Suivez les sociétés créatrices de richesse.
ARTICLE DE LHEBDOMADAIRE INVESTIR N° 1325 - 14 JUIN 1999
Suivez les sociétés créatrices de richesse
Au moment où les fusions et les restructurations animent chaque jour les places financières, nous avons analysé en profondeur le thème de la création de valeur pour lactionnaire, avec le cabinet de conseil Mercer Management. Le résultat du lourd travail denquête mené sur 350 sociétés françaises bat en brèche bien des idées reçues. En partant des valorisations boursières, lanalyse montre que, sur dix ans, les entreprises en phase de croissance « vertueuse » sont nettement plus valorisées que celles qui se concentrent sur la réduction des coûts pour augmenter les bénéfices. En somme, le marché donne une prime aux firmes qui investissent et procèdent à des acquisitions dans leurs métiers. Lanalyse de Mercer Management est évidemment complétée par notre sélection de valeurs qui sinscrivent le plus dans le cycle de « croissance rentable ».
Dossier
La Bourse privilégie la croissance au détriment des restructurations
A linstar de leurs homologues américains, les dirigeants français recourent de plus en plus aux pratiques, venues doutre-Atlantique, des réductions de coûts et de la création de valeur. Les dernières grandes opérations financières en témoignent (BNP et société Générale-Paribas, Fimalac-Strafor Facom...), qui trouvent toutes ,selon leurs promoteurs, leur justification dans ces deux objectifs. Mais, ces dix dernières années, seules les entreprises qui ont su croître, investir et innover ont vu leur valorisation boursière progresser. Un dossier qui bat en brèche quelques idées reçues.
Les entreprises innovantes créent davantage de valeur
La BNP convoite la Société Générale et Paribas ? Son projet doit créer davantage de valeur que celui, concurrent, de la Société Générale sur Paribas assène Michel Pébereau. Fimalac avale Strafor Facom ? Accor vend les murs de ses hôtels ? Danone cède ses branches les moins rentables ? Ces opérations, pourtant bien différentes, visent toutes à créer de la valeur. Encore faut-il sentendre sur la définition de création de valeur. Encore faut-il savoir qui génère vraiment de la valeur en Bourse.
Cest ce que le cabinet de conseil en stratégie Mercer Management Consulting a cherché pour Investir, en passant au crible 350 sociétés françaises présentes dans 23 secteurs, à lexception des métiers de la finance.
Cette étude constitue le pendant hexagonal dune enquête menée depuis dix ans aux Etats-Unis. « A lépoque, les entreprises étaient focalisées sur les réductions de coûts. Notre analyse a pris le contre-pied de cette idée à la mode », se souvient Hanna Moukanas, vice-président de Mercer Management Consulting.
La même conclusion vaut pour le marché français. En partant du point de vue de lactionnaire, cest à dire de lévolution des valorisations boursières, lanalyse de Mercer Management Consulting montre que, sur dix ans, les entreprises en phase de croissance sont mieux valorisées que celles qui se concentrent sur la réduction des coûts. Dans la période la plus récente, qui sétend de 1992 à 1997, les premières ont enregistré une augmentation moyenne de leur cours de Bourse et de leur dividende de 13 % par an, contre un repli de 3 % pour les sociétés en restructuration. La différence atteint 16 %, contre seulement 10 % aux Etats-Unis.
La place française bien segmentée
Pour parvenir à ce résultat, les sociétés françaises ont été réparties en quatre catégories : la croissance rentable, pour les hausses parallèles du chiffre daffaires et du bénéfice ; la croissance non rentable, quand la progression des ventes est associée à une baisse du profit ; la réduction des coûts, quand la réduction des facturations conduit à augmenter le profit ; enfin, le déclin, correspond au repli des deux indicateurs. Environ 80 % des groupes français ont bénéficié, entre 1992 et 1997, dune amélioration de leur chiffre daffaires. Cette proportion, supérieure à celle observée aux Etats-Unis, reflète une spécificité de lindustrie française, qui a longtemps placé les gains de part de marché au coeur de ses objectifs.
Depuis 1988, la part des entreprises générant de la croissance rentable est ainsi passée de 42,8 % à 56,8 %. Mais dans le même temps, celle des sociétés en phase de restructuration a augmenté (de 6,1 % à 10,4 %), tout en restant inférieure à celle constatée aux Etats-Unis.
Si les firmes françaises nont pas toutes cédé à la mode américaine du recentrage sur le métier de base, cest aussi parce que les investisseurs continuent de préférer les entreprises en expansion. « la croissance est la seule stratégie susceptible de créer de la valeur sur une période longue », souligne Hanna Moukanas.
« La Bourse française segmente plus finement les quatre stratégies que le marché américain, où même les sociétés en phase de déclin voient leur valeur boursière progresser. » Cette différenciation moins marquée trouve sans doute son origine dans lafflux de liquidités dont dispose le marché outre-Atlantique.
Le cycle vertueux de la croissance
Un bon point, donc, pour la place financière hexagonale, qui présente un profil plus sain que son homologue américaine. Pour autant, une question se pose à lactionnaire individuel : en quoi ces constats, relatifs à une situation passée, peuvent-ils le guider dans ses choix dinvestissement ? La réponse se trouve dans la récurrence des comportements.
En effet, les deux tiers des groupes en croissance sur la période 1988-1992 sont parvenus à rester sur ce chemin vertueux lors des cinq années suivantes. Inversement, seul un tiers des entreprises en restructuration ont réussi à renouer, par la suite, avec la croissance rentable.
« Ce résultat nest pas surprenant », estime Jean Borjeix, directeur de la recherche de la société de Bourse Pinatton. « Les deux tiers des firmes qui ont dû se réorganiser au début de la décennie se trouvaient sans doute sur des secteurs mûrs. Dans certains métiers, il est très difficile de trouver des opportunités pour croître. Ce qui ne veut pas dire que ce soit impossible. »
Pour ces professions confrontées au déclin de leur activité historique, deux solutions soffrent, lintégration dactivités situées en amont ou en aval de leur métier de base ou la diversification, une politique qui na plus vraiment cours aujourdhui.
Au-delà des critères comptables
Pour juger de la pertinence de tels projets dextension, les dirigeants français sont de plus en plus nombreux à utiliser un autre critère de création de valeur. Dans son acception comptable, une entreprise crée de la valeur quand la différence entre la rentabilité et le coût des capitaux consommés (fonds propres et emprunts) est positive. Très prisée, cette notion ne permet pas, cependant, de mesurer les flux futurs de rentabilité générés par les investissements.
« Cest un calcul instantané », reconnaît Jean Borjeix. « Pour mesurer la création de valeur, il faudrait projeter dans lavenir les perspectives de croissance. Et cest ce queffectue le marché en gratifiant Bouygues, par exemple, dun ratio cours sur bénéfice deux à trois fois supérieur depuis quil sest lancé dans les télécommunications. Les investisseurs ne se sont pas laissé tromper par la baisse momentanée de la rentabilité des capitaux investis. »
Dans une période de taux dintérêt faible, comme cest le cas à lheure actuelle, la création de valeur revient aux entreprises qui osent sendetter pour investir et innover. « Penser que lon peut grandir en rétrécissant est un non-sens », martèle Mercer management Consulting.
Et pour grandir, il faut sadapter en permanence aux besoins des clients. Selon un sondage réalisé par le cabinet Arthur D. Little, auprès de 669 entreprises de dimension mondiale, 84 % des dirigeants interrogés considèrent linnovation comme leur objectif prioritaire. Mais seulement 25 % dentre eux estiment leurs performances satisfaisantes dans ce domaine.
Cest sans doute dans ce panel, parmi ceux qui ont lancé linnovation au coeur de leurs préoccupations, que se trouvent les champions de la création de valeur de demain.
Caroline Michel
Trois questions à Hanna Moukanas, vice-président de Mercer Management Consulting
« La Bourse française a un potentiel damélioration important par rapport aux Etats-Unis »
Votre étude distingue la croissance rentable des réductions de coûts. Mais les restructurations ne constituent-elles pas, parfois, une étape nécessaire ?
La réduction des coûts est une nécessité, imposée par le consommateur final. Cependant nous disons que ce phénomène nest pas une fin en soi et, surtout, que les restructurations sont plus faciles à mener en période de croissance, car elles ne sont pas perçues comme une défaite, accompagnée de licenciements. LOréal, par exemple réduit ses coûts, mais cest moins visible car lentreprise grandit. Pour éviter les licenciements, il faut une grande mobilité géographique et fonctionnelle du personnel.
La capacité de lentreprise à croître nest-elle pas liée au secteur sur lequel elle évolue à sa taille ?
Cest une idée fausse de croire que la croissance rentable nest possible que dans certains secteurs. Dans tous ceux que nous avons étudiés, il y a des sociétés qui ont réussi à trouver le chemin de la croissance. Tout dépend de la manière dont lentreprise définit son métier et son champ géographique. Lafarge ne sest pas déterminé comme un intervenant français du ciment mais comme un acteur mondial des matériaux de construction. Carrefour et Valeo ont été parmi les premières dans leurs métiers respectifs, à réaliser que leur zone dactivité était le monde. Maintenant, peut-on dire que la taille est un facteur discriminant ? Oui et non. Intuitivement, il est plus facile de monter son chiffre daffaires de 1 à 2 milliards que de 100 à 200 milliards. Néanmoins, plus un groupe est important, plus il dispose de moyens humains et financiers. La taille peut aussi fournir des opportunités de croissance, notamment par acquisition.
La croissance externe est un impératif, dans un environnement en cours de mondialisation. Mais elle ne remplace pas les stratégies de croissance organique. Si une entreprise ne parvient pas à croître par ses propres moyens, cest quelle est en panne de compétitivité. Cela aboutit inévitablement à une situation de déclin.
Le poids grandissant des actionnaires minoritaires ne risque-t-il pas de pousser les dirigeants français à privilégier les effets dannonce ?
Le fait que les opérateurs français pénalisent davantage les entreprises en restructuration ou dont la croissance nest pas rentable montrent quils sinterrogent sur leurs objectifs. De ce point de vue, la Bourse française a un potentiel latent important en comparaison avec le marché américain. On constate notamment que la croissance moyenne des valorisations boursières est stable en France, alors quelle augmente aux Etats-Unis.
Larrivée des actionnaires étrangers a conduit les dirigeants français à réfléchir sur leur stratégie et à la communiquer. Bien sûr, comme aux Etats-Unis, où les résultats sont publiés chaque trimestre, ce phénomène peut pousser les entreprises à se focaliser sur les résultats à court terme. Mais létude montre que la croissance rentable est la seule stratégie valorisée sur une période de dix ans. Sur cette même période, le nombre de sociétés françaises en croissance a progressé. On peut donc estimer que la pression des actionnaires a un effet positif sur les entreprises.
Propos recueillis par Caroline Michel
Des valorisations boursières soumises aux perspectives de croissance
Pour faire le lien entre croissance et valeur actionnariale, le cabinet Mercer Management Consulting utilise un ratio spécifique : le rapport capitalisation boursière/fonds propres. Il est interprété selon le principe suivant : quand la valorisation boursière dune entreprise équivaut à ses capitaux propres, cela signifie que la société parvient tout juste à satisfaire les attentes des opérateurs. Ces derniers, en fait, espèrent une prime par rapport à leur investissement, correspondant à un ratio compris entre 1,5 et 2,5. Au-dessus du seuil de 2,5, le marché montre une confiance sans faille dans lavenir de la société. Au-dessous de 1,5, il exprime son inquiétude.
La croissance en tête
Cette évaluation empirique recoupe de façon assez précise la répartition opérée entre croissance rentable, réduction des coûts, croissance non rentable et déclin.
Ainsi Altra Technologies, Sodexho Alliance, NRJ Pinault-Printemps-Redoute et Carrefour, notamment, présentent-ils tous des ratios de capitalisation boursière/fonds propres supérieurs à 3. Ils appartiennent également au groupe leader de la croissance rentable. Inversement, les firmes classées dans les trois autres catégories ne dépassent pas, sauf cas particulier, le niveau de 1,5.
Cette méthode souffre de quelques limites. Tout dabord, le calcul fait référence aux fonds propres consolidés, ce qui déclassent automatiquement les entreprises regroupant de forts intérêts minoritaires dans leurs activités (exemple des holdings ou encore de Suez Lyonnaise des Eaux). Par ailleurs, les groupes à lhistoire déjà ancienne sont davantage susceptibles davoir accumulé des capitaux que des affaires plus jeunes. Dailleurs, les performances les plus spectaculaires, de Sidel à Dassault Systèmes, sont enregistrées par des sociétés au passé récent.
Prime aux services
Néanmoins, les comparaisons des ratios capitalisation boursière/fonds propres ont permis didentifier, aux Etats-Unis comme en France, des phénomènes intéressants de « migration de valeur » entre secteurs, mais aussi à lintérieur dun même domaine dactivité. « La migration de valeur seffectue au profit des entreprises dont la structure et le développement sont adaptés aux besoins des clients », explique Hanna Moukanas.
Lindustrie automobile en fournit un parfait exemple. On constate en effet un déplacement de valeur des constructeurs vers les équipementiers. « Aujourdhui, le client nattend pas seulement du constructeur la vente dune voiture, mais aussi tous les services qui laccompagnent : maintenance, assurance, financement...De leur côté, les équipementiers ont pris à leur charge une partie de la recherche et développement auparavant effectuée par leurs clients constructeurs », précise Hanna Moukanas. On assiste, dans linformatique, à ce même mouvement des constructeurs vers les spécialistes du service.
Evidemment, les valeurs de croissance sont souvent les plus chères, celles qui présentent les rapport cours/bénéfice les plus élevés. Mais cette différence de valorisation est le reflet du potentiel de lentreprise.
Caroline Michel