Mondialisation. Criminalité financière
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LES PARADIS FISCAUX
AVANT-PROPOS CARACTERISTIQUES
ET CHOIX D’UN PARADIS FISCAL
LES
TECHNIQUES D’UTILISATION DES PARADIS FISCAUX
CONCLUSION ANNEXES
AVANT-PROPOS Pourquoi combattre les paradis fiscaux ? L’impôt est un moyen de consacrer une partie des richesses issues de l’activité économique à la vie de la cité. Loin d’amputer les bénéfices de l’activité humaine, il est une condition du développement social à condition que sa gestion comme son contrôle soit l’affaire des citoyens. On peut, bien sûr, contester les modes de calcul des impôts ainsi que les choix de l’utilisation que l’on en fait. Mais échapper à l’impôt, que ce soit par des moyens légaux, semi-légaux ou illégaux, est tourné contre l’intérêt général. Les sommes qui échappent au fisc ne profitent qu’à quelques privilégiés, entreprises ou particuliers qui récupèrent déjà à leur seul profit une large part des fruits de la production. Ces richesses qu’ils ne partagent pas et qu’ils ne font circuler qu’entre eux n’ont aucune retombée positive sur la population. Les paradis fiscaux permettent au niveau planétaire à des entreprises ou des particuliers de confisquer à leurs concitoyens la part des richesses qui devraient légitimement leur revenir. Pour les Etats où sont implantées les sociétés-mères, ils contribuent à alourdir le déficit budgétaire, les intérêts de la dette publique, les restrictions dans les services publics, etc. Ce manque à gagner pour les caisses des états estimé à plus de 2000 milliards de francs s’ajoute à la fraude et à l’évasion fiscale ( 200 milliards de francs par an en France). Ce sont les citoyens qui doivent compenser en subissant toujours plus de carences et de pauvreté. Ce sont eux qui sont volés. Même si
l’existence des paradis fiscaux est actuellement légale au regard de la
législation internationale, ils constituent un aspect important de la
criminalité financière. De plus, ils sont d’immenses blanchisseries
pour l’argent issu d’activités illégales : trafics,
prostitution, etc. On peut citer l’expérience du rédacteur économique
de la revue Facts de Zurich,
rapportée par Jean Ziegler dans Les seigneurs du crime, qui « a testé les convictions morales, l’éthique professionnelle de dix
des plus prestigieux cabinets d’avocats zurichois. Il a choisi ses
interlocuteurs au hasard dans le Who’s who international des avocats
d’affaires[…] Installé dans la chambre 309 d’un palace des rives du
lac de Zurich, l’hôtel Eden-au-Lac, le journaliste se fait passer pour
un certain Alexeï Scholomicki, homme d’affaires tchèque, représentant
de la société Trading and Consulting de Prague. Puis il appelle les uns
après les autres les dix cabinets. Chaque fois, il sollicite un
rendez-vous urgent, dans la journée. A ses interlocuteurs, il raconte
l’histoire suivante : de l’osmium (matière hautement toxique)
doit être vendu par une entreprise de Tcheliabinsk (Russie) à une
entreprise tchèque à Ostrava, sans que les autorités russes en aient
connaissance, la commercialisation d’osmium étant interdite par la
Russie. Neuf des dix cabinets appelés reçoivent immédiatement
le faux trafiquant tchèque. Personne ne vérifie sérieusement ses
papiers d’identité. Le trafiquant ne possède pas non-plus de
certificat d’origine de l’osmium ; les avocats doivent donc
conclure qu’il s’agit de matériel volé. Le trafiquant demande
l’aide des avocats pour la première phase de la transaction : 1
kilo d’osmium doit immédiatement être transféré pour le prix de 5,1
millions de dollars, payables comptant. Qu’à cela ne tienne ! Les éminents avocats
zurichois sont prêts à tout. Et ils savent y faire : la plupart
d’entre eux proposent la création d’une société off-shore aux îles
Caïmans, méthode infaillible pour laver l’argent et effacer les traces
de la transaction. Un des avocats consultés opterait plutôt pour le
Liechtenstein. Un deuxième suggère une solution plus simple encore :
les sommes transiteront sur le propre compte bancaire du cabinet
zurichois. Il est loquace : si le client avait du plutonium à
vendre, il proposerait Dubaï, où il possède de discrets et efficaces
correspondants. Un troisième n’a pas confiance dans les îles Caïmans ;
pour le trafic d’osmium, il conseille le Panama. Tous les cabinets contactés se font payer au tarif
habituel : entre 350 et 500 francs suisses l’heure de consultation.
Le journaliste et faux trafiquant tchèque en conclut qu’il s’agit,
pour eux, d’une affaire tout à fait ordinaire, de celles que leurs
cabinets traitent régulièrement. L’un demande une avance de 10 OOO
dollars, le deuxième veut encaisser une somme correspondant à 1% des
sommes transférées, le troisième, enfin, exige une prime de risque de
50 000 dollars. » Combattre les paradis financiers relève de la morale la plus élémentaire. C’est un acte citoyen de première importance. S’éléver
contre ces paradis fiscaux est indissociable d’une remise en question du
secret bancaire dont, par ailleurs, ils ne sont pas les seuls praticiens.
Qu’ont à craindre les transactions de la transparence ? Les biens
qui ne peuvent justifier de leur provenance ne sont que les résultats
d’activités malhonnêtes souvent imbriqués dans l’économie légale
étant donné le développement de la circulation de la finance
internationale. Un embryon de justice internationale devrait pouvoir se
mettre en action pour lutter efficacement contre la corruption, les
trafics en tous genres, la prostitution, toutes ces activités protégées
par un secret bancaire, lequel est revendiqué par les banquiers au nom
d’une déontologie. C’est plutôt la transparence qui doit faire
partie de la déontologie. Les juges qui enquêtent sur des affaires de
criminalité financière se ramifiant dans plusieurs pays doivent pouvoir
mener leurs investigations le plus rapidement possible car les
transactions vont vite. Leurs compétences doivent pouvoir s’exercer en
dehors du territoire qui les rémunère. Les barrières, et notamment
celle du secret bancaire, doivent se lever pour qu’ils puissent enfin
agir contre la criminalité financière. Aussi devons-nous soutenir les magistrats européens qui ont signé l’Appel de Genève afin d’interpeler les pouvoirs publics en ce sens (voir en annexe l’article d’Alternatives Economiques d’avril 99). Pourquoi existe-t-il des paradis fiscaux ? Le problème de l’existence et de la tolérance des paradis fiscaux est évidemment politique. Le monde de la finance est souvent intimement lié à celui de la politique. C’est d’autant plus vrai dans ce contexte et cette situation rend ce problème très compliqué à aborder par les gouvernements : d’abord vis-à-vis de leurs concitoyens car nombre d’entreprises nationales et internationales, de dirigeants de ces entreprises, de personnalités politiques, de célébrités du sport et du spectacle résident dans ces paradis financiers ou usent de leurs services ; ensuite, vis-à-vis des autres gouvernements car les pays les plus riches abritent ou ont la main-mise économique et politique sur ces « pays à régime fiscal privilégié » (en France : Monaco et Andorre entre autres ; en Grande-Bretagne : Irlande, île de Man, Gibraltar, etc. ; aux U.S.A : Bahamas, Bermudes, etc. ;en Asie et au Moyen-Orient : Liban, Macao, Singapour, Hong-Kong, îles Marshall, etc. voir en annexe l’atlas des paradis fiscaux). Dès lors, quel gouvernement voudrait ouvrir le débat ? On remarquera que, lorsque cette question est posée à nos dirigeants, ce sont toujours les autres pays qui ne veulent pas en discuter. Même si l’on ne met pas en doute la bonne foi et la bonne volonté des décideurs, il faut constater les différences de points de vue politiques. On peut en effet considérer que les paradis fiscaux feraient partie du jeu de la mondialisation financière et ne nuiraient pas à l’amélioration des conditions de vie des habitants de la planète. On peut aussi estimer, comme ATTAC, que les profiteurs de ces paradis font partie intégrante de la criminalité financière et participent à l’aggravation de la misère du monde. « En toute logique, l’ensemble des échanges internationaux devrait s’équilibrer : ce que les uns achètent, les autres le vendent et réciproquement. Pourtant, entre 1989 et 1998, 1000 milliards de dollars se sont encore évanouis des comptes de la planète. Mais sans doute pas des paradis bancaires et fiscaux. Bien sûr, cette manne n’est pas seulement imputable aux organisations mafieuses. Mais personne ne sait comment expliquer ce trou noir dans l’économie mondiale, ni expliquer pourquoi il est devenu si vorace à partir des années 80. A moins de lier l’explosion de la finance spéculative et la courbe parallèle de la puissance des mafias et de la grande corruption au phénomène de dérégulation mondiale qui a eu lieu à cette époque. Ce trou noir de 1000 milliards de dollars en 10 ans montre le rapprochement entre l’économie criminelle et l’économie légale, notamment grâce au développement des paradis bancaires et fiscaux. », écrit Jean de Maillard dans Un monde sans loi (éditions Stock). Ne
pas mettre en doute la bonne foi de nos dirigeants relève quand même de
l’exploit : beaucoup les dénoncent mais peu agissent. Les paradis fiscaux existent car seuls quelques privilégiés en profitent, le reste de la population compense à la mesure du poids financier de ces derniers. « On parle de près de 500 milliards de dollars » :voir en annexe le résumé de l’étude de l’Office pour le Contrôle des Drogues et la Prévention du Crime (ODCCP) pour l’ONU. « On considère que la moitié des flux de capitaux internationaux passe ou réside dans ces endroits peu fréquentables, dont, selon les estimations, entre 2200 et 3000 milliards de francs de fonds illicites par an contre 510 milliards de francs il y a 10 ans » : journal Alternatives Economiques d’avril 99. Pour
la défense des paradis fiscaux, on nous présente un certain nombre
d’arguments : - d’abord, les privilèges accordés aux résidents étrangers permettent d’attirer les capitaux et donc de développer des états pauvres. Dans les faits, les élites en profitent mais on peut en douter pour le reste de la population ( voir l’article « archaïsme politique et « modernité » financière » du Monde Diplomatique en annexe) ; de plus, Monaco, la Suisse, Hong-Kong et bien d’autres sont loins d’être des pays en voie de développement… Enfin, privilégier des pays en affaiblissant par conséquence directe d’autres pays est-elle la seule et bonne solution ? -
un autre argument est celui du refus d’ingérence dans les affaires
d’un pays tiers. L’expérience nous a souvent montré que ce principe
est aussi aisément érigé qu’enterré suivant les intérêts des
nations les plus puissantes (guerre du Golfe, affaire des richesses
confisquées aux juifs par les nazis et stockées en Suisse…). Les
sommes oblitérées à la solidarité nationale et la participation des
paradis fiscaux à la grande criminalité (blanchiment d’argent détourné
des fonds publics, d’argent provenant de trafics de drogues, de
prostitution en général et d’enfants en particulier, etc…) ne
sont-elles pas des raisons suffisantes à l’intervention internationale ? - un troisième argument consiste à dire qu’un état ne peut pas réagir individuellement à ce problème. Ne peut-il pas, par contre, interpeler la communauté internationale et militer pour une réaction concertée ? - enfin et comme cité précédemment, on nous dit que les autres pays refusent d’en discuter. Comme tous les gouvernements ont ce language, ça finit par être vrai ; le problème n’a d’ailleurs jamais été abordé, ni dans l’Union Européenne, ni à l’ONU (sauf vis-à-vis du blanchiment d’argent sale mais, même dans ce cas, les mesures prises sont très insuffisantes pour faire face au développement de ce type de manipulation –voir en annexe l’étude de l’ODCCP). La
situation paraît encore plus bloquée au regard des institutions
internationales. Elles ne permettent pas d’agir concrètement contre les
paradis fiscaux à cause du fonctionnement de ces institutions et de la
complicité d’un certain nombre de leurs membres (voir en annexe
l’interview de Jean de Maillard). Dans l’Union Européenne, les décisions en matière de fiscalité doivent être prises à l’unanimité, ce qui signifie que chaque membre a droit de véto sur les propositions (on parle d’ailleurs du « syndrôme du Luxembourg »). Sachant que le Luxembourg, la Hollande sont membres, que la France et l’Angleterre protègent plusieurs paradis fiscaux, comment pourrait-on avancer dans ce dossier ( voir en annexe « l’harmonisation fiscale européenne ») ? Au niveau mondial, l’Organisation des Nations Unies est réputée pour sa partialité et ses droits de véto. Elle ne peut pas intervenir dans sa situation. Elle aborde le problème par son versant le plus exposé, celui du blanchiment de l’argent de la drogue et de la prostitution (voir en annexe le résumé du rapport de l’ODCCP pour l’O.N.U.). Celui de l’évasion fiscale reste tabou.
INTRODUCTION Note : les mots en gras sont définis dans le
lexique. Le phénomène des paradis fiscaux est né pratiquement avec l’impôt . Déjà, dans l’ancienne Grèce, les petites îles voisines d’Athènes devinrent des refuges, en vue d’éviter l’impôt de 2% perçu par la Cité sur les importations et les exportations. De même, les négociants qui s’installaient dans la Cité de Londres, au Moyen Age, étaient exonérés de tout impôt. La Hollande (encore aujourd’hui considérée comme un paradis fiscal) était un abri, durant les XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles, où se prélevait un minimum d’impôts. Aux Etats-Unis, l’évasion fiscale internationale n’est pas nouvelle. En 1721, les colonies américaines orientaient leur commerce vers l’Amérique latine pour éviter de payer les droits imposés par l’Angleterre. En France, c’est après la seconde guerre mondiale que l’utilisation des paradis fiscaux par les sociétés se développa. Non seulement dans un but d’évasion fiscale par le jeu de la fixation du prix de transfert entre sociétés mères et filiales, mais également pour servir d’abri à des capitaux destinés à être réinvestis ou rapatriés. Aujourd’hui, les paradis fiscaux se développent en grande partie grâce à la présence de banques étrangères. Leur expansion trouve également sa source dans l’internationalisation des sociétés qui cherchèrent d’abord à conquérir de nouvelles parts de marchés, puis à localiser certaines de leurs activités dans des pays à main d’œuvre bon marché . Ensuite, ces groupes internationaux répartissent leurs filiales en fonction de la fiscalité des pays d’accueil. Mais ces disparités fiscales ne suffisent pas pour qualifier un paradis fiscal. Tout un environnement est nécessaire. Les Anglais et les Américains en sont les plus importants utilisateurs. Ils sont d’ailleurs à l’origine de la création de la plupart d’entre eux. Sans doute parce que l’objectif des groupes américains et anglais est de maximaliser les bénéfices. Ceci les conduit à pratiquer presque systématiquement l’évasion fiscale, en particulier lorsqu’ils opèrent en dehors de leur pays. Les groupes français sont plus timides dans ce domaine peut-être par manque d’expérience. Mais la mesure et la comparaison du recours aux paradis fiscaux par les contribuables de différents pays est par nature très délicate. Il va de soi que la discrétion est le souci premier de l’utilisateur. Les méthodes d’évasion fiscales utilisant des paradis sont très variées, bien que des schémas classiques soient fréquemment adoptés. Tel est la cas de l’usage des sociétés relais, des prix de transfert et des conventions fiscales internationales. L’utilisation d’un paradis fiscal a un impact économique non seulement pour le contribuable utilisateur mais également pour les pays d’où proviennent les capitaux.Ce
document est consultable à la permanence d’ATTAC-Rhône, 44, rue
Saint-Georges, 69005 LYON.
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