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Elf bloque en justice l'OPE de TotalFina


 


Le Monde, samedi 24 juillet
Elf a décidé vendredi 24 juillet de contester la décision du Conseil des marchés financiers (CMF) d'accorder son feu vert à l'offre publique d'échange (OPE) de TotalFina sur ses titres. TOTALFINA dénonce « une manoeuvre destinée à faire gagner du temps ». Le recours déposé par Elf devrait conduire à retarder d'au moins deux mois et demi la clôture de l'OPE de TotalFina sur Elf. LES APPELS AU DIALOGUE lancés mercredi 21 juillet par le conseil d'administration de TotalFina n'ont pas été entendus. L'attitude de Philippe Jaffré, le président d'Elf, laisse présager une bataille longue et rude. LE CMF doit se prononcer lundi 26 juillet sur la recevabilité de l'OPE d'Elf sur Total. LA FUSION des deux pétroliers français est souhaitée par tous, mais les deux compagnies ne sont pas d'accord sur la méthode pour y parvenir.

Joël Morio

ALORS que la bataille boursière qui oppose depuis cinq mois la BNP, la Société générale et Paribas devrait – sauf surprise de dernière minute – connaître une issue le 6 août, l'autre guerre fratricide, celle entre TotalFina et Elf, tourne à la « guerre de tranchées ». Elf a contesté vendredi 24 juillet la décision du Conseil des marchés financiers (CMF) qui a accordé son feu vert à l'offre publique d'échange (OPE) de TotalFina sur ses titres. Chez Elf on indique uniquement qu'il s'agit d'un « recours technique ». Chez TotalFina, on dénonce « une manoeuvre destinée à faire gagner du temps ».
Le recours déposé contre la décision du CMF n'est pas exceptionnel mais il devrait conduire à retarder d'au moins deux mois et demi la clôture de l'OPE de TotalFina
sur Elf, soit jusqu'à la mi-novembre. En tant que tel, le recours contre la décision de l'autorité boursière qui sera examiné par la cour d'appel de Paris n'est pas suspensif. Cependant, il est d'usage que le CMF décide de clôturer l'offre après la fin de la procédure judiciaire, alors qu'en principe, cette clôture a lieu 35 jours après son ouverture. Elf n'a pas justifié son recours : il dispose d'un mois pour le faire. Le CMF aura, ensuite, un délai équivalent pour y répondre. Les plaidoiries des différentes parties devant la cour d'appel ne devraient donc pas intervenir avant deux mois. La cour d'appel prendra ensuite une quinzaine de jours pour publier son arrêt. Si les arguments d'Elf étaient jugés recevables, la compagnie pétrolière pourrait obtenir l'annulation de la décision du CMF et dans ce cas TotalFina serait contraint de lancer une nouvelle offre.

Philippe Jaffré, le président d'Elf, a la possibilité – à tout moment – de retirer le recours déposé par sa société. Cependant, son attitude de ces derniers jours laisse plutôt présager une bataille longue et rude. Pour le moment, M. Jaffré souhaite promouvoir le projet industriel qu'il a dévoilé lors de l'annonce de sa contre-offre sur Total. Celle-ci a été fraîchement accueillie par les marchés financiers mais « nous avons quinze jours de retard sur TotalFina » fait-on remarquer du côté d'Elf. Philippe Jaffré a tenté de convaincre les investisseurs britanniques à Londres les 20 et 21 juillet et s'envole pour New York lundi 26.

Si les dirigeants d'Elf, de TotalFina, les pouvoirs publics et même les syndicats se montrent plutôt favorables à la fusion des deux compagnies pétrolières françaises, la méthode pour y parvenir ne fait pas l'unanimité. Outre les problèmes d'ego entre dirigeants, les deux projets relèvent de logiques industrielles différentes. Alors que TotalFina propose de mettre en place un groupe pétrolier intégré, Elf souhaite créer, après la fusion, deux sociétés spécialisées, l'une pétrolière et l'autre chimique.

APPEL AU DIALOGUE

Mercredi soir, le conseil d'administration de Total avait appellé au dialogue. Depuis, chacun est resté sur ses positions. Le conseil d'administration d'Elf a recommandé vendredi matin à ses actionnaires de ne pas apporter leurs titres à l'offre de son concurrent. Ce conseil s'est tenu en l'absence d'André Lévy-Lang, président de Paribas... dont la banque conseille TotalFina. Dans une interview publiée jeudi par Les Echos, le PDG de TotalFina, Thierry Desmarest, a jugé « aberrant » le projet de séparer la pétrochimie du raffinage. Dans le même journal, le lendemain, Philippe Jaffré a maintenu son idée et ajoute que son groupe a « un bon track record [performances passées] depuis cinq ans, même meilleur que celui des équipes de Total ». Une déclaration qui a piqué au vif TotalFina. La compagnie estime qu'après de tels propos « il sera difficile de faire travailler les équipes ensemble ».

Lundi 26 juillet, le CMF doit se prononcer sur la recevabilité de l'OPE d'Elf sur TotalFina. En cas de réponse positive, TotalFina pourrait à son tour déposer un recours contre la décision de l'autorité boursière. « Il serait paradoxal que l'offre d'Elf déposée quinze jours après la nô tre se termine avant », fait-on remarquer chez TotalFina. Certains observateurs n'hésitent plus à pronostiquer que l'affrontement entre les groupes pétroliers dure aussi longtemps que la guerre qui oppose les trois banques. SG et Paribas avaient déposé en mars un recours similaire contre les OPE de la BNP. Toutefois, selon un industriel proche du dossier interrogé par l'agence Reuters : « Les deux groupes finiront par s'entendre. Philippe Jaffré essaiera de négocier une surenchère de TotalFina pour satisfaire ses actionnaires et des garanties pour son équipe dirigeante avant de partir. »

Rien oblige cependant Thierry Desmarest à accéder aux demandes d'Elf. Il préférera peut-être s'en remettre au verdict des marchés qui lui sont plutôt favorables pour l'instant. A la Bourse de Paris, le titre TotalFina a cédé vendredi 1,96 %, soit une décote de 11,71 % par rapport au prix de l'offre d'Elf, tandis qu'Elf a reculé de 1,15 %, soit une prime de 2 % par rapport à l'offre de TotalFina. Selon les spécialistes boursiers, ces cours signifient que les investisseurs continuent de parier sur une surenchère de TotalFina.