sera plus profitable que nuisible à ces enfants. Dans un deuxième temps, lorsqu'il sera certain que les campagnes pour l'interdiction du travail des enfants n'ont pas d'effets secondaires non maîtrisés, il serait alors possible d'inclure cette norme de nouveau.

L'organisation de l'OIT et son champ de compétence vis à vis des codes

L'OIT est la seule institution mondiale dont la politique et les programmes sont arrêtés par les représentants des employeurs et des travailleurs - les partenaires sociaux- sur un pied d'égalité avec ceux des gouvernements.

La conférence internationale du Travail se réunit une fois par an. Elle examine les problèmes sociaux et les problèmes du monde du travail, établit des normes internationales du travail et fixe les grandes orientations de l'organisation. Tous les deux ans, elle adopte le programme de l'OIT ainsi que son budget, financé par les Etats membres. Chaque Etat membre a le droit de se faire représenter à la conférence par quatre délégués, deux du gouvernement, un des travailleurs et un des employeurs.

Entre deux sessions de la Conférence, c'est le Conseil d'administration qui oriente les travaux de l'OIT, grâce à trois sessions par an. Le Bureau international du Travail (BIT) dont le siège se trouve à Genève, est le secrétariat de l'organisation. Il est dirigé depuis mars 1999, par le Chilien Juan Somovia. Le Bureau coordonne les activités de coopération technique et fait fonction de centre de recherche. Il est aidé dans sa tâche par des commissions sectorielles, des commissions d'experts. Des réunions régionales ont lieu périodiquement, afin d'examiner les questions relevant de problèmes plus locaux.

Par ailleurs le BIT, doit aussi assurer une fonction de médiatisation des normes qui ont été adoptées et inciter par différents moyens les pays à les ratifier et les appliquer. En ce sens c'est un soutien indirect aux codes de conduite portant sur les conditions de travail, dans la mesure où les normes de l'OIT forment leurs socles.

Le mandat du BIT vis à vis des codes de conduite

C'est essentiellement dans le cadre des activités sectorielles du service des activités industrielles, spécialisées dans le secteur THC- textile, habillement, chaussures- que les premières études sur les codes de conduite, ont été entreprises. Même à l'extérieur du BIT, le secteur THC, est à la pointe de la recherche sur les codes, du fait de la pression des ONG. Jean-Paul Sajhau qui est responsable du secteur THC au BIT a ainsi réalisé une étude dés 1997, sur les codes de conduite dans les industries THC. ( Sajhau 1997)

Mais dans un premier temps, le conseil d'administration s'était montré peu enclin à l'implication de l'OIT, dans la mise en œuvre des codes, notamment à cause de la résistance des représentants des employeurs.

Il s'est donc contenté jusqu’à présent d'examiner plus à fond le phénomène. Ainsi à la 270e session du Conseil d'administration, en novembre 1997, le Groupe de travail sur la dimension sociale de la libéralisation du commerce internationale a demandé au Bureau de "faire un large tour d'horizon des faits nouveaux dans le monde concernant les codes de conduite, le label social et d'autres initiatives émanant du secteur privé en rapport avec des questions sociales". C'est à Janelle DILLER, (Bureau International du Travail,  novembre 1998) spécialisée dans les questions juridiques, a qui est revenu de diriger la réalisation de ce rapport, de même que le suivant, un an plus tard pour la 274e session, du conseil d’administration, de mars 1999. (Bureau International du Travail  mars 1999)

Habituellement les actions du BIT sont essentiellement dirigée vers les Etats, or les codes sont des initiatives privées. Mais face à la croissance des demandes provenant des entreprises et de leurs partenaires, pour des informations notamment, le Bureau s'est donc penché plus sérieusement sur la question.

Ainsi en Novembre 1999, dans la proposition de programme et de Budget pour 2000-01, (Bureau International du Travail,  novembre 1999) la Conférence internationale du travail a décidé d'inscrire,  les codes de conduites a son programme, essentiellement au sein du dialogue social.

L'OIT pour satisfaire ses objectifs stratégiques, est divisée en quatre grands secteurs: 

- Les normes, principes et droits fondamentaux au travail

- L'emploi

- La protection sociale

- Le dialogue social

Le fait d'inscrire les codes de conduite et les labels, au sein du secteur relatif au dialogue social, semble signifier que l'OIT les considèrent comme un élément clé dans les relations entre les partenaires sociaux (les employeurs et les syndicats) et que c'est dans cette direction, qu'elle souhaite pour l'instant mener ses investigations.

Une nouvelle "unité" dirigée par Janelle Diller, a donc été mise en place en 1999. Cependant sa taille est encore restreinte et elle est limitée à une activité de recherche destinée à mieux évaluer les enjeux et l'impact des codes de conduites et des labels

Cette unité devra probablement exercer une activité transversale, dans la mesure où les codes touchent à présent de très nombreux domaines pour lequel l'OIT à déjà des programmes en cours. Les normes inscrites dans les codes recoupent plus ou moins directement les activités de différents secteurs notamment l'IPEC (Programme international pour l'abolition du travail des enfants), le département des normes internationales, le département de la stratégie en matière d'emploi, le service de l'égalité et de l'emploi, le service de la liberté syndicale, l'unité chargée des entreprises multinationales, le département de la protection des travailleurs, le programme des activités sectorielles...

Un rôle de contrôle des codes pour l'OIT ?

Les attentes vis à vis de l'OIT, de l'Union Européennes et des institutions gouvernementales sont très variées de la part des organisations de défense des travailleurs (ODT), que sont les ONG, les associations de consommateurs ou les syndicats. Certaines, parmi ces dernières, préfèrent garder l'initiative et rester maître œuvre du travail d'investigation et de contrôle des codes. D'autres souhaiteraient que ces institutions prennent le relais, des initiatives citoyennes afin de leur donner une plus grande envergure.

Parmi les organisations de défense des travailleurs, nombreuses sont celles qui souhaiteraient que l'OIT exerce une activité de contrôle des codes dans la mesure où elle possède une grande expérience relative à "l'inspection" des normes du travail.

Elle a en effet une fonction d'expertise et a pour tâche, d'évaluer dans le cadre de commissions d'enquête, le niveau de mise en œuvre des normes, après que celles-ci ont été ratifiées par le pays inspecté. Ces fonctionnaires chargés d'enquêter, n'ont cependant pas la possibilité d'exercer de sanctions, ni même l'OIT, lorsqu'ils relèvent des infractions. De plus ils ne peuvent mener d’enquêtes que lorsque qu’une plainte pour infraction au droit du travail est déposée à l’OIT, que les conventions enfreintes aient été préalablement ratifiées et que le gouvernement du pays donne son accord à l’OIT pour une commission d’enquête.

Ces « enquêteurs » rédigent ensuite des rapports par pays, afin d'inciter ceux qui sont le plus en retard, à se mettre en conformité le plus rapidement possible. Ces rapports sont susceptibles d'exercer une influence sur les conditions de travail, à travers l'image qui est révélée de ces pays, dans la mesure où ils sont publiés et accessibles au public. Ce qui peut inciter leurs gouvernements à faire respecter ces normes.

Si l'OIT décidait d'assurer cette fonction de contrôle des codes, faudrait-il encore que les Etats concernés l'acceptent, car ils sont souverains dans leurs pays. De plus le budget global de l'OIT pour une année, s'élève à environ 232 millions de dollars, soit environ le quart de celui de l'UNICEF, qui est déjà relativement faible. Il devrait donc être augmenté de manière très importante, pour répondre à ce type de besoin.

L'autre type d'attente vis à vis de l'OIT, est une demande de formation vis à vis des codes. Cette tâche même, si elle n'est pas encore à l'ordre du jour, semble une tâche, plus accessible dans la mesure où elle dispose déjà d'un centre de formation à Turin, qui est très compétent sur les questions liées au travail.

Cependant, là encore l'OIT ne pourrait avoir qu'un rôle d'initiateur dans le domaine de la formation. Si le contrôle des codes était entrepris de façon systématique, le nombre "d'inspecteurs" à former serait trop grand et cette tâche de formation devrait sans doute être décentralisée dans chaque pays.

La création d'un code standard ou Idéal ?

Au cours du Workshop de mars 1998 à Bruxelles, M. Justice, représentant de la CISL, en vue de la création de l'IEPCE, rappela une idée déjà présente au sein de certaines associations : "pourquoi le BIT ne proposerait-il pas un code de conduite qui convienne au plus grand nombre ?" Plusieurs organisations de défense des travailleurs  souhaiteraient effectivement que l'OIT crée un code de conduite idéal ou du moins qui deviennent un standard international. 

Une autre tâche plus ardue serait de mettre au point un référentiel, c'est à dire la liste des indicateurs nécessaires au contrôle du code de conduite. Elle en aurait sans doute la compétence dans la mesure où les fonctionnaires de l'OIT ont déjà en charge l'observation du respect des normes internationales du travail. Néanmoins il existe déjà un référentiel de ce type, le SA 8000, mise en œuvre par le Concil on Economic Priorities Accreditation Agency (CEPAA) ou d'autres qui sont en cours d'expérimentation, notamment en Europe.

Dans la perspective de la CISL, le travail de l'OIT, serait donc soit de reconnaître la validité de certains des codes existants et de leurs référentiels, soit d'en créer un de toute pièce ou plus simplement encore de faire la synthèse des différentes expérimentations déjà en cours dans le monde. 

Cependant comme le souligne Jean-Paul Sajhau, secrétaire exécutif au département des activités sectorielle du BIT, "notre mandat n'est en aucun cas l'élaboration d'un code standard. Pourquoi ? Tout d'abord parce que se sont des codes volontaires, des initiatives volontaires et privées. Ensuite, parce qu’il serait dangereux d'élaborer un code standard, d'abord parce que les situations sont extrêmement diverses suivant les pays et les secteurs. Enfin, élaborer un code standard qui aurait un "rubber stamping" du BIT ou de l'OIT voudrait dire que c'est une législation douce", ( Conseil Général Nord Pas de Calais, 1999)

Attribuer la fonction d'accréditeur au BIT ?

Une autre demande a été formulée au BIT, c'est la possibilité qu'il remplisse la fonction d'accréditeur. En effet dans la longue chaîne du contrôle, il y a au sein de chaque unité de production un contrôle interne, puis un audit externe réalisé par un organisme d'audit professionnel éventuellement, du type SGS ou Véritas. Mais ce type d'organisme doit auparavant avoir été accrédité, afin de valider sa compétence, par une instance d'accréditation. Celle-ci doit être reconnue pour son professionnalisme et son impartialité et le BIT pourrait être une institution répondant à ses critères. 

L'international Standard Organisation (ISO) est l'organisation internationale de normalisation. Elle publie un ensemble de normes dont les plus connues sont celles de la famille ISO 9000 (concernant la mise en place de système d'assurance qualité des produits et services). Elle est une fédération de représentations nationales tel l'AFNOR en France. 

Le BIT aurait ainsi la même fonction que l'ISO (qui est une organisation privée), mais dans le domaine des conditions de travail. 

Le CEPAA assure déjà cette fonction d'accréditation des organismes de certification. Mais bien qu'il soit constitué de représentants de la plupart des acteurs concernés (Syndicats, ONG, entreprises, organismes d’Audit, universités), le CEPAA et sa norme SA 8000, ne font pas encore l'unanimité. Diverses raisons peuvent l’expliquer. Cette norme est relativement récente, donc encore peu mise en œuvre. Elle n'est pas encore considérée comme suffisamment fiable par l'ensemble des acteurs. Enfin parce que le CEPAA, cumule les fonctions d'accréditation et de certification et que les gouvernements et les institutions intergouvernementales n’y sont jusqu’à présent pas représentés. Peut-être aussi parce qu'il est composé essentiellement d'organismes américains...

Actuellement le BIT ne souhaite par retenir cette proposition de devenir accréditeur, malgré les attentes des organisations de défense des travailleurs et des employeurs. Mais quel que sera cet organisme international d’accréditation, ces derniers souhaitent surtout qu'il soit reconnu pour son sérieux, ses compétences et son impartialité.

Les positions des mandants au sein de l'OIT vis à vis des codes

Au sein de l'OIT, il semble qu'actuellement ce soit essentiellement les représentants des employeurs, qui se montrent les plus réticents concernant une certaine prise en charge des codes de conduites au sein de l'OIT. 

Nous retrouvons à présent le même type de positionnement que pour la clause sociale, dont le débat avait été clos, par le conseil d'administration de l'OIT le 23 novembre 1995. Michel Hansenne, ex-directeur général du BIT, le décrit ainsi : "Immédiatement, un clivage très net s'est fait jour entre ceux qui y étaient favorables:

- Les syndicats, plus que les gouvernements des pays industrialisés principalement, mais pas exclusivement  :

Et ceux qui y étaient opposés :

- Les employeurs et la majorité des gouvernements, en particulier les gouvernements des pays en développement."  (Horman, 1997 : 18)

Les positionnements des employeurs vis à vis de la clause sociale et des codes de conduites s'expliquent globalement ainsi : ceux du Nord parce qu'ils craignent que leur liberté et leurs profits soient diminués, ceux du Sud parce qu'ils souhaitent éviter une forme de protectionnisme déguisé.

Ce qui est paradoxal, c'est que les analyses et les intérêts des employeurs du Nord et ceux du Sud sont contradictoires, mais qu'ils aboutissent à la même position : ils s'opposent aux clauses sociales. Cependant la position des employeurs à l'OIT, ne représente pas forcément celle de tous les autres et notamment celle des entreprises les plus en pointes. Pour certaines entreprises du Nord la clause sociale est au contraire, l'occasion d'exercer un protectionnisme déguisé et pour certaines sociétés transnationales qui ont déjà adopté des codes, ceux-ci seront un moyen de se montrer plus compétitif  (c'est une nouvelle forme de marketing).

Il y a encore quelques mois, avant les événements de Seattle et les conflits liés aux normes sociales à l'OMC, les organisations de défense des travailleurs étaient peu nombreuses à soupçonner que l'ancien clivage, autour de la clause sociale, pouvait resurgir concernant la problématique des codes.

Cependant si les positionnements semblent tranchés concernant la clause sociale -dans un camp les syndicalistes et les gouvernements et dans l'autre les employeurs du Nord et du Sud- on peut s'interroger sur l'apparente simplicité des choix exposés publiquement. Car sur le terrain on observe une grande diversité d'opinion au sein même de chaque camp, tant pour la clause sociale que pour les codes de conduite.

En effet, dans le cadre d’une évaluation sur le niveau de mise en œuvre des codes de conduite en Inde, j’ai pu interroger des syndicalistes indiens à Tirupur en 1999, sur la mise en place des codes. Certains se sont montrés très réticent, craignant comme pour la clause sociale, que cela ne les déserve à court terme, au lieu de les soutenir. 

Pendant les débats de l'OMC, à Seattle, on a pu observer un clivage assez curieux entre les opposants et les partisans de la clause sociale. Ces derniers regroupaient notamment les gouvernements des pays développés et de nombreuses entreprises occidentales ainsi que les organisations de défense des travailleurs du Nord et du Sud. Cette collusion d'acteurs aux intérêts à priori contradictoires laisse songeur quant aux conséquences d'une telle clause dans la pratique.

Le groupe des opposants se composait entre autres, de la majorité des gouvernements et de nombreux syndicats du Sud avec l'Inde en tête de file. Même si le clivage est très complexe, notamment chez les syndicats et les ONG du Sud, car leurs positions semblent très différentes. 

Il est finalement relativement difficile de se faire une idée très précise des clivages sur ces questions. Les résultats du sondage réalisés par l'association du Pain pour le prochain  (Egger, Schümperli, 1996 : 3) au sujet de la clause sociale, nous éclaire en partie. Il apparaissait que 92% des ONG et des Syndicats du Sud et de l'Est se prononçaient en faveur de la clause sociale, contre 7% qui en rejetaient le principe. Cependant la question implique des milliers d'organisations de par le monde et l'enquête n'a évidemment pu porter que sur un nombre relativement limité, 82 organisations, dont seulement 12% appartenant à un syndicat. Or c'est justement parmi ces derniers et notamment en Inde, que la contestation vis à vis de la clause sociale est la plus vivace. 

Mais au-delà des opinions, favorables ou non à la clause sociale ou aux codes de conduites, il s'agit surtout de ne pas se laisser piéger par les solutions simples en apparence, mais dont l'application peu se révéler pleine de chausse-trappes. La convergence des positionnements, au sein de groupe d’intérêts différents, devrait nous rendre vigilant.

Les syndicats indiens seraient à priori favorables à l'idée d'une clause sociale ou à des codes. Mais ils craignent que la mise en place de ces systèmes censés les soutenir,  soient détournés par les puissants du Nord, à des fins de protectionnisme déguisé.  Cette crainte s’explique aussi par la réalité des rapports de force Nord-Sud qui s’exerce actuellement au travers de l'OMC notamment.

L'OIT, l’OMC et les codes

Nul ne sait encore véritablement la fonction qu'exercera l'OIT vis à vis des codes de conduite à l'avenir. Mais les différentes projections imaginées par les acteurs concernés, se révéleront fort différentes selon qu'elles prendront ou non en compte un élément majeur du dispositif des institutions intergouvernementales, l'Organisation Mondiale du commerce (OMC).

Le Groupe de travail sur la dimension sociale de la libéralisation du commerce international, du Conseil d'administration de l'OIT, suit la question des codes. Mais ceux-ci concernent à la fois les droits du travail et la dimension commerciale, parce qu'ils sont à l'interface entre les entreprises, les consommateurs et les travailleurs. Par conséquent est ce à l'OIT ou plutôt à l'OMC, d'accompagner l'émergence des codes ? Laquelle de ces deux institutions serait véritablement en mesure de les faire appliquer, si elle le décidait? La réponse à cette question conditionne la façon dont seront appliquées les normes dans le futur et donc le rôle joué par les codes.

L'OMC commence en tout cas, à se pencher sur la question des codes, mais il semble que cela reste encore très embryonnaire.

Par ailleurs le rôle de l'ONU et par conséquent de l'OIT, décline face aux institutions de Breton Woods et à l'OMC. En comparaison du FMI et de la Banque Mondiale, il manque à l'OIT le nerf de la guerre, le pouvoir de l'argent. Tandis que l'OMC est la seule institution d'envergure internationale qui détient un pouvoir de sanction, grâce à l'organe de règlement des différents (ORD).

A la clôture de l'Uruguay Round, "la réunion ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce, tenue à Singapour en 1996, a pour sa part réaffirmé le rôle de l'OIT comme organisme compétent pour établir les normes du travail essentielles et en suivre l'application." L'ancien Directeur Général de l'OIT, Michel Hansenne, semblait à l'époque entériner cette décision : " Manifestement, vu l'évolution des choses, il y a une division du travail qui devra sans doute être respectée. A l'OIT et uniquement à l'OIT d'en assurer le respect et le contrôle." ( Somovia, 1999)

Mais l'invitation de l'OMC est pernicieuse, car en dissociant l'activité des deux institutions, l'OIT ne peut plus s'appuyer ni sur la puissance de l'OMC offerte par la réglementation des échanges commerciaux, ni sur le pouvoir de sanction de l'ORD, pour tenter de faire appliquer les droits fondamentaux des travailleurs.

Cependant au cours du Millenium Round, à Seattle, la possibilité de lier les normes sociales et les transactions commerciales, est revenue sur le devant de la scène, après une éclipse de quelques années. Cela signifie-t-il que l'OMC doit-elle de nouveau prendre en charge seule cette question ou l'OIT doit-elle à nouveau s'en préoccuper ? La seule réponse, semble pour l'instant être la création d'un forum de travail OIT-OMC, qui se pencherait sur le problème des clauses sociales dans quelques temps, (pas avant quelques années prétendent certains syndicalistes). Notons que cette proposition issue de l'Union Européenne, a été rappelée, au moment de Seattle, par le Commissaire au commerce, M. Pascal Lamy. (Bureau International du Travail, Mars 2000)

Si l'OIT travaille de concert avec l'OMC, elle pourrait éventuellement faire appliquer les clauses sociales ou les codes de conduites en profitant de la capacité de sanction de l'ORD. L'OMC pourrait aussi être chargée seule de les mettre en œuvre. Par contre si l'OIT est déconnectée de l'OMC, elle n'aura probablement aucun pouvoir de sanction (même si cela était prévu dans ces statuts originels). 

Sans l'appui de la puissance des institutions internationales, la principale force pour mettre en œuvre les codes de conduite, restera donc le pouvoir des citoyens et des consommateurs.

L'OMC, l'AMI et les codes de conduite

L'OCDE a tenté de faire signer par ses membres l'accord multinational sur l'investissement (AMI). Si ce texte avait été adopté, la plupart des lois nationales ou des normes internationales du travail, pouvaient être considérées comme un obstacle au commerce. Par conséquent une organisation de défense des travailleurs, contraignant une multinationale à respecter un code de conduite, pouvait conduire cette dernière à saisir les tribunaux pour entrave au commerce.

Ce projet a échoué, pour l'instant à l'OCDE, mais il a été convenu que l'OMC, devait à présent en proposer une nouvelle mouture. Si un autre AMI, de la même teneur, était adopté, non seulement les codes de conduite deviendraient donc inutiles, mais l'OIT elle-même se verrait quasiment reléguée à un rôle d'observateur, puisque les normes du travail deviendraient obsolètes.

L'UNION EUROPEENNE ET LES CODES DE CONDUITE

Observons à présent comment ont émergé les codes de conduite en Europe et de quelle façon l'Union Européenne, une autre institution intergouvernementale, s'y est progressivement impliquée.

Historique des initiatives des ONG promotrices des codes en Europe

En 1992 la Clean Clothes Campaign (CCC) en Hollande, réalisa le premier code de conduite européen. Il était lié aux conditions de travail dans le secteur textile. Rapidement la CCC prit une envergure européenne, avec notamment l'implication des pays suivants : la Belgique, la Suisse, la France, l'Allemagne, le Royaume Uni, la Suède, l'Espagne, l'Autriche, l'Italie. En 1999 des campagnes étaient en projet au Portugal, en Irlande et dans plusieurs pays scandinaves.

Au départ le réseau européen CCC, a surtout été un lieu de débat et d'échange d'informations. Il a aussi organisé des tournées de partenaires du Sud, visant à sensibiliser les consommateurs-citoyens, les entreprises et les pouvoirs publics d'Europe. 

En Mai 1998, par exemple, s'est tenu à Bruxelles, sur l’initiative de l'IRENE et de la CCC, un Workshop international pour le monitoring indépendant des codes de conduite, regroupant près de 60 participants. Ces derniers provenaient de 15 pays, non seulement d'Europe, mais aussi, d'Amérique du Nord, d'Asie, d'Afrique, d'Amérique centrale et latine. Cette rencontre incluait des syndicats, des associations de travailleurs, des associations de consommateurs et de soutien au commerce équitable.

Il a été organisé ensuite un "forum international pour des vêtements propres", pendant lequel s'est tenu le jury du tribunal permanent des peuples (TPP) en présence de 15 témoins provenant de plusieurs pays du monde.

Les initiatives de la FSE-THC avec la DG EMPLOI ET AFFAIRES en Europe

L'union Européenne observait bien sur l'évolution de la CCC, mais il semble qu'elle se soit engagée de manière plus concrète, avec la Confédération des Syndicats Libres du secteur Textile-Habillement-Cuir (FSE-THC). 

Probablement parce que son secrétaire général, Patrick Itschert, l'a sollicité plus directement. Peut-être aussi parce que, les syndicats ont pour habitude en Europe, de travailler en partenariat, avec les employeurs et les pouvoirs publics, alors que les ONG, agissaient traditionnellement plutôt sous la forme d'interpellation (appel au boycott, condamnation du TPP...). 

Tandis que se sont surtout les ONG, qui ont été les principales initiatrices des codes, on peut donc remarquer que c'est un syndicat, qui le premier a été le promoteur d’une collaboration  entre l'Union Européenne, les représentants des employeurs, les ONG et les syndicats. Ce qui a abouti à la création de l’Initiative Européenne pour une Production et une Consommation Ethiques (IEPCE).

Il est vrai qu'en tant que confédération syndicale européenne, la coordination n'était donc plus a créer et sa légitimité était plus grande pour s'adresser directement aux instances européennes, alors que la CCC, avait déjà beaucoup à faire pour se coordonner entre les différents pays d'Europe.

Avant d'aboutir à la constitution de l'IEPCE en 1999, grâce à l'impulsion principale de la FSE-THC et de la DG Emploi et affaires sociales ( Nouvelle dénomination de la DG V, depuis septembre 1999), la Direction Générale de l'emploi, des relations industrielles et des affaires sociales, une première collaboration   avait eu lieu entre eux.

En 1992, l'année de lancement du premier code de conduite par la CCC, la FSE-THC commença à travailler en coopération avec l'Union Européenne en vue de créer une charte avec l'organisation européenne des industries textile-habillement (EURATEX). En 1993 la FSE-THC, s'adresse donc à cette dernière et le 22 septembre 1997, l'accord est signé entre les deux parties, notamment grâce au soutien de la DG Emploi et affaires sociales, qui est considéré comme un partenaire relativement neutre. Il s'intitule : "Code de conduite, Charte des partenaires sociaux européens du secteur textile-habillement."

Ce code est diffusé en Europe à plus de 100 000 exemplaires et traduit en plusieurs langues. Plus de 40% des entreprises du textile-habillement l'ont reçu. En 1999, il a été intégré dans les conventions collectives de six des pays de l'Union, l'Italie, l'Allemagne, la France, le Royaume Uni, la Finlande, l'Autriche. Mais généralement les conventions de ces pays disposaient déjà de droits des travailleurs largement plus fournis, que ce code. De plus ce supplément parfois redondant, n'a pas semble-t-il vraiment modifié l'attitude des inspecteurs du travail au Royaume-Uni et en Italie où encore beaucoup d'enfants de moins de 15 ans travaillent.

La résolution Howitt, du parlement européen  en faveur des codes de conduite

LE 15 janvier 1999 le parlement européen a adopté une résolution "sur les normes communautaires applicables aux entreprises européennes opérant dans les PED : vers un code de conduite". Elle était portée par le parlementaire Richard Stuart Howitt, membre du Parti Socialiste européen. Si ce vote a pu être obtenu, c'est la conséquence de la dynamique citoyenne que nous avons précédemment rappelée et de certains votes préalables.

Le 9 février 1994, le Parlement européen avait préalablement voté une résolution sur l'introduction de la clause sociale dans le système unilatéral et multilatéral du commerce. Le 2 juillet 1998, c'était une résolution sur le commerce équitable.

Cette résolution est surtout le résultat du lobbying pratiqué à Strasbourg, par la CCC européenne. Celle-ci a d'ailleurs été intégrée au groupe de travail dirigé par R. Howitt, ce qui est un signe de la reconnaissance de sa compétence. Ce groupe s'est d'ailleurs inspiré dans son travail d'une résolution de 1997, qui mentionnait le label social.

Les points essentiels de cette résolution qui sont directement liés aux codes sont les suivants :

- Soutien à la création d'un label social ;

- Création d'un code de conduite européen, destiné aux entreprises européennes ;

- Mise en place un Observatoire européen (ayant pour mission d'enquêter sur la conformité des entreprises avec le code et sur les plaintes relatives aux droits du travail les concernants.)

- Dans l'attente de la création de cet observatoire, nommer des rapporteurs spéciaux et organiser des auditions publiques sur des cas concrets ;

- Mise en place d'un mécanisme de surveillance, indépendant et impartial ;

- Demande qu'une aide financière soit octroyée au groupe de surveillance dans les pays d'accueil ;

- Possibilité pour tout individu de saisir le groupe de surveillance en cas d'infraction.

Cette résolution est très ambitieuse, puisque qu'elle propose non seulement de créer un code de conduite européen modèle, mais qu'elle demande à l'UE de se doter d'instrument de contrôle. On peut relever que les codes conservent leur caractère volontaire, puisque aucune disposition coercitive n'est prévue. 

Mais les résolutions, fût-ce-t-elles bonnes, ne font pas force de loi, elles constituent seulement des prises de position politique. C'est ensuite à la Commission de se saisir de la résolution et de formuler une proposition qu'elle soumet au Conseil des ministres. Cependant sans une pression suffisante (notamment celle de la population), la Commission suit rarement ce type de résolution. 

Pour cette raison de nombreux collectifs de la CCC ont lancé des campagnes d'opinion avant les élections européennes de 1999, afin de mobiliser les futurs députés.

Concernant les fonctions de l'Union Européenne, certaines ONG et notamment le collectif français de l'Ethique sur l'étiquette, ont émis des propositions un peu plus précises et avancées. 

Elles sont du même type que celles qui avaient été formulées pour l'OIT, mais cette fois à l’échelle de notre continent, car elles proposent de créer une norme fondamentale du travail européenne, qui soit intégrée à l'organisation Internationale de standardisation (ISO).

L'Union Européenne en partenariat avec les ONG et les syndicats devraient ainsi s'appuyer sur les systèmes nationaux d'accréditation (la COFRAC pour la France) et les associations nationales de normalisation (l'AFNOR pour ce même pays), sous tutelles de l'Etat. Celles-ci sont chargées de façon exclusive, de vérifier la conformité de projet de normes vis à vis de l'intérêt général, de leurs élaborations et de leurs homologations. "Il est souhaitable que l'organisme qui crée le référentiel soit distinct de celui qui accrédite les organismes certificateurs. Or ce n'est pas le cas de la norme SA 8000, car le CEPAA regroupe les deux fonctions." précise le collectif de l'Etique sur l'étiquette. (1999, 2.4.2)

Il s'agirait aussi d'intégrer les représentants des ONG et des syndicats, dans ces différentes instances, alors que leur statut les en exclu actuellement, dans la mesure où seul les représentants des pouvoirs publics et des entreprises sont acceptés actuellement. 

Cependant cette idée de norme européenne fondamentale du travail de type ISO (dans l'esprit d'une norme SA 8000 améliorée) est à distinguer de certains projets d'une norme sociale, intitulées provisoirement ISO 2000. Certaines associations et instituts français [1] notamment, portent cette idée qui a pour objectif la mise en place d'une norme attestant la qualité des relations sociales dans l'entreprise.

Les fonctions des directions européennes vis à vis des codes

De nombreuses directions sont plus ou moins directement concernées par les codes de conduite et les labels : la DG IB, Politique commerciale de l'UE (Art 113) et relations avec les PED, la DG Emploi et affaires sociales, la DG VIII, Développement et coopération avec l'Afrique, la DG XXIII, Politique d'entreprise, commerce, tourisme et économie sociale, la DG XXIV, politique des consommateurs et protection de la santé (Art 129 A).

Cependant nous avons pu observer précédemment que c'est essentiellement la DG Emploi et affaires sociales qui apporte son soutien à la promotion des codes. Au cours d'un des derniers Workshop, en vue de la création de l'IEPCE, Odile Quintin, Directrice de la DG Emploi et affaires sociales, a rappelé les souhaits de la direction : "Nous renouvelons notre soutien à la promotion des codes et labels, ainsi qu'à la consommation éthique. Il semble que chaque code devrait au moins contenir les quatre normes les plus fondamentales. Nous insistons aussi sur le fait, que dans leurs mises en œuvre, la conviction doit l'emporter sur la contrainte. La DG Emploi et affaires sociales souhaite favoriser le partenariat entre les acteurs des codes, dans le but de favoriser, les échanges, l'information, la formation, le développement de la qualité des codes par la réflexion et la transparence. " (DG Emploi et affaires sociales, FSE-THC, Mars 1999)

Par ailleurs la DG Emploi et affaires sociales, à soutenu la recherche sur ces thèmes en finançant certaines études relatives aux codes et aux labels sociaux avec notamment celle de ZADEK (Zadek,1998).

la création de l'IEPCE 

L'initiative Européenne pour une Production  et un Consommation Ethiques

Historique

L'IEPCE existe depuis 1999.  La création de cette organisme est issue, nous l'avons vu, de la rencontre de quatre types d'acteurs impliqués dans les codes de conduite et les labels.

Dès 1992 tout d'abord, la FSE-THC a signé un code de conduite avec Euratex, grâce au soutien de la Commission Européenne. Puis l'émergence et la coordination progressive des ONG européennes sur ces questions en partenariat avec le parlement Européen. Enfin les entreprises elles-mêmes, qui sous la pression des organisations de défense des travailleurs, ont été contraintes de communiquer avec ces dernières, d'adopter des codes et de s'informer auprès des pouvoirs publics.

Cette dynamique a été accompagnée notamment par les deux symposiums présidés par la DG Emploi et affaires sociales, l'un à Bruxelles, le 25 Novembre 1998 : un premier Workshop Européen sur les codes de conduites et les labels sociaux, puis un second sur le même thème à Washington, le 10 Décembre 1998, avec le département du travail des Etats Unis. Il y a eu enfin les quelques Workshop qui ont précédé, la tenue de tables ronde dans les différents pays d'Europe, en 1999, impliquant souvent pour la première fois, les gouvernements de ces nations. 

Mais c'est Patrick Itschert, Secrétaire général, de la FSE-THC, qui a été le principal concepteur et acteur de la création de l'IEPCE, en collaboration   avec la DG Emploi et affaires sociales, qui l'a très largement encouragé.

L'IEPCE s'inspire notamment du CEPAA et d’autres institutions américaines du type de la Business for Social Responsibility (BSR). Cette dernière dont l'origine remonte à 1992, a été conçue pour soutenir les entreprises enclines à souscrire un code de conduite. On compte environ 800 entreprises ou organisations qui y sont affiliées.

Les fonctions DE L'IEPCE

Selon l'IEPCE, l'Europe a environ 5 ans de retard sur les Etats Unis concernant les pratiques relatives aux codes de conduites. Celle-ci a donc notamment pour fonction de tenter de nous faire rattraper ce retard.

En Mars 1999, Joachim OTT, administrateur à la DG Emploi et affaires sociales, mentionnait, que 360 000 Euros (soit 2 340 000 FF) devaient dans un premier temps être attribués à cette institution. (OTT 1999)

L'IEPCE voudrait contribuer à résoudre les problèmes engendrés par la prolifération de nombreux codes de conduite, créant un véritable maquis pour les entreprises et les consommateurs, en remédiant entre autres aux manques d'informations et de coordination.

L'IEPCE a pour mission de favoriser le partenariat entre les quatre partenaires sociaux que sont les syndicats, les pouvoirs publics, les ONG et les employeurs, au travers de rencontres- forums et d'un réseau visant à :

- Aider les entreprises et autres acteurs intéressés par adopter et mettre en œuvre des codes de conduites.

- Promouvoir les codes de conduite en Europe et dans le monde ;

- Echanger des informations, son expérience et coopérer entre acteurs ;

- Pour cela organiser notamment :

- Des tables rondes nationales ;

- Une banque de données des codes existants ;

- Un annuaire des associations et organisations travaillant sur la production et la consommation éthique ;

- Développer des critères et des normes pour les codes de conduite portant notamment sur : leur contenu, la mise en œuvre, le monitoring, la vérification, les procédures d'appels.

- L'organiser des formations ;

- Créer des dossiers relatifs aux expériences réussies ;

- Contribuer à la convergence des codes. (IEPCE)

Concernant ce dernier point, cela semble signifier que l'IEPCE s'oriente vers un code de conduite européen, comme le désir de nombreuses organisations de défense des travailleurs. 

Avant la création de l'IEPCE, les représentants de l'UNICE, (DG Emploi et affaires sociales, FSE-THC, 1998)) qui défendent les employeurs, s'interrogeaient sur l'intérêt même des codes, arguant qu'il existe déjà la déclaration tripartite de principes concernant les entreprises multinationales et la politique sociales (OIT, 1977) et les lignes directrices à l'intention des entreprises multinationales (OCDE 1976). Or la différence notable avec ces derniers, c’est que les codes sont adoptés par l'entreprise elle-même, donc qu'elle s'engage personnellement devant ses consommateurs.

En 1999, Joachim OTT membre de la DG Emploi et affaires sociales, prévoyait la création d'un code du commerce équitable pour 2001 (J.OTT- 1999) et J-François Nizeri " Chef de l'Unité, " Commerce, préférences généralisées et investissement à la DGIB de la commission européenne, avait émis la possibilité de créer un label Européen du commerce équitable. (Conseil Régional Nord Pas de Calais, 1999)

Pourtant les entreprises craignent pour la plupart que l'UE ne légifère, car les codes pourraient alors ne plus être volontaires, mais devenir obligatoire.

Certaines ONG espèrent pourtant que les gouvernements au plan national, européen ou international retrouvent un rôle politique plus fort dans la régulation de l'économie mondiale, par le biais d'une législation plus renforcée, particulièrement pour les sociétés transnationales, pour lesquelles il n'existe aucune loi au niveau international. Parmi les fonctions de l'IEPCE figure le projet de créer des procédures d'appel. Cela peut impliquer semble-t-il qu'une ONG pourrait saisir une sorte d'instance d'appel privé, lorsqu'elle contesterait par exemple les conclusions d'un organisme d'audit concernant une entreprise. Ou à l'inverse qu'une société prise en faute pour non-application de son code de conduite, puisse s'expliquer et invoquer des circonstances atténuantes, devant cette instance officielle, afin d'éviter ensuite le risque d'une campagne d'opinion destructrice pour son image.

Dans les deux cas cela pourrait conduire à long terme à la mise en place progressive d'une forme de tribunal international de commerce, à l'image de l'actuelle cour européenne de justice ou du tribunal international des droits de l'homme.

Actuellement le tribunal permanent des peuples (TPP), dont la dernière session s'est tenue à Warwick en Angleterre, en mars 2000, réalise des procès fictifs où sont dénoncés notamment le non-respect des codes des STN. Cependant il n'a aucun pouvoir exécutif et ni aucune légitimité officielle, son seul pouvoir c'est de sensibiliser la population, via les médias.

Mais comme le fait remarquer Patrick Itschert "Cela peut s'avérer contre-productif pour les consommateurs, de ne dénoncer que les STN, qui font le plus d'efforts, puisqu'elles ont déjà adopté un code. Tandis que les milliers d'autres qui ne l'ont même pas fait ne sont pas inquiétées." (Itschert, 1998)

CONCLUSION

Effectivement les codes ne concernent actuellement que les STN les plus emblématiques. C'est donc le rôle de l'IEPCE et de l'ensemble des acteurs européens et internationaux que sont les ONG, les syndicats, les employeurs et les pouvoirs publics, de participer à leur développement.

L'IEPCE est née grâce au soutien de l'Union Européenne notamment. Néanmoins les attentes des organisations de défense des travailleurs à l'égard des institutions internationales, sont encore plus ambitieuse. Elles souhaiteraient que l'OIT et l'UE ne s'impliquent pas seulement dans les domaines tels que la recherche, la formation ou l'expertise... Mais que progressivement elles reprennent une attitude plus interventionniste en régulant le commerce mondial, afin de protéger les conditions de travail fondamentale, les organisations de défense des travailleurs. La mondialisation économique a en effet progressivement dépossédé les gouvernements de leur pouvoir au plan national. Les citoyens demandent donc à présent la restauration de cette capacité de gouvernance, mais cette fois à l'échelon mondial, afin  de replacer les forces économiques sous la direction du pouvoir politique. 

La résolution Howitt, va dans ce sens, mais elle reste encore symbolique. Les codes de conduites sont finalement la seule voie qui restait aux organisations de défense des travailleurs, pour faire appliquer la législation internationale du travail. La méthode est douce, parce qu'elles y ont été contraint par un rapport de force qui leur est défavorable. Mais elles seraient pour la plupart favorables à une méthode plus efficace, qui rendraient obligatoire, sous peine de sanctions les normes fondamentales du travail ; que les sociétés transnationales aient ou non adoptés des codes.

Or actuellement seul l'Organe de règlement des différents de l'OMC, détient ce pouvoir coercitif. Pour cette raison plusieurs ONG, dont l'Observatoire de la mondialisation, qui siège à Paris, demandent que cet organe, soit extériorisé de l'OMC et placé sous le contrôle de l'ONU, afin que le non-respect des normes fondamentales du travail puisse être soumis à sanction l’OMC et  d’éviter trop de collusion entre le législatif et le judiciaire. Il faudrait cependant veiller aux risques de protectionnisme déguisé, toujours possible. Dans le même esprit certaines propositions émettent l’idée que L’OMC puisse elle aussi être amener sous la tutelle de l’ONU, pour tenter de la démocratiser.

Plutôt que d'attendre que les propres gouvernements se mobilisent véritablement, en réorganisant les institutions internationales qui les représentent, les organisations citoyennes se mettent en marche, afin d'initier le mouvement. Les pouvoirs publics viendront, elles l'espèrent les soutenir ensuite sur ces questions, comme ils commencent déjà progressivement à le faire. 

Finalement le but des actions citoyennes, c'est qu'un salarié du Sud, à travers le respect du droit à un salaire minimum par exemple, est l'assurance de pouvoir subvenir à ses besoins essentiels : la nourriture,  le logement, les soins médicaux... Sans avoir à mendier années après  années, l'assistance des organisations internationales.

 

BIBLIOGRAPHIE

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IEPCE, Pour plus d'information sur l'IEPCE consulter le site Internet www.iepce.org ou directement à IEPCE, 8, Rue Joseph Stevens, B 1000 Bruxelles, Belgique.

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[1] Pour plus d'information sur cette norme, s'adresser à LOMBARDET André, Institut de Recherche et de Développement de la Qualité, 29, avenue Carnot, 25000 Besançon, tél. 00 33 (0)3 81 80 97 21