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COLLOQUE DU 25 MAI 1999
INTERVENTION de M. Augustin BONREPAUX
Mesdames, Messieurs, Je voudrais tout dabord remercier lensemble des participants à ce colloque pour la qualité des débats. Nous avons pu constater au cours de cette journée, combien la psychologie des acteurs financiers, leurs croyances et leurs anticipations jouaient un rôle déterminant pour expliquer les mouvements erratiques des marchés de capitaux. Il nous faut aussi prendre en compte lopinion de nos concitoyens qui me semblent de plus en plus méfiants à légard de la mondialisation. Cette défiance traduit un sentiment dimpuissance face à la « dictature des marchés », aux milliards échangés quotidiennement, aux crises financières à répétition dont les salariés supposent quils en seront les premières victimes. Ce rejet de la mondialisation financière doit interpeller les politiques et lensemble des acteurs du système monétaire et financier, et me conduit à formuler trois questions : la libéralisation financière a-t-elle tenu ses promesses ? Comment redéfinir la politique économique ? Est-il nécessaire de revenir sur tout ou partie de la liberté des mouvements de capitaux ? La libéralisation financière a-t-elle tenu ses promesses ? La finance a un rôle irremplaçable dans léconomie : selon les cas, elle facilite ou ralentit laccumulation du capital et donc la croissance. La qualité du système financier doit alors être jugée à laune de sa capacité à favoriser la croissance, donc à créer des emplois. Depuis les années 70, les marchés financiers ont été très largement libéralisés. Cette déréglementation générale a été voulue et décidée par les responsables politiques, dans lespoir dune croissance mondiale plus forte et dun soutien aux investissements. Aujourdhui, il est légitime de se demander si les promesses annoncées ont été tenues ou si cela a engendré une mécanique dont le contrôle nous échappe totalement. Premier constat : lexplosion des marchés financiers sest faite au moment où on a observé un ralentissement prononcé de la croissance dans les pays industrialisés. La libéralisation financière a permis un enrichissement des épargnants bien plus rapide quauparavant, sans quon observe une croissance parallèle du revenu de la société. Le moteur de la croissance financière na donc pas été la hausse de la production de biens et services mais la hausse du prix des actifs. Deuxième constat : les entreprises les plus innovantes ont peu bénéficié de la libéralisation financière. On attend dun système financier efficace quil soutienne les entreprises qui développent de nouvelles techniques de production et des produits innovants. Certes, la libéralisation a permis aux grands groupes de se procurer des ressources à moindre coût. Mais la masse des petites et moyennes entreprises, qui sont un des facteurs essentiels de linnovation, nont pu bénéficier de cette manne et ont, au contraire, payé le prix de lenvolée des taux dintérêt. Cette discrimination des marchés financiers sexplique par la nature même des investissements dans linnovation technologique : ce sont des investissements de long terme. Or lobsession de la liquidité conduit les acteurs financiers à ne pas sengager dans des opérations de long terme. Troisième constat : la libéralisation financière a accentué les cycles de production et dinvestissement. Comme la fort bien démontré Michel Aglietta, chaque système financier possède ses avantages et ses propres contradictions. Durant les 30 glorieuses, nous avions des systèmes financiers à structures administrées. Dans ce cadre, laccumulation du capital est toujours sauvegardée et la production favorisée. Toutefois, lexpérience nous a montré que linflation était le mal endémique de ce système. En revanche, dans le régime de finance libéralisée actuel, le système financier favorise une inflation stable et basse, mais entrave laccumulation de capital. Cela est dautant plus dangereux que la non réalisation de programmes dinvestissement peut être irréversible et obère la croissance de long terme. Quatrième et dernier constat : la libéralisation financière a accru linstabilité des marchés . Depuis la première vague de libéralisation le nombre de crises financières sest considérablement accru par rapport à la période précédente. Cette instabilité nest pas nouvelle, car elle est inhérente à la nature même des marchés financiers. Mais elle sest considérablement renforcée que ce soit sur les marchés des changes, de la dette ou des actions. Les risques dinstabilité et de propagation financière sont donc devenus très importants et mettent le monde à la merci dune crise généralisée. * Ces constats, non exhaustifs, expliquent les interrogations de nos concitoyens sur la mondialisation financière. La libéralisation na pas été profitable pour le bien commun. Lirrationalité des marchés a accru les dérèglements dans une proportion bien plus grande que les avantages qui ont découlé de la globalisation financière. Les capitaux flottants ont atteint une telle dimension, quils pèsent sur les choix de politique économique des gouvernements. Cette réalité nouvelle doit nous inciter à créer des politiques de régulation adaptées au contexte actuel. Comment redéfinir une nouvelle politique économique ? Au sein dun régime de finance libéralisée, linflation est maîtrisée de manière quasi endogène par la variation des taux longs et ce sont plutôt les cycles de production et dinvestissement qui font les frais dune dépression financière. La politique monétaire doit en conséquence évoluer pour sortir du dogme de linflation zéro. La tâche nen est que plus difficile : en baissant les taux dintérêt pour favoriser la croissance, la politique monétaire peut favoriser un endettement généralisé qui alimente la spéculation sur les actifs sans pour autant financer linvestissement productif. A linverse, une hausse trop rapide des taux dintérêt pour juguler des risques de reprise de linflation, peut provoquer une dépression financière source dune déflation généralisée qui annihilera le redémarrage de léconomie. Aussi, la politique monétaire devrait être plus pragmatique que dans le passé. Le niveau général des prix ne peut plus être lindicateur unique pertinent de la politique monétaire et une plus grande attention devra être portée aux fluctuations des cycles de production et dinvestissement. Il faut dabord prévenir les risques La libéralisation financière a encouragé la prise de risques pour diminuer les coûts du capital, aux dépens de la stabilité macroéconomique. Les séparations de moins en moins lisibles entre activités de marché et activités de banque, lirruption de nouveaux opérateurs institutionnels aux forces financières colossales, les comportements hautement spéculatifs de nouveaux fonds, rendent urgent un encadrement plus strict. Une orientation fait lobjet dun quasi-consensus : la nécessité de resserrer le dispositif prudentiel et lorganisation dune supervision efficace pour prévenir les risques dinstabilité. Les errements de la libéralisation financière sont souvent dus aux décalages entre la rapidité de la déréglementation et la lenteur de la mise au point de nouvelles règles prudentielles dans les secteurs bancaire et financier. Les normes prudentielles internationales définies à Bâle et à Bruxelles doivent être appliquées à lensemble des pays, ce qui ne concerne pas seulement les pays émergents. Une telle réglementation doit être effective, ce qui nécessite la mise en place dautorités de supervision aux moyens dinvestigations étendues. Le renforcement de la sécurité financière prévu par un projet de loi en cours de discussion au Parlement français, constitue un bon exemple de régulation à mettre en uvre au niveau international. En effet, parallèlement à un resserrement du dispositif prudentiel, il faut encourager linstauration de mécanismes de garantie des dépôts alimentés par les cotisations des établissements de crédit, proportionnées au risque global quencourt chaque établissement. Pour autant que ces mesures soient nécessaires, elles me semblent insuffisantes. Les désordres de la mondialisation appellent des initiatives fortes pour dégager les moyens coercitifs dun ordonnancement des flux de capitaux. Des mesures coercitives paraissent indispensables La libéralisation des mouvements de capitaux a débuté avec le marché des changes, et ce nest pas par hasard si les discussions se sont focalisées sur ce marché. Bien évidemment, les mouvements de change ne sont pas anormaux sils sanctionnent des erreurs de politique économique. De plus, ils facilitent le financement des déficits des balances des paiements : les déséquilibres entre les grandes zones économiques ne sont donc pas étrangers aux mouvements erratiques de change. Mais aujourdhui, le montant cumulé des opérations quotidiennes sur le marché des changes est de lordre de 1.550 milliards de dollars. Elles sont réalisées pour moitié par moins de 10 opérateurs dans chaque pays. Cela ne correspond que pour 20% à des opérations commerciales. Cela engendre une volatilité des changes à court terme et permet à quelques fonds spéculatifs de réaliser des profits ou des faillites dont lensemble du système financier est obligé de payer les coûts. Si lon ne souhaite pas revenir sur la liberté de mouvements des capitaux, il est nécessaire de mettre en uvre des mesures qui restreignent la volatilité des changes. Cest dans ce contexte que la proposition du prix Nobel James Tobin a connu un nouvel essor. Conçue dans les années 70, cette taxe sur les mouvements de change est destinée à « jeter du sable dans les rouages trop bien huilés des marchés monétaires et financiers internationaux ». Cette taxe, ramenée à un taux très faible, 0,05 à 0,1%, permettrait de rendre moins rentables les opérations daller et retour de très court terme, tout en restant marginale pour des mouvements de long terme. Jentends bien les objections qui sont faites : 1) Une telle taxe réduirait la liquidité des marchés et accroîtrait leur volatilité. Mais aucun argument théorique appuyé sur lexpérience récente, ne vient soutenir cet argument. 2) La plus sérieuse objection découle des problèmes dapplication de cette taxe. Pour être efficace, il faudrait que tous les pays du monde la mettent en uvre simultanément. Cette critique nest pas sans arguments, pourtant elle ne me convainc pas entièrement : les transactions sont réalisées, et surtout négociées, par un petit nombre dagents concentrés dans les principaux pays industrialisés. Il est donc possible de linstituer si les dix plus grandes places financières se mettent daccord. Si lon craint, en revanche, une délocalisation des opérations de trading dans les paradis fiscaux, alors il est urgent de prendre des mesures coercitives contre ces paradis, allant jusquà la non reconnaissance juridique de leurs transactions. Car ce qui est vrai pour les marchés monétaires est également valable pour lensemble des actifs mobiles. Le rapport de M. Brard nous montre lurgence dune action dans ce domaine. Conscient des difficultés et de la nécessité de prolonger le sujet, je souhaite que la Commission des Finances approfondisse ce travail et quun rapport dinformation soit réalisé sur la possibilité de mettre en place une taxe sur les transactions financières, inspirée des travaux du prix Nobel déconomie James Tobin. Même si elle était adoptée, la taxe Tobin ne réglera pas tout, car elle na aucune influence par exemple sur les variations durables et importantes des taux de change réels. Cest pourquoi la taxe Tobin est complémentaire dune coopération monétaire internationale renforcée. Celle-ci, présentée notamment par le Gouvernement français, doit être effective et aller au-delà des engagements de pure forme. Aujourdhui lécart est trop grand entre la puissance des forces engendrées par la mondialisation financière et commerciale et la faiblesse des moyens de coopération internationale. Leuro permet de créer les conditions dun jeu coopératif avec le dollar et le yen. Elle se fera au prix dune coordination minimum des politiques économiques. Lessoufflement prévisible des Etats-Unis rend plus urgente cette coordination, car leuro devra prendre la tête du soutien à la croissance mondiale.
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Remerciements dusage. |
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