[ SAMIZDAT ]


Nous sommes tous des clandestins !



Comment exprimer notre solidarité active avec les sans-papiers ? Par leur démarche, les militant(e)s du Collectif "Des papiers pour tous" ont choisi de devenir acteurs du combat contre la xénophobie.

Le 18 mars 1996, à 10h, plus de 300 sans-papiers occupent l'église Saint-Ambroise dans le 11ème arrondissement. 300 "clandestins", 300 "immigrés" soi-disant responsables du chômage, de l'exclusion, de la crise, décident de sortir de l'anonymat alors qu'ils ont tout à y perdre ! C'est dire le poids insupportable de vingt années de lois et circulaires xénophobes, des pratiques ouvertement discriminatoires de l'administration, du plan Vigie-pirate et de ses milliers de contrôles au faciès.

Les tenants du précepte "la France ne peut accueillir toute la misère du monde" ne tardent pas à réagir. Assuré de la bénédiction de la hiérarchie catholique, l'Etat français, soutenu par la mairie de Paris, envoie plusieurs centaines de ses représentants armés et casqués déloger ces quelques insolents. Le maire du XIème, Georges Sarre (Mouvement des citoyens), comme celui du XVIIIème quelques mois plus tard (Daniel Vaillant, PS), refuse d'accueillir les 300 réfugiés. Pour eux, la longue marche et une longue lutte commencent, semées d'embuches.

Il s'agit d'envoyer promener Sos-Racisme, qui, le 26 mars, tente de récupérer le mouvement avec l'appui de la hiérarchie catholique, à la recherche d'une virginité immaculée. Il s'agit d'éviter le rôle prépondérant de telle association ou de tel individu, avide de label antiraciste et de reconnaissance médiatique. Il s'agit de ne pas se laisser enfermer puis oublier sur des scènes de théâtre sans public ou dans de poussiéreux hangars SNCF sans voyageurs. Et surtout, il s'agit de demeurer unis, solidaires et maîtres de ses actions pour une régularisation globale, quelles que soient les situations.

C'est dans cet esprit que des individus constituent le Collectif "Des papiers pour tous" : pour exprimer leur refus du consensus xénophobe actuel qui désigne l'immigré, le clandestin, l'étranger comme le bouc-émissaire de nombreux maux de la société capitaliste ; pour devenir acteur de la lutte sans se limiter à un soutien humanitaire et trop souvent passif.

Comment organiser au quotidien la lutte contre les pratiques discriminatoires? Le Collectif a, pour le moment, choisi deux formes d'intervention : des actions visant à freiner la machine à expulser et un travail d'information. A chacun et chacune d'essayer de perturber le fonctionnement des divers rouages du dispositif de contrôle. Objectif : empêcher l'application des lois xénophobes. Il ne tient donc qu'à nous d'intervenir collectivement et systématiquement dans les administrations ou entreprises qui participent à la mise en place de la politique xénophobe de l'Etat français.

Résistance à la xénophobie d'Etat

Le 29 mars 1996, le Collectif investit la radio Sky-Rock et prend la parole pour répondre à la désinformation ambiante.

Le 5 avril, une ANPE (Bd Arago, 14ème arrt), dans laquelle un guet-apens policier avait été tendu contre un sans-papier, est occupée. La délation a gangréné certaines administrations (écoles, transports, hôpitaux...). Et cette pratique se traduit par des arrestations, des enfermements en camps de rétention et des expulsions. La direction de l'ANPE promet de prendre des sanctions si des dénonciations se reproduisent.

Le 23 avril, pour protester contre les expulsions forcées de sans-papiers, l'agence commerciale d'Air France (Avenue des Champs Elysée) est investie. Par la suite, plusieurs syndicats d'Air France répondront favorablement à cette action en demandant au personnel de la compagnie aérienne de ne plus accepter de transporter des expulsés.

Le 29 mai, c'est au tour de l'annexe de la préfecture de police d'être recouverte d'autocollants du Collectif. Les occupants comptent ainsi protester contre l'ingérence de la préfecture dans les études des étudiants étrangers.

Deux semaines plus tard, un conseil d'administration des Caisses d'allocations familiales (9, rue Saint-Charles, 15ème) est interrompu. Objectif : dénoncer les discriminations imposées aux malades étrangers. En toute illégalité, la Caisse d'assurances maladie et les Caisses d'allocations familiales refusent aux ressortissants non communautaires l'allocation adulte handicapé ainsi que le minimum vieillesse auxquels les cotisations d'années de travail en France leur donnent pourtant droit. Ce déni de droit a valu à la France trois condamnations successives (en 1987, 1991 et 1994) par la cour de justice de Luxembourg.

Le 22 août, en plein bras de fer entre gouvernement et sans-papiers, le Collectif "des papiers pour tous" occupe le siège du RPR (123, rue de Lille, 7ème). Cette action est choisie pour montrer du doigt la logique électoraliste qui se cache derrière le consensus xénophobe. Le RPR n'a cessé de prôner une issue répressive au conflit tandis que le PS se borne à demander l'ouverture de négociation. Tout cela pour ne pas effrayer une frange de l'électorat qui pourrait se retourner vers le FN au lieu d'affirmer que la libre circulation des hommes et des femmes constitue une liberté fondamentale que la circulation débridée des marchandises et des capitaux ne saurait faire oublier. Le Collectif exige que soit débattue et votée une loi de régularisation de tous les sans-papiers résidant sur le territoire.

Le rôle du collectif ne s'arrête pas là, il se doit d'informer les gens par voie de tracts, d'affiches, de débats dans les quartiers, les foyers, les universités. Des réunions ont été organisées à Nanterre, Censier, Jussieu, Saint-Denis et sur la Butte aux Cailles avec des sans-papiers.

Liberté de circulationdes hommes et des femmes

Après l'assaut des forces de l'ordre contre l'église Saint-Bernard, à l'instar de la coordination des sans-papiers et de quelques autres associations, le Collectif "Des papiers pour tous" n'a pas voulu se contenter de défiler de République à Nation. Déterminés à poursuivre jusqu'à Vincennes, les militants du collectif avaient pris la tête du cortège avec d'autres personnes, bientôt suivis par des milliers de manifestants pour affirmer notre rage face à la violence de l'Etat et exprimer une fois de plus notre solidarité aux sans-papiers détenus dans le camp de rétention.

Deux jours plus tard, ils se retrouvaient à l'Hôtel de Ville lors de la commémoration de la Libération de Paris, avec 200 personnes pour rappeler que Jean Moulin était un clandestin et Manouchian un immigrant.

Nous en sommes qu'à la première étape de la lutte lancée par les sans-papiers de Saint-Ambroise et par les grévistes de la faim. Si, dans leur grande majorité, ceux-ci ont été libérés du camp de rétention grâce à l'action des avocats, leur situation n'a pas été régularisée.

D'autre part, plusieurs collectifs de sans-papiers se constituent, regroupant non seulement des réfugiés africains, mais aussi asiatiques, sud-américains, turcs... Avec le soutien actif et de plus en plus massif de la population, leur revendication d'une régularisation globale peut aboutir.

"Des papiers pour tous"
28 août 1996 ]




			
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