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Paris 14

Déréglementation du contrôle aérien en Europe

Supplément au bulletin n°5 : compte-rendu de la réunion du 20 mars 2000

Présentation par Jean-Paul Armangau et Sylvain Rech du syndicat USAC-CGT

 (Les intervenants sont contrôleurs aériens depuis dix ans au centre de  contrôle aérien d'Athis-Mons. Ils sont responsables nationaux de l'Union  syndicale de l'aviation civile-CGT, (deuxième syndicat de la navigation  aérienne). Jean-Paul Armangau est membre du comité % Attac 14e à Paris.)

Bruxelles lance son OPA sur le ciel européen

... titrait début mars l'hebdomadaire Air cosmos/Aviation magazine  international. "La commission Prodi érige le contrôle aérien en priorité  politique". En tentant "de réformer à Quinze l'organisation de l'espace  aérien européen, elle prend un gros risque politique", poursuit le  journaliste. Pourquoi la Commission s'attaque-t-elle au contrôle aérien ?  Quels sont les avantages et les risques liés à cette "OPA" ? Où sont les  pièges ? Et pourquoi tant de détermination de la part de la Commissaire  européenne aux Transports, Mme Loyola de Palacio (par ailleurs  vice-présidente de la Commission) qui tente de marquer son passage à  Bruxelles par la création du "ciel unique européen" comme d'autres l'ont  fait avec le marché unique ou la monnaie unique ? Nous espérons vous donner suffisamment d'éléments d'interrogations dans  l'exposé qui suivra; mais avant tout, nous allons commencer par expliquer,  en quelques mots, en quoi consiste le contrôle aérien.

I- Le contrôle aérien, qu'est-ce que c'est ?

Le désir de pouvoir faire voler les avions par tous les temps, la vitesse  toujours plus élevée des appareils ainsi que la densité toujours croissante  du trafic aérien, ont amené les pouvoirs publics à développer un système de  surveillance du ciel. Par l'intermédiaire de la radio, un aiguilleur du ciel  (encore appelé contrôleur aérien) ayant connaissance de tous les avions  présents dans un volume d'espace donné, pourra renseigner les pilotes sur  les risques d'abordage avec d'autres appareils et leur donner des  instructions pour éviter ces abordages. Le contrôleur peut par ailleurs  donner au pilote des informations nécessaires à la bonne conduite du  vol(changements dans la météo, disponibilité des équipements et des  infrastructures.) et assurer, en cas d'incident ou d'accident, un service  d'alerte, de recherche ou de sauvetage. Pour l'aider dans sa tâche, deux  autres outils sont indispensables. Le téléphone , grâce à des lignes  spécialisées, permet de communiquer rapidement avec les autres contrôleurs  en charge des volumes de contrôle adjacents desquels (ou vers lesquels)  viennent (ou vont) les avions dont il a la charge. Le radar enfin, rendu  "intelligent" depuis bientôt 30 ans en France, permet (pour l'essentiel) de  visualiser la position de l'avion,son altitude, ainsi que sa position  future. Chaque contrôleur aérien est donc en charge d'un volume d'espace,  qu'on appelle secteur de contrôle, dans le-quel peuvent évoluer jusqu'à 20  avions simultanément. Afin de réduire le nombre de croisements possibles,  les pilotes doivent conduire leurs machines le long de "voies aériennes"  bien déterminées. Pour les aider, des balises de radio navigation ou des  systèmes de navigation par satellite guident les ordinateurs de bord au fil  du trajet. Le travail du contrôleur consiste à surveiller l'espace dont il a  la charge, à s'assurer que la communication avec le pilote est correcte et à  détecter si un avion risque, au cours de sa route, de sa montée ou de sa  descente, de se trouver aux abords d'un autre avion. Si tel est le cas, le  contrôleur ordonne aux pilotes des manouvres leur permettant d'éviter la  collision, avant de les repositionner sur les routes pré-établies.  Aujourd'hui, avec plus de 8000 vols par jour en France (voir encadré n°1), à  une vitesse moyenne de 900 km/h, le nombre potentiel de collisions et la  rapidité avec laquelle elles peuvent arriver sont considérables. Dans la  partie d'Europe comprise entre le sud de l'Angleterre et le nord de l'Italie  se trouvent les plus gros aéroports du continent. Dans cette zone, le trafic  que traite les contrôleurs est non seulement très dense, mais aussi très  complexe du fait des nombreuses accélérations, montées, paliers, descentes  et décélérations sur de courtes distances. Ce trafic vient s'imbriquer parmi  les survols déjà nombreux. Si l'on ajoute à cela des performances très  différentes d'un appareil à l'autre et l'impossibilité de "faire garer un  avion sur le bas côté" pour "arranger" un croisement, on a une petite idée  de l'utile présence de l'oil du contrôleur aérien. Pour gérer tout cela, les  contrôleurs aériens sont répartis dans les tours de contrôle qui s'occupent  du trafic aux abords immédiats des aéroports. (Pour une grosse plate-forme  comme Roissy, par exemple, imaginez un camembert de 30 kilomètres de  diamètre et de 3000 mètres de hauteur.) Ailleurs dans l'espace, et jusqu'au  "camembert" de l'aéroport d'arrivée, c'est un Centre de contrôle qui prendra  l'avion en charge. Il y en a cinq en France, et c'est là qu'on y trouve la  majeure partie des personnels de l'aviation civile. Un exemple : l'aéroport  de Roissy, pourtant deuxième d'Europe, emploie environ 350 personnels de la  navigation aérienne alors que le Centre de contrôle d'Athis-Mons en emploie  700. Ce Centre veille à une portion d'espace qui va de la Manche à la  frontière suisse et de la Normandie à la Champagne.

 Encadré n°1 : 50 ans d'évolutions

Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, le trafic aérien n'a cessé de  se développer dans les pays occidentaux. Les méthodes de contrôle et les  matériels ont considérablement évolués et le contrôle aérien français qui  traitait quelques dizaines de vols par jour en 1949, en contrôle aujourd'hui  plus de 8000. Pour mémoire, la journée la plus chargée de 1994 (un vendredi  du mois de septembre) a vu passer 5400 vols dans le ciel français. ce qui  correspond à la journée la moins chargée de 1999. Les missions des  contrôleurs ont aussi évolué dans le temps. Si jusqu'au début des années 60  il s'agissait principalement de veiller à la sécurité des vols, les années  70 ont vu apparaître la notion de régularité (décoller et atterrir aux  heures prévues), la décennie suivante celle d'économie (grâce à la flambée  des prix du baril de pétrole), et depuis peu, la notion d'écologie mobilise  tous les services de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC).

 Parlons gros sous

Rendre le service de contrôle aérien suppose des matériels  ultra-performants, fiables, des technologies de pointe et, le trafic  augmentant sans cesse, de perpétuelles adaptations. Cela a un coût. Le  personnel et le maintien de son haut niveau de qualification a lui aussi un  coût. Aux côtés des contrôleurs, il faut aussi penser aux électroniciens de  la sécurité aérienne, aux techniciens spécialisés, aux ingénieurs qui  établissent les règles et les procédures et aux personnels administratifs  qui doivent être formés aux spécificités de ce domaine d'activité (jargon  aéronautique, réactivité importante, domaine international.). Et tout cela,  il faut bien le payer aussi. Il a donc été décidé, depuis 40 ans, à un  niveau européen élargi à d'autres pays que ceux de l'Union (1), de faire  payer les compagnies pour le service rendu (voir encadré n°2). Un  organisme,Eurocontrol, a mis en place un système de redevances au prorata de  la masse de l'avion et du nombre de kilomètres parcourus. Le contrôle aérien  facture la prestation aux compagnies, qui payent un interlocuteur unique  (Eurocontrol), qui reverse ensuite à chaque pays la part lui revenant (2).  Ces redevances servent donc à payer les personnels, le matériel, la  recherche. bref, tout ce qui concourt à faire que le ciel ne nous tombe pas  sur la tête.

 Encadré n°2 : Ce ne sont pas vos impôts qui payent les contrôleurs

La quasi totalité des services fournis par la DGAC sont payés par les  passagers au travers du billet d'avion. L'Etat ne subventionne le budget de  l'aviation civile qu'à hauteur de 2,4%, soit 215 MF par an, pour des  activités de police ou de douane que les compagnies estiment ne pas avoir à  payer. Cette subvention est en constante diminution depuis 20 ans.  Parallèlement à cela, le taux de redevance imputé aux compagnies est lui  aussi en constante baisse. L'augmentation du trafic s'accompagnant d'une  amélioration des techniques, la "productivité" des contrôleurs français  s'est accrue de 70% en 20 ans (nombre de vols contrôlés par nombre de  contrôleurs) ; c'est ce qui permet à la France d'être le moins cher des pays  industrialisés tout en ayant un équipement à la pointe de la technologie  mondiale. Un seul exemple : dès le début des années 80, tous les centres de  contrôle français étaient équipés d'un système de coordination automatique  entre secteurs de contrôles, ou de systèmes d'attribution automatique des  codes radars. Le centre de contrôle de Francfort vient (depuis février 2000)  de s'équiper de ces systèmes et rien de semblable n'est encore opérationnel  au Royaume-Uni !

II- En quoi cette activité est-elle considérée par certains comme une  marchandise ?

Depuis vingt ans, le domaine aérien, dans son ensemble, est la cible des  financiers internationaux.

Tout d'abord, le transport aérien.

Au début des années 80, le président Reagan s'illustra dans son pays en  déréglementant le transport aérien. Auparavant, pour exploiter une ligne  aérienne, une compagnie devait s'engager à respecter un cahier des charges  définissant un service public (horaires, fréquences) pendant une période  minimum. L'administration américaine veillait à ce qu'il n'y ait pas plus de  deux compagnies sur la même ligne afin de garantir un service fiable et  continu. Suite à la déréglementation, n'importe quelle compagnie a eu le  droit d'exploiter n'importe quelle ligne. On a vu alors des centaines de  compagnies-champignons remettre en service des coucous parqués depuis vingt  ans dans des déserts avec des moteurs suintant l'huile et le kérosène, des  commandants de bord organiser l'enregistrement avant de charger les bagages  en soute, puis de prendre les commandes. et plusieurs de ces avions finir  "au tapis" avant que ces compagnies ne fassent faillite. Bilan : quinze ans  plus tard, le nombre de compagnies était redescendu à sept ou huit, les  billets d'avion dont le prix avait chuté jusqu'à 50% de leur valeur étaient  revenus au niveau de 1980. Des centaines d'emplois ont été perdus et le  marché de la côte ouest est aujourd'hui dominé par les compagnies japonaises  qui payent moins cher leurs personnels. En Europe, la Commission Delors  s'inspira de cette réussite libérale pour reproduire le modèle américain sur  le vieux continent, mais de manière plus graduelle. Ce que Ronald Reagan a  fait en un an, Bruxelles l'a échelonné sur dix ans. Depuis le premier avril  1997, la déréglementation est totale en Europe. C'est à dire qu'une  compagnie étrangère, par exemple, peut exploiter la ligne Paris-Rodez sans  autre contrainte que d'obtenir une autorisation de décollage. Cela à conduit  à la multiplication des vols (jusqu'à 130 allers-retours par jour en février  entre Paris et Londres malgré la concurrence de l'Eurostar) ; à la  diminution de la taille des appareils (plus aucune compagnie ne fait voler  un Airbus A330 de 412 places sur le Paris-Toulouse, chacune préférant des  avions de 100 à 150 places) ; à une offre toujours plus extravagante pour  séduire le passager (les navettes d'Air France proposent un départ toutes  les demi-heures, mais comme il y a trop d'avions en l'air, ces vols ont  souvent une heure de retard au décollage) ; et par voie de conséquence, à  augmenter le trafic et les risques de collision sans transporter beaucoup  plus de passagers (3). Et au finish, c'est aux organismes en charge de  l'aviation civile d'encaisser les à-coups générés par le délire libéral de  quelques-uns.

Et maintenant, le contrôle aérien

Après que leurs prédécesseurs aient semé la pagaille dans le ciel européen,  les nouveaux membres de la Commission européenne ont décidé de donner une  impulsion supplémentaire à la libéralisation.Ils se sont laissé largement  inspirer par la "propagande active" menée par les compagnies elles-mêmes.  Non contentes de faire quasiment ce qu'elles veulent dans les airs depuis  trois ans, les compagnies aériennes, regroupées au sein de deux grosses  associations (4) mènent depuis un an une campagne de dénigrement des  services de contrôle européens en essayant de leur faire porter tous les  maux, au risque d'avancer des arguments contradictoires. Voici, en vrac, ce  qui est reproché aux contrôleurs européens et aux services (déjà privatisés  ou non) qui les supervisent : "les retards sont insupportables" (coûts et  image de marque) ; "nous payons trop cher les redevances" ; "les différents  systèmes ne sont pas harmonisés" ; "il y a trop de centres de contrôle en  Europe" ; "il n'y a pas assez de contrôleurs en Europe" ;"il ne faut plus  s'occuper de la sécurité, son niveau actuel est satisfaisant".

III- Le but de la déréglementation ?

Acheter l'activité de contrôle comme on achète une écurie de Formule 1 ou  une équipe de foot.

Regroupées au sein d'alliances mondiales aux côtés d'industriels, les  compagnies veulent pouvoir maîtriser l'activité de contrôle aérien. Elles  visent ainsi à récupérer une activité aujourd'hui non marchande confiée aux  États. Elles poursuivent ainsi plusieurs objectifs. Le premier est celui de  la maîtrise des coûts : amélioration de la productivité, limitation des  investissements et de la recherche, possibilité de se servir en priorité  (par exemple, priorité à l'atterrissage à l'avion dont la compagnie est  actionnaire du service de contrôle). Le second est de mettre en vente les  autorisations de décollage dont personne ne fait commerce aujourd'hui. En  effet, plus les compagnies multiplient la demande dans un espace et untemps  limités, plus une autorisation de décollage peut acquérir de valeur  marchande. Alors que tout le monde veut décoller de Roissy à huit heures du  matin pour des raisons commerciales, seuls trois avions au maximum pourront  y être autorisés. Les autres devront attendre leur tour. Si les compagnies  aériennes et les holdings desquelles elles font partie,maîtrisent les  aéroports (5) et le contrôle aérien "en-route" (6), elles pourront faire  commerce de cette ressource rarissime que représente la bonne heure de  décollage sur le bon aéroport.

Comment ces multinationales pourraient bien arriver à leurs fins ?  

Elles envoient en émissaire des représentants de compagnies aériennes faire  un travail de lobbying auprès de la Commission de Bruxelles. Celle-ci reçoit  avec complaisance les arguments techniques qui lui sont présentés. Le  fonctionnement de la Commission étant tout sauf démocratique, il est  impossible aux autres acteurs de se faire entendre. Jamais, sur un sujet  étudié par la Commission, les représentants des personnels ou des usagers ne  sont conviés à une quelconque concertation. Seuls les industriels ont leur  place dans les groupes de travail mis en place par la Commission. Ce n'est  que sous la pression des personnels français que les aspects "facteurs  humains" et écologie seront finalement examinés en groupe de travail à  Bruxelles. Dans ce contexte, les vues libérales des commissaires peuvent  facilement être traduites en actes.

Première étape : séparer le régulateur de l'opérateur

On entend par régulateur, l'autorité qui a en charge l'aspect réglementaire  du contrôle et du transport aérien : celui qui établi les règlements, les  procédures, qui les fait appliquer ou sanctionne s'ils ne sont pas observés.  A la DGAC (Direction générale de l'aviation civile), c'est la partie  "administrative" de la maison, celle qui s'occupe du contrôle technique des  aéronefs, du règlement de la circulation aérienne, des études techniques et  de la recherche, mais aussi les directions régionales. L'opérateur, ou  prestataire de servi-ce, utilise ces règlements pour rendre le service dont  il a la charge ; dans ce qui nous intéresse : le contrôle aérien.  Actuellement, les redevances payées par les compagnies pour bénéficier du  service du contrôle financent aussi le régulateur. En séparant nettement les  deux fonctions, le but avoué des compagnies est de savoir où va leur argent.  En apparence, rien de plus louable.

Satisfaire les compagnies

La DGAC a donc mis en place, depuis plusieurs années, une comptabilité  analytique qui permet aux compagnies de connaître l'affectation de chaque  franc versé au BAAC (le Budget annexe de l'aviation civile). Il n'a pas été  nécessaire pour cela de séparer quoi que ce soit, si ce n'est d'affecter des  lignes comptables sur un poste ou sur un autre. Cela n'a pas suffit. Les  compagnies ont ensuite argué qu'elles payaient certaines redevances alors  que les services rendus sont du ressort de l'Etat (la sécurité incendie par  exemple - demain, avec la même logique, il pourrait en être de même pour la  maintenance des systèmes). Bien que cela puisse paraître paradoxal (on  n'assure pas la sécurité incendie pour faire bien mais parce qu'il y a des  risques à l'atterrissage et au décollage), le Conseil d'Etat leur a donné  raison et la DGAC a remboursé les sommes "indûment" perçues. Puis le  Parlement a créé d'autres taxes pour compenser. Toujours pour montrer que la  navigation aérienne est vraiment compétitive, la DGAC a ensuite baissé les  redevances. Et depuis deux ans, tous les budgets "maison" sont en diminution  de 5%: il a donc fallu bagarrer très dur pour obtenir quelques postes de  contrôleurs supplémentaires et les services peu-vent attendre six mois pour  avoir une cartouche d'encre pour imprimante.

Deuxième étape : quel sera le premier Centre de contrôle délocalisé à  Manille ?

Mais cela n'a toujours pas suffit. Les compagnies et les alliances mondiales  auxquelles elles appartiennent aux côtés d'autres industriels essayent  main-tenant, par tous les moyens (voir encadré n°3), de contrôler cette  activité de prestataire de service. La partie "régulateur" ne les intéresse  guère car elle est lourde à gérer et ne génère que peu de profits. Par  contre qui n'achèterait pas,même cher, un bon créneau de décollage sur un  bon aéroport ? Une fois séparées ces deux activités (c'est ce qui a été fait  sous Miss Maggie en Grande-Bretagne), il ne reste plus qu'à vendre, sur les  places boursières, la partie rentable : c'est la privatisation. Au  Royaume-Uni, Tony Blair, malgré l'émotion suscitée par l'accident de  Paddington, s'apprête à vendre, d'ici la fin de l'année, tout le contrôle  aérien britannique.

 Encadré n°3 : Pour la Commission, la fin justifie les moyens

Depuis dix mois, elle explique sans jamais pouvoir le démontrer, que la  séparation opérateur-régulateur, puis la privatisation est la seule réponse  possible à la résorption des retards aériens. La France, grâce à des  réponses techniques vient de démontrer que l'on pouvait diminuer les délais  sans changer de structure. La Commission enfourche donc un nouveau cheval de  bataille, celui de la sécurité. Manque de pot, là encore, la France est le  pays ayant le plus investi dans ce domaine : mise en place de subdivisions  "Qualité de service" et du retour d'expérience, développement d'un système  anti-collision,équipement de tous les aérodromes d'images radar. Aucun de  nos voisin ne peut afficher autant en ce domaine. Une fois encore, la  Commission et les gens bien intentionnés qui la pilotent font plus preuve  d'intérêt pour le gâteau que représente le plus gros volume de trafic  européen que pour résoudre les problèmes réels du contrôle aérien.

 No Erika, No Paddington in Air Trafic Control !

L'étape suivante, voulue par les compagnies aériennes qui inspirent la  Commission, est la mise en concurrence des systèmes de contrôle. Une fois  encore, l'exemple nous vient du Royaume-Uni où le rail a été ainsi morcelé  et où plusieurs sociétés sont en concurrence pour obtenir des concessions  d'exploitation d'un réseau. Après avoir répondu à un appel d'offres, la  compagnie concessionnaire essaye, pour le temps que va durer son  exploitation (de 5 à 15 ans selon le secteur), de satisfaire en premier lieu  son actionnariat. On connaît les enchaînements : réduction d'effectif,  externalisations, baisse des investissements. et crash à Paddington.

La riposte s'organise

Les contrôleurs aériens européens, en charge de la sécurité, sont  unanimement opposés à la privatisation. Bien conscients de leurs  responsabilités, ils refusent d'accréditer un système qui mènerait  inéluctablement à la catastrophe aérienne. En France, les syndicats vont  plus loin. La majeure partie d'entre eux (CGT, CFDT, FO, CFTC et quelques  autonomes) refusent que dans un secteur en pleine croissance, l'on aggrave  encore les inégalités au profit d'une élite d'industriels et de banquiers.  Une inter-syndicale demande que les retombées de cette croissance soient  utilisées pour poursuivre les investissements et la recherche, embaucher des  jeunes, former les personnels,réduire la durée du temps de travail et  améliorer les systèmes de retraites. Ces syndicats, représentatifs d'environ  90% des personnels,n'entendent pas cautionner une tentative de satisfaire  une minorité d'initiés spéculant en bourse comme on jouait autrefois au  tiercé et qui seraient prêt à délocaliser un centre de contrôle pas assez  productif à Bucarest ou à Manille. Pour ce faire, plusieurs actions ont été  engagées ces derniers mois. Travail d'explication auprès des parlementaires  français et européens, des journalistes, mais aussi de la Commission  européenne. Une manifestation a amené 300 personnels devant le siège  d'Eurocontrol à Bruxelles, le jour de la conférence des 38 ministres de la  grande Europe de l'aviation. Des con-tacts ont été noués avec d'autres  syndicalistes européens. Mais dans une Europe dominée par le mode de pensé  anglo-saxon, ces représentants pensent souvent que le cours libéral est  irréversible et qu'il ne sert à rien de s'y opposer. Il faut dire, qu'en  Europe du Nord, les syndicats sont plus souvent des associations  professionnelles (7) et n'ont aucune pratique de la concertation telle  qu'elle est pratiquée en France. Cependant, nous ne désespérons pas d'amener  nos collègues à un mouvement européen avant la fin du semestre. En effet,  courant juin, le groupe de travail mis en place par la commissaire aux  Transports pour donner de la consistance à son projet de "ciel unique  européen", rendra ses conclusions. Ces actions ont eu un premier effet.  Plutôt que d'engager chaque État européen à séparer, chez lui, l'opérateur  du régulateur, la Commission envisage maintenant d'avancer plus prudemment.  Elle voudrait, par l'intermédiaire de son adhésion à Eurocontrol, imposer à  cette organisation de prendre sous son aile quelques aspects régaliens  aujourd'hui du ressort des États. La séparation ne serait effective que dans  plusieurs années, lorsque les États auraient progressivement transféré leurs  prérogatives à Eurocontrol. Se rendant compte des réticences des personnels,  la Commission réalise ainsi qu'elle aura du mal à imposer son point de vue  aux États et préfère prendre son temps pour arriver à ses fins. Mais si, fin  juin, les visées de la commissaire aux Transports ne sont pas stoppées, le  processus sera bel et bien engagé et, comme cela a été le cas pour les  télécommunications ou l'énergie, tous les systèmes de contrôle aérien seront  soumis aux lois du marché d'ici dix ans.

Que nous le voulions ou non, nous sommes tous usagers du transport aérien.  

Que nous soyons passager, ou simple habitant survolé par ces tonnes d'acier  ailées planant au dessus de nos têtes, nous sommes tous concernés par ce  projet de démantèlement et de mise en concurrence des systèmes de contrôle  aérien en Europe. Après la santé, l'énergie, le transport maritime,  ferroviaire et routier voici un nouveau domaine où la pensée uni-que va  faire des ravages. Il appartient à l'opinion publique de s'emparer du sujet  afin de faire entendre le point de vue citoyen de l'usager, volontaire ou  non, que nous sommes. L'Union syndicale de l'aviation civile-CGT vous  propose une première initiative : soutenir les contrôleurs britanniques dans  leur opposition à la privatisation du Nats (National air traffic  services).Pour cela,  branchez vous sur notre site internet :  http://www.usac-cgt.org et signez la pétition adressée au ministre  britannique des Transports.

Compte-rendu réalisé par Jean-Paul Armangau

(Notes) (1) L'organisation Eurocontrol regroupe aujourd'hui 28 pays  européens dont les 15 de l'Union. 

(2) En France, un budget annexe (le BAAC,  Budget annexe de l'aviation civile), géré par Bercy mais ne faisant pas  partie du budget de l'Etat, finance presque entièrement les dépenses de la  DGAC par le produit des redevances que lui reverse Eurocontrol. 

(3) Sur la  dernière décennie (1989-1999), le trafic aérien parisien a cru d'environ 60%  pour seulement 40% de passagers embarqués en plus. 

(4) IATA (International  Air Transport Association) et AEA(Air transport European Association) 

(5) à  Rome, c'est Pirelli et Benetton qui sont les mieux placés pour remporter la  concession. 

(6) au Royaume-Uni, Thomson-CSF est le premier sur les rangs  pour racheter tout le contrôle aérien britannique. 

(7) Si le nombre de  syndiqués y est supérieur à la France, ce n'est pas pour autant que les  syndicats pèsent dans les choix des dirigeants, aucune culture d'opposition  constructive n'animant généralement les syndicalistes anglo-saxons.

 
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