Le plan "Performance Elf-Exploration-Production" (Etat début Avril 99)
Structure du Groupe Elf-Aquitaine: Le Groupe comporte quatre branches
: La branche EP (9800 personnes)
englobe :
Chronologie: -1993: privatisation de Elf-Aquitaine par le gouvernement Balladur. L'Etat conserve une minorité d'actions Elf et surtout "l'action spécifique" qui permet au gouvernement de s'opposer à une prise de contrôle d'Elf par une compagnie étrangère . -1995: annonce par la direction d'EAP (Elf-Aquitaine Production), de l'externalisation progressive de certaines catégories de personnel: deux groupes de 20-25 personnes sont désignés autoritairement pour être mutés dans des entreprises extérieures ( dont Thominfor et une entreprise anglaise). Le personnel informatique de Pau se met en grève, soutenu par l'ensemble du personnel de Pau et par une grève "dure" à l'usine de Lacq. Après quelques jours de grève, la Direction de l'Exploration-Production¨annonce qu'elle abandonne définitivement tout projet d'externalisation du personnel. Elle s'engage de plus à ne pas modifier le statut du personnel pendant cinq ans. Il semble que la grève de l'usine de Lacq ait pesé très lourd dans le repli de nos directeurs. Et ceci explique la mesure prise par la suite en 1997: -1997: La Direction de l'EP impose une scission de l'entreprise EAP en trois entités: EEP, EAEPF, EAG . L'usine de Lacq est ainsi séparée du reste de l'entreprise. Une réorganisation des Directions Techniques (Exploration et Production) réalisée en 97-98 aboutit en fait à un fonctionnement dégradé de l'Entreprise. -1998-1999: Annonce du plan de "Performance EP" : 2000 suppressions d'emplois dans la branche Exploration-Production, dont plus d'un millier à Pau, chez EEP.
Arguments avancés pour justifier le "Plan de Performance EP". L'argument essentiel avancé par nos directeurs tient dans le fonctionnement de la profession pétrolière. Elf, comme tous les pétroliers, travaille sur ses permis en association avec d'autres compagnies, ce qui permet de limiter les risques et de réunir les sommes considérables qui doivent être investies. Sur un projet donné, il y a donc plusieurs partenaires mais en général un seul d'entre eux est désigné comme "opérateur", c'est-à-dire qu'il a la responsabilité effective des travaux et des études. Le rôle d'opérateur permet de faire travailler nos propres équipes et est donc très important pour nous puisqu'il alimente en grande partie l'emploi à EEP...Cependant, les associés surveillent notre gestion et peuvent refuser les prestations de EEP si elles les jugent trop chères. La direction d'Elf affirme que nos tarifs sont trop élevés et que nous avons de plus en plus de mal à faire accepter nos prestations quand nous sommes opérateur. Cette affirmation est d'emblée douteuse. Primo, nos relations avec des collègues travaillant en filiale ne démontrent pas que nous soyons effectivement plus chers que nos concurrents. Secundo, Elf continue à se voir attribuer le rôle d'opérateur dans de nombreuses associations, ce qui ne pourrait pas être le cas si nous étions notoirement plus "chers" que les autres. Tertio, de nombreux tableaux de chiffres ont été produits par la direction: on peut y trouver des comparaisons entre les coûts de nos services et ceux d'autres compagnies (Shell, BP, Exxon...): à la lumière de ces tableaux P. Jaffré prétend que nos prestations sont 15% plus chères que celles de nos concurrents. Mais aucun de ces tableaux n'est convaincant parce que nous ne savons pas ce que les concurrents font entrer dans les chiffres qu'ils rendent publics. Une comparaison sérieuse de ce genre de chiffres exigerait que chacun fasse connaître la structure des prix qu'il pratique, ce qui n'est évidemment pas le cas. Depuis sa nomination à la tête du Groupe, en 1993, P. Jaffré prétend avoir diminué les coûts d'une manière radicale. Selon lui, le seul gisement d'économies restant à exploiter est maintenant la masse salariale. Dans nos tarifs facturés aux filiales, nous sommes obligés, dit-il, d'intégrer les salaires d'effectifs pléthoriques. Il concède que le niveau des salaires n'est pas en cause et que techniciens et ingénieurs ne sont pas mieux payés chez Elf que chez les américains. Il ne reste donc plus, pour diminuer ces coûts que deux méthodes selon nos managers: - dans les métiers purement pétroliers, diminuer les effectifs jugés pléthoriques et qui ne s'adaptent pas à la conjoncture. Il y aura donc des postes supprimés dans ces métiers et un appel accru à la sous-traitance. Ces métiers sont rassemblés dans la Direction Technique (DT) qui regroupe les activités: Géologie, Géophysique, Laboratoires, Gisement... -sous-traiter tous les métiers non pétroliers, ou d'environnement: l'Informatique, le service juridique, la direction financière, la gestion du personnel, les "moyens communs" (entretien...), ce qui permet d'adapter instantanément les dépenses au besoin du moment. Il faut reconnaître que pour ces métiers, Elf a sans doute trop embauché à une époque: mais ceci est une erreur du management, dont le coût doit maintenant être supporté par les salariés... Le recours à la sous-traitance est le credo du management actuel. Il permet de ne payer le personnel que lorsqu'on a impérativement besoin de lui. Il permet aussi de mettre en concurrence diverses entreprises, où le personnel est soumis à une pression de tous les instants.
Contenu annoncé du futur Plan. Dans ces conditions, tous les moyens seront bons pour diminuer les effectifs de l'exploration-production de 20%, comme l'a déclaré P. Jaffré devant des financiers à Londres, le 19 Mars. Il y aura donc: -départs à la retraite anticipés, -incitations au départ volontaire, avec indemnisation, -incitations au temps partiel, -discussion sur la mise en place des 35 heures, mais on ne sait pas l'importance que la direction veut donner à ces mesures. -reconversions au sein de l'entreprise; mais on voit mal comment cette mesure pourrait toucher beaucoup de monde. En tout cas, il ne semble possible de reconvertir que des salariés impliqués dans un métier pétrolier vers un autre métier pétrolier. -filialisations et/ou externalisations. Notamment, les informaticiens pourraient être transférés en presque totalité dans une compagnie existante (IBM est cité), ou bien être mutés dans une filiale créée pour l'occasion. -des licenciements.
Les risques de ce Plan pour le personnel en particulier et pour l'emploi local en général. Si l'on peut admettre que les salariés fassent des efforts liés à leur rémunération, dans le cadre des 35 heures ou du temps partiel, en revanche la question des filialisations et externalisations pose des problèmes graves et dont on ne semble pas toujours envisager l'ampleur à moyen terme. D'une part, en effet, pour que ce type de mesure génère effectivement une économie, il faudrait que la Société repreneuse du personnel: -diminue les salaires des salariés issus de Elf, ce qui peut se faire progressivement, Elf comblant la différence de rémunération pendant quelques temps. De telles entreprises auraient sinon intérêt à remplacer le personnel issu de Elf par des jeunes moins chers sur le marché de l'emploi. En ce qui concerne l'informatique, le marché est temporairement en "surchauffe" et les salaires y sont encore honorables, mais on peut craindre d'ici peu un retournement de conjoncture après l'an 2000 qui conduirait à une surexploitation des employés dans ce secteur de services. -quelle ait des coûts d'environnement plus faibles que ceux de Elf... et on ne voit pas comment elle pourrait y parvenir. D'autre part, et ceci est beaucoup plus grave, Elf usera de la concurrence entre sociétés de services, et les employés transférés se trouveront en sous-activité. Ils seront alors : -soit purement et simplement licenciés par les sociétés d'accueil, qui s'engageront, sans doute, à n'user de ce moyen qu'après un terme de deux ou trois ans. -soit priés d'aller s'installer dans une ville où la société d'accueil aura trouvé une autre source d'activités. Ce peut être le début d'une succession de déplacements de courte, mais aussi de longue durée. Dans les deux cas, il y aura eu disparition d'emplois dans la région, d'une manière d'autant plus pernicieuse qu'elle se fera progressivement, insensiblement. Il est totalement illusoire de penser, comme il a été dit récemment, que ce processus peut maintenir à terme le niveau de l'emploi local. Une société de services ne survit que lorsque le tissu industriel est suffisamment dense pour équilibrer les périodes de creux et de pics d'activités. Dans le cas présent de telles sous-traitants seraient assujettis au bon vouloir de Elf.
Les raisons purement financières de ce Plan. Il faut se poser la question de savoir si la situation de Elf justifie un plan aussi agressif. Nous avons vu qu'il n'était pas démontré que la situation vis-à-vis de nos associés soit grave. La technicité de notre entreprise est reconnue et recherchée par nombre de grandes compagnies pétrolières. Dans certains domaines Elf possède une technologie que peu de concurrents maîtrisent: forage horizontal, exploitation des grands fonds marins, gisements "haute température-haute pression". Notre domaine minier est également très riche, même s'il est trop concentré sur deux régions en particulier (golfe de Guinée et mer du Nord). D'ailleurs, d'autres régions du monde viennent peu à peu renforcer nos réserves: Moyen-Orient (Syrie et Qatar), Extrême-Orient (Bruneï), Amérique (golfe du Mexique) et Asie centrale (Azerbaïdjan). Par ailleurs, Elf a obtenu en 1998 des résultats tout à fait positifs ( 8 milliards de francs de résultat net, pour un chiffre d'affaire de 211 milliards de francs). Elle fait partie des quelques compagnies pétrolières qui ont le mieux résisté à la baisse des prix du pétrole. Ses bénéfices ont chuté de 26% par rapport à 1997, alors que Shell, par exemple, a vu ses bénéfices chuté de 95%. Elf a donc les moyens de résister à la période actuelle de baisse des prix pétroliers, d'autant plus que les cours de nos produits vont certainement remonter: un mouvement se dessine aujourd'hui dans ce sens. Les pays exportateurs ont pris conscience qu'ils avaient intérêt à diminuer leur production: une diminution de deux millions de barils par jour (b/j) sur une production totale de 72 millions es t envisagée, semble-t-il avec sérieux, et sa seule annonce a fait remonter le cours du baril de 10 à 13 dollars. Les experts pensent que ce prix pourrait atteindre 15 et même 18 dollars, ce qui procurerait à nouveau aux pétroliers de fabuleux bénéfices. Le fond du problème réside ailleurs. P. Jaffré écrivait en 1995 que la "gestion de l'entreprise devait se faire au bénéfice exclusif des actionnaires" (sic). Or l'indicateur économique que ces derniers privilégient est le ROCE (return on capital employed). Il mesure, comme son nom l'indique, le rapport des gains obtenus par unité de capital utilisé. P. Jaffré s'est engagé ouvertement à porter ce ROCE de 9,8% actuellement à 15%, chiffre comparable à celui de certaines grandes compagnies américaines non pétrolières. Il faut bien comprendre que cet objectif purement financier peut compromettre à terme la pérennité de l'entreprise. En effet, cette politique amène de l'aveu même de la direction à ne sélectionner que des investissements à très haut rendement. De nombreux projets rentables sont abandonnés, parce qu'ils ne satisferont pas les exigences à court terme des grands actionnaires. Avec ce même raisonnement, Elf diminue ses dépenses d'exploration de 45%. C'est ici le renouvellement de nos réserves qui est en danger et par là même le futur de l'entreprise qui est en jeu. Autrement dit, on sacrifie une politique industrielle d'avenir à une politique financière à court terme. Un plan social visant à supprimer quelques 2000 postes donnerait évidemment un coup de pouce non négligeable à cet indicateur financier. On peut aussi remarquer que les suppressions brutales d'emplois font quasi automatiquement remonter les cours des actions, et ceci est un autre cadeau fait aux actionnaires. Les grandes majors américaines annoncent des suppressions d'emploi et il semble que P. Jaffré veuille se conformer au mouvement général d'outre-Atlantique. Le plan de performance s'apparente visiblement à un coup médiatique qui exclut toute volonté de baisse progressive et moins douloureuse des coûts d'environnement. Le président d'Elf a promis par ailleurs un doublement des bénéfices par action et un doublement du résultat d'ici à 2001-2002. Il est tout à fait remarquable que le sabordement soit imposé aux salariés, alors même que les actionnaires se voient promis un avenir radieux, que le président s'octroie 60 000 stock options en 1997 et que les nombreuses et énormes erreurs techniques ou de gestion imputables à la haute hiérarchie n'ont jamais été sanctionnées (N'kossa, Lile Frigg, Texas Gulf... sans parler des affaires anciennes : avions renifleurs, Procès Goldsmith au Guatemala...).
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