[ SAMIZDAT ]



 
 
LE TEMPS DES INVISIBLES A PRIS FIN
 
En sortant de la clandestinité où, depuis des décennies, les réduisait le pouvoir, les sans-papiers ont manifesté leur totale indifférence à l’opposition entre légalité et illégalité. Leur lutte, pour plusieurs raisons, relève d’une plus haute légitimité. D’abord, elle contraint le pouvoir à révéler la pente qui est la sienne depuis des années en matière de politique de l’immigration : celle d’un illégalisme policier (qui s’est récemment vérifié par l’expulsion de cinq Turcs du 3ème collectif parisien sans pasage devant le tribunal). La visée actuelle de l’Etat, qui ne s’autorise d’ailleurs d’aucune loi, est un démantèlement du droit au séjour, qui tend à ne plus accorder à terme de carte de séjour de dix ans.
 
Un exemple récent en a été donné à Lille où les sans-papiers se sont vu promettre à titre de régularisation des A. P. S. qui n’ouvrent aucun droit hors celui à ne pas être expulsé (provisoirement).
 
Face à cela, le choix qui a conduit les sans-papiers à manifester au grand jour la condition qui leur est faite ne saurait être compris comme un geste illégal : dans ce désir de se rassembler pour revendiquer leur régularisation, c’est avec la clandestinité dont les lois sur l’immigration avaient fait leur lot naturel qu’ils rompent.
 
Dans le mot d’ordre « sans-papiers pas clandestins » il faut lire non pas la revendication d’une légitimité l’encontre de supposés clandestins désignés comme les véritables coupables, mais la rupture d’une injustice ; non pas la distinction policière entre de « bons » et de « mauvais » étrangers mais le rejet de la clandestinisation qui est depuis des années la condition «normale» de l’étranger en France (comme d’ailleurs dans le reste de l’Europe surtout depuis qu’elle s’est dotée d’accords de Schengen).
 
La dignité de ce geste ne fait qu’accentuer l’indignité des discours des « politiques » qui, de Mauroy et Aubry (qui tentent grossièrement de délégitimer la lutte en dénonçant d’imaginaires manipulateurs) au parti communiste (qui s’en tient frileusement aux dix critères des médiateurs, excluant la double peine ainsi que les étrangers polygames et leurs épouses jugées surnuméraires) constituent le complément de l’ordre policier qui n’aime les étrangers que lorsqu’ils se cachent.
 
Mais le temps des invisibles a pris fin voici quelques mois. Et, en choisissant de ne plus se cacher, en recommençant à circuler librement dans l’espace urbain dont ils ont fait un espace de lutte, les sans-papiers témoignent, ici et maintenant, d’un refus des frontières.
 
Contre le contrôle des vies et des trajets, qui n’admet les déplacements d’humains que s’ils se parent d’une certaine valeur marchande (coopérants, investisseurs, etc...), qui décide dans nos métropoles de l’ordre autorisé des migrations et transactions, la lutte en cours trace dans l’espace et entre les gens des chemins nomades.
 
Parce qu’ils ont su dépasser les appartenances culturelles et ethniques à partir desquelles ils ont pourtant pu organiser leur lutte, parce qu’ils ont résisté à l’oubli de l’été et s’apprêtent à traverser debout les rigueurs de l’hiver, les étrangers en lutte rendent de plus en plus impossible toute résolution politicienne, toute « gestion raisonnable » de leur revendication. Et parce que leur lutte pour une réappropriation de l’espace multiforme de la vie est aussi la notre, nous n’avons pas d’autre choix que de nous engouffrer dans la brèche ouverte par les sans-papiers.
 
			
			
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