FAIRE DE LARGENT OU SERVIR LHOMME ?
A propos du plan Elf
Faire de largent, est-ce la grande consigne, lunique finalité des entreprises ? Logique imperturbable qui, nous dit-on, justifierait tout «dégraissage ».
Certes, nous nignorons pas les lois du marché, de la compétitivité, des investissements. Nous admirons la créativité, le courage, les valeurs de beaucoup dentreprises ; nous leur savons gré de leurs apports et de leur dynamisme. Nous respectons la somme de travail et de préoccupations quelles représentent. Mais, comment ne pas rappeler aussi que lentreprise, créatrice demplois et de richesses, est faite par les hommes pour les hommes ? Précision de bon sens en une époque où lon veut nous persuader que léconomie, du fait de son importance indiscutable, est lunique souveraine du monde, que ses lois sont dairain, ses conduites impitoyables, et les personnes, ses esclaves. Tout serait mené par le destin économique. Dogme inhumain de la société séculière.
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Que constatons-nous dans notre Béarn ?
Larrivée dun «plan performance Elf » (expression sidérante !) et la suppression de centaines demplois. Plus les décisions sont claires, plus leurs justifications sont floues, venues den haut, dailleurs, et dun maître du jeu à la logique surprenante. Le stylo qui supprime en Béarn des centaines demplois au nom de léconomie, nest-il pas le même qui a paraphé le compte de résultat de cette entreprise juteusement bénéficiaire ?
Or, si le Béarn sait ce quil doit à Elf, Elf ne peut méconnaître ce quil doit au Béarn. Entre eux, la greffe a pris qui a donné de beaux fruits. Pourquoi donc la hache serait-elle la fin de leur histoire ? Ny avait-il pas, ny aurait-il pas dautres mesures à prendre, autrement plus fécondes ?
Dailleurs, prenons garde : cette logique financière qui provoque un tel désarroi, déclenche aussi la puissance aveugle des robots pensants. Qui lutilise aujourdhui à son profit, peut en être demain la victime. Cela sest passé en Béarn et sy passse. Tel qui se croyait à labri est aujourdhui licencié. De plus, cette stratégie ne favorise pas le dialogue indispensable entre toutes les parties concernées.
Après cette amputation viendra le duel des titans à lissue prévisible : labsorption des moins forts par les plus forts. Est-ce donc cela le progrès ? Est-ce comme cela que la nouvelle société devra sorganiser dans le monde ?
La réponse est évidente ; elle est : non. En effet, jusquoù peut-on aller dans la concentration des entreprises sous prétexte de saligner sur la compétition internationale ? Le dilemme dun chef dentreprise se réduit-il à ceci : être humain et faible ou impitoyable et vainqueur ? De tels calculs supposés infaillibles ne se révéleront-ils pas, à moyen et long termes, des erreurs dappréciation, vu leur coût humain, social et spirituel ?
Dans son beau document « Maîtriser la Mondialisation », la Commission Justice et Paix de lépiscopat français écrit fort justement : « le primat absolu de la rentabilité entraîne un nouveau type de totalitarisme pareil à celui de la Tour de Babel » (chapitre IV, dernier paragraphe).
De tout cela, le Béarn fait déjà la dure expérience : il est à un moment important de son histoire. Puissent ses qualités dintelligence et de coeur laider à résister, sadapter, se concerter, se soutenir, imaginer lavenir.
La mobilisation actuelle est un fait positif. Je souhaite que tous entendent ses appels et unissent leurs ressources en un sursaut bénéfique et une démarche durable. Nest-ce pas cela le Béarn 2000 ?
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En vérité, le but nest pas de « faire de largent » pour quelques poches ou quelques proches, mais de créer des emplois pour sauvegarder la seule richesse qui, en fin de compte, constitue la plus-value de lunivers : la personne humaine.
En rappelant cela, lEglise fait preuve du réalisme le meilleur qui soit, puisque son rappel et sa protestation sont au service dune société plus humaine. Elle ne peut oublier les conséquences douloureuses que ces suppressions massives demplois entraîneront. Elle invite à lentraide et stimule le courage. Elle sait par expérience que, parfois, des situations aussi difficiles peuvent provoquer détonnantes reprises. La préparation du Jubilé, sa campagne dannée sur les malmenés de lexistence et les solidarité à nouer, lui font rejoindre, au coude-à-coude, ces personnes et ces groupes en état de choc.
Que dans leurs calculs, les responsables dentreprises noublient jamais la personne humaine. Sils la traitent comme rien, comme un objet ou comme un paramètre parmi dautres, quils sachent que le zéro a détranges ressources et le « paramètre » humain des réactions de liberté dont ils entendront parler. En respectant ces données, ils trouveront, tôt ou tard, des chances de gagner. Quoi quon en pense, le meilleur chef dentreprise nest pas un loup mais un meneur dhommes, un semeur davenir. Miser sur la personne humaine est le meilleur calcul.
Le 17 avril 1999 = Pierre MOLÈRES
Evêque de Bayonne, Lescar et Oloron
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