Le Monde

 
Elf lance une contre-offensive sur son assaillant TotalFina

Deux semaines après que TotalFina eut décidé de lancer un raid surprise sur Elf, ce dernier a déposé, dimanche 18 juillet tard dans la soirée, une offre publique d'échange (OPE) sur son prédateur. Alors qu'il avait jugé devant ses cadres le 8 juillet le rapprochement avec Total «prématuré », Philippe Jaffré, le président d'Elf, a, devant son conseil d'administration réuni dimanche à 21 heures, justifié ce mariage sous une nouvelle forme.
Depuis une dizaine de jours, plusieurs banques d'affaires - Goldman Sachs, BNP, Morgan Stanley, Lazard Frères et Cie et le Crédit agricole Indosuez - examinaient les scénarios de la risposte. M. Jaffré disposait en fait de peu de moyens pour se défendre. Il lui était impossible de demander à un étranger de venir l'aider pour mener sa contre-offensive. D'abord parce que de grands pétroliers, comme British Petroleum, sont actuellement absorbés par des fusions récentes. Ensuite, parce qu'il fallait trouver un chevalier blanc convenant à l'Etat, qui détient encore une « golden share » (droit de veto) dans le capital d'Elf. Dominique Strauss-Kahn, le ministre de l'économie, avait estimé le lendemain de l'offre de Total : « Avoir un groupe pétrolier français qui soit presque du niveau des trois premiers mondiaux et donc vraiment à l'abri de toute tentative de récupération par un anglo-saxon ou un américain, je crois que c'est plutôt une bonne chose ».
Beaucoup citaient l'italien ENI (dont l'Etat détient encore une participation de 36 %) comme candidat acceptable par le gouvernement français. M. Jaffré, depuis quelques mois en pourparlers avec ce groupe, ne s'est pas engagé dans cette voie. Après avoir pris connaissance des études des banques conseil, particulièrement Goldman Sachs, le conseil d'administration d'Elf a approuvé à la quasi-unanimité - le représentant de la CGT s'est abstenu -, une contre-attaque sur Total. L'offre a été déposée auprès du Conseil des marchés financiers à 23 h 50.

« Projet novateur »

La proposition d'Elf a été calibrée pour séduire les investisseurs qui avaient réagi très positivement à l'offre de TotalFina. Elle constitue une prime de 10 % par rapport au cours de clôture vendredi à Paris de l'action TotalFina. Surtout, M. Jaffré a décidé de verser aux actionnaires de TotalFina une soulte en numéraire qui pourrait lui coûter 13 milliards d'euros si tous les titres étaient apportés. Le patron d'Elf espère séduire la communauté financière grâce à un schéma qui « ne repose pas sur une intégration verticale comme c'est le cas dans la proposition de TotalFina » souligne-t-on dans son entourage.
Le « projet industriel novateur » d'Elf-Aquitaine repose sur la constitution de « deux entreprises indépendantes et totalement recentrées sur leur "cour de métier", explique la compagnie, l'une purement pétrolière l'autre chimique ». L'ensemble constitué par Totalfina et Elf serait scindé en deux entreprises cotées. Les activités pétrolières communes d'exploration et de raffinage seraient rassemblées pour former le « quatrième groupe pétrolier mondial » derrière Exxon Mobil, Shell et BP Amoco Arco. Les activités chimiques des deux groupes ainsi qu'une participation de l'ordre de 20 % dans Sanofi-Synthélabo (dont Elf ne peut se séparer pendant six ans) seraient réunies dans une entité propre qui deviendrait « le cinquième groupe chimique mondial ». SW,-20Elf explique qu'il avait globalement « envisagé un rapprochement avec TotalFina ». Cependant, cette stratégie, qui est celle retenue par TotalFina, « ne tire pas parti de toutes les opportunités industrielles permises par ce regroupement ». Elf considère que la constitution de deux entreprises séparées facilitera la réalisation de synergies « largement supérieures à celles annoncées par TotalFina ».

Economies

M. Jaffré annonce que cette opération permettrait, dans les trois ans, de réaliser « 2,5 milliards d'euros de synergie annuelles » avant impôt. Soit une économie globale de 7,5 milliards d'euros d'ici 2002. Cette estimation représente plus du double de celle avancée par TotalFina qui avait parlé pour son projet de 1,2 milliard d'euros de synergies annuelles réalisables sur trois ans (Le Monde du 2 décembre). Les synergies dégagées dans l'exploration-production « devraient atteindre 1,05 milliard d'euros. 950 millions d'euros sont attendus du raffinage et de la distribution, 300 millions d'euros du rapprochement des activités chimiques et 200 millions d'euros des réductions de frais de siège ».
Peu de détails sont donnés pour expliquer concrètement comment ces économies seront réalisées. Elf parle « d'amélioration de l'organisation, d'activités d'exploration plus focalisées et de procédures plus efficaces ». Ces objectifs seraient atteints avec les mêmes réductions d'effectifs en France que celles prévues par TotalFina, soit 2 000 suppressions d'emplois dans l'Hexagone. Celles prévues hors de France, seraient, selon le porte-parole d'Elf, interrogé par Le Monde, de 4 000, soit deux fois plus que dans l'hypothèse de
l'OPE de Totalfina.

Laure Belot et Joël Morio

lundi 19 juillet 1999