Lettre ouverte à M. François Bayrou Ministre de l'Éducation Nationale, de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche


[Lettre ouverte du SNESup publiée dans le bulletin N°296 du 19 Mars 1997]

Monsieur le Ministre,

Un objectif ministériel semble l'emporter sur tous ceux énoncés dans le rapport d'étape du 4 février : mettre en place à la rentrée de septembre 97, à marches forcées, et à moyens constants, le « semestre initial ».

Le SNESup rappelle qu'une réforme des études supérieures n'est pas un gadget électoral. On travaille pour une génération et pas « à 6 mois ». Pour apporter des réponses positives aux demandes et besoins des étudiants et à l'ambition que le pays doit placer dans son enseignement supérieur au seuil du 3ème millénaire, il faut un travail préparatoire sérieux, concerté, patient, sans lenteur inutiles ni précipitation abusive, prenant en compte l'expérience de ces dernières années.

Il faut aussi s'attaquer aux vrais problèmes, à tous les vrais problèmes, là où ils sont.

En premier lieu, l'échec de trop nombreux jeunes dans l'enseignement supérieur

Il reste l'ennemi n°1. L'amélioration récente du taux de réussite en 1er cycle montre que les Universités, malgré leurs difficultés en tout genre, ne démissionnent pas dans l'accomplissement de leur mission de service public, bien au contraire.

L'amélioration constatée montre aussi, qu'avec des moyens plus importants et mieux utilisés, les résultats. seraient incomparablement meilleurs. C'est d'ailleurs dans de telles conditions que la réforme des DEUG de 1984 a pu relever, très vite, de 10 %, le taux de réussite (cf. rapport LAVROFF).

Vous faites, Monsieur le Ministre, comme si l'échec était, exclusivement ou essentiellement, affaire de, mauvaise orientation. Or, tel. n'est pas le cas : sans minimiser le rôle des " erreurs de parcours ", l'échec tient d'abord :

  1. à la dégradation des conditions de vie familiale et personnelle de nombreux étudiants
  2. aux mauvaises conditions pédagogiques qui
    • interdisent de connaître et d'aider personnellement chaque étudiant,
    • ne permettent pas d'adapter les enseignements aux nouveaux publics et à la diversité de leurs acquis, de leurs manques, de leurs attentes. C'est pourquoi la question des taux d'encadrement est capitale dans le lutte contre l'échec. Est-ce un hasard si c'est là où les taux sont les plus mauvais, les enseignements par petits groupes les moins développés (droit) que les taux d'échecs s'ont, de loin, les plus élevés ?
  3. aux mauvaises conditions de travail dans les établissements d'enseignement supérieur (bibliothèques, salles de travail, etc...). Vous parlez d'un plan « Université 2000 + » mais quelles mesures concrètes ? quels engagements financiers ? quel calendrier ?

Le SNESup insiste donc pour que vous répondiez positivement, Monsieur le Ministre, aux deux propositions suivantes :

  1. Pas de cours à plus de 200, de TD à plus de 30, de TP et enseignements expérimentaux à plus de 15 étudiants. Dédoublement des cours et des groupes pour y parvenir selon un plan de 3 ans.
  2. Dans tout cursus, au moins 60 % d'enseignements dirigés, pratiques et expérimentaux, et soutien au développement des enseignements intégrés.

C'est d'abord dans le semestre initial qu'il faut appliquer ces mesures afin de faire de ce semestre la première étape de la réussite.

Elles doivent ensuite favoriser au second semestre une validation positive de la lère année pour le plus grand nombre, en s'accompagnant des compléments pédagogiques rendus nécessaires par les orientations et réorientations.

Sans moyens pédagogiques nouveaux (enseignants-chercheurs, personnel administratif, de service et dé techniciens, conseillers d'orientation-psychologues), sans enseignements de soutien à ceux qui en ont besoin, et si de plus on réduit l'orientation à une notation, le semestre jouera un rôle essentiellement éliminatoire. Le SNESup s'opposera à toute mesure de tri sélectif de ce genre comme il s'opposera à la proposition du Ministre d'un concours en fin de premier semestre pour les STAPS.

L'orientation ne se réduit pas à une notation au premier semestre : il faut répondre aux vraies questions, et y répondre vite et clair : quelle orientation ? où ? par qui ? comment ?

Il faut commencer avant l'entrée dans le Supérieur - nous l'avons dit dans le groupe « Organisation des études » -. Vous aviez promis une concertation avec le Second Degré à ce sujet « avant la fin janvier » a-t-elle eu lieu ? Si oui, avec quels résultats ? Sinon, pourquoi ?

Poursuivons : il y a actuellement, dans le Supérieur, seulement 1 conseiller d'orientation-psychologue pour 20.000 étudiants. Qu'attendez-vous pour lancer un plan de créations d'emplois de conseillers d'orientation-psychologues ? Il y a là, plusieurs centaines d'emplois utiles à créer par an pendant les 5 prochaines années !

Il faut aussi, en appui sur les nouvelles technologies éducatives, se donner les moyens de dresser des bilans de compétences et d'acquis pour préparer et faciliter les choix d'orientation, aux différentes étapes des études.

Tout ne sera pas, tout ne saurait être réglé au bout d'un semestre de 14 semaines. Cela ne serait pas sérieux pire, cela serait dangereux pour l'avenir des étudiants.

En second lieu, le contenu des parcours

Pas plus qu'à l'organisation semestrielle, nous n'avons d'hostilité de principe au découpage de chacun en 3 unités (soit 12 pour le DEUG).

Tout est affaire de contenus et de proportions et non de réduction des volumes horaires nécessaires.

1ère règle : pas de recul sur les volumes globaux actuels, dont nous rappelons les planchers

2ème règle :

l'option disciplinaire (contours à préciser plus sérieusement) ne devrait occuper pas moins de 50 à 60 % du volume total. La mise en place de contenus spécifiques d'enseignement selon l'option de DEUG choisie par l'étudiant suppose des moyens. Cela vaut pour des enseignements de « dominantes » ouverts au titre de chacune des mentions du DEUG, mais aussi pour des disciplines d'appui conçues en fonction de ces dernières.

Ces moyens sont nécessaires afin que le premier semestre offert aux étudiants ne soit pas réduit à des éléments interchangeables, et que leur choix ne soit pas limité à celui d'un jeu de coefficients.

3ème règle : l'unité « méthodologique » doit être définie

4ème règle :

dans l'unité « découverte des disciplines voisines », il faut se limiter, en nombre, intelligemment, sur la base des cohérences propres aux dynamiques de constitution actuelle des champs du savoir et des cursus effectivement proposés pour la réorientation par et dans l'établissement, dans le cadre d'une liste nationale de dominantes ou mentions.

5ème règle :

rendre à nouveau obligatoires langue vivante et informatique dès le semestre initial (abroger les arrêtés Fillon d'avril 1994) ; que l'on forme sérieusement à l'expression écrite et orale (connaître sa langue).

En troisième lieu, l'éventail des formations

Nous ne nous accrochons pas comme à une bible à l'éventail et aux intitulés actuels.

Nous sommes cependant vigilants contre toute menace de suppression qui réduirait la diversité des choix offerts et donc les chances de réussite.

Notre vigilance entoure notamment les cursus suivants :

Mais surtout face à une démarche ministérielle peu soucieuse d'ouvrir des pistes nouvelles, il convient de proposer l'ouverture de nouveaux cursus aptes à répondre à l'émergence de besoins nouveau procédant des évolutions sociales, culturelles, scientifiques et technologiques en cours, et à préparer à des métiers nouveaux, y compris dans l'éducation, réclamant une formation universitaire reconnue de bac + 2 à bac + 5 et au-delà.

Il faut ouvrir, expérimentalement, des pistes vers de nouvelles, formations pluridisciplinaires, voir interdisciplinaires ; inventer des voies nouvelles à forte composante technologique et/ou professionnelle pour favoriser la réussite des étudiants venant des baccalauréats professionnels comme des baccalauréats généraux ou technologiques, et d'autres publics dont les acquis sont difficiles à valoriser dans les cursus à base « disciplinaire », en associant acquisition des savoirs à base disciplinaire et maîtrise du savoir-faire technologique et professionnel.

Donner à la formation continue toute sa place, avec les moyens budgétaires nécessaires, avec la reconnaissance dans les services de nos collègues de leur activité en formation continue, est, pour nous, un objectif important. Les adultes en formation sont et seront de plus en plus nombreux : c'est une composante de la démocratisation des études et de l'élévation des qualifications ; mais cette perspective d'avenir, moderniste au bon sens du mot, ne semble pas au rang des priorités ministérielles. Nous avons, pour notre part, la volonté de la faire prendre en compte, avec tous les partenaires intéressés, en premier lieu les salariés qui en sont demandeurs.

Elargir la palette des formations existantes : c'est un levier de démocratisation. La rabougrir : ce serait un outil de ségrégation culturelle et sociale accrue. L'enjeu est considérable.

En quatrième lieu, le contrôle des connaissances et les validations des acquis

Nous refusons que soit remise en cause l'application dans tous les cursus du principe de capitalisation des acquis, entre les diverses périodes du 1er cycle ainsi que pour le passage 1er/2ème cycle. Nous ne tolérerons pas que l'on tente de semer la confusion entre cette capitalisation et la compensation des notes au sein d'une même unité, semestre, ou année, comme cela a eu lieu dans la Conférence disciplinaire Droit-Economie-Gestion-AES. Nous refusons que le système de « double moyenne », prévu dans le rapport d'étape pour ces disciplines, soit conçu comme une machine à mieux éliminer.

Nous n'accepterions pas que le résultat de l'évaluation en fin de semestre initial - qui compte pour la validation de l'année entière - soit sans appel.

Aussi faut-il prévoir, avec les moyens correspondants, une mise à niveau dans le cadre du 2ème semestre ou sous forme d'un semestre « redoublé » pour les étudiants de 1ère année poursuivant dans leur option disciplinaire initiale après être apparus en difficulté en fin de premier semestre, ou s'orientant ou se réorientant à l'issue du 1er semestre, y compris dans les IUT et STS.

Nous veillerons, avec les étudiants et leurs organisations, à la mise en place de véritables sessions de rattrapage bâties de manière à ne réduire les chances d'aucun étudiant, et notamment de ceux qui ont un emploi salarié pendant l'année comme de ceux qui, ont un emploi saisonnier pendant l'été. Mais aussi, il est capital de créer les conditions d'une validation correcte des acquis d'étudiants arrivant, à quelque moment que ce soit du cursus, avec une expérience professionnelle validable selon les textes en vigueur (crédits de connaissances, contrôle des connaissances).

Les nouvelles technologies éducatives doivent être mises à la disposition du plus grand nombre et mieux utilisées, sans pour autant se substituer à l'encadrement existant qui doit être renforcé.

Les articulations 1er/2ème cycle

Il faut ouvrir le débat tout de suite, et ne pas laisser dans le flou cette question capitale.

Les étudiants qui vont entrer dans le Supérieur à la rentrée 97 ont le droit de savoir quelles poursuites d'études leur seront ouvertes dans deux ans :

Les habilitations

Vous parlez, Monsieur le Ministre, d'habilitations « sommaires » parce que vous n'auriez que « 6 mois devant vous ».

On ne fera pas du sérieux avec du sommaire, à moins de n'avoir comme objectif que le calendrier politique des prochains mois.

Pas de « modèle unique » de semestre initial. Certes, ce serait pauvre et réducteur.

Mais cela ne dispense pas, bien au contraire, de règles nationales communes claires sans lesquelles il n'est plus de diplômes nationaux.

Il faut donc débattre sans tarder de ces règles communes dans tous les établissements et avec tout le monde, faire statuer le CNESER, puis, après promulgation des arrêtés nécessaires, faire procéder à un travail d'habilitation sérieux, informé, transparent par ce même CNESER;

Nous savons que des maquettes sont en préparation chez les « experts » ministériels.

Ces travaux ne doivent pas rester confidentiels.

Il faut, tout de suite, la transparence et le débat.

Les moyens

Toute amélioration, toute réforme du système actuel nécessitent des moyens supplémentaires dans tous les domaines : emplois d'enseignants-chercheurs, de personnels IATOSS et de bibliothèques, transformations d'heures complémentaires en emplois, constructions de locaux adaptés aux formes d'enseignement par petits groupes et de salles de travail pour les étudiants, crédits de construction de bibliothèques, crédits de renouvellement de matériel, crédits de fonctionnement.

Or, vous ne prenez aucun engagement réel sur cette question décisive vous parlez d'un plan « Université 2000 + », au contenu insuffisant, mais quelles sont les mesures concrètes pour sa mise en oeuvre ? Quels sont les engagements financiers correspondants au titre de 1997 dans un collectif budgétaire et des année suivantes ? Quel sera le calendrier de mise en oeuvre ?

En tout état de cause, nous combattrons toute mesure de suppression de cursus, de réduction de formations qui serait motivée par la recherche d'économies sordides, d'autant plus choquantes au moment où l'Etat déverse des milliards à fond perdu dans le renflouement de banques ou compagnies d'assurances victimes d'une gestion spéculative irresponsable.

De même, nous nous opposerons à toute disposition, tout artifice qui entraîneraient des éliminations massive et qui seraient mise en place pour pallier les insuffisances de moyens. Nous ne nous résignerons jamais à de tels choix.

Les flux étudiants

La stagnation (voire réduction) du nombre des entrants dans chacun des trois cycles, loin de nous réjouir comme certains, est pour nous un sujet d'inquiétude quant aux perspectives de la jeunesse de notre pays. En tout état de cause, on ne peut accepter que l'argument « démographique » d'une « pause » dans le nombre d'entrants dans le Supérieur serve d'alibi à la démarche « à moyens constants ».

Pour deux raisons :

1) on ne peut pas piloter le développement des cursus par la « conjoncture démographique » à court-court terme,

2) le flux d'entrants ne dépend pas seulement de la démographie ", mais, au moins autant, de la demande d'études supérieures chez les jeunes.

S'il y a tassement momentané du flux des entrants, profitons-en pour améliorer les taux d'encadrement.

Sur toutes ces questions, nous demandons des réponses clairement et rapidement positives. Nous demandons que les étudiants et les personnels soient associés étroitement à la discussion. Car, en dernier ressort, c'est de leur engagement que dépendra la mise en oeuvre de toute mesure positive. Le temps n'est plus - à supposer qu'il ait jamais existé - où l'on pouvait imposer à la communauté universitaire la mise en oeuvre de mesures dont elle n'aurait pas amplement débattu, dans une entière transparence.

Pour toutes ces raisons, la question du calendrier nous paraît déterminante et commander le reste. La mise en oeuvre annoncée des mesures proposées ne nous parait ni réaliste ni praticable, Il n'est pas acceptable que vous répondiez à des questions de calendrier par un chantage au statu quo.

C'est pourquoi nous allons nous employer à ce que le mot " concertation " ait valeur permanente et ne soit pas seulement un colifichet de circonstance.

 

Paris, le 7 mars 1997

Le Bureau National du SNESup


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Cette page est maintenue par : Marc Champesme
Dernière mise à jour le : Ven 4 Avril 1997