[ SAMIZDAT ]


Les étrangers, les lois et le droit...



Tout au long du mois d'août, les pouvoirs publics ont justifié leur attitude face au mouvement de Saint Bernard par "le nécessaire respect de la loi".
Ainsi, le ministre de l'intérieur déclarait, le 16 août, pour expliquer son refus d'accéder aux revendications des grévistes de la faim : "Je ne peux pas violer les lois. Je ne peux pas dire : aujourd'hui la République n'a plus de fondement. Car à ce moment-là, c'est partir dans un cycle où c'est le règne du plus fort, de l'arbitraire. Et ça, je ne le veux pas." De même, le Premier Ministre expliquait, le 17 août, que son gouvernement était allé "à l'extrême limite de ce que permet la loi" dans la voie des régularisations.



Passons sur le fait que ces derniers propos émanent du seul premier ministre qui, à ma connaissance, ait été déclaré coupable par le procureur de la République de Paris, d'un délit passible de trois ans de prison lors de l'attribution des logements de sa petite famille. Oublions que la plupart de nos ministres et le Président de la République lui-même sont aux centres d'affaires judiciaires dont le garde des sceaux n'a pas trop de ses journées pour enrayer les procédures, aidé en cela par de zélés magistrats de ses amis, éventuellement eux-mêmes logés par faveur à prix réduit.

L'arrière fond de l'argumentaire étant que le Gouvernement doit rester ferme sur l'immigration pour ne pas donner de grain à moudre au Front National, remarquons cependant que celui-ci fait aujourd'hui largement autant son expansion sur le thème de la lutte contre la corruption ...

Le peu de crédibilité des intéressés en la matière ne suffit cependant pas à disqualifier leurs propos : s'ils les ont tenus, c'est bien qu'ils rejoignent des interrogations légitimes de l'ensemble des citoyens sur le respect de la loi comme un des fondements de l'Etat de droit.

Qu'en est-il donc de la situation des étrangers au regard de ces questions ?

DE LA RÉALITÉ DE LA LOI.

Le séjour irrégulier : une décision administrative révisable à tout instant.Puisqu'en premier lieu c'est d'eux qu'il s'est agi cet été, examinons ce que dit la loi[1] sur les étrangers en situation irrégulière. Tout d'abord, il est important de noter que si un étranger est en situation irrégulière, c'est du fait principal des pouvoirs publics qui ont refusé de lui donner l'autorisation de venir - non délivrance d'un visa - ou de rester - non délivrance d'un titre de séjour. En effet, aucune loi de ce pays n'interdit de délivrer soit un visa, soit un titre de séjour à qui que ce soit[2]. Ce n'est donc jamais de l'unique fait de la situation du demandeur, si celui-ci se voit opposer un refus de régularisation. C'est toujours parce que l'autorité administrative a décidé de ne pas accéder à sa demande, alors qu'elle aura très bien pu accéder à telle autre en tout point similaire[3]. Ceci rend d'ailleurs d'autant plus scandaleux la pénalisation du caractère irrégulier du séjour[4] alors que celui-ci est entièrement subordonné à cette décision administrative discrétionnaire.

Dans ce processus, la loi se borne surtout à évoquer les cas où cette autorité est dans l'obligation d'accéder à la demande de l'intéressé. Au pire, elle délimite les critères permettant au Préfet de refuser un titre de séjour : en aucun cas elle ne lui indique alors qu'il devra refuser cette délivrance, si l'un de ces critères n'est pas rempli. Dans tous les autres cas, pour lesquels la loi ne dit rien de particulier, l'acceptation ou le refus de délivrance d'un titre de séjour relève donc de la seule décision arbitraire du Préfet, du pouvoir et donc du devoir d'appréciation qui lui sont reconnus en la matière.

C'est ce que rappelait le Conseil d'Etat[5] dans l'avis rendu, cet été, au premier ministre :
"L'autorité administrative a le pouvoir de procéder [à une régularisation] sauf lorsque les textes le lui interdisent expressément, ce qu'il ne font pas dans les cas mentionnés dans la demande d'avis[6]. (...)La faculté de régulariser prend tout son sens si on la rapproche du principe selon lequel l'administration doit procéder à un examen particulier de chacun des cas sur lesquels elle est appelée à se prononcer. Si donc le demandeur a un droit, c'est celui de voir son propre cas donner lieu à examen et, éventuellement, à réexamen lorsqu'un élément nouveau apparaît dans sa situation."

Les déclarations des plus hautes autorités de l'exécutif, quant à la contrainte de la loi pour refuser les régularisations, doivent donc être prises pour ce qu'elles furent : un mensonge cynique. Je suis bien conscient que le discours qui précède peut sembler à beaucoup bien idyllique : n'est-il pas avéré que tout le mal vient des "lois Pasqua" ?

Je rappellerai tout d'abord que je parlais là de la possibilité légale de régularisation et non pas de l'ensemble des lois sur les étrangers. Toute la dérive des pouvoirs législatif et exécutif consiste, après avoir de façon discrétionnaire refusé cette régularisation, à tenter d'effacer totalement l'irrégulier du paysage légal et social. Pas de travail, donc ni moyens d'existence, ni logement. Une menace permanente d'arrestation donc pas de soins, pas de mariage, pas d'enfants à l'école, aucune démarche sans risquer d'être dénoncé par quiconque outrepassera ses prérogatives en réclamant la présentation d'un titre de séjour. De par sa situation juridique de non-droit, l'étranger irrégulier est poussé à devenir un non-être social.

Ceci éclaire aussi, tant la polémique sur la manipulation qui aurait poussé des irréguliers à occuper l'église Saint-Ambroise, que la superbe erreur stratégique des pouvoirs publics dans leur analyse du mouvement de cet été. Peut-on imaginer des non-êtres prendre une initiative politique collective et interpeller l'opinion grâce au symbole de l'église-lieu d'asile ? Comment envisager que si des sans-papiers sont soutenus par des militants associatifs, ils sont en revanche largement assez autonomes pour prendre eux-mêmes leur mouvement en charge, et donc se passer des habituels soutiens qui seraient partis en vacances. Il suffit alors que les journalistes n'aient aucune autre actualité spécifique pour que ce mouvement, dont certains ont espéré le pourrissement, devienne en fait le feuilleton de l'été.

LES PRATIQUES ADMINISTRATIVES, AU DELÀ ET À L'ÉCART DU JURIDIQUE.

Je remarquerais ensuite que ce double ministre de l'Intérieur a bien réussi son coup médiatique en associant son nom unique à des dispositions législatives qui l'ont souvent précédé ou que les gouvernements qui l'ont suivi - même ceux de 1988 à 1993 - se sont bien gardés d'annuler en tous points. Rappelons d'ailleurs que celles de 1993, qui sont aujourd'hui les plus en vues, ont été, pour l'essentiel, rédigées par un haut fonctionnaire du ministère de l'Intérieur mis en place sous un gouvernement socialiste. Quant aux manifestants de Saint-Bernard, leur situation datait largement d'avant ces dernières lois.

Cette grande lignée, dans laquelle s'inscrivent les "lois Pasqua", a abouti à un dangereux amoncellement législatif et réglementaire, non parce qu'il serait devenu de plus en plus contraignant envers les étrangers, mais parce qu'il l'est de moins en moins envers l'administration ou qu'il permet davantage de pratiques discriminatoires de la part de la Justice[7].

Si les lois ne prescrivent pas l'offensive contre les étrangers, elles les ont, en revanche, fragilisés en supprimant un certain nombre de barrières qui encadraient les pratiques administratives. Elles ont ainsi progressivement dépossédé les étrangers d'un certain nombre de droits - c'est à dire d'un dû qu'il suffit de faire valoir pour l'obtenir - pour confier leur destin au bon, ou au mauvais, vouloir administratif[8].

Et ce n'est pas faire injure à l'administration française que d'estimer qu'en la matière, le danger est grand. L'administration compte, à la base, ni plus ni moins de salauds que tout groupe humain. Il est cependant à noter que pour qu'un salaud puisse s'exprimer - si j'ose dire - il faut qu'il ait l'occasion d'exercer quelque pouvoir envers autrui. Le quidam moyen n'a pas ce pouvoir. Le moindre agent de guichet de n'importe quel service des étrangers a un tel pouvoir entre les mains. Il suffit d'ajouter le matraquage idéologique ambiant qui fait de tout étranger un fraudeur qui se dissimule pour entrevoir les dégâts potentiels.

D'autant que, ce pouvoir démesuré, tout incite ce fonctionnaire à l'exercer de façon abusive. Ainsi, l'évolution législative récente a, aussi, été un patient colmatage juridique de pratiques administratives illégales. Le fonctionnaire qui abusait de son pouvoir au mépris de la loi s'est souvent vu "récompensé" par une loi nouvelle qui venait entériner ses pratiques abusives. Certains avaient à ce point anticipé l'évolution qu'ils ont sciemment bloqué le traitement de dossiers, en attendant que la loi change et supprime une jurisprudence du Conseil d'Etat favorable aux étrangers.

De plus, les réformes tendent également à écarter la justice des procédures relatives aux étrangers. Ainsi l'intervention des juges avant les expulsions, le non-renouvellement des titres de séjour ou la non-délivrance de certains d'entre eux a été vidé de tout caractère contraignant pour l'administration. Ainsi, le maintien des arrivants en zone internationale constitue de fait une détention qui peut durer plusieurs jours voire plusieurs semaines sans qu'aucune décision judiciaire n'intervienne puisque l'étranger n'a pas accédé au territoire national.

Notons que, quand cette mise à distance n'est pas le fait de la loi, l'administration sait faire preuve d'imagination voire de simple brutalité pour empêcher un recours au tribunal qui pourrait gêner l'organisation d'une reconduite. Les derniers événements l'ont montré, l'intervention du juge peut faire apparaître des irrégularités ou des erreurs d'appréciation dans les décisions administratives et leur mise en oeuvre. Or, loin de considérer cette intervention comme une contrepartie nécessaire à l'autorité de l'Etat dans une société de droit, de nombreux fonctionnaires n'ont de cesse que de tenter de l'éviter.

Une décision de reconduite à la frontière ne peut être mise en oeuvre avant un délai de vingt-quatre heures après sa notification à l'intéressé. Pendant ce délai le juge administratif pourra être saisi pour contrôler la validité de la dite décision. Dans l'esprit de la loi, la brièveté du délai était lié au caractère d'urgence pour l'administration de la situation d'un étranger venant d'être arrêté et en voie effective de reconduite. Qu'à cela ne tienne, la plupart des décisions de reconduite sont aujourd'hui prises par voie postale, pour des personnes s'étant vu refuser un titre de séjour depuis plus d'un mois. Recevant ce courrier, étant éventuellement dans l'impossibilité de le lire, ne se préoccupant pas outre mesure du délai mentionné et attendant les jours prochains pour prendre conseil, l'intéressé laissera souvent filer les vingt-quatre heures, réduisant à néant toute possibilité de recours en annulation.
Avantage de la méthode pour la préfecture : lorsqu'ensuite l'étranger en question sera arrêté, sur convocation ou au hasard des contrôles, et que sa famille alertera dans l'urgence, cela sera pour que l'on constate que c'est l'exécution d'une décision plus ancienne et que les délais sont dépassés. Moralité : Quand vous recevez un avis de lettre recommandée et que avez tenté une régularisation, prenez contact avec une association ou un avocat, avant d'aller la retirer.
Deuxième avantage de la méthode : quand on convoquera les gens pour les arrêter, on pourra planifier leur départ pour éviter la mise en rétention puisqu'il n'y aura plus ce délai minimum d'attente. Cela évitera aussi de passer devant le juge d'instance qui, passées vingt quatre heures, contrôle cette rétention[9], et qui pourrait constater que l'arrestation, voire la décision initiale de reconduite, était illégale[10].

S'APPROPRIER LA LÉGITIMITÉ DE LA LÉGALITÉ

Face à cette réalité, il me semble utile de s'interroger sur la réplique des milieux solidaires des sans-papiers et des étrangers en général face à ce discours sur la loi. Force est de constater qu'ils sont souvent tombés dans le piège qui leur était tendu. Plutôt que de démonter l'argumentaire pseudo-juridique du gouvernement, ils se sont lancés souvent sur un terrain glissant tant en terme de réponse immédiate que de perspective politique : évoquer, face aux lois de la République, l'existence d'autres lois de vertus supérieures, éthiques voire parfois théologiques[11], en ouvrant le grand débat sur "légalité et légitimité". Or, il me semble éminemment dangereux de revendiquer une autre légitimité que celle issue du suffrage universel.

Ainsi, je ne peux m'empêcher de penser à cette même revendication portée par les commandos anti-I.V.G. qui déboulent dans les hôpitaux pour terroriser les patientes.

Que les références de chacun lui permettent de fonder son éthique personnelle, certes. Mais quand ce chacun s'exprime dans le champ de l'action et du politique, je préfère qu'il s'oblige à se référer, dans la mesure du possible, aux règles communes que se sont données les citoyens. Dans notre société, cette mesure du possible est suffisamment vaste.

En effet, au delà de lois de circonstances, parfois mal faites et contradictoires, notre société s'est aussi donné des lois qu'elle qualifie elle-même de fondamentales et qui constituent son mythe fondateur. Outre les principes originels de la République ce mythe est réactivé, quand notre pays se soucie de son rayonnement moral, par le biais de conventions internationales[12]. Ce corpus, parce qu'il est l'émanation des citoyens, constitue une légitimité tout à fait légale.

En France, l'article 1 du préambule de la Constitution proclame : "Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit". Dans le domaine du respect des étrangers, comme sur nombre d'autres questions sociales et politiques, sommes nous vraiment sûrs d'avoir exploré toutes les ressources de cette légitimité là, avant d'en appeler à une autre légitimité ?

S'APPROPRIER LES LOI DE LA RÉPUBLIQUE.

Dans cette optique, nous devons assumer que le corpus des lois est celui que notre société s'est donné, par l'intermédiaire de ses élus. Si je ne me fait aucune illusion sur la compétence et le courage de ces derniers en la matière, je constate cependant que le droit fait son chemin dans notre société.

Même dans le domaine des étrangers et même si l'évolution est lente, la France a aussi, paradoxalement, des avancée d'un Etat de police à un Etat de droit sous l'influence, entre autre, de la construction européenne qui confronte notre pratique juridique à celle d'autres démocraties. A cet égard, les interactions entre le Conseil d'état et la Cour européenne des droits de l'Homme sont symptomatiques.

N'est-il pas paradoxal que la loi Pasqua sur le regroupement familial soit un coin enfoncé dans l'arbitraire de la délivrance des visas, puisque celle-ci échappe, sur ce cas particulier, au ministère des affaires étrangères et se voit dotée de toute une procédure dont l'obligation de motivation du refus ? Dans la même "loi Pasqua", la traque obsessionnelle des mariages "blancs" a conduit à codifier la dénonciation au procureur, qui se faisait avant dans le flou le plus total. Il ne tient qu'aux victimes d'abus de droit et à ceux qui veulent leur être solidaires, que les mairies ô combien nombreuses qui ne respectent pas cette législation nouvelle et ses procédures se voient davantage sanctionnées.

Dans ce contexte, il appartient à chacun de s'informer sur le droit et de faire preuve d'imagination en allant débusquer les lois qui sont des avancées pour les justiciables en général, puis en les faisant intervenir pour la défense des étrangers ; il n'y a aucune raison d'enfermer ces derniers dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 et dans les textes qui leur sont spécifiques.

Il nous faut aussi promouvoir des avancées. Ainsi, il serait bon de faire entrer dans notre droit interne les dispositions de la Convention internationale sur les droits de l'Enfant, qui relèvent pour l'instant surtout du voeu pieu, bien qu'elle soit ratifiée et entrée en vigueur depuis septembre 1990 [13].

Cependant, pour être efficace dans cette démarche, il faut vraiment croire à la loi comme l'expression de la République et à sa vocation de protection des plus faibles. Bien sûr qu'il y a une part de volontarisme dans cette revendication. Mais le jour où ce volontarisme permettra de faire condamner un préfet pour trouble à l'ordre public, parce qu'il empêche des enfants de vivre tranquillement, l'Etat de droit aura progressé.

LA LOI ET LA SANCTION.

Si nous croyons vraiment que le rôle de la loi est la protection des plus faibles, nous devons agir fortement contre ceux qui agressent ces derniers en transgressant cette loi. Je veux parler des abus de pouvoir que rencontrent les étrangers pauvres - mais pas seulement eux[14] - qu'ils soient le fait de postiers et d'agent de mairie qui se croient policiers de la DICILEC, ou de responsables de préfectures qui s'assoient sur le droit et les procédures.

Si la loi prévoit les sanctions contre les individus comme moyen de dissuasion, nombreux sont ceux qui répugnent à faire sanctionner des personnes, pour des fautes qu'elles ont pourtant commises, et préfèrent dénoncer le contexte dans lequel elles agissent.

A cet égard, les plaidoiries des associations partie civile dans de récentes affaires impliquant la préfecture de police de Paris sont symptomatiques. On assigne un fonctionnaire au pénal, parce qu'il a commis un délit, mais on ne plaide pas sa responsabilité propre dans le caractère délictueux de ses actes. On plaide l'iniquité de la loi, "l'ambiance malsaine qui rappelle Vichy" et on dilue le comportement spécifique de l'individu qui comparaît dans des effets de tribune. Le tribunal n'a plus qu'à reprendre à son compte les excuses ainsi proposées. Mieux vaudrait prendre d'abord les tribunaux pour ce qu'ils sont : des lieux où se dit le droit et non pas seulement des tribunes de journaux.

Je crois que dans notre appropriation de la loi, il nous faut à notre tour oeuvrer consciencieusement à faire condamner les individus, même si ce sont des lampistes. D'abord, parce que cela les incitera à se faire donner des ordres illégaux par écrit et on pourra remonter la chaîne. Ensuite, un lampiste puis un petit chef condamné personnellement à une lourde amende ou - rêvons un peu - à une peine de prison et ce sont des centaines d'agents de guichet et de chefs de bureau qui se mettront à faire attention avant de commettre des abus de pouvoir.

Ce qui précède ne pourra se faire, cependant, qu'accompagné d'un long travail en direction du corps judiciaire.

Voici quelques articles du code pénal qu'il faudrait peut-être utiliser pour dissuader les agents de l'état civil de se transformer en policiers et les maires de surseoir à un mariage, ce qui est clairement l'apanage du seul procureur depuis la "loi Pasqua" ( art 175-2 du code civil) et contrairement à ce que dit la circulaire de ce même Monsieur Pasqua (?).

art 433-12 : Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 F d'amende le fait par toute personne agissant sans titre, de s'immiscer dans l'exercice d'une fonction publique en accomplissant l'un des actes réservés au titulaire de cette fonction.

art 432-1 : Le fait par une personne dépositaire de l'autorité publique, agissant dans l'exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l'exécution de la loi est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 500 000 F d'amende.

art 432-2 : l'infraction prévue à l'article 432-1 est punie de dix ans d'emprisonnement et de 1 000 000 F d'amende si elle a été suivie d'effet.

UNE JUSTICE SOUS INFLUENCE IDÉOLOGIQUE.

Si les lois et leur application sont, aussi, affaire de juristes, elle sont, cependant, avant tout affaire de citoyens. D'abord, puisque les tribunaux rendent leurs jugements "Au nom du peuple français", il est bon que ce peuple se soucie davantage de ce qu'on fait en son nom. Il faut donc aller dans les lieux où les étrangers rencontrent les procédures judiciaires pour y exercer une citoyenneté vigilante[15].

Inutile, pour les bonnes âmes, de s'indigner en dénonçant une volonté de pressions sur la justice. La justice est rendu par des hommes, qui ont une carrière et qui vivent en société. Ils est donc clairement illusoire de les croire vierges de toute pression et de s'assigner le devoir de préserver une virginité qui n'existe pas. Puisque les juges font partie de notre société, ils n'ont aucune raison d'échapper aux antiennes que celle-ci véhicule sur la question des étrangers, en général en toute ignorance des réalités. Depuis "La France ne peut accueillir toute la misère du monde" - qui comme chacun sait a les moyens de se payer le billet d'avion au lieu de rester mourir dans les camps de réfugiés - jusqu'à "Il faut chasser les étrangers clandestins pour pouvoir intégrer ceux qui sont ici en situation régulière" - en oubliant tout bêtement que celui-ci est bien souvent le propre frère de celui-là, j'ai pu entendre des magistrats proférer ces poncifs en séance pour appuyer les décisions juridiques qu'ils venaient de prendre. Inutile, cependant, de chercher le concept juridique relatif à la définition de "la misère du monde".

Il faut donc opposer des contre-feux à ce matraquage idéologique, si on veut que des décisions aussi lourdes de conséquences soient effectivement prises en connaissance de cause. Ainsi, de cette magistrate qui demandait à une femme malienne, mère de deux enfants en bas âge, pourquoi elle ne voulait pas rentrer au Mali. Peut être faudrait-il l'informer que la mortalité infantile du Mali est vingt fois supérieure à celle de la France, qu'un enfant sur six y meure avant l'âge de cinq ans et lui faire comprendre que ceci explique peut-être cela.

Cette prégnance de l'idéologie et la soumission au discours dominant se retrouvent de façon quasi-caricaturale dans l'application par les tribunaux de deux notions juridiques qui interviennent pourtant souvent en matière du droit des étrangers et particulièrement de reconduite.

La première concerne la nécessité de motivation des décisions administratives.

D'un côté et comme pour les refus de régularisation, rien n'oblige un préfet à décider la reconduite à la frontière d'un étranger en situation irrégulière ; la loi se contente d'énumérer les cas où il a l'autorisation de le faire. D'autre part, le code administratif stipule que ce genre de décisions doivent être motivées, c'est à dire "comporter les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision" - loi du 11 juillet 1979.

En pratique, les décisions de refus de séjour et de reconduite ne comportent jamais d'autres considérations que l'évocation de l'existence d'une situation autorisant la reconduite. Mais rien ne vient jamais expliquer pourquoi il a alors été choisi de décider ce refus de séjour ou cette reconduite, alors que le choix contraire aurait été tout aussi légal.

Voici donc l'obligation de motivation toujours bafouée, sans pourtant que les décisions en cause soient systématiquement annulées par les tribunaux. La raison en est, que les magistrats ont tellement intégré le discours des politiciens sur l'immigration clandestine qu'ils entérinent cette interprétation partiale de la loi. Ceci, alors même que ces politiciens, s'ils tiennent souvent de tels propos sur les tréteaux électoraux, n'ont jamais été capables d'expliciter cette finalité dans le texte d'une loi, tout simplement parce que cela serait juridiquement impossible. Ainsi, les tribunaux n'appliquent pas une loi qui existe, la nécessité de motivation, pour en appliquer une qui n'existe pas, la nécessité de refus de séjour, et simplement parce qu'ils partagent avec les politiques un non-dit juridique : la nécessité d'un "signal fort" vers les candidats à l'immigration, et accessoirement vers les électeurs xénophobes.

On retrouve la même dérive dans l'application de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme qui garantit le respect de la vie familiale et privée.

Il ne faut pas négliger, non plus, l'anomalie de la justice administrative. Ses membres ne sont pas des magistrats mais des hauts fonctionnaires passés par l'E.N.A. et qui dans leur carrière seront amenés à exercer dans les administrations qu'ils sont ici chargés de contrôler. Et voici une justice rendu par des hommes qui sont tantôt juges, tantôt parties ! Il est à cet égard symptomatique que ce soit maintenant la justice européenne qui oblige le Conseil d'Etat à modifier ses jurisprudences et à faire évoluer le droit français. Est-ce le prémisse d'une justice indépendante des contraintes électorales des différents gouvernements ?

Remarquons aussi la facilité avec laquelle cette justice sait judicieusement se satisfaire de son peu de moyens. Malgré la lourdeur des conséquences, une décision de refus de séjour sera traitée dans les deux ans par les tribunaux administratifs de Versailles, Paris et Melun qui couvrent près des deux tiers des étrangers vivant en France. Les procédures d'urgence n'y seront pas traitées en moins de quatre mois et à condition que la décision ait des conséquences irréversibles ; or, ces magistrats semblent avoir une vision assez étroite de l'irréversibilité. Dans le même temps le tribunal de Lyon s'impose de répondre dans les quatre mois en procédure normale, et parfois dans les vingt quatre heures en urgence.

Le manque de formation de nombreux magistrats sur les questions strictement juridiques spécifique aux étrangers est un autre dysfonctionnement grave[16]. Cela les incitera à prendre pour argent comptant le point de vue de l'administration, puisque l'ensemble du processus leur échappera.

Notons, mais est-ce vraiment à leur décharge, que pendant longtemps les magistrats ont trouvé face à eux bien peu d'avocats compétents pour les obliger à faire correctement leur travail. Les étrangers pauvres sont un marché moins intéressant que des patrons accusés d'abus de biens sociaux et il reste aux avocats militants un gros travail à faire pour que leurs confrères commis d'office, mais pas seulement, aient également le minimum de compétences nécessaires. Et pourquoi certains barreaux freinent-ils l'attribution de l'aide juridictionnelle à l'avocat contacté par l'étranger plutôt qu'à ceux de permanence ? Depuis quand l'ignorance du dossier est-elle un élément favorisant pour assurer une défense ?

Cet article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales stipule l'obligation du respect de la vie familiale et précise les conditions restreintes dans lesquels l'autorité publique peut être autorisée à s'y immiscer :

  1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) .

  2. Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

Dans le cas où un refus de séjour ou une reconduite amène à une séparation familiale, l'administration a donc le devoir de s'assurer et de justifier que sa décision est prise par nécessité au regard de l'un des motifs énumérés ci-dessus.
En pratique, la prise en compte de cet article par l'administration revêt la forme de la formule stéréotypée suivante qui ne saurait être considéré comme répondant à cette nécessaire justification :
"Considérant que compte tenu des circonstances propres au cas d'espèces, il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé(e) à sa vie familiale"
Le libellé même de cette formule ne fait que révéler l'absence de fondement de la décision puisqu'il affirme que "l'atteinte à la vie familiale", qui n'est donc pas niée, ne serait "pas disproportionnée" sans qu'il soit fait état des éléments au regard desquels cette proportion serait évaluée. Comment faire ainsi appel à la notion de proportion sans qu'il y ait deux termes entre lesquels une comparaison soit établie ?
Et bien là non plus, les tribunaux n'annulent pas systématiquement les décisions de refus de séjour ou de reconduite concernés alors que je n'en ai jamais rencontré aucune où l'administration se soit donné la peine de se justifier par un des motifs restreints autorisés. Et pour cause ! Comment justifier que la reconduite d'un simple individu puisse être indispensable, par exemple au bien-être économique du pays ? Pourtant, la justice a l'obligation de ne traiter que des questions individuelles et non pas une hypothétique maîtrise des flux migratoires de main d'oeuvre. Mais là aussi, le discours ambiant fonctionne à plein, et se substitue au juridique.

UNE COHÉRENCE ET UN CHOIX DE VALEURS.

Voici quelques réflexions à discuter et à approfondir, pour que le discours sur le droit ne soit plus détourné dans des mensonges politiciens mais soit restauré à sa juste place. Le droit n'est pas l'alpha et l'oméga de l'organisation d'une société qui possède d'autres lignes de forces culturelles, sociales, économiques. Mais, il est un des éléments fondamentaux du politique et le reflet, à un moment donné, d'un consensus minimum sur lequel se sont accordés les acteurs sociaux pour définir un certains nombres de règles du vivre-ensemble. Sous risque de dangereuse et débilitante schizophrénie, il importe donc qu'une société soit capable de donner corps aux règles fondamentales qu'elle s'est fixée.

Aujourd'hui notre société ne cesse de faire reculer ses préceptes pour s'adapter à des contraintes supposées immuables et qui sont celles de l'économie libérale capitaliste. Or lesdites contraintes ne sont en rien immuables comme les lois physiques. Elles ne sont que le résultat de constructions humaines qui s'appuient aussi sur l'élaboration patiente et l'utilisation d'un corpus légal qui leur soit favorable : primauté de la propriété individuelle sur l'intérêt collectif et du capital sur le travail. A cette construction, donc par nature subjective, on peut choisir d'opposer une autre subjectivité.

Je rappelais ci-dessus que, pour la société française, le premier article du préambule de la constitution, qui constituerait donc la valeur essentielle du projet national, s'énonce : "Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en dignité et en droit." La situation des étrangers pauvres, si elle n'est pas le seul, est un indicateur redoutablement explicite de la déliquescence actuelle, dans notre société, de ce mariage fondamental entre la liberté et l'égalité.

Jean Cathala
Mouvement Cimade Ile-de-France
novembre 1996.

[ Extrait de la brochure Papiers publiée en octobre 1996 par Alain Dussort ]




(1) L'ordonnance du 2 novembre 1945, pour le régime général, et les conventions bilatérales qui en différent sur quelques détails mais pas sur l'essentiel qui nous intéresse ici.

(2) A l'exception, unique à ma connaissance, de la délivrance d'une carte de 10 ans à l'étranger vivant en situation de polygamie.

(3) Les régularisations et refus de régularisation suite aux occupations de Saint Ambroise puis de Saint Bernard illustrent ô combien, cette réalité juridique...

(4) Considéré comme un délit, il est passible d'un mois à un an de prison et de 2 000 F à 20 000 F d'amende.

(5) Version intégrale dans Le Monde daté du samedi 24 août 1996.

(6) Cequi recouvre, en fait, toutes les situations irrégulières possibles, y compris le simple fait d'être resté en France après expiration du visa.

(7) Pour un même délit, un Français sera considéré quitte après avoir purgé sa peine, alors qu'un étranger pourra se voir infliger une seconde peine : l'interdiction du territoire français. C'est ce qu'on appelle la double peine.

(8) C'est la même logique qui empêche monsieur Juppé d'établir des critères de régularisation, ce qui feraient au moins échapper les concernés à cet arbitraire total pour les faire rentrer dans une forme de droit.

(9) Ceci explique aussi l'actuelle volonté de Monsieur Debré de retarder de vingt-quatres heures cette intervention du juge de la rétention.

(10) Le code pénal donne la possibilité au juge d'instance d'évaluer la légalité d'une décision administrative. S'il la juge illégale, il peut en annuler les effets judiciaires (arrestation, rétention) mais pas administratifs (non délivrance de titre, décison de reconduite qui reste valable et pourra être remise à exécution).

(11) Les polémiques après l'évacuation de Saint Amboise ont masqué le fait que, depuis de nombreuses annnées, les milieux d'église sont venus clairement interpeller la société française sur les dégats des pratiques à l'égard des étrangers.

(12) Celles-ci ont alors force de loi et, de par la Consitution, sont de portée supérieure au lois internes.

(13) Des magistrats ont déjà pris des initiatives en ce sens, en déclarant illégales des reconduites sur le fondement de l'article 9 de cette convention, qui stipule : "Les Etats parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, [sauf] si cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supèrieur de l'enfant". Ils ont estimé que cet article était suffisamment explicite pour pouvoir être appliqué directement, sans attendre une transposition en droit interne qui ne tarde que trop.

(14) Je voudrais bien connaître le statut juridique qui préside au ramassage, contre leur gré, des sans abris de Paris pour les conduire au Centre de Nanterre après avoir tourné des heures dans un car sans fenêtres. De même, de quelle texte relève le vol concommittant de leurs affaires par les services de voirie, en vue de leur destruction et au simple motif qu'elles sont sur le trottoir ?

(15) Ces lieux ouverts au public sont les commissions du séjour et d'expulsion, les audiences du maintien en rétention, les tribunaux d'instance qui statuent sur les séjours irréguliers, les tribunaux administratifs.

(16) Ainsi de ce magistrat se tournant lors d'une commission du séjour vers le représentant de la préfecture pour lui demander si la loi donnait, ou non, raison à ce dernier. Devinez la réponse!




			
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