RESUME On considère généralement que les droits fondamentaux des travailleurs sont bien respectés dans les pays industrialisés tandis qu'ils sont bafoués dans les pays du Sud. Dans la mesure ou la réalité est autrement plus complexe, cette erreur d'analyse risque d'avoir des conséquences parfois inattendues lorsqu'il s'agira de lier l'application des normes sociales aux sanctions commerciales à travers des clauses sociales ou des codes de conduite. Nous procéderons à une comparaison de l'application des sept normes fondamentales du travail, afin d'évaluer les conséquences qui pourraient en résulter. INTRODUCTION La possibilité de lier normes sociales et relations commerciales est une interrogation qui revient au devant de l'actualité politique internationale, avec le Millenium Round lancé à Seattle. Les avis bien qu'ils semblent souvent tranchés sur cette question, recouvrent des intérêts très divergents au sein de chacun des deux camps en conflit. Les divergences d'opinion ne sont pas seulement limitées à la défense d'idéaux divergents, sur la protection des droits de l'homme au travail, mais sont aussi souvent motivées par des intérêts essentiellement économiques. Les divergences d'intérêts commerciales, sont fondées sur des représentations des différences socio-économiques supposées très opposées. Or ces oppositions concernant les perceptions et le degré d'application des normes fondamentales entre pays industrialisés et pays en développement, ne sont peut-être pas si évidentes. Si l'application des normes fondamentales est mauvaise dans les PED et bonne dans les pays industrialisés, alors ceux-ci peuvent avoir un intérêt économique en sanctionnant les PED, par le biais des clauses sociales ou des codes de conduites. Cependant si on observe de plus près cette soit disant opposition, il semble qu'en fonction des pays, des secteurs et des normes les PED n'ont parfois rien à envier aux pays industrialisés. Si les clauses sociales et les codes de conduite sont mis en œuvre, ceux qui ont une perception erronée de la réalité socio-économique mondiale, risquent d'être surpris par les conséquences. Les entreprises des pays industrialisés pourraient se voir sanctionner commercialement beaucoup plus durement qu'elles ne l'avaient imaginé. Afin d'obtenir une idée plus précise de cette question, nous allons dresser un bref comparatif des différences et des similitudes entre pays industrialisés et en développement. La comparaison portera plus spécialement sur la France et l'Inde, car j'ai eu à réaliser une étude en 1999, dans ce dernier pays, sur le niveau d'application des normes fondamentales du travail dans des entreprises ayant adoptées un code de conduite. Ce dernier est un instrument adopté par les entreprises, par lequel elles s'engagent à respecter certaines normes du travail. S'il est constaté que les normes sont respectées, elles peuvent le cas échéant apposer un label avec la garanti commerce équitable ou éthique, par exemple. Ce qui sera un avantage commercial pour les produits labelisés, par rapport aux concurrents. Si le code n'est pas respecté, non seulement, l'entreprise ne peut apposer de label, mais elle s'expose éventuellement, aux appels aux boycotts lancés par les organisations de défense des travailleurs (ONG, syndicats...), comme ce fût notamment le cas pour la société Nike. LES DIFFERENCES D'APPLICATION DES 7 NORMES FONDAMENTALES DU POINT DE VUE DE LA VOLONTE POLITIQUE On constate que dans ce domaine les orientations politiques sont très variées en fonction des intérêts des gouvernements. LA CHINE Les dirigeants du gouvernement chinois au cours de leur visite dans les différents pays démocrates, ne manquent jamais de rappeler aux associations de défense des droits de l'homme, qui les interpellent, que la démocratie et les droits de l'homme, (qu'ils soient liés au droit pénal ou au droit du travail ), ne sont pas des valeurs universelles. Ces droits n'auraient donc rien de légitime et ne seraient que la conséquence de l'anthropocentrisme occidentale. La Chine fait en effet parti des Etats où les infractions aux normes fondamentales du travail sont les plus largement répandues. La démocratie n'étant toujours pas une valeur légitime aux yeux des dirigeants chinois, le droit d'association et de négociation ne l'est donc pas lui non plus. En effet sans droit à l'expression citoyenne, le dialogue entre les salariés et la direction au sein des entreprises est donc très limité. Les tentatives des travailleurs d'instaurer des rapports de force pour défendre leurs droits sont donc systématiquement réprimés, d'autant plus fortement que le secteur productif est une des clés du pouvoir politico-économique. LES Etats Unis Ce gouvernement est actuellement en position de leadership mondial et se targue d'être la plus grande démocratie du monde. Pourtant il n'offre pas véritablement à ses citoyens les plus pauvres, le pouvoir d'exercer pleinement leurs droits à la démocratie, en faisant respecter pleinement l'ensemble des normes fondamentales du travail. Pour qu'une démocratie fonctionne réellement, les citoyens doivent pouvoir faire respecter pleinement l'ensemble de leurs droits. C'est notamment ce qui permet de faire vivre la démocratie, car sans citoyen pas de système démocratique réel. Exercer sa citoyenneté c'est exprimer son pouvoir d'expression, de revendication, sa capacité de voter, de militer, de s'informer... mais pour cela, faut-il en encore en avoir les moyens : si le salaire est insuffisant et les heures de travail trop nombreuses, que l'âge minimum au travail et le droit syndical sont insuffisamment respectés, alors manqueront le temps, les possibilités d'accès à l'éducation et à l'information... Les Etats Unis n’ont toujours pas ratifier la convention sur le droit syndical et ce n'est que sous la présidence de Clinton qu'un salaire minimum a été instauré, mais est-il suffisant ? Sa réal-politique et sa volonté de maîtrise du monde, conduise le gouvernement américain "à saper le droit international[1]" en refusant notamment de signer de nombreux traités internationaux. Ils n'ont toujours pas signé la convention des Nations Unies sur les droits économiques et sociaux de 1966, la convention sur le droit des femmes de 1979, Les conventions sur les droits humains de l'organisation des Etats américains de 1969. De plus ce pays figure parmi les Etats qui ont ratifié le moins de conventions de l'OIT (on en compte seulement 12 dont 5 ces dernières années) et celles relatives à la liberté d'organisation et au travail des enfants ne l'ont pas été non plus, car ces types d'accord sont perçus par ce gouvernement, comme un frein à l'expansion de son économie dans son pays et dans le monde. LES DIFFERENCES D'APPLICATION DES 7 NORMES FONDAMENTALES DU TRAVAIL La Liberté SYNDICALE (Convention n°87) et LE DROIT D'ORGANISATION ET de négociatioN (Convention n°98) Comparaison INDE-France Dans cet immense pays en développement qu'est l'Inde les contrastes entre les situations syndicales sont évidemment très grands. Le contexte syndical d'une petite entreprise, du secteur que l'on qualifie d'informel et celui d'une grande entreprise qui produit pour l'exportation (tel OBEETEE, un de premier producteur indien de tapis fait main), où la majorité des ouvriers sont syndiqués est incomparable. Dans certains petits villages en Inde, certains ouvriers ont si peu d'instruction et de connaissance générale, qu'ils ne connaissent parfois même pas le sens du mot syndicat '' trade union''. C'est le cas par exemple des entreprises de tisserands situés dans les campagnes de l'Etat du Bihar. Dans d'autres Etats ou dans d'autres villes où la culture syndicale est mieux implantée, comme à Tirupur dans le Tamil Nadu, il est plus rare de rencontrer de grandes entreprises sans syndicats. Néanmoins Eastman-Exports un des plus gros sous-traitants de multinationale tel C&A, Gap, Migros, Wal-Mart, Li & Fung, etc..., qui emploie plus de 1000 personnes en pleine saison et dont le chiffre d'affaire s’élevait en 1998 à 40 millions $, ne dispose pas d'un syndicat, ni du droit d'association. Pourtant même si l'Inde n'a pas ratifié ces deux conventions, le code du travail indien stipule néanmoins que "les syndicats sont obligatoires dans les entreprises de plus de 50 personnes."[2] En effet les lois ne suffisent pas, lorsque l'Etat manque de volonté politique pour les faire appliquer ou qu'il n'a pas les moyens financiers de rémunérer suffisamment d'inspecteur du travail. Ces types de situations, si elles sont relativement répandues en Inde ne sont pourtant pas limitées aux seuls pays en développement. En France comme en Inde, à partir de 50 salariés, il doit y avoir un délégué syndical au sein de l'entreprise.[3] Cependant même dans les grosses entreprises dans les pays occidentaux, les syndicats ne sont pas toujours présents, même lorsque la loi l'exige. Ainsi l'entreprise Berg Electronics située à Besançon, est une multinationale qui figure parmi les premiers producteurs mondiaux de connecteurs électroniques, son siège social est américain et elle emploie plus de 600 personnes. Mais elle n'a pas permis l'implantation d'une structure syndicale, jusqu'en 1999, date à laquelle elle a été rachetée par le groupe français Framatome. Celui ci à alors laisser libre cours au développement d'une section syndicale au sein de cette nouvelle filiale. Même dans les pays industrialisés, la loi ne suffit pas, a mettre en œuvre ces deux conventions généralement considérer comme les plus fondamentales. C'est finalement une transformation de la culture d'entreprise, grâce à un changement de propriétaire et non la législation qui a permis cette transformation. L'entreprise est ainsi passé d'un management de type américain à un management de culture française, plus ouverte aux syndicats. L'essor de la sous-traitance favorise volontairement ou non la désagrégation du mouvement syndical en fractionnant la taille des entreprises et en brisant liens entre les anciennes filiales. Même en France, où le système de gestion du personnel est moins hostile au syndicat qu'aux Etats Unis, on ne compte plus les petites et moyennes entreprises ou les syndicats sont absents. Le taux de syndicalisation avoisine les 9%, c'est un des plus bas d'Europe, alors qu'il était de 14% en 1985.[4] LE TRAVAIL FORCE convention n°29 et n°105 Selon ces conventions, sont considérés comme travail forcé l'esclavage, la servitude pour dette, des populations civiles et les prisonniers contraints à travailler contre leur gré... En effet les formes de travail forcé sont multiples et diffèrent selon les situations et les pays. Soudan Au Soudan, le commerce des esclaves existe encore. Il y sévit une véritable guerre de religion où l'esclavage est devenu un instrument en vue de réaliser l'arabisation du Sud-Soudan, chrétien et animiste. Certaines associations tel CSI, une ONG américain tente de stopper ce fléau, notamment en rachetant certains esclaves en vue de les libérer. Mais ils courent alors, le risque de faire perdurer cette pratique. CHINE Harry Wu à été prisonnier du Laogai, où il a dû effectuer dix-neuf années de travaux pénibles contre sa volonté sans recevoir de salaire. Or le fait d'être obliger de travailler contre son gré et de ne pas être rémunéré est du travail forcé. D'après lui il y avait en Chine 1155 camps en 1996, où étaient détenus de six à huit millions de prisonniers travaillant dans les mêmes conditions que celles qu'il a subi.[5] L'association Artisans du monde rapportait que "les prisonniers de la prison du Zheijiang fabriquent des outils que l'on retrouve dans la grande distribution en France notamment, sous les marques "Diamond" et "Eléphant". Chez Leclerc des haches étaient vendues à 31, 45 F, chez Castorama des pince-étaux à 29, 50 F, de même qu'à Super U."[6] En Birmanie le régime militaire a fait travailler de force des villageois pour défricher certaines régions afin de permettre à la société Total et trois autres entreprises de construire des gazoducs. Le rapporteur spécial de la commission des droits de l'homme des Nations Unis[7] précise" qu'ils ne sont pas rémunérés et n'ont droit qu'à un minimum de nourriture et de repos." FRANCE Dans la plupart des pays d'Europe, même si les détenus choisissent librement de travailler, les directeurs des prisons ne versent aux prisonniers que des salaires très inférieurs aux salaires minimums du pays. La société transnationale, préalablement citée, Berg Electronics, faisait sous traiter une partie de sa production aux prisonniers de la maison d'arrêt de Besançon. Gérard B. un ancien détenu de cette prison, affirme avoir travaillé pour environ 7 F de l'heure, alors que le SMIC était presque à 30 F. Or l'article 14 de la convention n° 29 du Bureau International du Travail, stipule que les prisonniers doivent être rémunérés à un salaire équivalent au niveau au salaire local. Lorsque ce fait est dénoncé, les dirigeants des prisons répondent généralement que cette faible rémunération s'explique parce qu'une partie du salaire est déduite pour le logement et la nourriture. Pourtant les estimations relatives à leurs coûts ne semblent pas justifier, une telle réduction de salaire. De plus les prisonniers qui ne travaillent pas, n'ont pas à payer ces charges. On observe donc qu'une simple norme, telle l'interdiction du travail forcé, dont la non-application semble à priori limitée à certains pays du Tiers-monde, peut être considérée comme enfreinte par la plupart des pays développés. LE TRAVAIL DES ENFANTS (Convention n°138) L'UNICEF évalue à environ 250 millions le nombre d'enfants de moins de 14 ans au travail, dont 20 millions sont considérés comme esclaves. De même que le travail forcé, le travail des enfants recouvre des facettes très différentes, qui le rende d'autant plus difficile à encadrer par le biais de l'arsenal juridique. Il y a ainsi l'esclavage et la servitude pour dette (qui en sont une des formes les plus extrêmes), le travail avant 14 ou 16 ans selon les pays accompagnés ou non d'une sous rémunération, les formes abusives de l'apprentissage, le fait de travailler avec un soit disant membre de sa famille, jusqu'au simple soutien temporaire à l'activité des parents, qui dans certains cas peut même avoir un rôle d’apprentissage pour l'enfant. Dans de nombreux pays, non seulement de nombreux enfants travaillent, mais certains subissent en plus la servitude pour dette. Dans ce cas le taux de remboursement est généralement établi de telle manière qu'il est impossible à rembourser par l'enfant. Ainsi plus le temps passe plus la dette s’accroît. Ce dernier devient alors esclave de son créancier, l'employeur. Les enquêteurs de Human Rights Watch qui menaient une étude au Pakistan, ont interviewé quatorze enfants travaillant à la fabrication de tapis : parmi eux, douze ont été "donnés par leurs parents en contrepartie d'un prêt d'argent.[8] Des enquêtes du BIT[9] ont estimé que 25 à 40% des enfants de moins de 15 ans sont économiquement actifs dans les PED, que la plupart rémunèrent leurs parents et que leur travail est souvent indispensable pour préserver le revenu du ménage. Lorsqu'ils sont rémunérés, leurs salaires sont systématiquement inférieurs à ceux que reçoivent les adultes pour le même travail. Selon les estimations par pays les taux d'activité économiques des enfants de 10 à 14 ans en 1995, sont les suivants : [10] Bangladesh (30,1%), Inde (14,4 %), Chine (11,6%), Mexique ( 6,73 %), Uruguay (2,08 %), Albanie (1,11 %), Portugal (1,8 %), Venezuela ( 0,95 %), Italie (0,38 %). Si on observe de manière statistique les différences entre PED et pays industrialisés, ont constate que la réalité du travail des enfants chez les premiers est incomparablement supérieure dans certains pays. Cependant on remarque par exemple qu'au Portugal, pays membre de la communauté européenne, le taux est deux fois plus élevé qu'au Venezuela. De même il est de 0,38% en Italie, (des dizaines de milliers d'enfants travaillent notamment dans la région de Naples dans le secteur du cuir, de la chaussure et de l'agriculture.)[11] alors qu'au Chili ou à Cuba le travail des enfants est considéré apparaît comme inexistant. Même à Birmingham, au Royaume-Uni, qui est un des pays les plus puissants des pays industrialisés, on évaluait en 1992, à 43% le nombre d'enfant de 10 à 16 ans réalisant un travail au-delà de ce que la loi ne l'autorise.[12] Parmi eux, 75% sont employés illégalement soit 30% des enfants de cette classe d'âge. En France l'âge minimum est de 16 ans, mais des enfants aident leurs parents à travailler, notamment dans les petits commerces, ou dans le monde agricole. Dans l'apprentissage, le taux horaire du salaire est inférieur au SMIC, quand la dimension formation est absente, cela aboutit à travailler pour moins que le SMIC, pour des adolescents entre 14 et 16 ans. NON-DISCRIMINATION A L'EMPLOI ET AU TRAVAIL (Convention n°111) et Egalité de rémunération (Convention N°100) La non-discrimination figure parmi les quatre normes les plus fondamentales, selon le BIT, qui en a décidé ainsi, à l'issu de la conférence internationale du travail de juin 1998, à Genève. Pourtant il est relativement difficile à mettre en évidence les infractions à la convention n°100. A priori il suffit d'interroger et d'observer la situation des différents types de salariés (homme, femme, âge, origine ethnique, raciale ou religieuse...), pour constater des différences de salaires et de conditions de travail. Mais l'employeur peut toujours affirmer que c'est la différence de compétence qui en est à l'origine. Toutefois cette réponse est plus difficilement défendable, lorsque la production est mesurable, donc comparable, dans le cas de la production textile, par exemple. Discrimination à l'emploi (Convention n°111) Il est encore plus difficile de prouver qu'il y a discrimination à l'emploi, puisque, ceux qui ont été écarté du poste auquel ils postulaient sont justement absents. On peut néanmoins tenter de procéder comme pour les situations précédentes, en comptabilisant les types de salariés employés et en recherchant par induction le genre de demandeur d'emploi qui ont été discriminé. Cependant l'employeur peut là aussi répliquer que ces derniers n'ont jamais postulé auprès de son entreprise. Dans le cas de l'Inde malgré un "machisme" relativement important dans l'ensemble du secteur professionnel, on dénombre des femmes à tous les postes importants, notamment dans l'industrie textile, même si elles sont évidemment peu nombreuses sur ces derniers et majoritaires sur les postes subalternes. En France par exemple les statistiques montrent que les populations d'origine maghrébine connaissent un taux de chômage bien supérieur à celle d'origine française. En Inde on observe une situation comparable, les travailleurs d'appartenance musulmane sont l'objet de discriminations par rapport aux hindouistes, particulièrement depuis le renforcement de la guerre avec le Pakistan, dont les dirigeants sont islamistes. Dans l'ensemble des pays du monde, qu'ils soient en développement ou industrialisés, on observe que l'égalité à l'emploi, dans les conditions de travail et dans les rémunérations sont globalement très mal respectées. Le sexe, l'âge et la couleur de peau entre autres, sont des facteurs qui conduisent les employeurs à de nombreuses discriminations. Respect du Salaire minIMum : Conventions n°26 et n°131 Il est souvent reproché qu'il est impossible d'instaurer mondialement un salaire minimum. Ce n'est pourtant pas de cela qu'il s'agit, car ces deux conventions ne donnent comme directive à chacun des pays, que de définir un salaire minimum pour ses travailleurs. Cependant certains pays, n'en ont défini aucun. Ainsi même quand il en existe, il n'est parfois fixé que par type de métiers, comme c'est le cas pour l'Inde. De nombreux secteurs marginaux ou trop récents n'ont alors pas de salaire minimum officiellement défini. De plus certaines nations ont fixé des salaires à des niveaux insuffisants pour permettre de subvenir décemment aux besoins essentiels des travailleurs. INDE En Inde dans l'Etat de l'Uthar Pradesh le salaire minimum est actuellement de 42 roupies par jour (soit pour 8 heures, 5,25 roupies de l'heure, presque 1 franc français par heure). Pourtant dans les environ de Puri, au sein de la Coopérative SALJUNGA, qui sous traite pour un exportateur de Tapis vers l'Europe et les Etats Unis, les tisserands sont parfois payés 20 roupies par jour seulement. Soit environ 540 roupies par mois alors qu'on estime entre 600 et 1000 roupies le minimum pour vivre dans cette région. Aux Etats-Unis c'est seulement sous la présidence de Clinton, qu'un salaire minimum a été fixé. Mais les salaires sont souvent si bas que les salariés sont fréquemment contraints de cumuler deux emplois pour vivre décemment. Même dans les pays industrialisés et notamment en France, bien que l'on dispose d'un salaire minimum, certains employeurs abusent des travailleurs clandestins, notamment parce qu'ils sont sans papiers et qu'ils vivent dans la crainte d'être expulsé. De plus ces derniers ne peuvent pas bénéficier de la sécurité sociale, ni cotiser pour leur retraite. Dominique Torres, dénonce cette forme de travail qui selon elle, "se confond purement et simplement avec une forme de servage,"[13]. En France, les objecteurs de conscience travaillent 39 heures pour environ 2000f par mois (bien qu'ils aient eux aussi à se nourrir, se loger, se vêtir...) ce qui peut être considérer comme une forme d'exploitation en comparaison des revenus d'un smicard, malgré le caractère légal de leur contrat de travail. LE TEMPS DE TRAVAIL (Convention n°1) Inde: A Tirupur dans le Tamil Nadu, le propriétaire de l'entreprise de textile-habillement Mrep, explique un peu embarrassé que le temps légal de travail est théoriquement de 8 heures par jour pendant 6 jours soit 56 heures. Mais les horaires réalisés par les cadres et les employés sont plus généralement de 10 à 12 heures par jour voir plus, soit 72 heures par semaine. Le président de l'AITUC, un des principaux syndicats locaux, affirme que cette situation est représentative de la plupart des autres entreprises de cette ville phare du textile, mais aussi d'une majorité d'entreprise indienne. France En France la durée du travail légale varie de 39 à 35 heures. Cependant les cadres travaillent très souvent 10 heures par jour généralement pendant 5 jours, soit 50 heures par semaine environ. Ils sont donc légalement en infraction, même si l'inspection du travail tolère ces pratiques. Les différences salariales horaires sont déjà importantes entre les pays, mais le fait que les temps de travail soit aussi très différents renforce encore les inégalités. La santé et la sécurité au travail (convention n° 155) En Inde les conditions sanitaires et de sécurité sont extrêmement variables en fonction des types d'entreprises. Dans le secteur des grosses entreprises les conditions sont équivalentes, voir supérieures à certaines sociétés des pays industrialisés. Plusieurs grandes entreprises sous traitantes de C&A, tel CRYSTAL à Tirupur, ont par exemple reçu la certification Oko-Tex Standard 100, qui garantit le respect des normes sanitaires, des textiles pour la peau humaine. Elles sont parfois aussi certifiées par les normes ISO, relatives à la sécurité et à l'hygiène sur les lieux de travail. Mais on peut souvent observer à quelques pas, de ces grandes entreprises modèles, des conditions de sécurité et d'hygiène et de sécurité déplorables dans le secteur des petites entreprises. En Thaïlande, les machines à coudre du groupe Eden étaient mal isolées et les ouvrières recevaient périodiquement des décharges électriques. [14] En Chine, dans certaines usines les ouvriers dorment dans les ateliers, alors que les portes sont verrouillées la nuit en dépit des lois en vigueur. Le China Délie affirmait, qu'en un seul semestre en 1996, dans la province de Guandong en Chine, 136 ouvriers étaient morts dans des incendies, dans de telles conditions. La situation en France est moins alarmante pourtant en 1995, on a recensé 744 morts et 685000 accidents graves liés au travail et en 1997 seulement 15% des entreprises avaient été contrôlées par les inspecteurs du travail. Au vue de ce tableau général, relatif à l'application des 7 normes fondamentales du travail, on observe que de nombreuses entreprises des pays industrialisés risquent-elles aussi de subir des sanctions commerciales dans le cadre de clauses sociales ou des codes de conduite LES DIFFERENTES POSITIONS RELATIVES A LA MISE EN ŒUVRE DES CLAUSES SOCIALES ET DES CODES DE CONDUITE Les occidentaux appartenant au secteur de l'entreprise et même les organisations qui militent pour la défense des travailleurs du Sud, oublient trop souvent, que dans les pays du Sud, il y a aussi des syndicats (notamment indien) et des enfants travailleurs (La marche des enfants et Michel Bonnet[15]... ) qui sont défavorables à la mise en œuvre des codes et de clauses sociales. Ils considèrent que l'application de normes sociales ne pourrait leur être favorable que dans un contexte de remise à plat complet du système économique, en l'orientant vers plus de coopération, Sinon le rapport de force tel qu'il est actuellement, aboutirait à des conséquences nuisibles sur leur économie et donc à terme pour les travailleurs eux-mêmes et pour la population. Dans le cas de la mise en œuvre de clauses sociales au sein de l'OMC et des codes de conduite plus généralement, le débat n'est pas tranché concernant le nombre de normes fondamentales à appliquer. Dans le cadre des codes de conduite, certains tel Patrick Itschert, Secrétaire Général du secteur Textile-Cuir-Habillement de la CISL, sont favorables à la limitation de leurs nombres, dans un premier temps, afin de diminuer les désaccords. Cela réduirait de plus les risques de protectionnisme déguisés. Dans le cadre des clauses sociales, d'autres tel Marc Delpouve, membre de l’association Attac, préconisent d'imposer un nombre de normes sociales variables, pour chaque pays ou zones de développement. Dans les deux cas ces propositions prévoient théoriquement d'appliquer progressivement, les 7 normes fondamentales (voir plus), pour l'ensemble des pays du monde. La norme qui semble être prioritaire et qui fait l'objet d'un consensus majoritaire, est le droit de négociation et d'association. Grâce à l'existence de syndicats et en fonction de leur dynamisme et de leur choix, les autres normes pourraient ensuite être appliquées avec la pression syndicale. Cela laisse ainsi une certaine place à l’autodétermination des pays, quant aux normes à prioriser, sans non plus laisser libre cours à un complet laisser faire. Les promoteurs de la plupart des codes de conduite, notamment de la norme SA 8000, qui se veulent les précurseurs d'une future norme ISO, dans le domaine des normes fondamentales du travail, ont une approche plus ambitieuse, car ils intègrent dès le départ les 7 normes fondamentales. Mais cela s'explique aussi par le fait que les codes sont des instruments à la fois plus limités et plus précis. Ils introduisent en effet une discrimination positive supplémentaire, dans la mesure ou ils peuvent se limiter à cibler les transnationales alors que les clauses sociales s’adressent théoriquement à l'ensemble des entreprises d'un secteur économique du pays. Dans la perspective des ONG, l'introduction des codes de conduites permettrait, d'ajouter aux clauses sociales, un plus grand discernement vis à vis des éventuelles sanctions. Non seulement le nombre des normes au sein des codes pourraient varier en fonction des pays, mais aussi en fonction des entreprises. Dans le cas des codes, l’adhésion est volontaire pour une société transnationale (STN). Dans la même perspective, la clause sociale pourrait être limitée à ces dernières. Elle prendrait par conséquent, une tournure plus coercitive. Si on peut craindre en effet que les PED aient des difficultés à supporter l'introduction de normes, il est par contre peu probable qu'une transnationale n'est pas la puissance économique suffisante pour rester compétitive, tout en appliquant les 7 normes fondamentales du travail. Il y aurait ainsi des normes variables non seulement en fonction des pays mais aussi des types d'entreprises, ce que n'offrent pas les propositions actuelles relatives aux clauses sociales. Concernant les types de sanction destinées a faire appliquer les normes fondamentales du travail notamment à travers, les clauses sociales, il faut aussi mentionner les propositions émises par Maurice Lauré, reprises par Bernard Cassen dans le Monde Diplomatique de février 2000. « Il s’agirait d’opérer des prélèvements aux importations en faisant jouer une combinaisons des indicateurs de l’OIT et du PNUE et éventuellement du PNUD, mais de reverser les sommes ainsi dégagées soit au pays de départ selon de strictes conditions d’utilisation à des fins sociales, environnementales et éducatives, soit à des organisation internationales et/ou régionales qui les utiliseraient dans le pays concerné selon les mêmes critères. Ces prélèvements seraient variables entre pays ou ensembles, en fonction de leur « notes » respectives fixées par les indicateurs. » « L’application mécanique des critères quantitatifs de prélèvements devrait être complétée par des préférences fiscales accordées aux initiatives qualitatives telles que les diverses formes de commerce équitable.» [16] Le principal problème auquel se heurte les clauses sociales, plus encore que les codes de conduite, est le danger d’un protectionnisme déguisé. Les différents systèmes évoqués précédemment concernent des sanctions qui peuvent être modulées en fonction des types d’acteurs. Dans le même esprit, le niveau de la taxe à l’importation du système de Lauré, pourrait varier en fonction des pays, des secteurs ou des types d’entreprises, pour diminuer le danger du protectionnisme déguisé. Le niveau de la taxe pourrait ainsi tenir compte du montant du PIB par habitant notamment. Ainsi tous les pays se verraient inciter à suivre les normes fondamentales du travail, mais, la sanction seraient proportionnelle au niveau du non respect des normes et au niveau de développement économique du pays. Concernant les pénalités en cas d’infractions, plutôt que d’exercer des pénalités contre l’ensemble d’un pays comme cela ce fait parfois, il semble préférable de cibler soit une région, un secteur productif, un secteur productif d’une région, ou même une entreprise ou une STN, quand c’est possible. Cela permettrait des sanctions mises en oeuvre avec plus de discernement. Au sujet de la durée de la sanction, plus elle est courte, moins le pays voit son développement économique limité. Il s’agirait alors de réaliser une inspection six mois après, par exemple, pour pouvoir lever le cas échéant les pénalités. Le seuil auquel on pourra considérer qu’il y a infraction devra être fixé, car on ne peut sanctionner tout un secteur pour une seule infraction relevée. Ce serait disproportionné. Il s’agirait de considérer qu’au delà de 1% d’infractions par exemple, pour au moins une des 7 normes fondamentales, il peut y avoir sanction. Dans le cas où il s'agirait de ne sélectionner que certaines normes, la question qui se pose ensuite est celle ci : quelle instance sera à la fois compétente et légitime pour établir une juste répartition et selon quelles procédures ? L’OMC ? L’OIT ? D'autres ? Si l'on se réfère à l'expérience de l'OMC en matière de norme, la règle qui tend à être appliqué est la clause de la nation la plus favorisée. Ce qui annihile toute possibilité de soutien commercial aux pays les plus pauvres. Par conséquent il est peu probable que l'on parvienne à des accords sur le nombre de norme à suivre par pays, dans le cadre de la politique néo-libérale qui règne actuellement à l'OMC. Par contre si l'on prend l'exemple les accords de Lomé réalisé par la communauté européenne en direction des pays A.C.P., on constate que des accords pour soutenir le développement des PED sont envisageables, lorsqu'il y a eu une culture politique commune d'orientation plutôt sociale-démocrate. CONCLUSION Concernant ne serait ce que l'application des normes fondamentales du travail, on observe donc que ceux qui considéraient comme franche, la différence entre pays industrialisés et pays en développement feraient bien de reconsidérer leur position. Cependant si l'on était en mesure d'évaluer statistiquement et globalement le niveau d'application de chacune des conventions, la situation des pays en développement serait très probablement beaucoup plus critique. Néanmoins en se limitant à la comparaison d'une seule norme, certains PED se classent déjà en meilleure position que certains pays industrialisés. Une représentation erronée de cette réalité, aurait des conséquences importantes sur les relations commerciales internationales. En effet les acteurs des pays du Nord qui défendaient surtout un protectionnisme déguisé dans le cadre des clauses sociales et des codes de conduite, risquent de se retrouver pris à leur propre piège. En tout cas l'impact de telles mesures pourraient se révéler beaucoup moins lucratives que prévues et aussi plus complexes à évaluer. Du moins dans l'absolu, car les grandes puissances réussissent souvent à éviter de s'infliger à elles-mêmes ce qu'elles exigent des autres. [1]Pour plus d'informations voir le Monde Diplomatique de Décembre 1999, "L'ONU, ses moyens, ses pouvoirs, ses lois". [2]The trade Union Act, 1926, RAJENDRA K. Sharma, Industrial labour in India, Atlantic, Delhi, 1997, 277. The factory Act, 1948, Chandulval Vardhman Shah, V., State of Gujarat , 1966(2), Lab LJ 767 [3]Article R. 412-2 du code du travail [4]BIT, Le travail dans le monde, Genève, 1997-98, [5]WU Harry, Retour au Laogai, Belfond, 1997. Voir aussi du même auteur, Le goulag Chinois, Editions Bleu de Chine. [6]ARTISANS DU MONDE, Magazine du Commerce Equitable, p 7 Juin 1997. [7] Rapport sur les droits de l'homme en Birmanie, commission des droits de l'homme des Nations Unis, ONU, 1995, p 125. [8] HUMAN RIGHTS WATCH, (HRW), Contemporary Forms of Slavery in Pakistan, Etats Unis, 1995. [9] IPEC, Finding ou About Child Labour., Bureau International du Travail, Genève, 1994. [10] ILO, Economically active population. Estimates and projections, 1950-2010, Geneva, 1996. [11] O.I.T., Le magazine de l'OIT, Genève, Juin 1993, p 6. [12] O.I.T., Le magazine de l'OIT, Genève, Juin 1993, p 5. [13] Torres Dominique, Esclaves, Phébus, Paris 1996. [14] ARTISANS DU MONDE, Magazine du Commerce Equitable, p 7 Juin 1997 [15]Bonnet Michel, Regard sur les enfants travailleurs, CETIM, Editions Pages Deux, Lausanne, 1998. [16] Cassen Bernard, Inventer ensemble un « protectionnisme altruiste », L e monde diplomatique, Paris , Février 2000. Maurice Lauré, « Rapport sur le chômage », La Jaune et la Rouge, octobre 1994, cité par, et d’octobre 1994. Pierre Noël Giraud, L’inégalité du monde, coll. « Folio », Gallimard, Paris, 1996. |