Réfléxions autour de la taxe Tobin - Texte paru sur la liste "Attac-talk" au mois de mars 1999. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Réflexions autour de la taxe TobinLobjet de ces réflexions est dessayer danalyser les problèmes soulevés par linstauration dune taxe destinée à freiner les flux spéculatifs comme celle proposée dès 1972 par James Tobin, prix Nobel déconomie, à savoir :
Exposé de la méthodologie utiliséePour répondre aux questions posées, on propose un modèle selon lequel lespace économique est divisé en deux zones dont lune est astreinte à une taxe de type Tobin, et lautre ne lest pas. Il y a alors concurrence entre les deux zones. Si la taxe Tobin est bénéfique à léconomie, la zone astreinte à la taxe Tobin devrait avoir un développement plus harmonieux que celle qui ne lest pas. Ce modèle, sil savère théoriquement viable, pourrait être transposé dans le réel. 1.1 DéfinitionsDans la suite de lexposé, on considère que lespace économique est constitué par : 1- des entrepreneurs qui gèrent lépargne investie vers le long terme pour la faire fructifier, 2- des consommateurs-investisseurs qui ont le choix dorienter le fruit de leur travail vers une consommation immédiate ou vers lépargne pour bénéficier plus tard dun flux de consommation venant de la rentabilité de cette épargne à travers linvestissement. Ils peuvent éventuellement protéger leur intérêt par des opérations darbitrage contre les erreurs de gestion des entrepreneurs ou dévaluation des autres investisseurs, 3- des spéculateurs qui épient les erreurs dévaluation des investisseurs pour prélever des revenus sur le court terme, cest à dire la journée, voire lheure. Vu sous cet angle, on ne considère pas comme spéculation les opérations darbitrage des investisseurs. On constate cependant quon ne peut différencier une transaction darbitrage dune transaction spéculative que par la différence de leur fréquence dapparition. 4- Par ailleurs, la puissance publique essaye de contrôler la bonne marche de léconomie par des réglementations. Quitte à risquer de jeter une suspicion dimpartialité, on qualifie " déconomique pur ", tout ce qui est en relation avec des transactions nécessitées par lactivité des consommateurs, des investisseurs et des entrepreneurs, par opposition à ce qui est en relation avec lactivité des spéculateurs. Comme remarqué plus haut, et illustré plus bas, il y a là une difficulté majeure quant à la définition de la frontière qui sépare larbitrage de la spéculation. La solution adoptée ici est que cette définition nest pas nécessaire, puisque le principe même de la taxe Tobin pénalise dautant plus les flux quils séloignent de linvestissement et se rapprochent, par la fréquence de leur apparition, de la spéculation. Contrairement, semble-t-il, à lidée dorigine de James Tobin, on examine les conséquences de la taxation non seulement sur les flux déchange sur les monnaies, mais également sur les flux déchanges des valeurs mobilières. On désigne ici par " zone économique " tout sous-ensemble de lespace économique caractérisé par ses contraintes économiques spécifiques. Dans notre modèle, lespace économique est composé de deux zones économiques différenciées par le fait que lune, contrairement à lautre, tente de freiner les flux spéculatifs au moyen dune contrainte fiscale, désignée ici comme la taxe Tobin, quelle que soient sa nature (taxe ou dépôt non rémunéré type Avermaete) et ses modalités dapplication (assiette appliquée à la transaction ou au sous-jacent selon les observations de Jean Pierre Avermaete sur le fonctionnement des produits dérivés). Pour simplifier la compréhension du problème, on les désigne respectivement par " zone T " (comme Tobin) et par " zone A " (comme " Anti Tobin "). Toutes deux sont composées dagents spéculateurs et dagents économiques purs (selon la définition exprimée plus haut). 1.2 Analyse du fonctionnement des flux spéculatifsLes agents économiques purs produisent, consomment et échangent des biens et services réels. Lindépendance de leurs décisions pouvant modifier temporairement les points déquilibre des marchés, les flux darbitrage ont pour rôle de stabiliser le cours de ces biens et services. Mais ny a-t-il pas un effet pervers dans le mécanisme darbitrage ? En effet, un excès, éventuellement provoqué, pouvant produire un effet de levier moutonnier ? Une illustration de cet effet moutonnier provoqué peut être trouvée dans une des origines de la fortune des Rothschild qui, connaissant au su de tous le résultat de la bataille de Waterloo grâce à lexploitation de pigeons voyageurs, vendaient ostensiblement leurs valeurs mobilières pour faire croire à la défaite des Anglais, et rachetaient en sous main à la baisse. On dira que les flux darbitrage tendent à devenir des flux spéculatifs lorsque, au lieu de stabiliser les cours ils les déstabilisent par leurs excès provoquant, par effet moutonnier, une instabilité autour du point déquilibre. En labsence deffet moutonnier, les spéculateurs se battraient entre eux dans un jeu financier à résultat nul. Si le jeu de la spéculation est positif, ce qui semble vérifié par leur croissance, cela prouve quil y a effet moutonnier et que le gain des spéculateurs est prélevé sur les investisseurs et les arbitragistes. Lexistence de flux spéculatifs, quon ne confond pas avec les flux darbitrage, est néfaste à léconomie dune zone économique car ils provoquent une déstabilisation de léquilibre des marchés qui leur permet de prélever un revenu, sans justification économique, au détriment de linvestissement productif. La déstabilisation des flux économiques pouvant entraîner la déstabilisation des cours de sa monnaie, la puissance publique de chaque zone économique, qui na daction directe que sur sa zone économique propre, charge sa banque centrale, liée aux autres banques centrales par les accords du SMI, Système Monétaire International, de défendre sa monnaie contre les excès de la spéculation. Le fonctionnement du SMI veut que les banques centrales interviennent sur leur marché dès que leur monnaies sécartent dun cours fluctuant au-delà dune marge de m%. Si une banque centrale na pas les moyens de maintenir la parité de sa monnaie dans les limites de la marge, la puissance publique de sa zone économique doit renégocier la dépréciation de sa monnaie. 1.3 Incidence de la croissance des flux spéculatifsLes spéculateurs, en prise directe avec le marché à travers des outils performants que sont les traitements de données et les transmissions de données en temps réels (le qualificatif " en temps réel " sappliquant à la fois au traitement et à la transmission) et les marchés des produits dérivés, visent et obtiennent une rentabilité, sans justification économique, supérieure à celle produite par les lois de léconomie, car si la rentabilité des flux spéculatifs était inférieure à celle des flux économiques purs, ils nauraient pas de raison dêtre. Leur croissance, 70 Milliards de dollars journaliers dans les années 70 contre 20 fois plus aujourdhui prouve cette meilleure rentabilité. En effet, alors que la croissance des flux économiques a été, pendant les trente dernières années de lordre de quelques pour cent, il faudrait une croissance de lordre de 10% pour que la croissance des flux financiers soit de 20 sur ces mêmes trente années Comme on sait que les arbres ne montent pas jusquau ciel, on peut se demander si on va vers un équilibre qui pourrait provenir des limitations de leur propre croissance, ou si, comme en 1929, en 87 ou plus récemment à loccasion de la crise asiatique, il cela ne conduit pas systématiquement à des krachs périodiques qui entraînent léconomie à la suite des errements des marchés financiers. Cette croissance des flux spéculatifs pose donc le problème de lurgence de leur limitation. Linstauration dune taxe Tobin, en limitant lavantage que les spéculateurs tirent de leur technicité et en équilibrant lespérance de gain entre linvestissement et larbitrage, dune part, et la spéculation dautre part, devrait permettre de les freiner pour éviter les krachs périodiques. Dans ces conditions, les flux spéculatifs se confondraient avec les flux darbitrage. Lexposé précédent a pour objectif, non seulement de montrer le rôle néfaste des flux spéculatifs, mais lurgence de linstauration dune taxe destinée à les freiner. Dans cet esprit, linstauration dune taxe locale, vis à vis dune instauration par consensus universel pourrait être une option stratégique. Le tableau suivant montre l'évolution d'une grandeur en fonction de son taux de croissance. Il montre que pour que les flux économiques aient cru de 1 à 20 en trente ans, ils ont bénéficiés d'un taux de croissance supérieur à 10% alors que les taux de croissance sur les trente dernières annéés n'ont pas dépassé les 4%, provoquant un accroissement en volume d'un facteur 3 au lieu de 20 pour les flux spéculatifs (70 milliards de dollards dans les années 70 à 1500 de nos jours). Ceci démontre l'aspect parasitaire des flux spéculatifs par rapport aux flux économiques purs. Figure 1 : Tableau montrant l'accroissement des volumes en fonction du taux annuel moyen de croissance. En horizontal le taux de croissance, et en vertical le nombre d'années écoulées. Les deux valeurs en grisé représentent l'accroissement de volume au bout de la trentième année pour des taux de croissance de 4%, qui serait un très bon taux pour des flux économiques purs, et un taux de 11% nécessaires pour obtenir, dans le même laps de temps, un accroissement de 20 fois, entre l'époque où James Tobin a proposé sa taxe, et aujourd'hui.
Incidences de linstauration dune contrainte fiscale de type TobinLa mise en uvre dune taxe Tobin sappuie sur lhypothèse quil est possible de définir une contrainte fiscale qui soit contraignante pour les flux spéculatifs et affectent peu les flux économiques purs. Comme il nest pas possible de différencier une transaction financière dinvestissement et darbitrage dune transaction spéculative, la différence de contrainte provient de la fréquence dapplication, la transaction spéculative effectuant de nombreux aller et retours, tous affectés par la taxe Tobin lorsque les autres neffectuent quun nombre limité de transactions affectées également par la taxe Tobin, mais une seule fois pour la transaction dinvestissement, et un nombre restreint de fois pour la transaction darbitrage. On désigne par t la contrainte en % due à la taxe Tobin, cest à dire la perte perçue par la transaction due à lapplication de la taxe. On exonère de la taxe les transactions de change qui ont une contrepartie industrielle ou commerciale ainsi que celles générées par la banque centrale. 2.1 Incidence du taux defficacité de la contrainte fiscaleQuelle que soit sa nature, linstauration dune contrainte fiscale destinée à freiner les flux spéculatifs consiste à prélever une portion du bénéfice escompté sur une transaction financière de type " aller-retour ". Nous désignerons par taux defficacité, souvent raccourci sous le terme " taux ", représenté par t, ce prélèvement en valeur relative par rapport à son assiette. Limportance de la définition de lassiette est évidente dès que lon prend en compte lincidence des produits dérivés. Il est évident que lefficacité de la taxe nécessite, dans le cas de lexistence des produits dérivés, que lassiette soit la valeur du sous-jacent de la transaction, et ,en tous les cas, ne soit pas le profit obtenu par la transaction aller-retour. Tant que les fluctuations nexcèdent pas le taux defficacité, les flux spéculatifs sont inhibés, mais lorsquelles lexcèdent, leur rendement se trouve fortement amputé. Alors se pose une question importante : Si lefficacité des flux spéculatifs est due à limportance de leffet moutonnier, ny a-t-il pas un risque que linstauration dune taxe de taux t ne crée, par effet rétroactif, une augmentation des fluctuations ? Cette question adresse directement lopportunité de linstauration universelle de la taxe, et indirectement une instauration locale. 2.2 Incidence sur les flux dinvestissementsToutes les transactions étant également affectées du taux defficacité, t, de la dite taxe, cela a pour conséquence de renchérir de t% les investissements dans la zone T. En conséquence, le marché mondial pénaliserait les dites valeurs mobilières de la zone T qui seraient, par le jeu du marché, dépréciées de t%. Bien que nous ayons convenu de ne rien préjuger sur la nature de la taxe Tobin, on peut cependant faire la remarque suivante sur ses modalités dapplications : une application dissymétrique consistant à exonérer de la taxe les achats des valeurs mobilières et la doubler sur les ventes permettrait davantager les investisseurs par rapport aux arbitragistes et aux spéculateurs. Par ailleurs, il paraît logique de ne pas taxer les flux de changes qui sadossent à un flux économique pur ni ceux des banques centrales de la zone T. 2.3 Incidence sur la parité des monnaiesLa dépréciation des valeurs mobilières à laquelle sajoute un effet psychologique, a nécessairement une incidence sur la parité des monnaies en raison du reflux des capitaux spéculatifs de la zone T vers la zone A. Cest cet aspect, que lon désigne comme la contrainte extérieure, quil faut étudier pour sassurer de la viabilité dune application locale de la dite contrainte financière.
Incidences de linstauration locale dune contrainte fiscale3.1 Objectifs et stratégie de la zone TLobjectif réel de la zone T est de freiner les flux spéculatifs en les rendant, au plus, aussi attractifs que les flux dinvestissement. Il sera montré plus loin que cela nest possible que si la puissance économique de la zone T est suffisamment importante par rapport à la spéculation qui, elle, est mondiale. Il y a donc, pour la zone T une nécessité de prosélytisme vers la zone A. Dans une première phase, comme dans une opération militaire qui nécessite détablir une tête de pont, la zone T doit résister à linfluence des flux spéculatifs et démontrer lavantage tiré de la taxe pour son économie, comme, par exemple, dans les expériences chilienne et malaisienne. Dans un deuxième temps, dans un scénario du type domino, les avantages quelle en tire doivent convaincre dautres sous-ensembles de la zone A à la rejoindre en optant pour la taxation. 3.2 Analyse de la contrainte extérieure3.2.1 Fonctionnement normal des échanges inter zones Les agents économiques de la zone T ont recours à des opérations de change pour faire face à leurs transactions économiques avec la zone A. On supposera dabord quil ny a pas de déséquilibre industriel structurel entre les zones, ce qui nexclut pas des déséquilibres temporels. Par exemple, si la Zone T vend des avions à la zone A, mais lui achète des équipements électroniques pour équiper ces avions, et que la zone A vend des voitures à la zone T mais lui achète du minerai nécessaire à leurs fabrications, il peut exister des décalages temporels dans les échanges commerciaux qui nécessitent un équilibrage dans le flux des monnaies. Léquilibre structurel entre les deux zones fait que statistiquement, les besoins de monnaie alternent dans un sens et dans lautre, les banques centrales sefforçant de maintenir, chacune dans sa zone, la parité des monnaies à lintérieur de la marge m. Elles doivent intervenir si les excès du marché poussent les parités hors de la fourchette m. Lintérêt des spéculateurs, en opposition avec celui des banques centrales, est de déstabiliser les marchés pour obtenir une rémunération provenant de la volatilité des cours. On suppose que, par le jeu des spéculateurs et la réaction des banques centrales, les parités fluctuent dans une fourchette dont la valeur moyenne est f, f étant bien entendu inférieure à m. 3.2.2 Incidences de lapplication dune taxe dans la zone T Que se passe-t-il lorsque la zone T décide unilatéralement dappliquer une taxe Tobin ? En ce qui concerne laspect positif, la zone T espère stabiliser les flux économiques, pousser les flux spéculatifs vers linvestissement ou larbitrage, et sur laspect négatif, elle craint que le déplacement des flux spéculatifs vers la zone A naffectent ses flux dinvestissements et, en conséquence, ne détériore la parité de sa monnaie au-delà de la marge m tolérée par le SMI. 3.2.2.1 Analyse des paramètres liés à ce problème 1- P, ratio des puissances économiques relatives de la zone T par rapport à lespace économique, P=T/(A+T). T et A mesurant la puissance économique respectivement de la zone T et de la zone A. Ce paramètre P est important pour linfluence réciproque dune zone sur lautre, cest à dire linfluence négative que peut exercer A sur T, dune part, et leffet domino (ou tache dhuile) que peut avoir T sur A. 1ère incidence : Il existe une valeur de P en dessous de laquelle une application locale dans la zone T na aucune incidence sur lespace économique. (Voir linterview de James Tobin dans le Monde du 17 novembre disant quil suffirait quune vingtaine de pays commence à appliquer sa taxe) 2- Dans le calcul de P, il faut prendre en compte le volume relatif des liquidités dont disposent les spéculateurs, en y incluant les crédits et les effets de levier par le biais des produits dérivés, comparées à celles de la banque centrale de la zone T. Si elles sont importantes, les spéculateurs ont plus de possibilités de déstabiliser les marchés des changes en provoquant la volatilité des cours qui se manifeste par la fourchette de fluctuation, f, qui peut se rapprocher dautant plus de m que ces liquidités sont importantes. Ce paramètre est important vis à vis de la contrainte extérieure parce quil définit la possibilité des flux spéculatifs de forcer les décisions du SMI ; à noter que labsence de taxe Tobin crée un accroissement exponentiel du volume des flux spéculatifs et tend à accroître la puissance des spéculateurs alors que lapplication de la taxe Tobin a un effet déquilibrage, puisquil diminue le profit des spéculateurs et augmente les disponibilités de la puissance publique. 2ème incidence : Sil nexiste aucune contrainte destinée à freiner les flux spéculatifs, ceux-ci vont croître exponentiellement et déséquilibreront le facteur P dune manière défavorable à la zone T. Ceci illustre lurgence de sattaquer à la spéculation pour enrayer la tyrannie des flux spéculatifs. 3-Écart relatif entre la contrainte, t, générée par la taxe Tobin et les fourchettes de parité des changes tolérées par le SMI, m. Ce paramètre est important car il influe sur lalternative offerte aux spéculateurs dadopter un comportement rationnel ou psychologique. A noter que m a été réel dans le système monétaire européen (serpent monétaire européen), mais virtuel dans le SMI (voir la fluctuation du dollar, du yen, du rouble et de bien dautres monnaies par rapport aux monnaies européennes) en ce sens que lon suppose quil existe une marge m considérée comme tolérable pour les économies et au-delà de laquelle une zone, incapable dassurer la parité de sa monnaie, est forcée de négocier avec le SMI une dévaluation comme celles pratiquées récemment sur la lire italienne et la livre anglaise. 3ème incidence : Il existe une valeur de la contrainte t suffisamment petite pour que les spéculateurs ne réagissent que dune manière rationnelle face aux aléas du marché et une valeur suffisamment grande pour quils réagissent dune manière psychologique consistant à expatrier leurs liquidités sans attendre des opportunités de profit. 4-Le quatrième paramètre est une fonction binaire : en cas de débordement par laction des spéculateurs des fourchettes de tolérance du SMI, attitude de la puissance publique de la zone T sur la décision ou non de laisser flotter sa monnaie au-delà de la fourchette m. 4ème incidence : Sil se produit un rapport de force entre les spéculateurs et la puissance publique de la zone T, celle-ci a lalternative de défendre sa monnaie ou de la laisser flotter. Ceci est bien décrit par Soros dans son dernier livre : " La crise du capitalisme mondial " lorsquil analyse les causes de la crise asiatique. On peut lire, page 28 : La crise est survenue plus tard que nous ne lavions prévu parce que les autorités monétaires ont continué à soutenir bien trop longtemps leur monnaie Ce retard a contribué à accentuer la gravité de la crise. " 3.2.2.2 Incidence du taux de la taxe 3.2.2.2.1 1er cas : Taux de la taxe très faible (t<<f<m) On peut avancer sans risque de se tromper quil existe une contrainte t, suffisamment peu contraignante devant f (et à fortiori devant m) pour quelle ninquiète pas les spéculateurs, et permette aux banques centrales de rester maître de la situation des changes. Sil est exact que la présence de flux spéculatifs est néfaste à léconomie, les mesures prises devraient être favorables à linvestissement sur le long terme. Sur le cours terme, tant que la fourchette de fluctuation reste inférieure à t, la spéculation ne peut pas intervenir rationnellement sur le marché T car son coût dintervention serait supérieur à son espérance de gain. La banque centrale de la zone T doit disposer de suffisamment de liquidités pour faire face aux besoins instantanés de la balance des transactions courantes de manière à pouvoir contre balancer la fuite des capitaux. 5ème incidence : Une zone qui appliquerait seule une taxe Tobin de contrainte t% très faible par rapport aux fluctuations normales f du marché verrait ses valeurs mobilières se déprécier de t% et prendrait le risque de voir les fluctuations de sa monnaie se décaler dans un sens ou dans lautre dune valeur au plus égale à t% mais resterait en mesure de maintenir la parité de sa monnaie. Comme t est très inférieur à f, on peut estimer que lincidence est sans conséquence tant sur les valeurs mobilières que sur la parité de sa monnaie. Dans ce cas, leffet de la taxe est quasiment nul, mais la puissance publique collectera le fruit de la taxe dont elle pourrait faire usage pour améliorer, dune manière qui reste à définir, le bien-être de la zone T. Il faut cependant noter que la collecte serait diminuée du coût dinstauration de la taxe. 3.2.2.2.2 2ème cas : Taux de la taxe Tobin très fort (f<m<t) En sus de la dépréciation de t% des valeurs mobilières, le facteur psychologique aidant, il va se produire une évasion monétaire de T vers A doù une dépréciation de la monnaie T créant des opportunités dexportations aux entreprises de la zone T, et une réduction de ses importations. Ceci crée un facteur de revalorisation à terme des valeurs mobilières dont lattractivité est accentuée par la chute de sa monnaie. Comme les spéculateurs agissent rationnellement, il est évident quil existe un seuil dattractivité qui les pousseraient à revenir sur le marché malgré la taxe Tobin. La condition est que la contrainte t, due à la taxe T, soit inférieure à lattractivité des valeurs mobilières. Il y a donc un phénomène rétroactif auto stabilisateur. Dans le cas où les spéculateurs estimeraient que la taxe Tobin est trop contraignante, la monnaie T va être violemment attaquée, dès le début par la migration des capitaux spéculatifs. La taxe Tobin crée une modification temporelle grave dans léquilibre monétaire des deux zones. Il se produit un bras de fer entre la banque centrale de la zone T et la spéculation qui essayera de la forcer, soit pour engranger des bénéfices (voir Soros et la dévaluation de la livre), soit pour faire renoncer à la taxe Tobin. Si les liquidités de la banque centrale sont supérieures aux ressources des spéculateurs, elle pourra maintenir la parité à lintérieur des fourchettes, sinon deux cas doivent senvisager : 1- Renoncement à la taxe Tobin dans la zone T qui rentre dans lordre préétabli. 2- Abandon du SMI et élargissement de la fourchette jusquà ce que la spéculation plie ou dévaluation rapide en concertation avec le SMI. Seul le deuxième cas nous intéresse. La chute de la monnaie T donnerait un avantage économique aux entrepreneurs de la zone T contre un désavantage à ses consommateurs puisquils payeront plus chers les marchandises soumises à une concurrence externe. Si le poids de la zone T est suffisamment important, la banque centrale de la zone A ne pourrait que sallier à celle de la zone T pour faire front à la spéculation. Mais le cours de la monnaie T et de ses valeurs mobilières souffriraient nécessairement de la situation. 6ème incidence : Si la contrainte de la taxe Tobin est importante par rapport à la fourchette de tolérance du SMI, la zone T devra négocier avec le SMI, et accepter une éventuelle dévalorisation de sa monnaie, donnant un avantage structurel à ses entrepreneurs et un désavantage à ses consommateurs. 3.2.2.2.3 3ème cas : Taux de la taxe Tobin intermédiaire (f<t<m) Dans ce cas, leffet de la taxe est de diminuer dune manière sensible lespérance de gain des flux spéculatifs au profit dabord de la puissance publique qui bénéficie du fruit de la taxe. Indirectement, les flux dinvestissement et darbitrage devraient en bénéficier sur le long terme. Concernant la contrainte extérieure, la spéculation profitera de toutes les opportunités pour migrer vers la zone A de manière à maximiser ses opportunités de gain. Mais lexiguïté de la contrainte par rapport à la fourchette m lempêche de migrer brutalement au risque daccuser une perte sévère, la puissance publique pouvant sadosser à la limite basse de la marge m. Supposons une contrainte équivalente à la moitié de la valeur maximale de la fourchette de tolérance du SMI. Que se passerait-il alors sur le marché des changes ? Lévasion monétaire, si la banque centrale peut y faire face, devrait rester dans la limite tolérée par les accords monétaires internationaux tolérés par le SMI, soit m%. La chute de la monnaie créant une attractivité des valeurs mobilières supérieure à la contrainte définie par la taxe T, il pourrait y avoir un reflux des spéculateurs qui acquitteraient la taxe T pour engranger un bénéfice à court terme plus important que le coût de contrainte de la taxe T. Il semble donc que si la fourchette tolérée pour les fluctuations normales de la monnaie sont supérieures à la contrainte t de la taxe, il ne se passe rien dautre quun petit avantage des pouvoirs publics qui perçoivent le fruit de la taxe Tobin avec, en contrepartie une baisse de sa monnaie qui, par ailleurs avantagera légèrement ses entrepreneurs et désavantagera ses consommateurs. Elle devrait donc avantager donc linvestissement dans la zone T (note de l'auteur : pas évident car linvestissement dépend autant de la consommation que des importations). Il y a cependant un problème difficile à évaluer. Il est évident que linstauration dune taxe de taux defficacité t inhibe toute possibilité dintervention arbitragiste ou spéculative dans une fourchette de t%. Cela élimine donc ceux que lon pourrait désigner comme les " spéculateurs courts " qui visent des aller-retour dans le très court terme. En revanche, cela navantage-t-il pas les " spéculateurs long " qui visent des aller-retour sur des marges importantes ? Ne sont-ce pas ceux-là qui ont intérêt à provoquer un effet moutonnier ? Autrement dit, une telle mesure naurait-elle pas pour effet de poser aux " spéculateurs courts " le dilemme de devenir arbitragistes ou " spéculateurs long " ? Il faudrait étudier expérimentalement lefficacité et le rendement de la taxe en fonction de son taux. Un taux plus élevé augmenterait le rendement sur les transactions sur les valeurs mobilières et le diminuerait sur le marché des changes puisquil découragerait les transactions sur le marché T au bénéfice du marché A. 7ème incidence : Il existe un taux tm qui maximalise lefficacité de la taxe, et un taux tm qui maximalise son rendement. Lobjectif de la zone T est dapprocher expérimentalement aussi près que possible de tm. 3.2.2.2.4 4ème cas : A lintérieur de lEuro Est-il envisageable pour un pays dappliquer seul une taxe Tobin dans le club de lEuro ? La marge m sur les devises est 0% puisque toutes les monnaies sont accrochées rigidement à l'Euro, mais cela ne change rien au fait que les aléas du marché continuent à provoquer des fluctuations sur les valeurs mobilières. La contrainte extérieure ne se poserait plus en terme de défense de la monnaie, mais seulement en terme de fuite des capitaux et de son effet sur linvestissement. Ainsi que noté plus haut, lapplication dune contrainte de taux t aboutirait à une dépréciation de t% des valeurs mobilières de la zone T et dune désaffection du marché des changes qui se ferait exclusivement hors de la zone T. Quelle serait alors limportance de la fuite des capitaux ? Il est évident que tout dépendrait de limportance de t, non plus par rapport à m qui est de 0%, mais par rapport à f. Il faut également analyser les trois cas selon que t est très petit par rapport à f, très grand par rapport à f, ou de lordre de grandeur de f. Jean Pierre Gaillard nous a habitué à des fluctuations journalières des valeurs mobilières de lordre du %. Il est évident quune contrainte t supérieure au % serait suicidaire et conduirait probablement à un déséquilibre de la balance des transactions courantes inacceptables. Or, même les plus chauds partisans de la taxe Tobin; nont jamais invoqué une contrainte de cet ordre de grandeur. Le même raisonnement que celui invoqué plus haut permet de déclarer quil existe une contrainte suffisamment petite pour que son application soit insensible par rapport aux fluctuations normales du marché. Il semble donc que, même au sein de lEuro, il soit possible denvisager une taxe Tobin locale. Il faut cependant ajouter quil y a peu de chances quelle ait des répercussions positives sur léconomie du pays qui lappliquerait sil ny a pas un mouvement politique pour entraîner les partenaires.
Utilisation du produit de la taxeDans le cas de linstauration locale dune taxe Tobin, il paraît logique que le prélèvement soit effectué par la puissance publique qui en disposerait pour conforter sa position contre la spéculation en la mettant à la disposition de sa banque centrale pour lui permettre de se renforcer vis à vis de la spéculation. Par la suite, si on arrive à maîtriser la spéculation, les sommes engrangées pourraient être utilisées pour lutter contre la misère. On peut cependant espérer que le seul fait de juguler la spéculation pousserait les flux économiques vers linvestissement à long terme, en particulier vers les populations considérées aujourdhui comme non solvables. Il est important de noter que ce que les économistes désignent sous le terme de non solvables sont les zones économiques dans lesquelles linvestissement est moins rentable. Quest-ce qui fait renoncer ?Il est surprenant que le concept de la taxe Tobin, formulé depuis presque trente ans, et très mollement réfuté depuis, nait jamais été mis en application. On peut se poser la question de savoir si cest le risque causé par la contrainte extérieure ou la crainte dinefficacité de la taxe qui en est la cause. ConclusionsLa lutte contre les flux spéculatifs est une nécessité et une urgence car tout retard permet à la spéculation de se renforcer par rapport aux flux économiques purs, consommation, investissement et arbitrage et augmente le risque de krachs financiers périodiques. Lapplication locale dune contrainte fiscale contre les flux spéculatifs constitue une option stratégique en raison du fait quune application universelle serait plus longue à mettre en uvre et donnerait plus de possibilités à la spéculation daccentuer les avantages quelle a déjà sur les flux économiques purs. Linstauration dune contrainte très faible ne présente pas de danger important pour la zone économique qui la mettrait en uvre, mais il importe que son poids économique soit significatif pour espérer obtenir un effet domino sur les autres zones. Il est possible que la zone Euro, qui a su déjà sacclimater à une discipline inter zone aurait un poids suffisant pour servir de base de départ si elle en avait la volonté politique. Linstauration locale dune telle taxe, même à taux 0, constituerait un acte politique qui aurait en outre lavantage de mettre en place un outil permettant de contrôler la transparence des transactions financières, de lutter contre la corruption, et elle ne coûterait pas très cher à mettre en uvre en raison de limportance du chômage actuel. Il est en effet préférable dappointer des personnes à assainir les circuits financiers que de les rémunérer en tant que chômeurs. Il faudrait dabord définir les formes de la contrainte fiscale (taxe ou dépôt), ses modalités (lutte contre les marchés dérivés, dissymétrie entre la vente et lachat). Il est surprenant que l'idée d'avantager l'achat par rapport à la vente au moyen d'une disymétrie de la taxation n'ait jamais été évoquée. A partir dune taxe très faible, il faudrait ensuite laugmenter progressivement tout en contrôlant son efficacité contre les flux spéculatifs et son incidence sur léconomie en sassurant de ne pas aller trop vite et trop loin pour ne pas se trouver en porte à faux par rapport à la puissance des flux spéculatifs. Le produit de la taxe, dans cette phase revêt une importance secondaire. Il devrait être exclusivement réservé à la lutte contre la spéculation. La seule destination humanitaire serait sa contribution à la diminution du chômage des personnes embauchées pour la mise en place de la taxe. Dans la deuxième phase, si, par effet domino, la taxe devient universelle, on peut alors songer à utiliser le produit récolté cumulé à des fins exclusivement humanitaires. Les modalités de la taxe (en particulier le taux de contrainte) devront être ajustées pour obtenir une meilleure efficacité. Un taux faible gênerait peu la spéculation et produirait peu pour lhumanitaire. Un taux trop élevé appliqué universellement ne rapporterait pas grand chose en raison de lanéantissement, non seulement des flux spéculatifs, mais également des flux darbitrages et dinvestissement. Il existe donc un taux optimal pour freiner les flux spéculatifs, mais il faut remarquer quil ne coïncide pas nécessairement à une maximalisation du produit de la taxe. |
Extrait de discussions autour du thème de ce texte : application locale de la taxe Tobin...
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