Mondialisation : la bataille des Elf
 
Le message de Mireille est passé sur la liste de discussion d’Attac, dimanche dernier. Comme une bouteille qu’on jette à la mer. C’est pourtant vrai que l’été n’est pas loin, et avec lui la grande démobilisation des vacances. Comment « tenir » une grève dure quand s’annonce la grande fuite vers les plages, le soleil, le farniente ? Mireille est inquiète pour les Elf : « Ils en sont à leur 70e jour de grève.La Direction joue la durée et la lassitude.

Lors de la dernière AG, la continuité de la grève a été votée, mais difficilement. Ils ont besoin d’un soutien plus massif pour les aider à tenir. Leur combat est le nôtre à ATTAC : 8 milliards de bénéfices en 98 et 1 300 licenciements ! Les vacances arrivent et il faut que le mouvement ne sombre pas dans la ruée de juillet/août. Visiblement c’est ce qu’attend Jaffré. Que faire
? Diffuser l’information OK et après ? Ils ont un site « Elf-résistance ». C’est peut-être l’occasion pour tous les syndicats d’Europe de faire l’union sur tous les conflits sociaux en cours. Que ceux qui ont la possibilité de les contacter le fassent. » On dirait bien à Mireille, en ces lendemains d’élections européennes merdeuses, que son rêve d’une jonction syndicale et d’une coordination des luttes à l’échelle de l’Europe ne semble pas vraiment d’actualité... N’empêche qu’elle a raison, et qu’on n’en sortira que comme ça ! Nous nous sommes donc rendus sur le site des Elf en grève. Et nous invitons à nous y suivre.

Georges Lapouge

Le site de la semaine

Voici bien encore une de ces diableries d’internet que de vous permettre, sans bouger de votre fauteuil, une petite visite à des salariés en grève à l’autre bout du pays ! Vous pourrez même, comme le chroniqueur, leur adresser d’un clic un petit message de soutien. C’est aussi grâce au web que les grévistes peuvent communiquer à l’autre bout du monde avec leurs collègues expatriés (Elf est une compagnie pétrolière dont l’activité principale n’est pas, contrairement à ce qu’on pourrait croire, d’entretenir quelques « putains de la République » et leurs maquereaux, mais bien de rechercher du pétrole, en Afrique et ailleurs)... Appel, donc, des p’tits gars de Pau aux copains du Gabon ou de la Mer du Nord : « La majorité des agents en France est engagée dans une lutte difficile face à une Direction qui manipule avec dextérité mensonges et arguties. Ce site doit nous aider à rétablir la vérité et à faire connaître nos propositions à l’ensemble de la communauté internaute du Groupe et hors du Groupe, ainsi qu’aux actionnaires... Dans ce bras de fer, nous avons besoin du soutien actif de nos collègues travaillant en expatriation. Ils sont fortement concernés par le résultat du conflit en cours. Si vous voulez nous aider : Faites connaître largement le site de « elf-resistance » autour de vous, dans et hors du Groupe... »

Une leçon de choses

« L’avantage d’être intelligent, c’est qu’on peut toujours faire l’imbécile, alors que l’inverse est totalement impossible ». C’est de Woody Allen, et c’est la « pensée du jour » du lundi 21 juin, 71e jour de grève. Ainsi, dans sa relation quotidienne de l’évolution du conflit, l’Intersyndicale mêle les propos sérieux et les boutades, démonte les arguments de la direction avec rigueur sans se priver de l’arme de l’humour et de la dérision. Entre autres citations, celle-ci, de Courteline : « Tout le monde est capable de créer un système incapable de fonctionner », ou cette autre, de Cocteau : « Un général ne se rend jamais, même à l’évidence ! » Le général Jaffré finira-t-il par se rendre ? Les grévistes, en tout cas, ont de la suite dans les idées et n’entendent pas baisser pavillon : « Le personnel n’est pas du tout convaincu de la justesse de l’analyse de la direction qui motive ce plan et est inquiet pour la pérennité de L’Exploration Production (EP) à Elf, d’autant que cette analyse et les arguments avancés ne sont pas étayés par des données vérifiables, pertinentes et fiables. (...) Le plan de réduction des effectifs et d’externalisation est la seule réponse apportée à l’analyse des dysfonctionnements des services centraux. D’autres solutions existent pour améliorer le fonctionnement de l’EP. » On vous laisse les découvrir, en vous promenant sur le site, ainsi que les dessins, photos, références bibliographiques et revues de presse qui l’émaillent.

Et si l’on vous dit que ce conflit est une leçon de choses, c’est qu’il illustre de façon parfaite l’évolution de la gestion capitaliste moderne dans l’économie mondialisée, dont le plan de la direction est l’illustration caricaturale : recherche effrénée du profit (dans une entreprise largement bénéficiaire) pour engraisser toujours plus des actionnaires toujours plus gourmands (dont les fonds de pensions américains) sur le dos des salariés (toujours en surnombre). L’analyse a déjà été faite dans Politis (n°545) par Christian Hervouin (on la retrouvera sur le site) : « Le patron d’Elf, Philippe Jaffré, est, de tous les chefs d’entreprise français, celui qui a le plus tôt pris en compte les commandements de rentabilité exigés par ces fonds. Des commandements qui tournent autour d’un slogan : créer de la « valeur » pour l’actionnaire. Le conflit d’Elf trouve ici sa racine : comme ces fonds exigent des entreprises une rentabilité de très court terme (...) ils exigent des coupes claires immédiates. Bref, l’affaire Elf est révélatrice d’une radicalisation du patronat français, sous la pression de la mondialisation. »
En se battant pour leur beefsteak, les salariés d’Elf combattent aussi un système, dont nous sommes ou serons tous les victimes. Croyez pas ?

G.L.

Extrait de la revue "Politis" du 24 juin 1999 par Georges Lapouge