L'HUMANITE

28 Mai 1999 - POLITIQUE

" Suspendre le plan et ouvrir une médiation "

Yves Dimicoli, économiste et dirigeant du PCF, avance d'autres solutions que celles qui sont présentées par la direction du groupe pétrolier.

Pourquoi le groupe Elf, qui vient d'annoncer 8,3 milliards de bénéfices, engage-t-il un plan social ?

Yves Dimicoli. Elf invoque la nécessité de réduire les coûts face à la concurrence des majors américains. Il veut le faire en sacrifiant surtout l'emploi. Et cela pour " rendre plus de valeurs " aux actionnaires, particulièrement les fonds de pension américains, qui détiennent 26 % du capital. Il s'agit de porter à 15 % le rendement des capitaux employés dans l'amont pétrolier d'ici à 2002, contre 9,2 en 1998. L'objectif est de doubler le résultat net courant par action, à conjoncture pétrolière inchangée. C'est une fuite en avant très grave. Dès la privatisation en 1994, on a cherché à réduire les coûts de cette façon et dans ce but. Mais c'est le fiasco du point de vue de la croissance réelle (0,5 % par an !). Par contre, les dividendes versés explosent (4,1 milliards de francs en 1998), ainsi que les produits financiers reçus (12 milliards) et les charges financières supportées (7 milliards). Dans ces charges, il y a notamment, sur injonction des actionnaires américains, des rachats à crédit par Elf de ses propres actions, pour en faire monter le cours. Ainsi, on affaiblit une entreprise emblématique, stratégique pour l'indépendance énergétique de la France et de l'Europe et pour la construction de relations de codéveloppement avec l'Afrique et l'Est européen. Il faut donc chercher à baisser les coûts autrement, en coopérant.

Mais tout est présenté comme s'il n'y avait pas d'alternative...

Yves Dimicoli. D'abord, on ne peut pas parler d'Europe sociale, prétendre que l'emploi est la priorité des priorités et laisser une entreprise, qui a une dette historique vis-à-vis de cette région qu'est l'Europe du Sud, saccager ainsi l'emploi pour la Bourse. Il faut suspendre immédiatement le plan et ouvrir une médiation qui pourrait viser à réunir dans la région une conférence sociale industrielle et financière examinant d'autres solutions pour l'emploi, avec un réengagement d'Elf et une implication des banques qui se font beaucoup de gras dans les Pyrénées-Atlantiques. Ensuite, ce groupe, qui est stratégique, au point que l'Etat y dispose d'une " action spécifique ", a besoin de coopérations nouvelles. Cela doit protéger contre tout raid de majors tels que Shell. Une coopération visant une nouvelle maîtrise énergétique française, européenne et avec l'Afrique et l'Est, ne pourrait-elle pas se faire dans le cadre d'un accord à long terme associant en consortium Elf, le français Total, l'italien Agip et l'espagnol Repsol. En France ne pourrait-on pas aussi songer à une coopération plus intime avec EDF/GDF, au lieu des mises en concurrence accrues que peut engendrer le défi de la cogénération. Enfin, Elf a besoin de reconquérir une autonomie financière pour l'emploi par rapport aux fonds de pension. Est-ce que l'on ne peut pas songer à une extension de la part détenue par EDF/GDF dans le capital d'Elf, associée à l'exigence de nouveaux droits des salariés sur la gestion. Le cas d'Elf souligne le besoin de faire reculer la dictature des marchés financiers par un nouveau crédit bancaire en France, en Europe, à taux très abaissés et réservés à des investissements en coopération, programmant emplois et formation. Cela permettrait de diminuer les charges financières de façon sélective. Tout de suite pour Elf, cela pourrait concerner l'implication nouvelle du Crédit Agricole, du CIC, de Paribas, de la BNP, qui pourraient impulser des fonds publics de bonification pour l'emploi.

Propos recueillis par Christophe Auxerre