Propositions - Spéculation

FRANCE - ASSEMBLEE NATIONALE

Attacbouton.jpg (1599 bytes)

Ouverture du colloque « Faut-il réguler le système financier international ? »
Mardi 25 mai 1999

Intervention de M. Laurent FABIUS, Président de l’Assemblée nationale
-Assemblée nationale-

Mesdames, Messieurs,

Il est excellent que, dans cette assemblée, nous ayons l’occasion de débattre d’une question aussi déterminante que la régulation du système financier international. Je félicite le président Bonrepaux, qui en a pris l’initiative. Je tiens aussi à remercier toutes les personnalités qui ont accepté de participer à cette rencontre .

Même si la formule est parfois galvaudée, c’est peu dire que cette rencontre arrive à un moment opportun. Auparavant, les esprits n’étaient sans doute pas mûrs et quand on évoquait, dans telle ou telle instance internationale, la nécessité de réguler un ordre monétaire qui s’accommodait pourtant de grands désordres, on passait pour un interventionniste dangereux.

La crise, les crises de 1997 et la suite ont changé la donne. La dégringolade, à l’été 1997, de la Thaïlande et de sa monnaie nationale a eu, d’une certaine façon, des vertus pédagogiques. Ce que les épisodes précédents n’avaient pas réussi à produire, à savoir un sentiment de réel danger conduisant à envisager de vraies réformes, il semble que, ajoutés à quelques scandales financiers, les chocs additionnés du baht, du won, du rouble, du real et de quelques autres monnaies, aient conduit à ce qu'enfin l'esprit de réforme arrive à maturité.

Certes, les pompiers de la brigade internationale sont, à chaque fois, intervenus et ils ont, jusqu’à présent, réussi à éviter un embrasement général. Mais, il ne faudrait pas croire que tout danger soit écarté ni que le feu ne puisse à tout moment redémarrer, attisé par une éventuelle dévaluation de la monnaie chinoise, une contagion latino-américaine ou telle autre circonstance.

Je me réjouis que le dogme absolu de la régulation automatique des marchés commence à reculer. Mais, nous connaissons aussi les forces de résistance. Depuis quarante ans, elles ont réussi à bloquer les tentatives que la France notamment a faites pour proposer un système financier non seulement plus stable, mais plus juste.

Un consensus semble aujourd'hui se dégager, au sein des instances internationales, pour faire avancer une série de réformes qui devraient apporter une contribution réelle à la prévention et à la gestion des crises. Comment ne pas approuver cette volonté nouvelle, par exemple, de surveiller de plus près les institutions financières, en leur imposant des codes de bonne conduite et des standards plus rigoureux, de se préoccuper des "hedge funds" et autres dispositifs à fort effet de levier, d'impliquer financièrement les investisseurs privés dans la résolution des crises, d'imposer au F.M.I. plus de transparence dans ses décisions et dans les informations qu'il diffuse, ou encore de prendre davantage en compte les conséquences sociales des dispositifs, souvent très durs, qui sont prescrits aux économies en crise ?

Pour autant, je crains qu'on ne s'attache plutôt à empêcher la réédition des crises passées qu'à prévenir celles du futur. Les vrais risques ne se situent pas seulement, aujourd'hui, dans les pays émergents, qui ont commencé à mettre en œuvre des thérapies appropriées et qui redémarrent, pour certains du moins, sur des bases assainies, mais aussi dans les pays industrialisés, qui forment le cœur du système financier international. Je m'inquiète que certaines questions essentielles ne soient qu'esquissées. Il y en a beaucoup. J’en citerai quatre parmi de nombreuses autres.

1- Continuera-t-on à tolérer l'existence de zones "off shore", qu’il -vaudrait mieux appeler hors-la-loi, car elles se placent délibérément en dehors des règles admises par la communauté internationale ? Est-il acceptable que des capitaux considérables puissent ainsi échapper à toute fiscalité, déstabiliser des régions entières, alimenter souvent le crime et la corruption ? Ne serait-il pas temps de tirer toutes les conséquences de la globalisation et de mettre en quarantaine les territoires qui refusent de se soumettre au droit international ? On n'imagine pas que nous soyons incapables d'inventer des parades capables de neutraliser ces Etats pirates.

2- Deuxième question : la maîtrise indispensable des flux de capitaux à court terme. On sait le rôle amplificateur que ces mouvements erratiques ont joué dans la crise asiatique. Pour autant, les propositions tendant à les juguler ne se bousculent pas, en dehors de la taxe sur les échanges proposée, il y a plus de 20 ans, par James Tobin. Je connais comme vous les objections formulées. Je me demande néanmoins si les inconvénients liés à un ralentissement de la circulation financière seraient pires que les dégâts provoqués par la volatilité excessive des marchés et si les questions de faisabilité toujours invoquées sont aussi insurmontables qu’on le dit. L’Euro aussi fut un jour totale utopie. Il est devenu une réalité. Quoi qu’il en soit, concrètement rien n’avance. Les objectifs de cet outil sont pourtant clairs : maîtriser, en particulier en cas de crise, les flux de capitaux à court terme ; pénaliser ces flux par rapport à ceux de long terme ; rééquilibrer la fiscalité du capital par rapport à celle du travail. J’espère que vos travaux permettront de faire avancer la réflexion sur ce point.

3- Autre question fondamentale, les régimes de change. Nous sommes dans la situation paradoxale où les pays émergents, qui présentent des risques élevés de déstabilisation, pratiquent souvent une exigeante fixité des changes, alors que les pays industrialisés, moins exposés, connaissent un flottement généralisé. Entre ces deux extrêmes, il devrait y avoir place pour une politique de stabilité des changes. C'est cette politique qui a longtemps assuré la prospérité des pays développés et qu'il convient aujourd'hui de retrouver, en l'adaptant à un monde multipolaire, où toutes les grandes régions du monde doivent trouver leur place. L’Euro, là aussi, est le principal changement de cette dernière période, changement positif dont l’effet d’entraînement sur les autres paramètres économiques et sociaux de l’Europe sera d’une considérable importance. Pourquoi ne pas estimer que la méthode qui a réussi à l'Europe pourrait s'appliquer ailleurs ? Pourquoi n'envisagerait-on pas d'instaurer, entre le dollar, l'euro et le yen et à l'intérieur de chaque grande zone monétaire, une coordination souple, pragmatique, pour favoriser les échanges, sécuriser les placements et limiter la spéculation ? Sans oublier que, si l'Europe a réussi à passer en 20 ans d'un simple serpent à une véritable union monétaire, c'est parce qu'elle s'est imposé, d'abord implicitement, puis explicitement, une discipline économique et budgétaire assurant la crédibilité de ses objectifs monétaires. Il serait intéressant que le tout nouveau forum de stabilité financière réfléchisse à des règles d’harmonisation qui permettraient d'assurer la crédibilité et donc la stabilité des parités.

4- Ce qui m'amène à évoquer un dernier point, la nécessaire réforme des institutions financières internationales. On comprend que nos amis américains n'aient pas une folle envie de modifier un système que, globalement, ils contrôlent assez bien. Je crois qu'il nous faudra cependant d’une manière ou d’une autre mettre en place une Organisation Mondiale des Monnaies correspondant à l'ère nouvelle où nous sommes entrés. La globalisation des flux financiers peut, certes, favoriser le développement des échanges et contribuer à la prospérité générale. Elle implique aussi des risques, qui appellent des instances régulatrices capables de les juguler. Le FMI ne peut pas seul, exercer la fonction de "prêteur en dernier ressort" - on l'a bien vu dans de récentes affaires, il faut donc mettre sur pied une force d’intervention pour répondre à des situations de crise, qu'il s'agisse de crises de liquidité ou de crises de valorisation. Le FMI et les Banques centrales devraient jouer un rôle essentiel dans cette force d'intervention, à côté sans doute de grandes institutions financières privées. L’idée que, à l'image du Conseil de sécurité qui se réunit à New-York lorsque la guerre menace, un Conseil de sécurité économique se constitue, à l'échelle du globe, pour faire face aux crises et aux kracks menaçant la vie des hommes et la stabilité des Etats, cette idée audacieuse me paraît salutaire. Ce Conseil associerait les pays émergents à la gestion monétaire mondiale, de manière pragmatique. Il serait le lien, indispensable, entre monnaie, commerce et environnement, favorisant la cohérence des grandes négociations internationales. Il fournirait un élément essentiel de stabilité, de progrès et de prospérité pour le siècle qui vient.

Mesdames, et Messieurs, un tout dernier mot. Il existe dans le domaine si complexe du système financier international beaucoup d’incertitudes. La seule certitude, compte tenu du nombre et de la puissance des facteurs d’instabilité, c’est la survenance d’une crise financière si des modifications majeures ne sont pas réalisées. Quand, comment, avec quelle intensité, cette crise ? Nous ne le savons pas. Mais la certitude qu’elle advienne, malheureusement, oui. A moins qu’un peu de sagesse, donc beaucoup de réformes ne se mettent en place. Le champ est immense : bon travail !

 

fraass.gif (3204 bytes)

 

FRANCE

Attacbouton.jpg (1599 bytes)