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DOCUMENTS D'INTERVENTION

Attacbouton.jpg (1599 bytes)

L'économie des narcodollars

Pierre Salama

Janvier 1999

Les problèmes posés par la production, le commerce et l’usage des drogues sont pour un économiste à la fois un révélateur des limites de sa discipline et un stimulant puissant pour leur étude. L’objet est mal défini, la mesure est pour le moins difficile et souvent « foklorique », les comportements des traficants peu connus, leur changement possible de statut diificile à évaluer.

L‘objet est mal défini car sa définition dépend d’un interdit, or ce dernier varie selon les pays et surtout l’époque. La consommation de feuilles de coca est autorisée dans certains pays, interdite dans la plupart, le trafic est prohibé mais l’utilisation de drogues peut ne pas être réprimée dans d’autres pays. La variété est considérable et les modalités de celle ci peu connue : la différentiation peut être horizontale ou bien verticale selon le type de produits et surtout le degré de pureté, variable selon la répression, l’évolution des prix. La qualité est donc difficile à apprécier, la variété n’étant pas définie préalablement à l’acte de vente par les dealers. La substitution entre les produits est également peu connue, elle dépend de l’évolution différentiée des prix, de l’importance de l’addiction, des modifications du contexte « culturel ». L’essor de produits de synthèse - de nouveaux coktails chimiques - est considérable et se substitue en partie à l’usage de drogues naturelles, tirée des plantes transformées à l’aide de produits chimiques, se mélange parfois à celles-ci, et la distinction entre ce qui est médicament (donc licite parce que délivré sur ordonnance), et ce qui ne l’est pas n’est pas toujours aisé, surtout si ces produits aident à augmenter des performances, telles que vitesse ou endurance. La professionalisation du sport et sa mercantilisation à outrance conduisent naturellement au « dopage » des sportifs. La drogue entre alors comme composante de la reproduction de la force de travail des sportifs. L’entrée en force de ces produits est révélatrice de problèmes sociétaux profonds (ici marchandisation du sport, de manière plus générale, au stress lié à la nécessité d’atteindre certaines performances dans le travail, et à défaut, aux craintes souvent légitimes de le perdre), mais aussi des difficultés rencontrées pour définir ce qui est drogue et ce qui est médicament - qu’on songe à la proportion considérable de la population en France addicte de calmants les plus divers et parfois très puissants -, des limites et parfois de l’arbitraire du légal. Vieux problème puisque déjà rencontré maintes et maintes fois lors des discussions internationales portant sur la légalisation ou non de l’opium à la fin du siècle passé et au début de celui-ci (G.Fabre, 1998), mais problèmes nouveaux puisqu’il s’agit ici de produits de synthèse, c’est à dire mal définis quant aux effets sur la santé à moyen et long terme pour ceux qui s’essaient aux multiples coktails à la composition plus ou moins mystérieuse.

La mesure est imparfaite principalement parce qu’il s’agit de produits dont la production, la transformation, la commercialisation sont illicites et, comme nous le verrons les évaluations sont souvent fokloriques. Celles ci sont d’autant plus difficiles à effectuer que les formes d’organisation pour la commercialisation, à ses différents stades, s’insèrent dans un ensemble d’activités informelles qui leur servent de support et revêtent l’aspect de réseaux mouvants, divers, loin de l’image donnée par la presse lorsqu’elle évoque tel ou tel cartel. Paradoxalement, on peut obtenir une évaluation, plus exactement une fourchette, macroéconomique crédible de la production des drogues et sa valeur. A l’inverse, l’évaluation des montants répatriés directement attribuable à ces activités criminelles est plus problématique.

Les comportements des trafiquants sont difficiles à évaluer. L’ouverture croissante des économies, tant au niveau des échanges de marchandises que des mouvements de capitaux à la fois facilitent les exportations de produits illicites, rend plus aisé apparemment le blanchiment des capitaux, mais paradoxalement augmente leur coût, ainsi que nous le verrons. L’entrée en crise profonde de nombreuses économies ex-socialistes en « transition vers le capitalisme », d’économies dites hier émergentes, le maintien dans une quasi-autarcie de certaines régions asiatiques - que ce soit des pays comme la Birmanie ou des régions regroupant plusieurs pays - à l’exception de ce commerce illicite, tendent à multiplier l’offre au moment même où la demande dans certains pays développés parmi les plus importants tend soit à stagner, soit à régresser, et à se diversifier vers plus de produits de synthèse et ou l’efficacité de la répression semble augmenter au niveau des saisies. Ces comportement sont d’autant plus difficiles à évaluer lorsqu’il s’agit d’estimer l’ampleur de l’argent rapatrié dans les pays de production. A partir de quel niveau de la chaîne de commercialisation doit on considérer que ce comportement cesse? Epineuse question lorsqu’on connaît les facteurs de multiplication des prix particulièrement élevé entre le prix à la production, de gros à l’embarquement, à l’arrivée, de semi-gros et de détail (Machado L.O., 1997, Steiner, 1997, Thoumi, 1997 et supra). Quelle est la part d’arbitraire lorsqu’on fait l’hypothèse que les prix considérés à partir desquels on évaluera le rapatriment possible, sont ceux de gros à l’arrivée pour la cocaïne, mais ceux de départ pour l’héroïne pour les trafiquants colombiens? Enfin, au delà de cette question, qu’est ce qui fonde ce rapatriment?

Les techniques de blanchiment aussi sophistiquées soit elles ne peuvent contourner une question essentielle, celle du statut de cet argent. Qu’est ce qui légitime la possession de comptes conséquent d’argent propre? La réponse à cette question est fondamentale et trace les limites de la notabilisation recherchée des traficants. Dans la mesure où il paraît plus simple dans de nombreux pays de légitimer l’argent propre lorsqu’il est utilisé dans des activités de construction, de spéculation immobilière ou d’achat de terrain, on comprend la préférence des traficants pour ces activités, mais aussi leurs difficultés à se transformer en « bourgeois industriels ».

L’objet de ce papier est dans une première partie d’esquisser les problèmes soulevés par une évaluation de la production - commercialisation des produits illicites « naturels », et dans une seconde partie d’analyser les effets possibles du rapatriment sur les modes de reproduction des économies semi-industrialisées.

I.

I.1 Evaluations de la production et de la consommation

Le moins qu’on puisse dire est que l’évaluation des drogues produites et consommées s’effectue en information imparfaite. L’observateur n’a pas de données fiables; le producteur, le trafiquant, le consommateur ignorent également, à des degrés divers, les données macroéconomique du marché. L’utilisation des probabilités est difficile, seules des fouchettes de prix, de production, peuvent avoir un degré de crédibilité satisfaisant; l’utilisation de la théorie des jeux n’a pas été faite à notre connaissance; les techniques de l’économie industrielle visant à cerner des comportements en information imparfaite, comme celles de l’aléa moral ou de la sélection adverse aident peu, à ce jour, tant l’information est imparfaite et la vérification à posteriori difficile à faire pour réevaluer les comportements. L’approche probablement la plus crédible consiste à croiser des informations et des évaluations obtenues en amont (la production et la transformation) et en aval (la consommation). C’est celle que nous priviligérons car c’est la seule qui rende cohérents les résultats obtenus du côté de la l’offre.

L’analyse en amont conduit à une succession d’évaluations. Considérons le cas de la cocaïne, probablement le plus étudié dans la littérature. On peut estimer la quantité d’hectares consacrées à la culture de la feuille de coca en sélectionnant les pays susceptibles de les produire (principalement les pays andins : Pérou, Bolivie, Colombie, mais aussi Equateur, auxquels il faudrait probablement ajouter d’autres pays dont l’offre cependant apparaît jusqu’à présent relativement marginale). On estime ensuite les rendements à l’hectare, différents selon les fertilités des terres consacrées à cette culture, les engrais utilisés et enfin les modications climatiques (Thoumi et alli, 1997). On obtient une fourchette de quantités produites, à laquelle il convient de soustraire la consommation locale de feuilles de coca, importantes au Pérou et en Bolivie. Une fois déduite cette consommation, on obtient une quantité de feuilles dont la transformation en « pâte» puis en « base » constituent des étapes relativement simples du processus de transformation. Celle-ci est ensuite transformeé en HCL, c’est à dire en cocaïne, grâce à l’adjonction de divers produits chimiques dans des laboratoires. Cette transformation n’est pas localisée dans les lieux de production. Un pays domine largement les autres : la Colombie. Les organisations criminelles colombiennes importent la base de Bolivie et du Pérou, qui, ajoutée à celle à celle produite en Colombie, est transformée en HCL et exportée, à destination principalement des Etats-Unis. La division du travail entre d’une part ceux qui produisent des matières premières sans les transformer en cocaïne et celui qui opère cette transformation tend cependant à changer. On considère par exemple que la participation de la Bolivie s’est accrue ces dernières années puisqu’elle aurait transformée un peu plus d’un tiers de la base en cocaïne en 1990 alors que ce chiffre était seulement de 7% en 1986, en même temps qu’elle accroissait de manière considérable sa production de base (Franks, 1991, dans Steiner, 1997, p18) et développait ses exportations vers le Brésil (Geffray, 1997). Selon de Rementeria (1995), on considère qu’en 1990, la Bolivie aurait exportée 114 tm de base et 61tm de HCL (cocaïne), le Pérou 360 et 40 tm respectivement et la Colombie exporterait 70% approximativement de la cocaïne produite dans le monde, soit 455 tm.

graphique sur les volumes exportés in Rocha p157 pour la colombie

Production de feuilles et de cocaïne

 

Bolivie

Pérou

Colombie

total

 

feuille

hcl

feuille

hcl

feuille

hcl

hcl

1980

53

70

50

90

2

4

163

1981

60

86

50

90

3

4

180

1982

60

86

46

80

9

14

180

1983

40

43

90

185

14

22

250

1984

63

108

97

201

14

22

331

1985

53

87

95

196

12

20

303

1986

71

124

120

256

19

31

411

1987

79

143

191

426

21

33

602

1988

78

141

188

418

27

43

603

1989

78

140

186

416

34

54

610

1990

77

138

197

442

32

51

630

1991

78

140

223

504

30

48

692

1992

80

145

224

506

30

47

699

1993

84

145

156

343

32

51

538

1994

90

156

165

366

36

57

580

1995

85

146

184

410

41

65

621

 

 

NB: feuilles (production potenteille) en milliers de tonnes et hcl en tonnes. Ne sont considérés pour la production d’hcl que 80% des feuilles (les 20% restant étant pour la consommation interne et les saisies). Ces 80% sont transformés en hcl selon les facteurs de conversion (Pérou 334/1, Bolivie 373/1, Colombie 500/1). Enfin, pour chaque pays, la production d’hcl est déduite de celle des feuilles, indépendamment du lieu où elle se réalise, c’est à dire principalement la Colombie.

source: Steiner op cit p.27

Pour connaître la valeur de la cocaïne exportée, il faut multiplier la quantité nette produite par un prix, ou une fourchette de prix. Différents prix sont à considérer : le prix de gros à l’embarquement, celui à l’arrivée dans les pays consommateurs, les prix de semi-gros et de détail. L’hypothèse forte faite est que la Colombie contrôle le transport et qu’il faut donc considérer les prix de gros à l’arrivée pour déduire la quantitité d’argent qui pourrait être rapatriée, une fois blanchie. Hypothèse forte pour deux raisons : la première est qu’une partie des activités criminelles dans les pays de destination est le fait également de réseaux colombiens et qu’en conséquence leur participation dans la chaîne qui va de la production à la consommation finale n’est pas limitée à à la transformation et le transport, la seconde est qu’une partie conséquente du transport s’effectue grâce à une participation croissante et de plus en plus importante des réseaux criminels mexicains [Rivelois, (1997), Dupuis, (1998)] parallèlement aux changements de route. Quoiqu’il en soit, cette hypothèse forte étant admise, on peut calculer le rapatriment possible année après année, qu’on croise alors avec les estimations concerant les modalités le rendant possible (contrebande, sur et sous facturation etc) que nous analyserons ensuite, en tenant compte à la fois des variations de l’offre et de celles très élevées et orientée nettement à la baisse des prix de gros (ceux-ci étant se sont élevés à un peu plus de 50000 dollars le kilo en moyenne en 1981 à légèrement au dessus de 10000 dollars en 1994, après être passés par un creux en 1991 [Rocha (1998) dans Thoumi, p.155].

Les chiffres obtenus, une fois déduites les saisies internationales, ne sont crédibles qu’à la condion que les estimations faites sur l’offre soient proches de celles effectuées sur la demande. La crédibilité de l’évaluation repose donc sur la confrontation entre les estimations de la production et celles de la consommation. Reste donc à estimer la consommation. Une manière simple mais trompeuse de l’évaluer a consisté à multiplier par dix les quantités saisies, celles-ci étant connues. Cette approche est cependant peu crédible : la consommation apparaitrait comme très élevée et largement supérieure aux estimations hautes de la production. Une autre façon de procéder est d’opérer par enquête, en distinguant les consommateurs occasionnels de ceux qui sont devenus dépendants. Une fois connue la dépense totale et divisée celle-ci par une fourchette de prix de détail, on obtient la consommation

Consommation, saisies et exportations nettes de cocaïne

 

1988

1989

1990

1991

1992

1993

moyenne

consommateurs (millions)

             

. addictes

2.54

2.62

2.47

2.22

2.34

2.13

 

. occasionnels

7.35

6.47

5.58

5.44

4.33

4.05

 

Dépenses (en milliards de $)

32.8

35.6

34.3

32.3

31.4

30

 

prix, estimation haute

($/gramme)

148

138

176

154

154

147

 

prix, estimation basse

($/gramme)

147

103

165

121

123

117

 

consommation, en tonnes, avec estimation prix hauts

244

286

215

230

224

224

 

consommation, en tonnes, avec estimation prix bas

311

382

230

293

280

283

 
               

Consommation aux E-U (en moyenne)

 

334

223

262

252

254

265

consommation mondiale1

 

371

247

291

280

282

294

saisies mondiales

 

247

247

341

282

266

277

exportations mondiales

 

618

494

632

562

548

571

exportations colombiennes2

 

464

371

474

422

411

428

saisies d’exportations colombiennes

 

185

185

256

212

200

207

exportations effectives de la Colombie

 

278

185

218

210

211

221

(1) en supposant que les Etats-Unis représentent 90% du marché mondial

(2) en supposant que la Colombie fournit 75% du total

source : Steiner (1997), p 24 (pour la production, calculs de l’auteur, pour la consommation, données fournies par l’ONDCP )

en volume qu’on peut alors comparer à celle déduite par des estimations faites sur l’offre. On obtiendrait ainsi pour les Etats-Unis une estimation de la consommation de 244 tonnes (estimation basse) à 311 (estimation haute) en 1988, soit un chiffre bien plus faible que les estimations reprises par The Economist en 1989 des travaux d’un sous comité du Sénat Américain, estimant le trafic mondial des drogues à quelques 500 milliards de dollars, dont 300 pour les seuls Etats-Unis, dont un tiers pour la cocaïne, soit 100 milliards de dollars, chiffre venant d’une estimation qualifiée de foklorique par Steiner, faite (op.cit.p.6 et 23), sans qu’on ne connaisse la méthodologie, par la revue Fortune. Cette évaluation est souvent évoquée dans la presse, mais aussi par des chercheurs, y compris dans des études sérieuses mais qui se préoccupent peu des conséquences macro-économiques d’une telle évaluation [FMI, de Maillard, (1998), . Divisée par les prix de gros en vigueur à cette époque, soit à peu près 40000 dollars le kilo, la consommation aurait été de 2500 tonnes et divisée par les prix de détail de plus de 800 tonnes (!). Quoiqu’il en soit, après un pic en 1989, la consommation décroît pour se situer entre 224 tonnes et 283 tonnes en 1993.

Lorsqu’on tient compte de la consommation d’autres pays et qu’on ajoute les saisies, on obtient une évaluation des exportations mondiales, soit 571 tonnes en moyenne de 1988 à 1993 (voir tableau). Si on considère que les exportations colombiennes correspondent à 75% des exportations mondiales, on obtient le montant des exportations de ce pays, c’est à dire la production nette des consommations locales. Si cette évaluation correspond à celle obtenue à partir de l’analyse de l’offre faite précédemment, on peut penser qu’elle est globalement pertinente. Ce qui est globalement le cas. La consommation mondiale moyenne de cocaïne, de 1988 à 1993, se situe aux alentours de 265 tonnes et les saisies autour de 294 tonnes. Les exportations totales sont donc de 571 tonnes en moyenne sur la période. La production estimée, en moyenne sur la même période est de 628 tonnes selon Steiner (voir tableau n° ). L’écart entre les deux estimations est donc approximativement de 10%, ce qui est faible et certaines années, il est très faible (par exemple en 1989), mais important d’autres années (surtout en 1990). Cet écart serait en moyenne inférieur si on avait pris l’estimation haute de la consommation et non la moyenne entre les deux estimations. Les deux estimations, production et consommation apparaissent donc comme crédibles, parce que cohérentes entre elles.

Deux conclusions peuvent être déduite de ce chiffrage. La première : la consommation de cocaïne tend à baisser aux Etats-Unis en même temps que le prix baisse fortement. L’évaluation du chiffre d’affaire de la cocaïne, que ce soit au niveau des prix de gros ou de détail, est bien en deça de celles qu’on trouve en général dans la presse. La seconde : les saisies se situent à un niveau très élevé, largement supérieure aux estimations faites couramment puisqu’elles s’établiraient à 90% en moyenne de la consommation mondiale, soit un peu de 50% de la production mondiale. Diminuer l’importance des saisies, c’est rendre incohérent le croisement des données établies du côté de l’offre et de la demande et soit surestimer la consommation, soit sous estimer la production, soit enfin les deux. Nous sommes loin des estimations « fokloriques » annoncées ici et là et bien souvent par des organismes officiels, dont l’objectif paraît davantage être la lutte contre la criminalité que l’exposé scientifique de l’ économie de la drogue.

1.2. le rapatriment

1.2.1 Le rapatriment-blanchiment

Les estimations concernant le rapatriment sont difficiles pour deux raisons : la première concerne les motivations à rapatrier des capitaux, la seconde le blanchiment proprement dit et les différentes techniques utilisées.

Les motivations sont difficiles à cerner. Pourquoi une organisation criminelle colombienne par exemple aurait intérêt à rapatrier des capitaux des Etats-Unis en Colombie? Elle pourrait très bien laisser une partie substancielle de ses gains dans des banques américaines, ou autres, une fois blanchis. Evoquer le nationalisme des mafieux colombiens est un argument un peu court, bien qu’il doive probablement jouer, à l’égal des tueurs liés à ce trafic, fortement imprégnés par la religion, qui se signent avant de commettre leurs actes et remercient Dieu du succès de leur opération. Un autre argument apparaît plus pertinent : le blanchiment est davantage qu’un ensemble de techniques visant à transformer l’argent « sale », c’est à dire à le faire changer de forme. Il doit également procéder à un changement de « phase » selon l’expression d’un financier du cartel de Cali (F.Jurado), reprise par de Maillard (1998, p.92), c’est à dire donner à l’argent un statut et le rendre ainsi honorable. Dit autrement, il ne suffit pas de blanchir de l’argent sale, encore faut il que l’acquisition de capitaux rendus ainsi « propre » ait une justification plausible. Là réside en fait la grande difficulté. On peut penser que la proximité géographique diminue les coûts de transaction et qu’il soit ainsi plus facile de donner un statut d’argent propre à des capitaux rapatriés. Ce changement de statut recherché expliquerait donc en partie le rapatriment. Nous verrons par la suite qu’il ne suffit pas à donner au mafieux des « titres de noblesse » , que la notabilisation de ces derniers est difficile et rend aléatoire leur transformation en entrepreneurs ordinaires en une génération. Quoiqu’il en soit la recherche d’un statut honorable à l’argent blanchi et rapatrié influe sur le choix des techniques utilisées pour le blanchiment. Comme le blanchiment - rapatriment ne parvient pas toujours à donner un statut à l’argent, celui-ci suit des parcours particuliers : il s’investit dans l’immobilier, l’élevage, la finance spéculative. Outre les facilités offertes par la géographie - caractérisée par un secteur informel important, des facilités pour contourner la loi, l’étendue de la corruption - pour offrir un statut à l’argent blanchi, ces placements s’apparentent à du recyclage-blanchiment. Dans ce cas, le blanchiment sert alors au blanchiment.

L’objet de cette section n’est pas d’exposer longuement les multiples manières de rapatrier et blanchir l’argent sale, celà a été fait ailleurs et en général fort bien [les rapports du GAFI, Kopp (sous le dir.de) (1995), de Maillard, (1998), Dupuy, (1998), Thoumi (sous la dir.de), 1997]. Son objet est probablement moins technique et plus inductif puisqu’il est de montrer que ces techniques imposent un type de comportement particulier qui, par la suite, rendra difficile la notabilisation de certains mafieux, limitera leur aire d’investissement dans des activités de support au blanchiment (hôtellerie, restauration, salles de jeu...), spéculatives (élevage, construction immobilière,titres côtés en bourse...) et développera leur consommation de prestige.

Les techniques utilisées sont nombreuses et évoluent avec le temps selon l’évolution des réglementations. La particularité du blanchiment dans ce cas de figure est qu’il inclut lla transformation d’une monnaie en une autre, et ici le dollar, devise forte, contre une monnaie locale, devise faible. C’est pourquoi il convient de distinguer ce que nous pourrions appeler le rapatriment-blanchiment du recyclage-blanchiment. Les deux mouvements peuvent certes se croiser, se nourrir l’un de l’autre, mais les problèmes soulevés à l’occasion de chacun d’entre eux dont différents.

Les techniques les plus simples pour le rapatriment-blanchiment consistent à envoyer des billets de 100 dollars par voie postale par des résidents colombiens aux Etats-Unis à leur famille ou à leur faire executer des virements bancaires limités au maximum autorisé par les législations en vigueur, ou bien à utiliser des « mules » qui transportent des dollars au retour après avoir « avalé » des sachets de cocaïne à l’aller. Les sommes transférées ou transportées de cette manière sont conséquentes bien que modestes eu égard à l’ampleur des gains, ces techniques, mais elles restent artisanales. Lorsqu’un contrôle des changes existe, ce qui a été le cas il n’y a pas encore très longtemps, la technique du clearing peut être utilisée. Elle consiste à fournir des devises à un non résident désirant faire du tourisme aux Etats-Unis, en échange de la contrepartie dans un pays latino-américain. Le clearing peut également être utilisé lorsque le désir d’industriels de placer des capitaux illégalement en dehors de leur pays rencontre celui d’organisations criminelles de rapatrier une partie de leurs gains. Dans ce cas, en raison de l’ampleur des sommes en jeu, un blanchiment préalable aux Etats-Unis est nécessaire. Ces techniques peuvent être sophistiquées, tout en demeurant encore artisanales, lorsqu’on tient compte des taux de change, officiel et parallèle, des taux d’intérêt domestiques et étranger et de leurs évolutions respectives (c’est pourquoi d’ailleurs on peut en partie évaluer l’ampleur de ces mouvements par les évolutions du différentiel de taux [Urrutia et Ponton, 1993]).

Reste trois grandes voies de rapatriment-blanchiment : la contrebande, les sur et sous facturation des marchandises à l’exportation et à l’importation et l’utilisation des marchés financiers internationaux.

La sousfacturation des importations est intéressante à analyser car elle met en jeu plusieurs facteurs : d’un côté, elle nécessite la mise en place d’un vaste réseau de complicité pour être effective puisqu’il s’agit de manipuler des prix, donc des entreprises, afin de blanchir de l’argent sale. D’un autre côté elle fait intervenir un arbitrage classique entre les différents taux de change. Donnons un exemple : en période de contrôle de change, on observe en général la coexistence entre deux taux de change, l’un officiel et l’autre parallèle. L’ampleur des fonds transférés, suite aux activités criminelles étudiées, a conduit à une situation paradoxale en Colombie : le taux de change parallèle était apprécié par rapport au taux de change officiel durant de longues périodes. Les transferts de fonds devenaient alors relativement moins rentables que la pratique de la sous facturation, puisque pratiquées au taux de change officiel. A l’inverse la sousfacturation permettait d’acquèrir davantage en monnaies locales par dollar « lavé ». Ajoutons enfin qu’on a pu établir une liaison entre les mouvements du différentiel de taux d’intérêt et la sousfacturation (Steiner,p.72 et suiv.).

le graphique p 71

Les sommes transférées par ce biais ont été considérables. Leur évaluation, bien qu’évidemment approximative, est cependant assez fiable. Elle consiste à comparer les prix déclarés faites par les sociétés qui exportent en Colombie et les prix annoncés au niveau des importations, en corrigeant par un coefficient de redressement tenant compte du prix FOB et du prix CIF et en tenant compte des retards. Bien que fluctuantes et avec des évaluations parfois différentes selon les auteurs,

Soufacturation (-), surfacturation (+) des importations en Colombie selon différents auteurs, en milliards de dollars

 

1981

1982

1983

1984

1985

1986

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

Rocha-1993

-74,4

-84,8

254,7

53,9

-140,7

70,6

-78

59,8

-205,5

125,5

       

Steiner et Fernandez-1994

-107,9

-305

205

-11,3

-183,6

3

-3,5

-117,6

-363

-8,2

-574

-1590

   

Kalmanovitz 1992

-129

-690

-1459

-1361

-1315

-1094

-1148

-1429

-1212

-1620

-969

     

Mendieta et Rodriguez-1996

                     

-1656

491

395

CID

                 

-341

-471

-1760

‘468

478

source : CID, op cit , p.28. La méthodologie du CID est la même que celle de Steiner et Rodriguez

les sommes transférées atteignent parfois des niveaux très élevées (avec un pic de plus de 1,7 millards de dollars en 1992 en Colombie (CID, p28). Il suffit que les taux de change et de taux d’intérêt jouent différemment pour que la surfacturation remplace la sousfacturation (en 1993, 1994) comme moyen de blanchir les narcodollars, mais l’ampleur des sommes transfées par cette voie est plus modeste et les séquences plus rares.

Il peut paraître pardoxal que la contrebande puisse jouer encore un rôle important au moment où les frontières s’ouvrent avec la libéralisation des économies depuis une dizaine d’années. On pourrait certes tenter de l’epliquer par des différentiels de taux d’imposition indirecte, notamment pour les alcools et cigarettes. Mais l’argument est insuffisant compte tenu de l’ampleur même de la contrebande. La raison essentielle est que le blanchiment des narcodollars selon ce mécanisme coûte relativement moins chère. Les conditions d’un fonctionnement efficace de cette voie sont simples : il faut d’abord qu’il y ait un secteur informel important, notamment dans des activités commerciales, ensuite qu’existe une zone libre. C’est le cas de Colon au Panama. Des organisations criminelles achètent des marchandises dans la zone libre, les paient en espèce ou en argent « peu blanchi », utilisant parfois des lettres de crédit (les contrôles étant moins importants, voire inexistants dans les zones libres). Ces marchandises sont transférèes ensuite en contrebande en Colombie où elles sont vendues dans des magasins particuliers, qu’on nomme les « San andrés  » du nom d’une ile colombienne. Le blanchiment passe donc par une activité de contrebande et par un commerce illégal qui est loin d’être marginal : les « San andrés » constituent un véritable réseau, constitué parfois de supermarchés, où on trouve des produits très divers à des prix compétitifs (CID, 1997). Les sommes blanchies sont importantes : environ 1,3 millards de dollars en 1993 et en 1994, soit beaucoup plus qu’en 1991 (327 millions) et 1992 ( 634 millions).

Reste enfin les marchés financiers internationaux. De Maillard (1998) a montré comment la dérégulation de ces marchés a permis un essor de la finance criminelle. Les techniques de sur et sous facturation utilisées à grande échelle, le passage de compte à compte, utilisant les centres off shore, les pratiques de secret ou de comptabilités double de certaines banques, des placements à très court terme dans des produits à hauts risques, la nécessité de donner un statut à l’argent reçu, puis enfin le rapatriment sont de plus en plus pratiquées.

L’utilisation de l’ensemble de ces techniques est à coût croissant. On aurait pu penser que la libéralisation financière et le d’essor des places off shore, le développement des bourses émergentes, abaisserait le côut de ces transactions. C’est l’inverse qui se produit. La complexification, la sophistication des produits financiers, permettent certes de faire transiter des capitaux de manière particulièrement opaque, et ce faisant de les blanchir, voire de leur donner un statut, mais l’ensemble des opérations à un coût élevé Les observateurs s’accordent pour reconnaître que le coût du blanchiment serait passé de 5% à 8% au milieu des années quatre-vingts à 15 à 20% à la fin des années quatre-vingt dix (Steiner p.38 et 39).

1.2.2. Une évaluation macroéconomique du rapatriment

L’évaluation macroéconomique du rapatriment est difficile pour les raisons que nous avons citées mais aussi parce que l’argent sale rapatrié et blanchi ne se réduit pas à celui de la drogue. D’une manière générale, les organisations internationales considèrent que la moitié de l’argent blanchi proviendrait du trafic de drogues illicites. En Thailande, ce pourcentage est bien plus faible (Fabre, 1988), le jeu, les armes et surtout la prostitution étant responsable de la grande majorité des opérations de blanchiment. Selon les données rassemblées par G.Fabre (p.77 et suiv.), le trafic d’armes, le proxénétisme, la coontrebande d’hydrocarbures, les jeux clandestins, le trafic de main d’oeuvre et le narcotrafic rapporteraient 24 à 32 milliards de dollars par an, soit un montant équivalent du budget de l’Etat. Le narcotrafic serait évalué à un milliard de dollars et constituerait ainsi une activité mineure...Inversement, en Colombie, il peut sembler naturel de penser que l’argent blanchi provienne essentiellement de la drogue. C’est le cas, mais ce serait cependant une erreur de penser que la le narcotrafic constitue la seule composante de ce balnchiment. La Colombie produit des émeraudes et vend une grande partie de celles-ci clandestinement (Guillelmet, 1998).Guilllelmet estime la commerce illicite des gemmes en Colombie à 10% approximativement de la valeur des exportations - ce chiffre étant probablement moins élevé dans les années 1993 à 1995 - soit quelque 700 à 800 millions de dollars.

En limitant le banchiment ici au seul narcotrafic, l’évaluation des sommes passe par un simple calcul dont les termes cependant sont connus avec une marge d’erreur plus ou moins importante. Les revenus bruts sont le résultats des quantités exportés effectivement - c’est à dire nettes des saisies - par le prix de gros moyen tel qu’il a été estimé, soit 17000 dollars le kilo en 1990. Il faut soustraire à ce revenu brut - ici 17600$ pour un kilo - l’ensemble des coûts occasionnés par cette activité. L’approche de Steiner (op.cit p.38 et suiv.) est intéressante : elle repose sur une séparation entre les coûts et les revenus. Elle consiste à soustraire des revenus bruts les coûts de transformation, de corruption et de transport, et le revenu net ainsi obtenu servira à payer les paysans, les travailleurs et les exportateurs colombiens. C’est pourquoi nous allons briévement la présenter. Les coûts de transport de la base de la Bolivie et du Pérou, régions productrices, est de 100$ le kilo et ceux correspondant au transport de la cocaïne de Colombie aux Etats-Unis seraient de 3000$ le kilo, dont 50% serait payé directement en espèces. on considère que le coût de transport à destinantion de l’Europe serait 30% plus élevé. En pondérant les destination par l’importance des marchés, on obtiendrait un coût moyen de transport de la cocaïne de 3100$ le kilo. La transformation de base en HCL est réalisée grâce à l’utilisation de produits chimiques dont le coût peut être estimé à 200$ par kilo de cocaïne produite (certaines estimations font référence à des sommes plus importantes). L’argent sale doit être blanchi. Nous avons déjà noté que le coût de cette opération s’est fortement accru des années quatre-vingt à aujourd’hui. On l’estime entre 15 et 20% des sommes à blanchir. Steiner retient le chiffre de 10% jusque 1989 et 20% des revenus nets ensuite. On peut enfin ajouter à l’ensemble de ces coûts, 500$ par kilo de cocaïne représentant les sommes versées pour corrompre, acheter des silences etc.

Comme nous l’avons indiqué, le prix de gros moyen approximatif du kilo de cocaïne était de 17600$ le kilo. Au détail ce prix s’élevait en moyenne à 130 000 $ le kilo alors que le kilo de base (exprimé en équivalent HCL) était de 500$ au Pérou et 700$ en Bolivie, soit 600$ en moyenne. L’ensemble des coûts de transport (au sein des Andes et vers les Etats-Unis), de transformation, de corruption et de blanchiment s’élèvent à 6800$ par kilo, soit un peu moins de 40% des revenus bruts par kilo. Les quelques 60% restant serviront à financer le paiement des paysans, des chimistes et de l’ensemble des mafieux colombiens impliqués dans le narcotrafic de gros. Les mafias mexicaines, qui font transiter une part substancielle de la cocaïne (50 à 70% selon les estimations officielles en 1996), recoivent selon une part importante de ce qui est comptabilisé comme frais de transport. Les sommes perçues à l’occasion de cette opération seront blanchies par ces organisations criminelles et ne sont donc pas comptabilisées dans celles qu’ont à blanchir les mafias colombiennes. pour autant, la participation croissante des mexicains dans le narcotrafic, et le paiement d’une part importante directement en espèces, ampute probablement les revenus nets des colombiens tels que nous les avons calculés en augmentant la part du coût des transports et en diminuant corrélativement celle des exportateurs colombiens. L’évaluation des revenus nets des colombiens est donc probablement surévaluée, d’autant plus qu’une part croissante de la base et aujourd’hui transformée en Bolivie et passe par de nouvelles routes, notamment brésiliennes (Geffray, 1997 et 1998). Quoiqu’il en soit, les estimations des revenus nets blanchis obtenus avec cette approche aurait été en moyenne de 1987 à 1995 de 1,638 milliards de dollars avec un minimum de 1,2 en 1994 et un maximum de 2,5 en 1989.

On ajoute à ces revenus nets ceux tirés de la production exportée de marijuana et de celle récente d’héroïne (avec l’hypothèse pour cette dernière que ce sont les prix de gros à l’embarquement qui sont pris en compte), et on obtient approximativement 2,5 millards de dollars auxquels il conviendrait d’ahjouter les sommes balnchies tirées du trafic illicite d’émeraudes, soit 600 à 700 millions de dolars nets de frais de blanchiment. Les résultats, hors émeraude, de ces estimations peuvent être présentés dans le tableau suivant :

estimations Steiner

autres estimations

 

cocaïne

héroïne

marijuana

total

GMS* total

Rocha**, total min.

Rocha, total max.

1980

1386

   

1386

 

1358

 

1981

1933

 

137

2070

2231

2617

 

1982

1819

 

65

1884

3835

1427

 

1983

1868

 

79

1947

2242

754

 

1984

4093

 

79

4172

1425

973

3843

1985

2933

 

20

2953

1423

866

3361

1986

939

 

34

973

1367

550

2443

1987

1311

 

152

1463

881

582

3707

1988

1395

 

290

1685

718

699

6699

1989

2485

 

94

2579

1047

523

6455

1990

2341

 

48

2389

693

233

4037

1991

1400

756

83

2239

337

547

3539

1992

1822

756

89

2667

 

767

3409

1993

1363

756

368

2487

 

801

3232

1994

1176

756

329

2261

     

1995

1446

756

333

2531

     

source : Steiner op.cit. p.48; *GSM pour Gomez H et Santa Maria M (1994) : « La economia subterranéa en Colombia » in Steiner; **Rocha R (dans Thoumi, op.cit).

Les sommes blanchies sont considérables. Rapportées aux exportations officielles, elles atteignent des proportions significatives : 35% en 1992, 34% en 1993, 27% en 1994 et 24% en 1995 pour le balnchiment du seul narcotrafic. La tendance est certes décroissante, en raison de l’ouverture de l’économie et à la très forte croissance des exportations à partir de 1994, mais elle reste à un niveau très élevé. Il est dés lors évident que d’un point de vue strictement macroéconomique, cet afflux de dollars, sous les formes diverses empruntées par le blanchiment, n’est pas sans influence sur l’activité économique d’une manière générale. On pourrait penser par exemple, qu’à l’égale de la rente, elle puisse provoquer un « dutch desease », c’est à dire apprécier le taux de change, participer à la destruction de pans entiers de l’économie faute de compétitivité suite à une différenciation des prix relatifs entre secteurs exposés et protégés. Cette évolution n’est cependant pas inscrite nécessairement dans la logique de cette narcoactivité (Salama, 1994). Il est problématique d’attribuer à la culture, la transformation, l’exportation de drogues illicites, le qualificatif de rente dans la mesure où, d’un côté il s’agit d’activités reproductibles à la différence de l’or noir par exemple, et d’un autre côté, d’activités privées illégales sur lesquelles, par définition, l’Etat ne peut collecter l’impôt. Le seul rapprochement qu’on puisse faire avec la rente est que les revenus provenant de cette activité illicite ne dépendent pas du travail, mais d’un interdit. Comme pour une rente minière, l’enrichissement n’est pas le produit d’une capacité à exploiter de manière efficace la force de travail, mais de la possibilité de s’inscrire dans le circuit de la rente. Cela étant les sommes considérables tirées de cette activité pourraient provoquer une appréciation de la monnaie nationale. On a pu le constater dans les années quatre-vingt en Colombie lorsque le taux de change parralèle était apprécié par rapport au taux de change offic iel, à la différence de ce qu’on observait à la même époque dans la plupart des économies latino-américaines. A l’inverse, l’évolution récente des taux de change des pays andins n’est pas orientée vers une appréciation et bien au contraire de nombreux pays ont du dévaluer avec la contagion de la crise asiatico-russe de 1997-1998. De nombreux facteurs peuvent en effet contrecarrer les effets possibles d’un afflux de narco dollars : une balance commerciale fortement déficitaire suite au désarmement douanier, un déséquibre de la balance des comptes courants croissant et conséquent suite aux paiements du service de la dette et des dividendes, un déficit budgétaire. Ceci étant on peut faire un certain nombre de réserves.

Les chiffres présentés reposent sur des hypothèses discutables. On suppose d’abord que l’ensemble des revenus nets est rapatrié, ce qui peut ne pas être le cas et surestime de ce fait le blanchiment-rapatriment, ensuite que les organisations criminelles colombiennes ne sont pas présentes dans la filière de distribution aux Etats-Unis, ce qui n’est pas le cas et sous estime la valeur du blanchiment - rapatriment.

Comparer les sommes blanchies par le narcotrafic à la valeur des exportations, au PIB pour s’interroger ensuite sur des effets possible de type « dutch desease » paraît conduire à des impasses pour deux raisons : la première est d’odre statistique, la seconde se situe au niveau des comportements. Les exportations ne sont pas ajustées, dit autrement elles portent l’empreinte des techniques utilisées pour blanchir l’argent. Il en est de même pour les transferts et d’une manière générale les mouvements de capitaux. Les comportements sont influencées par les techniques utilisées pour le recyclage et il est difficile dès lors de concevoir la transformation d’entreprises mafieuses en entreprises ordinaires. Ce sont ces deux points que nous allons voir.

Le blanchiment affecte les composantes de la balances des paiements puisqu’elle consiste à utiliser les importations, les exportations, transferts et mouvements de capitaux. La balance des paiements peut s’écrire de cette manière :

R = (X - M + Ynx + Trx) + Ck +eo

où R correspond à la variation des réserves, X aux exportations, M aux importations, Ynx aux revenus nets des services, Trx aux transferts nets, (l’ensemble étant la balance des comptes courants), Ck au compte capital et eo aux erreurs et omissions.

Les ajustements a effectuer dans la balance des comptes courants peuvent être représentés de cette manière:

Acc = Mc -Xc + Trx’ +Ynx’

où Acc correspond aux capitaux cachés dans le compte courant, Mc et Xc la contrebande du côté des importations et des exportations, Trx’ et Ynx’ les capitaux déclarés comme transferts nets et comme revenus nets de service. En suivant la présentation de Rocha (dans Thoumi, op cit)la contrabande peut se définir ici comme la somme des sousfacturations (contrebande technique) et de la contrebande (physique). on a ainsi Mc = -M’ + Km et Xc = X’ - Kx, où Kx et Km représentent la contrebande physique et M’ et X’ les sous et sur facturation des importations et exportations (le signe indiquant la sous ou la surfacturation).

On peut dès présenter la variation des réserves de la manière suivante :

R = (X -Xc) - (M -Mc) + (Ynx -Ynx’) + (Trx -Trx’) + (Ck + Acc) +eo, qui peut s’écrire :

R = (X-X’) - (M +Mc) continuer ensuite en mettant les valeurs mais aussi la modélisation

 

 

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