LETTRE A CERTAINS NON-GREVISTES
Un groupe de salariés a récemment adressé une lettre à l'Intersyndicale. Beaucoup d'éléments de cette lettre sont critiquables, voire démentis par les faits. Je n'en citerai, pour l'exemple, qu'un seul. La lettre contient la phrase suivante : "Vous muselez par lintimidation, quand ce nest pas par la menace ou la force, tous ceux que vous soupçonnez davoir une autre pensée que la vôtre." Or l'Intersyndicale a fait connaître le site Internet de la Direction et diffuse sur son propre site les informations qui y sont contenues. Il est certes évident que cette politique a pour objet principal de répondre aux arguments de la Direction et de démentir les informations quelle juge fausses. Il n'en reste pas moins qu'elle a aussi pour résultat de diffuser des idées opposées à celles de lIntersyndicale. Celle-ci a fait preuve d'un esprit d'ouverture que j'aurais aimé retrouver du côté de la Direction.
De façon plus générale, les auteurs de cette lettre tentent, volontairement ou non, de séparer les grévistes de l'Intersyndicale. Pour ma part, je ne suis pas syndiqué. La décision de faire grève (la première fois en vingt-cinq ans) m'a été difficile à prendre. Je n'approuve pas sans réserves toutes les décisions de l'Intersyndicale. Mais je continuerai à soutenir celle-ci tant qu'elle travaillera dans le sens du mandat qui lui a été donné au début du conflit. Et, en l'état actuel, quelque soit ma lassitude, je continuerai à voter pour la grève, notamment pour des raisons de dignité (à ne pas confondre avec l'amour-propre) : je proteste contre un plan qui vise à nous "virer comme des malpropres". Quant à l'accusation de manipulation, dont la lettre n'indique d'ailleurs pas lobjectif, elle me semble pour le moins abusive. Prétendre que plus de 800 personnes (valeur issue des statistiques de la Direction) ont été manipulés pendant 75 jours par lIntersyndicale, cest surestimer celle-ci et/ou sous-estimer le personnel. Je voudrais enfin préciser que je ne demande pas à l'Intersyndicale de me "protéger", mais de me représenter.
Mais l'objet essentiel de ma lettre est ailleurs. Il concerne la détérioration, pour ne pas dire la destruction, du tissu social dans l'entreprise. La fracture entre grévistes et non-grévistes est sans aucun doute profonde, et chaque partie a évidemment tendance à en rejeter la responsabilité sur l'autre. Pour ma part, je voudrais soumettre aux non-grévistes la réflexion suivante. Le fait que vous soyez non-gréviste laisse supposer que la perspective de l'externalisation n'est pas pour vous rédhibitoire ; les contacts que j'ai eu avec certains d'entre-vous le confirment. Il peut y avoir à cela plusieurs raisons. Certains d'entre-vous ne se sentent pas personnellement concernés, soit qu'ils bénéficieront des mesures d'âge, soit qu'ils ont l'espoir ou même la certitude de ne pas être externalisés. D'autres considèrent que l'externalisation débouchera sur un emploi pérenne. D'autres encore estiment qu'ils pourront donner une nouvelle orientation à leur carrière, après avoir quitté Elf EP dans les meilleures conditions. Mais il en est parmi les grévistes que les explications de la Direction concernant l'externalisation n'ont pas convaincu et à qui leur situation personnelle : âge, compétences, situation familiale, etc. rend très difficile tout reclassement. (Ces personnes ne sont pas pour autant des "canards boiteux" : leurs compétences adaptées au fonctionnement de l'entreprise, leur connaissance de celle-ci et de son contexte, etc. les rendent utiles à Elf EP où ils peuvent faire un travail efficace.) Pouvez-vous imaginer l'angoisse de ces personnes ? Est-ce trop vous demander que de comprendre cette angoisse ?
Certes, des actes graves, et qui pourront difficilement être oubliés, ont été commis.
Je condamne fermement les attaques personnelles quelles qu'elles soient, qu'il s'agisse par exemple des graffiti sur les murs de certains domiciles ou de l'assignation devant un tribunal de quelques personnes prises à peu près au hasard. Outre l'impact sur les personnes concernées (ce qui est l'aspect le plus grave de ces attaques), de tels procédés contribuent à détériorer le tissu social au sein de l'entreprise. Si ces attaques peuvent être parfois compréhensibles ou explicables, elles sont toujours injustifiables et inexcusables.
Mais il faudra bien que l'on travaille de nouveau ensemble, même si c'est pour une durée limitée. Or, plus que les machines, ce sont les équipes qui seront difficiles à "remettre en marche". Des lettres comme celle adressée à l'Intersyndicale ne peuvent quengendrer de nouvelles polémiques, de part et dautre. Elles ne faciliteront certainement pas ce redémarrage (il se peut que la présente lettre n'y contribue pas non plus ; mais ce serait le fait de maladresses dans l'expression et non pas d'une volonté quelconque). Pour ne prendre qu'un exemple, l'utilisation de l'expression "étoile jaune", même entre guillemets, ne peut être que génératrice de dissensions. Ne serait-il pas possible de rétablir le contact "à la base", ou tout au moins de maintenir ce qu'il en reste ? Certes, après 75 jours de conflit, cela sera difficile ; mais ne faut-il pas essayer ?
Est-il inévitable que le tissu social dans l'entreprise continue à se détériorer ?