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La Taxe Tobin
Synthèse
préparée par le comité
mosellan d'attac -06/1999 Au moment même
où le système monétaire international issu des accords de
Bretton Woods* s'effondre, James Tobin, un professeur américain de
l'université de Yale, imagine un outil de lutte contre la spéculation
financière, dés lors appelé Taxe Tobin (Tobin Tax). Au cours
d'un colloque en 1972, cet universitaire (keynésien*, prix Nobel d'économie
en 1981) présente pour la première fois son idée de taxer toutes les
transactions de change*, de"mettre un grain de sable"
dans ces mécanismes, pour décourager "les spéculations qui
effectuent des allers et retours en quelques semaines". 1. La situation actuelle
Dans un
rapport récent, l'OCDE* note avec cynisme : "En raison de la
mobilité internationale accrue des investissements financiers, il peut se
révéler nécessaire d'alléger la taxation des revenus du capital. Ainsi
la majeure partie de la charge de l'impôt retombera sur le travail qui
est le moins mobile".(1) 1.1. Une
succession de décisions depuis les années 70
La libéralisation
et la déréglementation sont des choix des gouvernements
des pays les plus riches, progressivement imposés, notamment sous la
pression du FMI*, à toute la planète.
1.2. Hégémonie
de la finance et mobilité des capitaux
Quotidiennement,
quelques 1500 milliards de dollars font de multiples allers et
retours, spéculant sur des variations du cours des devises. Cette
instabilité des changes est l'une des causes de la hausse des intérêts
réels*, qui freine la consommation des ménages et les investissements
des entreprises. Elle creuse les déficits publics et, par ailleurs,
incite les fonds de pension, qui manient des centaines de milliards de
dollars, à réclamer aux entreprises des dividendes de plus en plus élevés.
Les premières victimes de cette "traque" du profit sont les
salariés, dont les licenciements massifs font bondir la cotation boursière
de leurs ex-employeurs. (4) Pour prendre
la mesure de ces mouvements, il faut considérer que le PIB* français s'élève
à 8000 milliards de francs par an, soit près de 1400 milliards de
dollars ; que le montant total du commerce de biens et services a
correspondu en 1995 à trois jours et demi de transactions sur le marché
des changes (1) ; que les exportations mondiales, tous produits
confondus, atteignent 5000 milliards de dollars par an (9) ; que les réserves
de change* du G7* (sept pays les plus industrialisés) ne sont que de 500
milliards de dollars (10) ;que l'encours des réserves de change* de
toutes les banques centrales de la planète ne s'élèvent qu'à1200
milliards de dollars (5). Ce dernier chiffre montre que les"spéculateurs
institutionnels"* détiennent un pouvoir très supérieur à celui
des instituts d'émission*, lesquels ne peuvent plus, ni individuellement
ni collectivement, lutter contre la spéculation. M. Alan Greenspan (président
de la banque centrale américaine, la FED) a d'ailleurs reconnu que
"l'efficacité des marchés financiers est telle qu'elle permet de
transmettre les erreurs beaucoup plus vite que quiconque aurait pu le soupçonner
il y a seulement une génération". La vitesse et le volume des échanges
envisageables ayant été multipliés par dix depuis 1987, les risques
d'instabilité financière ont beaucoup augmenté, surtout dans un monde où
les économies nationales sont de plus en plus liées les unes aux autres
par tout un réseau de transactions commerciales et financières. (5) "Seule
une fraction infime des opérations, estimée à 3 % par les observateurs
les plus sévères et à 8 % par les plus indulgents, a pour but de solder
des transactions commerciales internationales ou de servir de véhicule
pour des transferts de capitaux destinés à des investissements
productifs.[...] 80 % des transactions correspondent à des allers-retours
d'une durée inférieure à une semaine ouvrable[...] mais beaucoup d'opérations
d'achat et de vente sont faites sur des délais encore plus courts".
(1) Depuis dix
ans, une concentration massive du pouvoir financier s'est produite. Le
"spéculateur institutionnel"* a surgi, acteur puissant, et désormais
capable de l'emporter sur des intérêts plus traditionnels, par exemple
liés à une activité productive. Grâce à une variété d'instruments,
ces spéculateurs institutionnels* peuvent désormais s'approprier une
partie de la richesse générée par les producteurs de biens et de
services. Et, à présent, ce sont eux qui dictent souvent le sort des
entreprises cotées à Wall Street. Sans lien avec l'économie réelle,
ils peuvent néanmoins précipiter la faillite de grandes entreprises
industrielles. (5) 1.3. Disparités
et instabilité croissantes
Depuis la fin
de la convertibilité en or du dollar, décidée par le président américain
Richard Nixon en 1971, et depuis la libéralisation généralisée des
mouvements de capitaux - aux Etats-Unis en 1974, dans l'ensemble de la
Communauté européenne à partir de 1990 -,le monde vit dans une
totale instabilité monétaire. Une économie financière purement spéculative
s'est développée, de plus en plus dissociée – quand elle n'en est pas
ennemie - de l'économie réelle et d'une véritable culture industrielle.
L'objectif de la rentabilité à court terme provoque, ici des crises de
surproduction (industrie automobile, électronique, informatique, acier),
là des pénuries (logement, éducation, alimentation) et, dans maints
autres secteurs, des chutes de productivité (céréales de base, systèmes
informatiques, etc). (6) La
restructuration mondiale des institutions et des marchés financiers a accéléré
l'accumulation d'énormes richesses privées, souvent produites par des
transactions spéculatives. Le "club des milliardaires de la planète"
compte à présent 450 membres et détient à lui seul une fortune très
supérieure au produit national brut cumulé des pays pauvres, où vivent
56 % de la population mondiale. Au même moment, les revenus de la masse
des producteurs de biens et de services - c'est-à-dire le niveau de vie
de la plupart des salariés - continuent de baisser, les programmes
collectifs de santé et d'éducation ont été revus à la baisse, l'inégalité
s'accroît. Selon l'Organisation Internationale du Travail(OIT), le chômage
toucherait près d'un milliard de personnes dans le monde, soit près du
tiers de la population active. Car, euphorie mondialisante mise à part,
c'est bien la stagnation qui, depuis le krach de 1987, définit le mieux
la situation de toutes les régions de la planète. Une contraction du
pouvoir d'achat mondial vient de se produire. A l'exception du florissant
marché des produits de luxe, destiné au segment socio-économique le
plus favorisé, les débouchés du secteur des biens de consommation
courants se font plus rares. L'envol des valeurs boursières est donc sans
rapport avec les mouvements de l'économie réelle. Or les marchés
financiers ne peuvent pas "vivre leur vie indéfiniment". Mais
quand les cours basculent, ce sont des économies destinées à financer
une retraite, une éducation ou un risque quelconque qui fondent ou
disparaissent sans prévenir.(5) 2. Objectifs et effets
3. La Taxe Tobin, un moyen d'action parmi
d'autres
3.1. Le
principe de la taxe Tobin
L'idée est
d'instituer une taxe sur les opérations de change*, de manière à
freiner le passage d'une monnaie à l'autre et, pour reprendre
l'expression de Tobin, de "jeter du sable dans les rouages trop bien
huilés" des marchés monétaires et financiers internationaux. La
taxe doit être faible, de manière à ne pénaliser que les opérations
purement spéculatives de va-et-vient à très court terme entre les
monnaies [et non les investissements]. Supposons, par
exemple, qu'une taxe de 0,1 %soit prélevée sur toute opération de
change* et que l'horizon du spéculateur soit mensuel. Comme chaque
transaction destinée à obtenir un gain de change*implique un aller et
retour entre deux monnaies (soit deux opérations de change*), il faudrait
alors un écart de rendement anticipé supérieur à 0,2 % à un mois
[...] pour que l'arbitrage soit avantageux (2) [sinon, le gain de spéculation
est absorbé par la taxe]. Le raisonnement reste le même si l'horizon de
la spéculation est d'une journée (ce qui est souvent le cas). Autrement
dit, avec une taxe de 0.1 %, la plupart des arbitrages spéculatifs à
court terme seraient découragés (taxation à chaque mouvement), alors
que les opérations à plus long terme (un an et plus)seraient moins défavorisées
(taxation lors de l'engagement et du désengagement). 3.2. Les
autres moyens d'action(développements ultérieurs)
Autre forme
possible de taxe sur le capital, celle sur les investissements directs à
l'étranger(IDE) : investissements dans les biens immobiliers, leurs équipements
et les technologies qui leur sont associées. Son articulation avec la
taxe Tobin est claire : si la richesse est absorbée par les
transactions financières et que les investissements directs sont négligés,
alors les nations s'exposent au risque que définissait Keynes* dans les
années 30, lorsqu'il écrivait qu'"il n'y a pas grand-chose à
attendre de bon d'une situation (...) où le développement d'un pays
devient le sous-produit des activités d'un
casino".Traditionnellement, l'impôt sur les sociétés porte sur les
bénéfices. Il a été efficace pendant plusieurs décennies depuis la
fin de la seconde guerre mondiale, et il a fourni des recettes fiscales
substantielles aux gouvernements. Mais aujourd'hui, la mondialisation et
la volatilité des capitaux ont rendu sa collecte extrêmement difficile.
(3)
4. Les arguments des adversaires de la taxe
Tobin
Bien que la
Taxe Tobin ne puisse être considérée comme une mesure radicale, elle ne
suscite pas l'enthousiasme des gouvernements sociaux-démocrates,
actuellement au pouvoir en Europe, qui pourtant devraient lui être
favorables. 4.1.
L'argument théorique : le fonctionnement actuel est souhaitable
Le régime des
changes flottants s'appuie sur les mécanismes de marché où les décisions
des intervenants résulteraient de certains"fondamentaux" (taux
d'inflation, déficit budgétaire, dette publique, balance commerciale).
Cependant, d'une part les critères jugés "essentiels"
correspondent à une optique libérale, d'autre part les opérateurs
agissent souvent en fonction d'autres critères liés aux monnaies en tant
qu'actifs financiers : c'est ainsi que le dollar bénéficie en
presque toute circonstance d'une cotation favorable que l'examen des
"fondamentaux" de l'économie ne justifie souvent pas (1). Le
monde du 12/10/98 rapporte d'ailleurs des propos d'Olivier Davanne (chargé
d'un rapport pour Lionel Jospin) qui vont dans ce sens : "L'événement
marquant du fonctionnement actuel des marchés est l'horizon très court
des investisseurs. Il en résulte trop souvent des comportements
moutonniers [...]. Au total, il faut bien admettre que la capacité des
marchés à analyser les fondamentaux économiques et financiers est assez
limitée". De façon plus
générale, le marché serait auto-régulateur et optimiserait
l'allocation des ressources matérielles, immatérielles et humaines de la
planète : "la bonne ressource, venue du bon endroit, pour le
bon produit, sur le bon marché et au bon moment pour le bon
consommateur". Or, aujourd'hui aucun économiste sérieux ne peut
attribuer ces propriétés au marché. (7) 4.2.
L'argument technique : c'est infaisable
La taxe Tobin
peut apparaître utopique dans le contexte actuel. Ses détracteurs font
valoir que celle-ci serait contournée et ne serait efficace que si elle
était adoptée par l'ensemble de la communauté financière
internationale. Ces objections doivent être relativisées. Le propre de
toute taxe est de faire l'objet d'une évasion fiscale, faut-il renoncer
aux impôts pour autant ? En fait, l'application de cette mesure
symbolique [mais pas uniquement], qui ne suffirait d'ailleurs pas à
enrayer l'instabilité monétaire internationale, est avant tout une
question de volonté politique de la part des Etats. D'autant que les opérations
de change* se concentrent sur un nombre limité de places financières. Un
complément à la taxe Tobin pourrait prendre la forme de mesures de contrôle
des entrées de capitaux, telles que celles pratiquées par le Chili et la
Colombie. (2) En 1998,
Londres [32 %], New-York [18 %], Tokyo [8 %], Francfort [5 %] et
Paris [4 %]concentraient plus de deux tiers du marché et huit places [les
mêmes et Singapour (7 %), Hong-Kong (4 %), Zurich (4%)]assuraient 82 % du
total des opérations. L'interconnexion mondiale est assurée au plan
technique par un petit nombre de sociétés spécialisées [...]. Par conséquent,
cette concentration rendrait la perception de la taxe tout à fait
faisable au plan technique et relève la nature essentiellement politique
des objections faites à la proposition. (1) 4.3. Le
produit de la taxation
Le produit de
la taxe Tobin dépendrait du taux de la taxe - qui varie de 1 % à 0,1%
selon les propositions - et de l'importance des mouvements de capitaux que
la taxe doit précisément réduire : de 100 à 720 milliards de
dollars. Au taux de 0,25 %, près de 290 milliards de dollars seraient dégagés
; au taux de 0,1 %, la taxe permettrait de générer 166 milliards de
dollars en un an ; même un taux aussi bas que 0,05 % dégagerait quelque
100 milliards de dollars. Les chiffres sont bien entendu entourés
d'incertitude, car par définition le montant global des opérations de
change*, devrait baisser. Reste à savoir dans quelles proportions. (8) La perception
comme l'utilisation du produit de la taxe est un débat politique
important auquel il faut apporter une réponse. Si, du fait de leur
subordination aux Etats-Unis et de leur libéralisme, la Banque Mondiale*
et le F.M.I* doivent être écartées, de nombreuses questions très concrètes
méritent la réflexion de tous et toutes. Qui percevra
la TT ? Un organisme international ? Les Etats où se dérouleront les opérations
? Qui contrôlera la perception et le prélèvement de la TT ? Qui décidera
de la répartition des recettes de la TT ? Quelques
"petites" questions soumises à la réflexion de chacun(e). [Séminaire
international d'ATTAC, 25/01/99] Conclusion
Les trois
taxes - taxe Tobin, taxe sur les IDE et taxe unitaire sur les bénéfices
– constituent une mosaïque dont peuvent s'emparer des opinions qui
aspirent à plus de justice et d'équité. Les"élites"
utilisent la modernisation et la globalisation pour s'attaquer aux systèmes
de sécurité sociale, aux pauvres des pays développés et aux plus
pauvres des pays en développement. Il est temps de leur montrer que les
forces qui leur résistent savent aussi utiliser ces mêmes armes de la
modernisation et de la globalisation. (3) Bibliographie
(1) François
Chesnais, "Tobin or notTobin : une taxe internationale sur le
capital" - L'esprit Frappeur n° 42 Lexique(par ordre alphabétique)
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