L'EXPANSION PÉTROLE

 

TOTALFINA-ELF : AUJOURD'HUI LA BAGARRE, DEMAIN LE MARIAGE

Pour contrer l'OPE de Thierry Desmarest, Philippe Jaffré a choisi une voie
inédite en France. Mais au-delà de leur affrontement, l'union des deux
groupes pétroliers français semble inéluctable à terme.

Par Jacqueline Mattéi (21/07/96)


Après les banquiers français, c'est au tour des pétroliers de s'affronter. Pour riposter à Thierry Desmarest, PDG de TotalFina, qui a lancé une OPE de 275 milliards de francs sur Elf Aquitaine, Philippe Jaffré, patron de ce groupe, a choisi une voie inédite en France: une contre-offre de 330 milliards de francs d'Elf sur TotalFina. Il propose 3 actions Elf plus 190 euros en cash pour 5 actions TotalFina. Et présente un projet industriel qui se veut différent: scission des actifs énergétiques et des actifs chimiques du nouvel ensemble en deux entités indépendantes.

Philippe Jaffré avait peu de marge de manoeuvre: le recours à un chevalier blanc risquait d'être bloqué par la "golden share" du gouvernement. Mais le mécanisme de la contre-OPE est hasardeux. En vogue au début des années 80 aux États-Unis - la première fois ce fut par Martin Marietta pour contrer le raid de Bendix - il n'a rencontré qu'un succès mitigé: dans le cas de Martin-Marietta c'est finalement Allied Corp. qui a tiré les marrons du feu. Les milieux financiers français ont accueilli la manoeuvre avec scepticisme: les actions d'Elf et Total sont en baisse. Philippe Jaffré s'efforce maintenant de convaincre les investisseurs internationaux, qui ont toujours mieux apprécié la manière dont il gère son entreprise.

Une chose est certaine. Le mariage des deux groupes pétroliers français apparaît inéluctable. Mais les conditions dans lesquelles il s'effectuera pèsera lourdement sur ses chances de réussite.

Statu-quo ou surenchère ?

Le premier scénario est celui du statu-quo. Les deux groupes laissent leurs offres respectives inchangées. Celle de Total vient d'obtenir le visa de la Commission des opérations de Bourse (COB), celle d'Elf n'en est qu'au début de la procédure mais il est probable que le conseil des marchés financiers alignera les deux calendriers. Les actionnaires des deux groupes (dont une bonne moitié sont des fonds de pension anglo-saxons et autres investisseurs étrangers) trancheront entre deux projets industriels (et deux modes de management.) Mais il est possible qu'aucun des deux n'arrive à obtenir les deux-tiers du capital de l'autre, condition indispensable pour l'emporter, compte tenu des "pilules empoisonnées" qui limitent les droits de vote.

Le second scénario est celui des surenchères. Bien que Thierry Desmarest préfère garder ses liquidités pour investir, il peut être amené à rajouter du cash à son offre. Philippe Jaffré qui va déjà emprunter 18 milliards d'euros pour financer son offre, aura du mal à relever encore la barre. Mais il lui reste la possibilité de trouver un chevalier blanc, en le convainquant que Bruxelles ne laissera pas le gouvernement français exercer sa "golden share". La bataille qui s'en suivrait serait coûteuse pour les finances des deux groupes et démobilisatrices pour leurs équipes. Face à ces scénarii catastrophe, le seul scénario "gagnant-gagnant" est celui où les deux groupes se décident à négocier leur rapprochement. Ce que l'allemand Hoechst et le français Rhône-Poulenc sont en train de concrétiser - un mariage quasiment "d'égal à égal" - est-il impossible à réaliser entre les deux pétroliers français, qui se connaissent bien et ont des cultures voisines ?

Sur le plan industriel le principal point de friction se situe dans la chimie. Philippe Jaffré prône la scission alors que Thierry Desmarest défend la stratégie classique du pétrolier intégré: c'est qu'il a hérité avec Petrofina d'activités pétrochimiques profondément imbriquées au raffinage. Mais le véritable affrontement est-il industriel? ce sont les problèmes de pouvoir qui font obstacle au rapprochement des deux groupes.

Philippe Jaffré et Thierry Desmarest évoquent beaucoup leur désir de négocier amicalement. Qu'ils se décident donc à franchir les centaines de mètres qui séparent la tour Elf de la tour Total sur le parvis de la Défense.