LIBERATION

 

Les chimistes d'Elf redressent la tête

Méprisés par les pétroliers, ils sont flattés par le projet de
séparation.

Par MURIEL GREMILLET

Le mercredi 21 juillet 1999






«Aucun étranger n'aurait lancé un raid sur Elf pour ne garder que la chimie. Si on nous éloigne du pétrole, on devient plus vulnérable.»
Jean Conan (CGC)

Pendant longtemps, les chimistes ont été méprisés par les «seigneurs du pétrole». Le contre-projet de Philippe Jaffré, qui vise à créer un pôle chimique indépendant du pétrole, pourrait bien consacrer leur fierté retrouvée. Dans les années 60, Elf avait créé des unités chimiques simplement «parce qu'on ne savait pas quoi faire des restes du pétrole», explique Jean Conan, de la CGC. Les pétroliers ont l'habitude de traiter avec condescendance leurs homologues de la chimie. L'histoire est fameuse chez Elf Aquitaine: les employés de la raffinerie de Feyzin (Rhône) s'entendent mal avec les chimistes d'Elf Atochem, la filiale spécialisée dans la chimie, qui fabriquent du PVC avec leurs produits.

Sale réputation. En 1983, le renforcement du pôle chimie, avec l'arrivée d'ATO et Chloé (rachetés à Rhône-Poulenc), n'y a rien changé. «On a récupéré une chimie dont on ne voulait pas», explique un pétrolier. Face aux pétroliers qui courent aux quatre coins du monde pour découvrir de nouveaux gisements, les 75 000 chimistes sont bien ternes. De plus, ils traînent une sale réputation: leur métier est dangereux et polluant. «Depuis toujours, on est les mal aimés», raconte l'un d'eux.

Complémentarité. Pourtant, les cycles opposés du pétrole et de la chimie les rendent très complémentaires: quand l'un est en crise, l'autre marche bien, ce qui permet à Elf de rester une entreprise rentable.

Néanmoins, certains sont séduits par la séparation des activités en deux entreprises. «Dans la chimie, le projet Jaffré est plutôt bien perçu», assure Jean-François Ranucci, de la CFDT. Aujourd'hui, la chimie est une branche d'activité à part entière, et fait des «envieux», comme l'explique la CGT. De son côté, TotalFina semblait surtout pressé de s'en débarrasser: Thierry Desmarest avait annoncé son intention de baisser ses participations dans la branche. «Desmarest faisait de la chimie la cinquième roue du carrosse, explique Jean-Claude Besset, de FO Atochem. On avait l'impression qu'elle servait uniquement à financer les opérations de rapprochement avec Elf.» Les syndicalistes reconnaissent d'ailleurs des synergies entre les deux groupes. Total est réputé pour sa chimie fine, qui va des additifs de brillance en passant par les plastiques de résistance. Elf Atochem est réputé pour sa chimie lourde, mais aussi pour ses productions de matières plastiques pour l'automobile ou ses adhésifs. «Par chance, nos domaines d'activité ne se recouvrent pas, explique Christian Albanès de la CGT. On peut donc réfléchir à des coopérations.»

Rachat. Une hypothèque pèse néanmoins sur une éventuelle indépendance. Un chimiste «pur» n'est pas à l'abri d'un rachat. «Aucun étranger n'aurait lancé un raid sur Elf pour ne garder que la chimie, constate avec philosophie Jean Conan. Si on nous éloigne du pétrole, on devient plus vulnérable. Mais personne n'est à l'abri dans ce monde. Pas même Elf.».