LETTRE ENVOYEE PAR UN CADRE DE L’EXPLORATION A SON PRESIDENT

Le 4 mai 1999

 
     
  Monsieur le Président,

Avant de répondre à votre lettre du 16 Avril dernier, j’ai pris le temps d’étudier le rapport " ETUDE PERFORMANCE ELF EP ", et d’approfondir ma réflexion. C’est le résultat de cette réflexion que je vous livre :

Finalité d’EEP

Tout d’abord, je relève qu’ELF EP est présenté comme une " société de services " (p.25 - paragraphe 5.6, et p. 62). Ce terme me paraît impropre et contestable. En effet, la vocation de l’entreprise ELF Aquitaine est de générer des profits en découvrant, en produisant, et en commercialisant des hydrocarbures. Pour atteindre cet objectif, elle s’appuie sur des équipes de haut niveau technique, dotées de l’environnement informatique et administratif adéquat. Ces équipes, qui composent ELF EP, ont une double mission de gestion patrimoniale et de prestations de services. Comme il est écrit fort justement pages 32 et 39, ces activités sont complémentaires, j’ajouterai indissociables. Dans cette logique, EEP est bien au coeur de l’activité d’Elf Aquitaine. Elle est l’outil que se donne EA pour atteindre ses objectifs, son fer de lance, et non une société de services, terme qui ne peut recouvrir que des activités périphériques. Qu’un découpage administratif isole un Elf EP de sa maison mère ne change rien à l’affaire.

ELF EP étant partie intégrante d’EA, les objectifs de la maison mère sont aussi les siens. A ce titre, être compétitif dans la vente de ses prestations ne peut être pour ELF EP qu’un objectif secondaire, le but principal étant bien de fournir les prestations permettant de trouver ou d’exploiter au mieux des gisements d’hydrocarbures.

Compétitivité et équilibre financier

L’argument de base du plan de performance tient dans la nécessité pour ELF EP de faire face à un environnement de plus en plus concurrentiel. Or, si la pression internationale existe et s’intensifie, (et comment ne pas le constater ?) c’est avant tout sur Elf Aquitaine, société pétrolière, qu’elle s’exerce. Cette compétition se manifeste au niveau de la recherche d’affaires, au niveau patrimonial, dans la quête de domaine minier, d’hydrocarbures à développer ou dans le rachat d’actifs. C’est dans ces domaines que se localisent pour Elf Aquitaine les véritables enjeux, la croissance de son activité, voire sa survie comme grand opérateur. En revanche, EEP n’est en concurrence véritable que de manière indirecte.

En effet, la maîtrise de l’équilibre financier d’ELF EP dépend avant tout de la volonté de sa maison mère Elf Aquitaine : C’est elle qui détermine le montant du mandat de gestion, et du budget de préreconnaissance. C’est elle aussi qui fixe le niveau des investissements, budgets d’exploration, de développement, dont découle l’activité des filiales EP et, en conséquence, le plan de charge d’EEP.

La question de la vente de prestations aux filiales EP et aux associations ne se pose pas vraiment en terme de compétitivité des coûts: Nous avons en effet toutes possibilités de facturer les prestations au prix acceptable par les partenaires, le pourcentage du coût interne facturé dépendant bien entendu du caractère plus ou moins " haute valeur ajoutée " ou exclusif de la prestation. Elf Aquitaine peut parfaitement prendre à sa charge le solde non facturé s’il existe, au titre de la gestion du patrimoine. Celle-ci ne se limite pas en effet à la gestion des actifs, mais elle inclut le maintien d’une haute technicité, d’une recherche active et performante, et la formation d’un nombre suffisant de cadres de haut niveau technique. C’est, pour Elf Aquitaine investir dans la maintenance et l’amélioration de l’outil nécessaire à ses succès.

Cet investissement d’Elf Aquitaine dans Elf EP est à l’évidence dans les possibilités financières de l’entreprise. Pour mémoire, un déficit 99 attendu de 150 millions pour EEP représente (chiffres groupe 1997) :

0,06 % du chiffre d’affaires du groupe, ou

0,5 % de la marge brute d’autofinancement, ou

0,07 $/baril, ou

0,58 FF/action, soit

2,6% du dividende net payé aux actionnaires

Dimension d’EEP

La dimension d’EEP doit être ajustée en fonction de son plan de charge prévisible à moyen et long terme. Ce plan de charge est conséquence directe des besoins d’Elf Aquitaine et de ses filiales EP. Les évolutions budgétaires actuelles, particulièrement dans l’exploration, prévoient de fait une baisse conséquente des besoins. Cependant, plusieurs considérations doivent corriger ce constat :

L’ensemble des missions d’EEP ne peut être mené à bien qu’avec une entité atteignant la " masse critique ", aussi bien en terme de qualité que de quantité.

Notre industrie étant particulièrement cyclique, il est nécessaire d’amortir les points bas, et les points hauts, d’activité. Ceci d’autant plus que les prévisions d’évolution des cours du brut et du dollar ne sont pas fiables.

Enfin, et surtout, le niveau des investissements actuels dans l’amont correspond-il véritablement à nos besoins à moyen-long terme ? : Si l’on considère que les réserves comptabilisées donnent à Elf moins de 9 ans de production (quand la concurrence affiche 11 à 14 ans), que le nombre de filiales d’exploration est en diminution et que les relais de production à partir de 2005-2010 ne sont pas assurés, on peut être inquiet. D’autant plus que l’achat de réserves en terre à développer, les contrats de buy-back, ne représentent qu’une solution partielle au problème. En effet, en raison de la concurrence , les réserves se payent à leur prix, et les négociations se révèlent longues et difficiles, pour un objectif qui parfois se dérobe. Le groupe doit sa prospérité actuelle avant tout aux succès passés de l’exploration.

Le niveau d’étiage atteint par les budgets amont, contraints par des critères de rentabilité aussi draconiens que difficiles à tenir dans le futur, me parait donc plus basé sur une attitude de suivisme que sur une réelle évaluation des besoins. Dans l’industrie pétrolière comme dans tous les domaines, rien de grand ne s’est jamais construit sans audace. Malheureusement, notre attitude actuelle relève plus du repli stratégique sur des positions définies à l’avance. Vous l’affirmez vous-même, on ne gagne pas en se recroquevillant.

L’adaptation de l’outil EEP en référence à des besoins redéfinis est une exigence, mais ces besoins doivent être définis de manière offensive et réaliste, dans le cadre d’une stratégie de croissance à long terme.

Coût social

J’ai, pour ma part, toujours considéré l’entreprise comme un lieu où management, actionnaires et employés poursuivaient un objectif commun, où un équilibre devait s’établir entre les demandes parfois divergentes de chacune des parties, pour le bénéfice de tous. Le Plan Performance et ses corollaires relève d’une logique différente, dans laquelle le personnel de l’entreprise n’est qu’une variable sur laquelle on peut agir à volonté. Les " externalisations " et mutations sur Pau (vers quel avenir professionnel ?...) sont un moyen commode de se défausser de cartes jugées aujourd’hui encombrantes.

Le coût social du Plan Performance, s’il était mené à bien, apparaît déjà prohibitif : Sans même compter les journées perdues, la perte de confiance du personnel envers la société et ses dirigeants, la fracture ouverte entre les catégories de personnel, la suspicion entre collègues, le développement de réflexes de survie chez beaucoup, la disparition d’une culture d’entreprise alliant compétition et solidarité, représentent une facture qu’il faudra bien payer.

J’ai ainsi le sentiment amer d’un formidable gâchis, d’autant plus navrant qu’un objectif de réduction des coûts permettant une ambition industrielle raisonnable, aurait probablement pu être obtenu progressivement, et par la négociation, par le biais de départs volontaires et de pré-retraites. Ces dispositifs, accompagnés d’un vrai projet industriel mobilisateur, auraient certainement permis à la société de repartir de l’avant, et à chacun d’y trouver sa place.

Pour toutes ces raisons, je ne peux vous suivre dans vos conclusions, et la nécessité du Plan de Performance dans son aspect brutal ne m’apparaît pas. Ce n’est pas par ce Plan que passe l’adaptation de l’entreprise à son environnement, et je souhaite profondément qu’une approche moins schématique, plus dynamique et plus humaine soit entreprise.

Souhaitant qu’une vraie solution faisant cohabiter modernisation de l’entreprise et considération pour ceux qui la font vivre, soit trouvée, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma parfaite considération.