Jacques BERTHELOT - Texte paru sur la liste "Attac-talk" - février 1999 | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
INP-ENSAT Chaire Jean Monnet d'Intégration Economique Européenne L'avenir des retraites : les regimes par capitalisation contre la croissance et la solidarité Jacques Berthelot
Alors que la globalisation financière incontrôlée est une source permanente d'instabilité monétaire et qu'elle se nourrit des diverses formes d'épargne financière destinée à financer les retraites par capitalisation, de nombreux Etats membres (EM) tendent à les promouvoir à l'aide d'avantages fiscaux puisque le système des retraites par répartition ne leur semble pas pouvoir à lui seul faire face aux conséquences des perspectives de vieillissement de la population européenne. Ainsi la Commission européenne a-t-elle recommandé, dans son Livre vert du 05-06-1997, que tous les EM favorisent la création de régimes de retraite par capitalisation en complément des régimes par répartition. Alors qu'un premier projet sur les fonds de pension, la loi Thomas sur les fonds d'épargne retraite, avait été votée le 25 mars 1997 mais sans avoir donné lieu à un décret d'application avant le renversement du gouvernement Juppé, un débat sur ce thème est actuellement en cours en France où le gouvernement Jospin, après avoir consulté des experts, veut proposer l'introduction d'une certaine dose de capitalisation dans les régimes par répartition voire favoriser des fonds de pension "à la française" comme moyen d'éviter les risques liés à une trop forte présence des fonds de pension étrangers dans le capital des entreprises nationales. Les enjeux du débat sont considérables, non seulement pour l'avenir des futurs retraités, mais plus largement pour l'avenir de la cohésion économique et sociale nationale et internationale et même simplement pour la croissance économique. La manière dont ce débat est traité traduit une large myopie des acteurs sociaux, du fait de leur incapacité à évaluer l'ampleur des changements des principaux paramètres qui influeront sur le niveau des retraites à long terme. Après le rappel du fonctionnement actuel des régimes de retraite en France, on présentera les principales ressemblances et différences entre régimes par répartition et par capitalisation avant d'analyser en détail les arguments des partisans de la capitalisation puis de la répartition.
I - le fonctionnement actuel des régimes de retraite en France
1°) Généralités On distingue 3 niveaux de régimes de retraite : i) le régime général de la sécurité sociale; ii) des régimes complémentaires obligatoires; iii) des régimes supplémentaires facultatifs. Au total, les prévisions de prestations vieillesse en France pour 1998 sont de 1025 M'F dont 377,5 M'F pour le régime général de base; 258 M'F pour les régimes complémentaires des salariés du commerce, de l'industrie et de l'agriculture; 286,4 M'F pour les fonctionnaires et salariés d'entreprises publiques (SNCF, EGF); 46,5 M'F pour les exploitants agricoles; 20 M'F pour les industriels et commerçants; 15,8 M'F pour les artisans et 15,6 M'F pour les professions libérales. Le régime des salariés non agricoles du secteur privé concerne 65% des retraités et est constitué de 3 sources : le régime général de base de la sécurité sociale (géré par la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, 2 régimes complémentaires obligatoires (l'ARRCO auquel cotisent l'ensemble des salariés et l'AGIRC réservé aux cadres), plus d'éventuels régimes supplémentaires. Actuellement, dans le secteur privé, plus du tiers atteint la retraite en situation de chômeur ou de préretraité. Pour les fonctionnaires au contraire, les régimes de base et complémentaires sont confondus et la retraite reste fixée à 2% du traitement des 6 derniers mois par année de présence, soit 75% pour 37,5 années de service. Les entreprises publiques ont généralement des régimes de retraite voisins de ceux de la fonction publique, voire plus favorables (SNCF). Les salariés du secteur public considèrent que les taux de remplacement (rapport entre le montant de la retraite et le dernier salaire) élevés de leurs retraites n'est que la contrepartie de salaires généralement inférieurs à ceux du secteur privé. En outre les retraites n'incorporent pas dans la base de calcul les primes (qui représentent une part importante de la rémunération dans certaines administrations, en fait semble-t-il surtout pour les cadres supérieurs). Un autre avantage de ces régimes du secteur public tient à un taux de cotisation moindre, de 7,85% contre 10,35% pour les 14 millions de salariés du secteur privé. Les régimes des non salariés sont moins avantageux pour les artisans que pour les commerçants, du fait de la faiblesse des cotisations versées avant 1973. Les commerçants ont un régime d'assurance vieillesse obligatoire calquée sur celui des salariés plus un régime complémentaire facultatif (Organic) à concurrence de 10% des revenus professionnels ou de 18 000 F par an (non imposables), ce qui leur permet d'avoir un taux de remplacement de 70% si le revenu professionnel ne dépasse pas 20 000F. Enfin le minimum vieillesse garantit à toute personne de 65 ans au moins un minimum de ressources qui, au 01-01-1998, était de 41 651 F pour une personne seule et de 74 720 F pour un couple marié, montants qui ne sont pas soumis à l'impôt ni aux prélèvements sociaux (CSG, CRDS, cotisation maladie). Les régimes de retraite se distinguent selon qu'ils sont en annuités ou en points : les premiers concernent les régimes de base et les régimes spéciaux des salariés du secteur public alors que les régimes de retraite complémentaires sont en points. Chaque année les cotisations versées sont traduites en points (monnaie de compte du régime). La retraite sera fonction du total des points dont la valeur est fixée chaque année par le régime compte tenu de ses recettes et charges. La pension est proportionnelle aux revenus professionnels de l'ensemble de la carrière et non fonction de x meilleures ou y dernières années.
2°) Le régime général de la sécurité sociale Il ne prévoit de cotisations et de prestations que sur la tranche de salaire inférieure au "plafond de la sécurité sociale", qui est actuellement de 14 090 F par mois; Un salarié peut espérer une pension maximale de la sécurité sociale de 50% du plafond de la SS (soit 7045F par mois actuellement). En réalité le montant varie selon 3 paramètres : l'âge de départ en retraite, la durée des cotisations et le salaire moyen annuel de référence :
3°) Les régimes complémentaires obligatoires a) Les cadres cotisent à l'AGIRC sur leurs salaires supérieurs au plafond de la SS et jusqu'à 8 fois le plafond (comme ce plafond s'est accru ces dernières années plus que le salaire moyen, cela a réduit les cotisations mais l'AGIRC recevra une compensation à ce titre de l'ARRCO). Les cadres cotisent aussi à l'ARRCO jusqu'au plafond de la SS (14 090 F). b) Les non cadres cotisent à l'ARRCO sur la totalité de leur rémunération jusqu'à 3 fois le plafond de la SS. Les 46 caisses de non-cadres fusionneront le 01-01-1999. c) Points communs : le 01-01-1999 il ne subsistera qu'un seul régime. Qu'il s'agisse de l'ARRCO ou l'AGIRC, la pension est fonction du nombre de points acquis, i.e. des cotisations, la valeur du point étant fixée chaque année. Mais depuis 1996 et jusqu'à 2000 le salaire de référence servant à fixer le prix d'achat du point est augmenté de 3,5% par an en plus de la progression moyenne des salaires pour les cotisations à l'ARRCO et de 4% pour celles à l'AGIRC. En outre les taux minimaux de cotisations obligatoires vont passer de 6% à 16% pour l'ARRCO d'ici 2005 (pour les cotisations supérieures au plafond de la SS) et dès 1999 à 16% pour l'AGIRC. Quelques exemples de montants de retraites prises en 1997 et prévues pour 2007
4°) Les régimes supplémentaires facultatifs Ils sont multiples dont les plans d'épargne d'entreprises ou interentreprises (PEE), seulement présents de fait dans les grandes entreprises. Parmi ces régimes "chapeau", certains sont réservés aux cadres supérieurs et dirigeants. Au total la contribution de ces régimes est faible : 15 milliards de F par an actuellement, très inférieure à celle des assurances-vie individuelles. Les fonctionnaires ont également leurs retraites supplémentaires par capitalisation, largement défiscalisées (Préfon et Cref), même si le nombre des souscripteurs reste très limité. Mais il ne faut pas oublier que les Français disposent de tout un ensemble de placements individuels, mobiliers et immobiliers, préparant indirectement la retraite, et d'abord l'assurance-vie (fortement défiscalisée même si les avantages fiscaux ont été réduits depuis peu) dont l'encours se monte à 3500 milliards de francs et dont le montant des nouveaux contrats a encore été de 500 milliards de francs en 1997.
II - Ressemblances et différences entre régimes par répartition et par capitalisation
1°) Ressemblances et points communs a) Les deux formes de retraites sont toujours des prélèvements opérés sur le revenu national, donc sur le travail des actifs, au moment de leur versement. Comme le dit Béatrice Majnoni d'Intignano, "qu'elle soit financée sous forme de cotisations, d'impôts ou d'épargne, la charge imposée aux actifs sera définie par la situation économique réelle". Parce que, ajoute Ph.Frémeaux, "on ne peut transmettre la richesse à travers le temps". C'est pourquoi, parlant du régime par répartition, le président de l'Observatoire des retraites lui-même se trompe quand il affirme que "l'espérance de vie, qui progresse de trois mois par an, et le non renouvellement des générations modifient l'équilibre de ce système qui consiste à faire payer les retraites par les actifs". En réalité ce seront forcément toujours les actifs de demain qui paieront les retraites de demain, que ce paiement se fasse par cotisations sociales ou par restrictions de leurs rémunérations, amputées de la part croissante des profits distribués sous forme d'intérêts ou de dividendes! Alors que les retraites par répartition constituent un transfert généralisé entre générations cohabitant à chaque instant, celles par capitalisation opèrent un transfert limité à une minorité mais prélevé à la fois sur les revenus des actifs du moment (qui doivent payer les dividendes au taux supérieur attendu de ces placements) et sur la consommation des générations antérieures (qui ont consenti des sacrifices fiscaux et ont pu souffrir d'une plus faible croissance insuffisamment tirée par la consommation). b) Les fonds de pension sont soit à prestations définies, soit à contributions définies (la pension qui en résultera dépendant de la rentabilité effective mais imprévisible des placements), ces derniers, qui datent d'il y a 10 ans aux EU, y ayant connu le plus fort développement, notamment dans le contexte de hausse de la Bourse aux EU des années 90. Mais les régimes par répartition de l'AGIRC et l'ARRCO sont eux aussi à contributions définies puisqu'elles ne peuvent répartir plus que ce qu'elles ont reçu comme cotisations c) Les deux types de retraite se complètent généralement en ce sens que, dans la plupart des pays y compris aux EU et au RU, les retraites par capitalisation constituent un complément à (voire la principale source) des retraites de base par répartition. d) La croissance des retraites par capitalisation impliquent alors de faire payer deux fois la génération actuelle, pour financer les retraites par répartition et celles par capitalisation, d'autant que celles-ci s'accompagnent généralement de déductions fiscales (qui diminuent les ressources actuelles) alors qu'elles ne profiteront à terme qu'à une partie (généralement minoritaire) de la population. Ces déductions fiscales sont accordées en partie par la contrainte de ne pas retirer les fonds épargnés avant un minimum d'années (8 ans pour l'assurance sur la vie en France). e) Le rendement d'un système de retraite : il s'obtient, selon O.Davanne, "en comparant, c'est-à-dire en actualisant, la retraite perçue et les prélèvements effectués sur les salaires pendant la période d'activité. Que ces prélèvements soient des cotisations sociales dans le cadre de la répartition ou de l'épargne pour de la capitalisation est sans importance : il s'agit simplement de mettre en rapport ce qui a été soustrait de la consommation pendant la période d'activité à ce qui a été obtenu en retour une fois la retraite prise". Cette assertion péremptoire est contestable, en particulier le mécanisme d'actualisation et on y reviendra. Une assertion moins contestable est qu'effectivement "on peut montrer que, à long terme, quand le système a trouvé son équilibre et que les taux de cotisation sont stabilisés, le rendement de la retraite par répartition est égal au taux de croissance de l'économie" puisque "en échange du paiement de leurs cotisations sociales actuelles, les cotisants d'aujourd'hui acquièrent le droit de se partager dans vingt ou trente ans les cotisations payées par les actifs d'alors. Or, en régime permanent, cette masse de cotisations croît comme l'économie dans son ensemble". Pour P.-A. Muet, "dans un régime de répartition pure, les efforts de financement nécessaires doivent être réalisés au fur et à mesure de la déformation de la structure démographique. Dans un système qui autorise en revanche l'accumulation d'une épargne, le choc peut être atténué dans le futur, mais au prix d'un effort accru dans les prochaines années". Cette assertion est elle-même contestable et on y reviendra.
2°) Différences a) Il convient de bien identifier la réalité profonde de la créance de retraite. Alors que, dans les retraites par répartition, le droit de prélever une partie du revenu national résulte d'un contrat collectif inter-générationnel implicite (selon lequel les actifs occupés de demain prendront en charge les besoins des actifs occupés d'aujourd'hui alors en retraite, indépendamment du montant des cotisations versées aujourd'hui pour payer la retraite actuelle de leurs aînés), et ce contrat leur ouvre droit implicitement à un niveau de vie voisin de celui des actifs : ce sont des régimes à cotisations définies et non à prestations définies. Dans les retraites par capitalisation, la créance de retraite résulte au contraire de droits de propriété individuels objectivement constitués. C'est cette transmutation du droit de créance dans les régimes par répartition que les régimes par capitalisation entendent éviter, sans y parvenir réellement puisque ce sont les régimes à cotisations définies qui se généralisent et qui n'offrent donc aucune garantie de niveau de prestations à long terme. En réalité, la pression en faveur des régimes par capitalisation résulte de la perte du sens de solidarité, qui a été il est vrai échaudé par la modification déjà intervenue en 1993 dans le changement des règles des retraites par répartition pour les salariés du secteur privé. b) Les régimes par capitalisation sont en partie financés par l'étranger, dans la mesure où les fonds sont souvent en partie placés à l'étranger (si la rentabilité espérée est supérieure) tandis que les premières sont plus souvent financées sur les seuls revenus nationaux. Ces placements à l'étranger seraient même vertueux pour leurs partisans puisqu'ils aident les pays du Sud ou en transition dont l'épargne nationale est insuffisante pour faire face aux investissements nécessaires. c) Le concept de fonds de pension prête à confusion : - au sens étroit les fonds de pension (pension funds) proprement dits -publics ou privés- gèrent des fonds perçus au niveau des entreprises (voire des administrations publiques aux Etats-Unis) à partir de cotisations patronales et salariales et la durée moyenne des engagements est de 20 à 25 ans dans la plupart des pays. Elles constituent alors un des volets de la politique de gestion du personnel; - au sens le plus large il s'agit des organismes de gestion de fonds pour compte de tiers, tels que les OPCVM (SICAV) en France et les mutual funds aux Etats-Unis, voire les compagnies d'assurance (sur la vie), les uns et les autres faisant partie de la catégorie plus large des investisseurs institutionnels ("zinzins"). Selon la COB en mai 1998 les actifs gérés par l'ensemble des fonds anglo-saxons était d'environ 10 000 milliards de $, leurs placements étant à 43% en actions, 33% en obligations et le solde en actifs monétaires ou immobiliers. Le plus gros des GCT est Fidelity, qui gère 600 M'$. Les fonds de pension proprement dits des EU gèrent 4 258 milliards de $ (investis à 52% en actions), contre 879 milliards de $ pour ceux du Royaume-Uni (à 94% en actions) et 327 milliards de $ pour ceux des Pays-Bas (à 30% en actions). En France la répartition des placements des OPCVM va à 25% aux actions (22,9% aux obligations et le reste essentiellement à l'assurance-vie). Les fonds gérés par ces OPCVM étant en 1996 des 2500 milliards de F, ce qui place la France en 2è position après les EU. - il existe déjà en France 6 systèmes différents d'épargne salariale, dont la durée de l'engagement du salarié (à ne pas retirer l'épargne constituée à son nom) ne dépasse pas 5 ans. 3 de ces systèmes sont utilisables pour la retraite (dont les plans d'épargne d'entreprise, les PEE, qui sont des fonds communs de placement d'entreprises) en ce sens que la durée réelle d'immobilisation des fonds est bien plus longue puisque les salariés acceptent le plus souvent de ne pas retirer leur épargne après 5 ans.
III - les arguments des partisans de la capitalisation
Ces arguments sont de deux types : les risques d'insolvabilité croissante de la répartition et les avantages spécifiques de la capitalisation, qui favoriserait davantage la croissance et l'emploi.
1°) Les risques d'insolvabilité des régimes par répartition a) Les projections démographiques Depuis les années 80 et 90 la population active augmente en moyenne en France de 170 000 personnes par an, à un rythme qui se ralentit légèrement (165 000 de 1995 à 2000) mais qui s'accentuera de 2000 à 2005 (124 000). A partir de 2005, l'arrivée à 60 ans des générations nombreuses du baby-boom nées après la guerre 1939-45 renversera la tendance. Modérée jusqu'en 2015, la baisse de la population active s'accélérera ensuite et, à partir de 2020, la population française des plus de 60 ans deviendra supérieure à celle des moins de 20 ans. Le ratio des personnes âgées de 60 ans et plus sur celles de 20 à 59 ans passerait de 37% à 70 % d'ici 2040 si la fécondité moyenne reste au niveau de 1,8 enfant par femme, ce qui nécessiterait une très forte augmentation des taux de cotisation nécessaires pour équilibrer les régimes de retraite, si les paramètres des droits à la retraite restent inchangés (âge, durée d'activité, avantages accessoires).
EVOLUTION ANNUELLE DE LA POPULATION ACTIVE (en milliers)
Source : Brondel, Guillemot, Lincot et Marioni, 1996
STRUCTURE PAR AGE DE LA POPULATION FRANCAISE (en %)
Source : DINH (1995), Scénario central
Ce choc démographique va se manifester à partir de 2005, lorsque les premières générations du baby-boom d'après-guerre atteindront 60 ans. Par contre jusqu'en 2005 ce sont les classes d'âge creuses, nées durant la guerre 1939-45, qui partiront en retraite. b) Le coût insupportable de la répartition entre 2005 et 2040 A durée de vie active inchangée, avec légère amélioration de l'espérance de vie et maintien des taux actuels d'immigration (50 000 personnes par an), le rapport des cotisants aux retraités passerait d'un peu plus de 2 aujourd'hui à 1,2 ou 1,3 en 2040. Cela ferait courir des risques macroéconomiques et pousserait les cotisants à émigrer vers les pays moins exigeants Le déficit du régime général passerait à 56 M'F (F de 1993) en 2010 et de 107 M'F en 2015 (où il dépasserait de 25% les ressources du régime). Dans le secteur public, les pensions à la charge de l'Etat seraient multipliées en F constants par 2,1 entre 1995 et 2015 et celles des collectivités locales par 3,2. Pour équilibrer le seul régime général, le taux de cotisation devrait être accru de 0,4 point par an à partir de 2006 et, pour l'ensemble des régimes (avant la réforme de 1996 de l'AGIRC-ARRCO), le taux de contribution sur la rémunération brute des actifs devrait passer de 20% en 2000 à 40% en 2040, ce qui serait socio-politiquement insupportable. O.Davanne et T.Pujol estiment que "les actifs actuels s'exposent à un risque non négligeable en tenant pour acquise la solidarité des générations futures et en laissant en l'état le système de retraite". O.Davanne ajoute que "dans une économie très ouverte, on pourrait assister au refus de payer des jeunes générations qui pourraient préférer partir vers des pays offrant un système de retraite plus efficace...s'ils permettent d'obtenir le même niveau de pension avec des prélèvements plus modérés pendant la période d'activité. Ce risque serait particulièrement marqué pour les travailleurs les plus qualifiés"5. T. Philippon et N.Tatu renchérissent : "notre pays va vivre un terrible conflit de générations. Il opposera les enfants, salariés, assommés de prélèvements sociaux et leurs parents et grands-parents, en quête d'une retraite décente. Ce drame est inéluctable. Les salariés de demain devraient à terme consacrer la moitié de leur revenu net à pâyer la retraite de leurs parents. Et cela, jamais, ils ne l'accepteront". Pour la Banque Mondiale, les retraites par répartition sont très injustes vis-à-vis des générations d'actifs peu nombreuses qui doivent supporter le financement d'importantes générations de retraités. F.Charpentier acquiesce : "non seulement il faudra payer plus longtemps une retraite, mais il faudra surtout la payer à un bien plus grand nombre de bénéficiaires. Enfin son montant sera plus élevé"7. Puisque les régimes par répartition vont faire face à de graves difficultés de financement et que, faute d'acceptation politique présumée, on ne pourra sauver tout le monde solidairement, les tenants de la capitalisation préconisent qu'au moins ceux qui le pourront (les plus riches) se sauvent par eux-mêmes. On sait que, aux Etats-Unis, où la retraite de base par répartition correspond au mieux à 34% du dernier salaire, 46% seulement des salariés sont couverts par des fonds de pension constitués par les employeurs publics et privés (mais 27% seulement dans les entreprises de moins de 100 salariés).
2°) Les regimes par capitalisation favorisent la croissance et l'emploi Les partisans de la capitalisation avancent à cet égard trois types d'arguments :
a) Une certaine inégalité de revenus est non seulement inévitable mais encore souhaitable pour promouvoir la croissance Car elle favorise une épargne supérieure, donc un taux supérieur d'investissement. On rejoint le "théorème de Schmidt" : "l'épargne d'aujourd'hui fait l'investissement de demain et les emplois d'après-demain". b) Le versement des retraites futures doit être provisionné par des investissements spécifiques d'aujourd'hui qui en garantiront le paiement Selon O.Davanne et T.Pujol, "dans un régime en capitalisation, actifs et retraités possèdent un patrimoine pour assurer leurs besoins futurs. En répartition, ce "patrimoine" est composé de droits sur les régimes de retraite et ces droits n'ont pas pour contrepartie du capital investi dans l'économie... Les premières générations se sont...vues accorder des droits pour lesquels elles n'avaient pas cotisé...les générations futures héritent...sans réelle contrepartie de la dette de retraite accordée aux générations actuelles. Les administrations jouent bien un rôle d'intermédiaire entre les générations mais avec un biais peu discutable en faveur des générations présentes (qui sont celles qui votent aux élections...). C'est cette composante redistributive qui pose aujourd'hui problème, notamment parce que rien ne garantit que les générations futures accepteront d'honorer les droits qui auront été accordés en leur nom"9. Par contre, en complétant les régimes actuels de répartition par la capitalisation "les générations futures hériteront ainsi, en contrepartie de la dette implicite laissée par leurs parents, d'un patrimoine important. Ce patrimoine, productif de revenus, allégera le poids des cotisations de retraite payées par les actifs"9. Cette analyse est endossée par S.Gherardi pour qui "on peut reprocher au système de la répartition, quand la proportion de retraités augmente, de peser sur la consommation des actifs et donc sur la croissance". c) Les régimes par capitalisation autorisent une gestion privée des placements bien plus performante en termes de rendement Pour la Commission européenne, "la libre circulation des capitaux garantie par l'article 73 B du traité permet aux fonds de pension de tous les Etats membres de diversifier leurs actifs, tant sur le plan intérieur qu'international. Ceci devrait permettre d'augmenter les rendements, réduire les risques dus aux cycles économiques nationaux et réduire l'impact négatif sur la valeur des actifs en période de désinvestissement, lorsque les générations plus âgées réaliseront tout ou partie de leur patrimoine". De même, la Banque Mondiale pousse au développement dans le tiers monde des retraites par capitalisation gérées par le secteur privé en profitant "de la diversification internationale des placements, réduisant ainsi le risque propre au pays et accélérant la croissance économique". En effet "d'après une étude de la Banque mondiale, la plupart des réserves gérées par le secteur public ont eu un rendement plus faible que ceux du secteur privé...car...elles devaient investir dans des titres publics"14. Pour O.Davanne et T.Pujol également "la répartition en France est donc un système au rendement médiocre, si on le compare à un portefeuille financier diversifié largement investi en actions"9 : en effet "aux Etats-Unis, depuis un siècle, le rendement réel moyen des actions ressort à 6,5% par an, contre 3,5% pour des obligations et 1,5% pour des produits monétaires"9, constat vérifié par l'INSEE en France où la rentabilité des actions entre 1950 et 1992 a été de 7,1% contre 3,1% pour les obligations11. Au contraire les rendements des retraites par répartition sont plus faibles car, "dans le long terme... quand... les taux de cotisation sont stabilisés, le rendement de la retraite par répartition est égal au taux de croissance de l'économie"9, soit 2% au mieux pour les décennies à venir. Pour T. Philippon et N.Tatu, "les sommes...versées dans la capitalisation vont se placer n'importe où dans le monde, la où la croissance est la plus forte... La querelle idéologique sur la capitalisation aura donc privé les Français de centaines de milliards de francs"10. C'est ce qui pousse N.Cuzacq à affirmer péremptoirement que "le rendement de la capitalisation sera nettement supérieur à celui de la répartition dans les années à venir".
d) Les retraites par capitalisation permettraient de limiter la dépendance croissante des entreprises nationales des investisseurs étrangers, et notamment des fonds de pension anglo-saxons On revient plus loin sur cette dépendance et l'on verra que, au total, ces divers arguments pour la capitalisation peuvent être réfutés.
IV - les arguments des partisans de la répartition
Six types d'arguments sont avancés : i) les risques d'insolvabilité des régimes par répartition sont très surestimés; ii) les régimes de capitalisation n'apportent aucune garantie de solvabilité future; iii) ils traduisent une baisse de la solidarité intertemporelle; iv) ils ralentissent le plus souvent la croissance et l'emploi; v) ils sont une tentative vaine de fuir la priorite a donner à la solidarité spatiale à chaque instant; vi) ils alimentent surtout les effets pervers de la globalisation financière.
1°) Les risques d'insolvabilité des régimes par répartition sont très surestimés a) La critique des risques de déséquilibre démographique L'un des principaux arguments avancés repose sur la charge insupportable que les seuls systèmes de retraite par répartition feraient peser sur les actifs employés. En effet, au niveau de l'UE, entre 1995 et 2020, la proportion des personnes âgées de 65 ans et plus devrait passer d'un peu plus de 15% à 20% environ de la population totale, le nombre de personnes d'âge actif par personne âgée passant de 4,4 à 3,2 et le ratio de dépendance vieillesse (accroissement de la charge économique qui pèsera sur les actifs) augmentant de 35%. Ceci s'explique en partie par l'allongement de la durée de vie (l'espérance de vie augmente d'un an tous les 4 ans), indépendamment de la baisse de la natalité et de la stagnation de l'emploi. Toutefois, ce qu'oublient de prendre en compte les détracteurs des retraites par répartition c'est que, parallèlement au vieillissement, la tranche d'âge des moins de 15 ans pèsera aussi beaucoup moins dans la population totale et le ratio de dépendance démographique totale pesant sur les actifs (moins de 15 ans + plus de 65 ans sur ceux de 15 à 65 ans) n'augmentera que de 9%, d'autant que "il apparaît...difficile de soutenir l'hypothèse selon laquelle le coût relatif des personnes âgées serait fortement supérieur à celui d'un jeune"17. Il faut d'ailleurs rappeler ici que, en France du moins, les personnes âgées de 74 à 90 ans (donc retraitées) ont un revenu par tête et un taux d'épargne de 25% supérieur à la moyenne et, comme ils investissent peu en logement, ils réalisent les deux cinquièmes des placements financiers des ménages, les plus de 75 ans étant encore plus performants. Plus largement l'ensemble des retraités disposent en 1996 d'un niveau de vie moyen un peu supérieur à celui des actifs. Si l'on tient compte en outre des hypothèses relatives aux variations des taux d'activité et de chômage, "la charge économique qui pèsera sur les actifs occupés en raison des changements de structure démographique et des évolutions de l'emploi ne devraient guère s'accentuer entre 1995 et 2020... La conclusion qui en ressort est que ni la démographie, ni l'économie ne permettent de valider le diagnostic d'une réforme nécessaire du régime de retraite. Du moins si l'on accepte comme légitime l'objectif du maintien d'une parité moyenne des niveaux de vie entre actifs et retraités"17. Même si "la difficulté provient du fait qua la part des transferts passant par le système de prélèvements est plus importante entre les actifs et les personnes âgées qu'entre les actifs et les jeunes". Soulignons enfin que, si les sociétés occidentales sont vieillissantes, à l'échelle de la planète, la population mondiale est très jeune et le restera encore longtemps, même si elle vieillit aussi lentement. Si la mondialisation doit se poursuivre, il faudra bien, si l'on veut éviter les effets pervers accrus d'une globalisation purement commerciale et financière, qu'on en arrive à un minimum d'intégration politique et de solidarité planétaires, ce qui se fera vraisemblablement entre une dizaine d'espaces géopolitiques régionaux de type fédéral, et ce qui se traduira par des règles plus équitables des relations économiques internationales, y compris en organisant des transferts sociaux entre les générations.
b) Les risques de déséquilibre des régimes par répartition pourront être éliminés de plusieurs façons - Par une hausse des ressources : i) soit hausse des taux de cotisation : 0,5 point supplémentaire pendant 10 ans suffirait; ii) soit affectation de ressources fiscales, comme le propose l'ancien Commissaire au Plan H.Guiano, à l'instar du Danemark20. - Par une croissance plus forte : une hausse d'1 point du taux de croissance réduit de 20% le taux de cotisation d'équilibre du système par répartition. - Par les gains de productivité : une hausse de 0,5% par an suffirait à combler le déficit d'actifs si ce gain était affecté aux retraites et non au revenu des actifs. En réalité, puisqu'il est certain que la croissance de la productivité du travail se poursuivra, la réduction du temps de travail continuera et le partage du temps de travail s'imposera à large échelle même si le chômage devrait diminuer par suite de la baisse des actifs après 2005. Ce qui veut dire que la société (européenne et occidentale en général) de 2040 devra financer non seulement un pourcentage bien supérieur d'inactifs âgés (ainsi qu'une augmentation de 40% environ du poids de l'assurance-maladie du fait du vieillissement) mais aussi que toutes les tranches d'âge, y compris de 20 à 59 ans, travailleront moins et que le temps de travail total devra donc financer aussi en partie le temps de non travail des tranches âges actives elles-mêmes. - Par l'augmentation du taux d'activité : aujourd'hui "le nombre de personnes en âge de travailler est trois fois plus élevées que celui des personnes âgées (35,3 millions de 15-60 ans pour 12 millions de plus de 60 ans)"3 alors que le nombre des actifs ne leur est que deux fois supérieur. - Par la réduction du chômage : une croissance de l'emploi de 0,2% par an suffirait. - Par le recul de l'âge de la retraite : ce serait supportable voir désirable pour les secteurs non pénibles du fait de la hausse de l'espérance de vie, si cela est compatible avec la réduction du temps de travail pour l'ensemble des actifs. L'effort à faire en France sera plus important qu'ailleurs puisque le taux d'activité y est plus faible qu'ailleurs et puisque certains pays ont déjà reculé à 67 ans le départ en retraite (Danemark, Etats-Unis), quitte à instaurer des retraites à temps partiel. Pourtant, selon O.Davanne, "reculer de cinq ans l'âge de la retraite permet de gagner vingt ans d'équilibre des comptes"5. - Par plus de solidarité entre les régimes de retraite par répartition : notamment entre les régimes du secteur public et du secteur privé. - Par l'immigration. Les progrès continuels des communications (physiques et immatérielles) entraîneront un rétrécissement continu de l'espace planétaire et les sociétés deviendront multiculturelles. Il en résultera que le problème de l'immigration ne suscitera plus les appréhensions actuelles, ce qui contribuera largement à résorber le problème de l'insuffisance des cotisants actifs par rapport aux retraités. Brondel a ainsi calculé que la population active pourrait se stabiliser à son niveau de 2005 en portant le solde migratoire annuel à 100 000 au début des années 2010 puis progressivement jusqu'à 300 000 en 2025. Rappelons que ce solde migratoire était de 200 000 par an à la fin des "trente glorieuses" et que l'économie française s'en portait bien.
2°) Les régimes de capitalisation n'apportent aucune garantie de solvabilité future Comme le souligne le Commissaire au Plan Jean-Michel Charpin, "c'est dans l'économie réelle que se situe la véritable difficulté. La finance sait transférer dans le temps des créances nominales...Mais la finance ne sait pas transférer dans le temps des créances réelles. Elle est incapable d'annoncer à l'avance la valeur réelle future des créances qu'elle transfère. Celle-ci dépend de l'évolution de l'économie réelle. Historiquement, un problème récurrent a été la ruine des détenteurs de portefeuilles à revenu fixe, des "rentiers" par l'inflation. Plusieurs ingrédients d'une telle configuration seront réunis dans vingt ans : de probables pénuries de main-d'uvre, de nombreux consommateurs inactifs, habitués à un niveau de vie élevé, que de multiples dispositifs plus ou moins astucieux auront doté de montants importants de créances nominales". Confirmant le point de vue précédent, A.Dantec et F.Pelgrin constatent que "la lourdeur de gestion d'un système de capitalisation tel qu'il fut mis en place pour la retraite au début du siècle...est également une des causes de l'échec de ces systèmes-maison... C'est bien l'échec d'une technique de capitalisation qui est à mettre en avant, bien avant que ne se posent les problèmes monétaires liés à l'inflation. Tirant les leçons de ces échecs, les systèmes de retraite par répartition mis en place à la Libération furent financés par répartition. De plus, seule cette technique pouvait permettre de résoudre le réel problème de la pauvreté dans des délais raisonnables". Et l'analyse comparée des régimes de retraite existant dans l'UE les amène à conclure que "les raisons avancées par la Commission pour qu'une directive instaurant des régimes de capitalisation s'impose à tous les Etats membres ne sont pas convaincantes".
3°) Les régimes de capitalisation traduisent une baisse de la solidarité intertemporelle a) Tout le monde ne peut accéder à la capitalisation Les retraites par capitalisation, même lorsqu'elles ne sont que complémentaires des retraites de base par répartition, traduisent une baisse de la solidarité puisqu'une grande partie de la population a des revenus trop faibles pour pouvoir s'en constituer si bien que "les inégalités de revenus d'activité engendreront des inégalités encore plus fortes entre pensions de retraites". D'autant que les retraites de base sont déjà source d'inégalités puisque, du fait de la longévité supérieure des professions les mieux rémunérées, en France "pour 10 000 francs cotisés au cours de sa vie active, le cadre supérieur percevra 14 000 francs et l'ouvrier non qualifié 9 500 francs"26. Plus généralement, l'espérance de vie à l'âge de la retraite est de 18 ans pour les manoeuvres et de 22 ans pour les cadres, ainsi que de 19 ans pour les hommes et 24 ans pour les femmes2. Pour P.Pestieau, "du point de vue de l'équité, les deux grandes caractéristiques des régimes complémentaires sont le nombre limité des ayants droit et le mode de financement basé sur la capitalisation. Par comparaison avec les régimes de base...les régimes complémentaires introduisent une discrimination patente entre ceux qui sont couverts, obligatoirement ou non, et ceux qui ne le sont pas". Le taux de pauvreté des ménages américains s'élevait en 1993 de 10,7% chez les 65-74 ans à 15,3% chez les 75-84 ans et 19,8% chez les 85 ans et plus. De même, les quelques 350 milliards de livres des fonds de pension d'entreprise britanniques ne concernent que 48% des actifs (pour des retraites complémentaires de 30% du dernier salaire) alors que le régime de base obligatoire ne correspond qu'à 16% du dernier salaire27. Et, depuis que l'adhésion aux fonds de pension d'entreprise a été rendu volontaire en 1988, 19% des nouveaux salariés ne s'y étaient pas encore inscrits en 1993, ce qui s'est traduit par une baisse de l'épargne globale en vue de la retraite qu'avant 1988. En Allemagne, alors que 83,3% de salariés bénéficient d'une retraite complémentaire d'entreprise dans les entreprises de plus de 10 000 salariés, ils ne sont que 12,4% à en bénéficier dans celles de moins de 10 salariés (toutefois le régime de base par répartition assure 70% du dernier salaire)27.
b) A cause des privilèges fiscaux consentis à la capitalisation Les avantages fiscaux consentis aux retraites par capitalisation sont très considérables (mais variables selon les pays ) : exonérations ou réductions fiscales sur les cotisations patronales et salariées, sur les primes d'assurances contre les risques de placement des fonds, sur le revenu des fonds placés, sur les prestations de retraite complémentaire enfin. Une objection importante faite aux projets actuels de fonds de pension (comme à la loi Thomas avortée) est que ces fonds, alimentés par des versements sans charges sociales, n'induisent les entreprises à en faire un mode de rémunération permettant de réduire les salaires, ce qui réduirait les ressources du régime de base par répartition. Tout en admettant cette conséquence, N.Cuzacq estime que "sans incitations financières, les fonds d'épargne-retraite risquent de ne jamais véritablement éclore, comme le montre l'exemple italien"16. Il faudrait y ajouter les avantages fiscaux consentis à toutes les formes d'épargne individuelle (assurances sur la vie, SICAV...) qui, indirectement au moins, visent la retraite. Tous ces cadeaux fiscaux faits aux catégories sociales aisées (généralement moins de 50% des salariés des pays de l'UE) sont à comparer avec l'incapacité des Etats membres de l'UE à augmenter les minima sociaux consentis aux exclus (le cas de la France en janvier 1998 en étant une illustration). Ces cadeaux faits aux futurs retraités aisés mérite débat puisque le revenu moyen des retraités français est déjà supérieur de 5% à celui des actifs, alors même que, logiquement, leurs besoins (autres que ceux de santé normalement remboursés par la sécurité sociale) sont inférieurs à ceux des actifs. Pour P.Pestiau, "il existe une double source de régressivité dans ces avantages fiscaux consentis aux régimes complémentaires. D'une part, ce sont les ayants droit aux revenus les plus élevés qui bénéficient le plus des exonérations fiscales du fait de la progressivité de l'impôt. D'autre part, l'ensemble des ayants droit bénéficient d'un transfert de ressources du reste de la population"27. Le Bureau international du travail (BIT) en a pris acte en 1995.
c) Les régimes par répartition mettent en uvre de multiples formes de solidarité (entre les secteurs d'activité, les entreprises, les régions, les actifs occupés et les chômeurs...) grâce à des mécanismes de mutualisation et péréquation, qui disparaîtraient avec les régimes par capitalisation.
d) Les placements supérieurs des régimes par capitalisation à l'étranger ne sont pas guidés par le souci de leur apporter des capitaux pour leur développement et ces apports ne nécessitent pas des fonds de pension J.-C. Boulard estime que "seuls les fonds de pension permettent de prélever sur la croissance externe. Un pays développé et démographique vieillissant comme la France doit impérativement élargir l'assiette du financement de ses retraites. Telle est la raison du caractère incontournable des fonds de pension. En participant...au financement de la croissance...de la Chine, les fonds de pension prélèveront sur la production intérieure brute chinoise. Cette idée n'a rien de néo-impérialiste". Cela est fort discutable, compte tenu des rendements très élevés généralement exigés par les gestionnaires privés de ce type de fonds dans les pays "à risque", rendements qui n'ont rien à voir avec une volonté de développement durable solidaire et ce d'autant que ces fonds ne s'interrogent nullement sur l'impact social de leurs placements. Par contre, point n'est besoin de fonds de pension pour faire des prêts solidaires à ces pays en fonction précisément de critères d'intérêt général. Il y a pour cela d'une part les organismes publics nationaux et internationaux de l'aide publique au développement et d'autre part les ONG de solidarité internationale. Si l'on estime que leurs prêts ne sont pas suffisants, alors les responsables politiques et associatifs doivent les accroître. Et, si l'on ne s'interroge pas sur la finalité sociale des placements, il n'y a que l'embarras du choix entre les investissements directs étrangers et les prêts bancaires internationaux qui ne demandent qu'à opérer dans ces pays chaque fois que la rentabilité est assurée, quitte à se garantir par les systèmes publics d'assurance-crédit à l'exportation (du type COFACE), qui est d'ailleurs souvent trop laxiste.
e) Les gros risques de la capitalisation poussent d'ailleurs ses partisans à réclamer un minimum de retraites par répartition et/ou un minimum vieillesse Pour le Commissariat général au plan, "la capitalisation, pas plus que la répartition, n'apporte de garantie absolue face aux évolutions démographiques et économiques...A l'inverse de l'opinion parfois émise, la répartition offre aux retraités des garanties plus importantes que la capitalisation : le pari que cette dernière technique fait sur le rendement des actifs financiers reste soumis à des aléas que la collectivité nationale ne maîtrise pas". Ce que A.Euzéby, qui établit la longue liste de ces aléas, confirme : "il est dès lors impossible d'avoir la moindre certitude quant au rendement, ni même quant à la préservation de la valeur, des capitaux accumulés"11. Conscients des risques de la capitalisation pure, où "les retraités deviendraient alors très exposés aux crises financières" qui "peuvent conduire, pour les épargnants, à des pertes de capital considérables"9, les partisans de la capitalisation estiment qu'un minimum de mutualisation des risques par l'Etat reste indispensable. Ainsi O.Davanne et T.Pujol estiment que "l'enjeu des prochaines années est donc de concevoir un système de retraite qui conserve une forte capacité assurantielle, contrairement à la capitalisation pure, tout en réduisant les transferts entre les générations"9. Suite au scandale de l'affaire Maxwell en 1991 où des courtiers d'assurances avaient abusé un million de souscripteurs de fonds de pension de 1986 à 1994, le projet des tories britanniques pour les élections de 1997 prévoyait que "en cas de crise financière grave, l'Etat compléterait si nécessaire la retraite versée par les fonds de pension"9. Selon le bon vieux principe de privatisation des bénéfices et de collectivisation des pertes.
4°) le plus souvent les régimes par capitalisation ralentissent la croissance et l'emploi a) Depuis les années 90 et dans la conjoncture actuelle la capitalisation contrarie la croissance et l'emploi O.Davanne et T.Pujol recommandent de "faire accepter aux générations présentes la nécessité d'un important effort d'épargne"9, afin de diminuer le poids des cotisations retraites qui s'alourdirait de 4,3 points pour les actifs de 2015. Mais cette stratégie consistant à accroître fortement l'épargne individuelle actuellement (tout en réduisant les recettes budgétaires puisqu'elle est défiscalisée) ne fait que ralentir la croissance et accentuer le chômage puisque la principale raison, incontestée, des faibles investissements des entreprises n'est pas l'insuffisance d'épargne (elles dégagent une capacité de financement de plus de 100 milliards de F par an depuis 1993, soit de 15 à 20% de leur excédent brut d'exploitation) mais l'insuffisance de la consommation. Il existe en effet actuellement un excès d'épargne longue dans l'UE. Pour la France en particulier, P.Artus remarque que l'"on est passé progressivement à un excès d'épargne longue par rapport aux besoins nationaux", l'excédent supplémentaire pour 1996 ayant été de l'ordre de 300 milliards de F, cet excédent durable tendant en conséquence à se placer de plus en plus à l'étranger et même hors UE puisque celle-ci est elle-même globalement excédentaire. Les systèmes d'épargne retraite mis en place dans les entreprises (qui ne concernent encore en France qu'une minorité des salariés des grandes entreprises, où l'abondement des employeurs est exonérée de charges sociales et fiscales) se sont substitués largement à des augmentations de salaires qui auraient favorisé davantage la consommation, alors que ces avantages fiscaux contribuent en outre à creuser le déficit public. Il apparaît en effet que "l'épargne salariale est avant tout un instrument de la politique de rémunération des salariés dans un cadre fiscal favorable". Le même constat peut-être fait pour l'assurance sur la vie, même si elle concerne moins les salariés en tant que tels. Michel Piermay, actuaire conseil, confirme que "les capitaux dirigés vers la Bourse ne sont pas utilisés par les entreprises : celles-ci préfèrent souvent racheter leurs propres actions ou celles de leurs filiales que d'émettre de nouvelles actions pour financer leurs investissements". Ce rachat de leurs actions leur permettant précisément de réduire les ponctions opérées sur les fonds propres par les fonds de pension (et autres investisseurs institutionnels), majoritairement anglo-saxons, du fait de leurs exigences de rentabilité excessives (on y reviendra). La crise asiatique et russe et le reflux des capitaux des pays émergents (qui en recevaient 250 milliards $ par an dans les dernières années) a continué alimenter l'excès d'épargne dans les pays occidentaux (d'autant que les Etats-Unis ont un excédent budgétaire en 1998), ce qui a contribué à abaisser les taux d'intérêt à long terme à des niveaux sans précédent. Et, malgré que le krach boursier et monétaire des pays émergents ait annulé entre juillet et septembre 1998 les énormes plus-values potentielles sur les actions enregistrées dans les bourses occidentales depuis janvier 1998, la récupération de ces pertes est en bonne voie depuis octobre 1998, faute d'alternatives de placements plus profitables. L'argument de la Banque mondiale selon lequel les régimes par répartition sont très injustes vis-à-vis des générations d'actifs peu nombreuses peut être retourné : ce sont les régimes par capitalisation qui sont injustes avec les générations actuelles puisque, en ayant réduit les revenus distribués et la consommation comme les dépenses publiques (du fait des dégrèvements fiscaux) dans la génération précédente, les revenus actuels sont inférieurs à ce qu'ils auraient été avec un système de répartition et une solidarité supérieure.
b) L'expérience montre qu'une meilleure répartition des revenus est plus favorable à la croissance et à l'emploi La fameuse "courbe de Laffer" n'a jamais été vérifiée et une abondante littérature montre plutôt que la croissance est d'autant plus élevée que les inégalités sociales sont moindres. Ainsi Persson et Tabellini, analysant la relation entre croissance et inégalités dans 8 pays européens et aux Etats-Unis de 1830 à 1985, concluent que "le résultat le plus frappant est l'effet de l'inégalité sur la croissance... un accroissement de 0,07 (une standard déviation dans l'échantillon) dans la part de revenu des 20 pour cent les plus riches réduit le taux de croissance moyen annuel juste au dessous d'un demi point". Le rapport de 1991 de la Banque mondiale confirme lui-même que "on serait plutôt tenté de croire que l'inégalité des revenus va de pair avec un ralentissement de la croissance". Et Fitoussi estime que, pour la France, "on peut interpréter la montée du chômage comme résultant davantage d'un affaiblissement de la cohésion sociale que d'une perte de compétitivité qui serait la conséquence inéluctable d'un système trop généreux de protection sociale". Sans préconiser la confiscation de l'épargne individuelle, du moins ne doit-on pas lui accorder des privilèges fiscaux mais tout faire au contraire pour conforter le système des retraites par répartition, c'est-à-dire plus de solidarité.
c) Il est erroné de penser que des investissements privés spécifiques d'aujourd'hui peuvent garantir le paiement des retraites futures Pour F.Bazile, les fonds de pension "enclencheraient un cercle vertueux puisqu'ils favoriseraient l'investissement, donc les emplois, donc les cotisations sociales, donc les retraites par répartition"4. i) En premier lieu, et on rejoint le point a) ci-dessus, soulignons l'erreur courante consistant à considérer qu'a priori tout investissement est forcément préférable à la consommation pour garantir une croissance future supérieure. Il a été montré depuis longtemps que, dans les pays où les inégalités sociales sont fortes (ce qui est le cas de l'UE où elles se sont accrues depuis les années 80), un accroissement de la consommation des catégories défavorisées constitue le meilleur type d'investissement car, en élevant la productivité de leur travail et la cohésion sociale, cet accroissement de consommation permet un accroissement de production et de revenu national bien supérieurs à ceux qui résulteraient d'investissements ciblés vers les seuls besoins de la minorité privilégiée, a fortiori lorsqu'il s'agit en fait de placements financiers spéculatifs à l'étranger. En clair, le relèvement des minima sociaux serait la meilleure façon de garantir les retraites futures. ii) La distribution aujourd'hui de retraites à des personnes n'ayant pas eu à épargner formellement individuellement pour les recevoir ne préjuge pas de la nécessité où a été la société dans son ensemble d'investir collectivement pour permettre une croissance autorisant précisément qu'aujourd'hui cette croissance (supérieure) a rendu supportable le prélèvement effectué sur les revenus des actifs. On est ici en pleine illusion individualiste et au cur de la contradiction des partisans de la capitalisation. iii) En régime de croisière, la capitalisation n'apporte aucun financement à l'économie On l'a dit, "en capitalisation comme en répartition, les richesses consommées par les retraités en 2010 seront bien prélevées sur les richesses produites en 2010!". "D'aucuns pensent...que ces régimes ne créent pas d'épargne nouvelle, mais provoquent des glissements d'une forme d'épargne à une autre"27, ce que confirme la Commission européenne : "les économistes ne cessent de discuter pour savoir si l'expansion des régimes de retraite par capitalisation augmente le taux d'épargne nationale ou non. Aucun consensus ne s'est dégagé". iv) La capitalisation risque par contre de freiner la croissance à long terme, en créant une désépargne et un désinvestissement à partir de 2040 M.Séruzier montre que, en régime de croisière, un système de capitalisation n'apporte aucun financement à l'économie puisque, au moment de la retraite, les retraités ne se contenteront pas des revenus de leurs placements antérieurs mais vendront au moins en partie le capital constitué. Et comme la période censée difficile pour les régimes de retraite se terminera aux alentours de 2040, les actifs partant en retraite à partir de cette époque n'auront pas de raison d'épargner autant qu'avant, et il en résultera donc une désépargne nette, avec des moins-values sur les actifs placés. Michel Piermay le confirme : "la capitalisation n'est pas un miracle... les systèmes ...par capitalisation encaissent beaucoup de cotisations, paient peu de prestations, et disposent de beaucoup d'argent à investir, ce qui fait monter le prix des actifs...cause déterminante de la hausse de Wall Street et de l'ensemble des marchés financiers... Mais lorsque les générations nombreuses se retireront et seront remplacées par des générations moins nombreuses, il y aura moins d'investissements nets et sans doute des désinvestissements... ce qui pèsera sur les marchés financiers et donc sur la rentabilité des fonds de pension. Ce mécanisme semble avoir commencé à jouer au Japon"36. Les cadeaux fiscaux faits aujourd'hui aux retraites par capitalisation réduisent d'autant les fonds publics disponibles pour préparer la croissance à long terme, en finançant aujourd'hui des investissements publics à longue maturation (dans la recherche, la formation, certaines infrastructures, l'aide au développement...).
d) Les rendements apparemment plus élevés des placements des régimes de capitalisation résultent d'une illusion d'optique On a vu que deux raisons principales sont avancées pour démontrer la rentabilité supérieure de la gestion professionnelle privée des régimes par capitalisation : le large recours aux placements internationaux afin de tirer parti des meilleurs opportunités de placement spéculatif et la préférence donnée aux actions. i) Rappelons que les fonds collectés par les régimes par capitalisation dans la France de l'entre deux guerres avaient été largement annihilés par les imprévus de la guerre 1939-45 et l'inflation galopante qui lui a succédé, au point "que la capitalisation fait encore figure d'épouvantail aujourd'hui"27. Selon J.Ni, les fonds de pension américains n'ont dégagé entre 1968 et 1983 qu'une rentabilité nette de 0,3%, très inférieure à celle d'un livret de caisse d'épargne22. Outre les plongeons des marchés financiers planétaires depuis la crise asiatique de 1997-98, l'effondrement de la bulle financière japonaise depuis fin 1989 (quand la capitalisation boursière japonaise représentait 45% du total mondial) souligne l'importance des risques liés à l'internationalisation des placements lorsque ceux-ci sont gérés conformément à la théorie moderne de gestion de portefeuille impliquant une diversification des actifs entre pays proportionnelle à leur part de la capitalisation boursière mondiale! L'un des deux prix Nobel de 1996, J.A.Mirrlees, défendait en 1974, avec son collègue I.A.Little de la London School of Economics, une théorie du développement des pays du Sud dans laquelle "parce que des projets d'investissement raisonnables sont difficiles à identifier actuellement, les dépenses courantes gouvernementales sont encouragées alors que, dans une perspective à long terme, elles ont bien moins de valeur que des placements à l'étranger afin d'être en mesure d'investir quand de bons investissements apparaîtront... Il ne sera jamais justifié de descendre le taux d'actualisation de référence au dessous de 4 à 5% dans la mesure où des taux de rentabilité de cet ordre -taux réels, au delà du taux d'inflation- peuvent être obtenus, avec une sécurité raisonnable, sur les marchés financiers internationaux auxquels tous les pays ont accès". Quant aux deux prix Nobel de 1997, Black et Scholes, si leur formule magique pour gagner à tous les coups sur le marché très spéculatif des options a été confirmée par les gains somptueux qu'ils ont réalisés avec leurs co-actionnaires de la Long Term Capital Management géré par John Meriwether en 1996 et 1997, sa crédibilité s'est écroulée en octobre 1998 quand ils ont failli provoquer un effondrement systémique de la planète financière, qui n'a été évité que par la subvention royale de 3,7 milliards de dollars que lui ont versé en quelques jours les principales banques de la planète! iii) Les taux de rentabilité très élevés (de l'ordre de 15% des fonds propres avant impôt mais les "fonds vautour veulent une rémunération sur fonds propres d'au moins 20 à 25% et s'inscrivent avant tout dans une logique spéculative") exigés dans la période récente par la corporate governance des régimes de capitalisation (notamment les mutual funds et pension funds anglo-saxons) sont loin d'être bénéfiques à la collectivité mais ralentissent au contraire la croissance et l'emploi de plusieurs façons : - ils limitent énormément les investissements rentables et donc la croissance et l'emploi, par conséquent aussi la capacité de l'économie à générer des revenus pour les retraités futurs; - en particulier les taux d'actualisation très élevés qui leur sont liés conduisent à éliminer tous les investissements de long terme, généralement les plus bénéfiques pour la collectivité, notamment dans les domaines de la recherche fondamentale, de la formation, de la protection de l'environnement... Il en résulte que les entreprises, qui assumaient une partie de ce type d'investissements, ont de plus en plus tendance à s'en décharger sur la collectivité, laquelle peut de moins en moins les financer dans le contexte de réduction des dépenses publiques; - ils accélèrent la précarisation de l'emploi en poussant les entreprises à se concentrer sur le cur de leur compétence en externalisant tout le reste; - ils poussent un nombre croissant d'entreprises à décapitaliser et à s'endetter en rachetant leurs propres actions afin de réduire le coût des fonds propres, ce qui est une évolution très dangereuse à long terme. On sait que les mutual funds des EU détiennent plus de 50% de la capitalisation boursière de New-York et que les mutual funds étrangers détiennent la majeure partie (32% sur 37%) du capital des sociétés du CAC 40. Cela place la France en tête des pays occidentaux pour la proportion d'actions détenues par les étrangers qui n'est que de 18% au Royaume-Uni, 12% au Japon et en Allemagne et 9% aux EU25. On sait ainsi que Fidelity, qui détenait 10% des actions d'Alcatel-Alsthom (dont il était de très loin le premier actionnaire) a largement contribué à l'effondrement de leur cours de 38% le 17 septembre 1998, en revendant une bonne partie de sa mise). Lors d'une assemblée générale de Pechiney, l'augmentation de capital demandée par le conseil d'administration a été refusée par 69% des votants, essentiellement les zinzins "qui ne voulaient pas donner aux dirigeants les mains libres pour s'opposer à une éventuelle OPA"27. De même les mutual funds américains "pourraient s'offrir Elf si tel était leur objectif" et son PDG est obligé de "trouver des arguments pour les séduire : effectifs réduits de 10%, cession de 14 milliards de francs de participations", car "les financiers américains se demandent encore pourquoi Elf ne se décide pas à vendre ou à marier Sanofi, sa filiale pharmaceutique... Si Jaffré n'a pas trouvé l'alliance susceptible d'assurer l'avenir de Sanofi lors de sa prochaine tournée des investisseurs américains, il pourrait avoir de gros problèmes" avertit Institutional Investors". Si bien que, depuis 1996, "le débouclage des participations croisées entre entreprises françaises s'est accéléré en même temps que les investisseurs institutionnels anglo-saxons montaient en puissance à la Bourse de Paris. Nous sommes en train de passer d'une économie de cur financier à une économie de marchés financiers". iv) La rentabilité très supérieure des actions (relativement aux obligations) : 7,1% contre 3,1%) observée en France de 1950 à 1992 et mise en avant par les tenants de la capitalisation n'implique pas forcément une rentabilité sociale supérieure car elle a pu s'accompagner d'externalités négatives dont on ne soupçonne pas même l'existence, tellement cette vision purement financière de la réalité économique semble aller de soi! A fortiori lorsqu'il s'agit d'actions étrangères puisque la prise en compte de ces externalités est encore plus faible. La Commission reconnaît du reste que "l'accumulation des capitaux en vue d'honorer la dette future des retraites...ne profite pas en soi à l'économie nationale. Ce qui, en définitive, est important pour l'économie, c'est l'usage que l'on fait des capitaux, c'est-à-dire leur placement dans des actifs réels particuliers"15. Ce type d'argument omet en particulier de comptabiliser l'avantage pour l'économie nationale, et notamment pour le budget de l'Etat, d'une abondante épargne longue acceptant de souscrire aux emprunts d'Etat, ce qui a permis de réduire le niveau des taux d'intérêt et a profité à l'ensemble du secteur privé. A contrario la libéralisation des mouvements de capitaux au Royaume-Uni dès 1979, liée à la présence de gros investisseurs institutionnels (dont les fonds de pension), a eu pour effet une sortie nette de capitaux, une hausse des taux d'intérêts et une dépréciation de la livre41. La part en actifs étrangers des fonds de pension britanniques est ainsi passée de 7% en 1979 à 30% en 1993. Ces arguments révèlent également la myopie des partisans de la capitalisation, pour qui l'argent est un actif totalement neutre du point de vue de son impact social ou plutôt cet impact est considéré comme fondamentalement positif et s'identifie à sa rentabilité financière. v) D'où la rationalité apparente de déléguer la gestion de ces fonds à des professionnels de la gestion financière, indépendants des entreprises ou des organismes de retraite, car ils sont guidés par l'objectif unique d'en retirer la rentabilité maximale. Ceci étant, on feint d'ignorer que les rendements maxima sont obtenus dans les activités peu soucieuses des droits de l'homme ou de l'environnement (voire criminelles : trafic de drogue ou d'armes), ou, sans aller jusque-là, tirant partie de toutes les opportunités en opérant à partir de paradis fiscaux et en spéculant, si l'occasion se présente, contre les monnaies nationales. Mais, puisque les banques les plus en vue (Banque d'Italie, UBS, Société Générale, Paribas...) n'ont pas hésité à confier leur épargne à la LTCM qui opérait dans des paradis fiscaux, tout ceci est un mauvais procès de doux rêveur! vi) Enfin A.Euzéby souligne que "les frais de gestion des régimes de pensions par capitalisation et privés...sont sensiblement plus élevés que ceux des régimes par répartition obligatoires"4. En outre, au Royaume-Uni, le coût de fonctionnement des fonds de pension personnels privés est plus du double de celui des fonds de pension d'entreprise (de 10 à 20% des versements annuels contre 5 à 7%)29. vii) Les fonds de pension freinent la croissance car leur recherche d'une forte liquidité leur font privilégier les placements sur les marchés et non les financements bancaires. Les marchés sont fondamentalement guidés par la recherche de la liquidité et la maximation du profit de très court terme, leur extrême volatilité les amenant à changer de support de placement d'un bout à l'autre de la planète jusqu'à plusieurs fois par jour. Il en résulte que le marché "ne semble qu'exceptionnellement capable de soutenir la moindre action de long terme. L'industrie commence à s'en apercevoir. Le politique également qui voit ses projets soumis à des appréciations gouvernées par un sens déréglé de la temporalité". Keynes déclarait dans les années trente que, "de toutes les maximes de la finance orthodoxe, il n'en est à coup sûr aucune de plus antisociale que le fétichisme de la liquidité, doctrine qui fait un véritable devoir aux institutions de placement de concentrer leurs ressources sur les valeurs liquides". C'est bien le comportement des fonds de pension (et autres organismes de retraites par capitalisation) que de pouvoir modifier à tout moment leurs placements. Or, comme le souligne Robert Cobbaut, "le développement extrêmement important du financement direct par le marché des vingt dernières années, au détriment de certains financements bancaires, est certainement une des caractéristiques majeures des évolutions récentes, et qui expliquent les déficits de croissance que nous connaissons... Dans le passé récent, les marchés financiers se sont tournés beaucoup plus vers les droits de propriétés déjà existants (marché secondaire des actions, marché immobilier...) que vers le financement par le crédit d'activités nouvelles... On ne cherche plus des revenus récurrents stables, mais une plus value élevée, et rapide". Naturellement les banques n'ont pas tout perdu puisque la plupart des fonds communs de placement sont des filiales de banques et d'assurances, qui empochent les commissions des OCPVM, ce qui est une source de revenus moins risquée.
5°) Les régimes de capitalisation sont une tentative vaine de fuir la priorite a donner à la solidarité spatiale à chaque instant a) La prétention des régimes par capitalisation à garantir les retraites futures témoigne d'une confiance folle dans la capacité individuelle à se rendre maître du temps et à se sauver seul Penser que l'argent accumulé par une minorité pourra lui garantir un avenir radieux dans une génération procède d'un étonnant aveuglement et constitue une incongruité jamais vue à cette échelle dans l'histoire humaine. Car cette minorité prétend se rendre maîtresse du temps -qui n'appartient qu'à Dieu- et se sauver seule, alors même que l'histoire connaît une accélération qui rend cet avenir d'autant plus imprévisible. Il est évident que les profonds bouleversements à venir de tous ordres, notamment démographiques et donc politiques au niveau mondial, ne manqueront pas de changer profondément les règles du jeu économique et social en vigueur dans une génération en Europe. Ils conditionneront bien plus sûrement la capacité de la génération présente, y compris pour sa minorité privilégiée, à sauvegarder un niveau de vie minimum. Les retraites par répartition ont pour effet de créer une solidarité à chaque instant entre les actifs au travail et les anciens travailleurs, quitte à ce que les droits acquis par ceux-ci ne puissent pas être entièrement honorés, ou soient au contraire dépassés, compte tenu de l'évolution de la situation économique de la société considérée, que nul ne peut prévoir à une génération de distance ou plus. Le niveau de la retraite réelle de demain sera donc davantage fonction de cette évolution que commandé par une créance au montant strictement garanti. C'est ce que le Commissariat général du plan confirme : "certes le répartition ne peut garantir un niveau prédéterminé de pension, mais elle présente l'avantage de reposer sur un pacte social irréversible dans son principe, dont les conditions précises d'application feront l'objet d'un arbitrage permanent entre les intérêts des actifs et ceux des retraités"31. b) La vraie solidarité doit forcément être spatiale d'abord pour pouvoir être intertemporelle ensuite Les partisans de la capitalisation insistent sur la non crédibilité de la solidarité future des actifs avec des retraités trop nombreux. Comme si le risque inverse n'était pas bien plus grand! Le meilleur gage d'une croissance future et d'une capacité des nations européennes à supporter les retraites du 21è siècle repose au contraire sur une répartition plus équitable des revenus aujourd'hui, l'amélioration de la cohésion économique et sociale en résultant ayant pour effet d'améliorer la productivité globale. La meilleure garantie que les générations européennes futures -y compris pour la minorité privilégiée d'aujourd'hui lorsqu'elle sera en retraite- pourront jouir d'un niveau de vie convenable repose d'abord sur la capacité de la génération actuelle à instaurer plus de solidarité aujourd'hui même à différentes échelles : interne à chaque EM, intracommunautaire dans l'UE mais aussi avec les peuples défavorisés du Sud et de l'Est. Car la solidarité ne se divise pas : on ne saurait être plus solidaire avec les générations futures de petits Français (voire avec ses propres petits enfants à naître) si l'on ne l'est pas d'abord aujourd'hui avec la Corrèze, le Péloponnèse et le Zambèze. Autrement dit la crédibilité et le degré de CES intertemporelle est directement fonction du degré de solidarité géographique présente. Concrètement, cela signifie que la meilleure manière pour l'Etat de garantir les retraites futures n'est pas d'inciter fiscalement les fonds de pension (et autres formes de capitalisation collective ou individuelle) mais bien d'augmenter les minima sociaux. Mais il faut aller plus loin car le vrai débat n'est pas un problème de transfert inter-générationnel au sein de chaque pays, en discutant sur le fait se savoir si c'est la capitalisation ou la répartition qui résout le mieux ce transfert, car ce problème ne se pose que dans les pays occidentaux puisque les pays du Sud ne disposent pas de système de retraite pour la très grande majorité de leur population. Le fond du problème est celui du transfert à chaque instant dans l'espace, c'est-à-dire aussi entre pays. Ainsi, s'il a été montré ci-dessus que les régimes par répartition témoignent de la plus forte solidarité inter-générationnelle, il n'en reste pas moins que l'ensemble des revenus occidentaux d'aujourd'hui (dont ceux des retraités financés par les cotisations actuelles des actifs au travail) sont en partie prélevés sur les revenus actuels potentiels du reste du monde, revenus dont ils sont partiellement dépouillés par des règles du jeu des relations Nord-Sud perpétuant ces transferts. On peut citer notamment : - la domination politico-militaire occidentale (française en particulier) sur un très grand nombre de pays du Sud qui y maintient au pouvoir des dictateurs corrompus favorisant les intérêts commerciaux occidentaux à court terme mais qui interdisent aussi tout réel développement durable, y restreignant fortement la croissance économique et l'élévation des revenus de la majorité des populations; - la dégradation des termes de l'échange des pays exportateurs de matières premières, une des conséquences du point précédent, ces pays non démocratiques étant incapables de réunir les conditions d'un décollage économique. Celui-ci, en Afrique noire notamment, implique un minimum de développement industriel, qui nécessite lui-même un développement agricole préalable (exigeant une protection à l'importation) mais aussi la mise en place d'intégrations régionales géopolitiques dont ces dictateurs ne veulent pas... La garantie que les retraites futures seront payées aux Français dans une et deux générations, quelles qu'en soient les modalités (répartition ou capitalisation), proviendra très largement des possibilités de croissance européenne liées aux nouvelles règles des relations économiques internationales que les profonds changements du contexte géopolitique mondial ne manqueront pas d'instaurer. Il suffit de rappeler qu'en 2025 l'UE des 15 comptera le même nombre d'habitants qu'aujourd'hui (372 millions) alors que celui de l'Afrique aura doublé (entre 1,4 et 1,5 milliard contre 750 millions aujourd'hui). Mais les revenus occidentaux actuels (dont ceux des retraités actuels) sont également en partie prélevés sur les générations futures de la planète entière du fait que la surconsommation actuelle des ressources non renouvelables, essentiellement occidentale, réduira les revenus futurs de l'humanité : l'effet de serre en est le meilleur exemple mais il y en a d'autres, venant tant des prélèvements que des rejets excessifs dans la biosphère. Après les inondations catastrophiques au Bangladesh et les ravages du cyclone Mitch en Amérique centrale, la conférence de Buenos-Aires qui se déroule en ce début novembre 1998 sur l'application des décisions prises à Kyoto en 1997 sont là pour nous rappeler que c'est d'abord sur ce terrain que se joue l'avenir de nos retraites.
6°) Les régimes de capitalisation alimentent surtout les effets pervers de la globalisation financière Le moindre des inconvénients des retraites par capitalisation n'est pas de constituer l'élément majoritaire des capitaux flottants de la globalisation financière. On a déjà largement souligné les dangers représentés par l'importance prise par les fonds de pension étrangers dans les grandes entreprises françaises, compte tenu de leurs exigences déraisonnables de rentabilité. Les régimes par capitalisation sont la principale composante de la masse financière toujours croissante de capitaux spéculatifs apatrides qui est le premier responsable de la valse imprévisible des monnaies et des bourses, en fonction des humeurs de certains gourous et de l'effet de contagion mimétique et de panique qu'ils suscitent. Le krach boursier et monétaire planétaire qui vient de se produire de juillet à octobre 1998 est là pour le rappeler. La réalité de ces effets pervers semble cependant échapper à de nombreux gouvernements européens pour qui l'encouragement des retraites par capitalisation constitue au contraire un bon moyen de développer leurs marchés financiers, en facilitant notamment la privatisation en cours des dernières entreprises publiques. Autrement dit, contrairement à la rage de T.Philippon et N.Tatu pour qui "ces années perdues ont privé les futurs retraités français des quinze ans de croissance des marchés financiers"10, il est heureux que les Français aient eu la sagesse de ne pas succombé au mirage de l'argent roi soi-disant sans odeur, non seulement aux plans social et écologique, mais aussi au plan économique. En conclusion, que penser des dernières propositions faites au gouvernement Jospin par le Conseil d'analyse économique (CAE) d'instaurer un régime mixte de "répartition provisionnée" ou de l'utilité de fonds de pension qui seraient mieux contrôlés par les salariés européens, afin de réduire la présence des fonds de pension anglo-saxons? Sur le premier point, alors que le gouvernement souhaite qu'un éventuel régime de répartition provisionnée soit obligatoire pour tous, le rapport du CAE propose "plusieurs classes de cotisation, dont une très basse, de façon à garder certains avantages d'un système facultatif", ce qui n'empêcherait donc pas des inégalités entre salariés14. Quant à l'idée qui se répand actuellement en France, au sein du gouvernement et de certains syndicats, de voir dans les fonds de pension un moyen patriotique de conserver un contrôle national sur le capital des entreprises françaises en limitant la part prise par les mutual funds étrangers, est-on si sûr que "décider si des fonds de pension seront gérés par les assureurs, les directions d'entreprise ou les organisations syndicales modifie considérablement la répartition du pouvoir dans la société. Les règles de fonctionnement dont on dote ces fonds communs sont et seront...un des sujets centraux du débat public". Car, pour S.Cancel et G.Duval, "les exigences des fonds de placements risquent fort de se traduire par une dégradation de la situation des salariés. C'est l'un des paradoxes de cette affaire : avec les fonds de pension, des salariés actionnaires exploitent des salariés employés".
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